Le sosie. (CCTV, F.B.I. release, 12 September/ Wikimedia Commons.)

Par Patrick Lawrence

Depuis l’assassinat de l’activiste américain conservateur Charlie Kirk par un tireur d’élite expert, en plein jour, le 10 septembre, alors qu’il s’adressait à une foule de plusieurs milliers de personnes, de nombreuses questions se posent. Pour l’instant, tout ce que nous avons, ce sont des questions. L’histoire démontre que ce sera peut-être tout ce que nous saurons jamais sur l’auteur et le mobile de ce crime très médiatisé. Mais nous ferions bien de nous pencher sur ces questions, et tenter d’y répondre.

Le meurtre de Charlie Kirk nous renvoie brutalement à la désintégration de l’identité et des objectifs communs des Américains, à la puissance de l’idéologie, à l’invisibilité du pouvoir, à tout ce qui peut être omis ou falsifié lorsque les responsables rendent compte d’événements politiques cruciaux que les médias relaient sans esprit critique. Nous avons clairement dépassé le stade de l’autoritarisme bon enfant de ces dernières années. Et cette-fois, rien de bon enfant du tout.

Pour commencer, que sait-on de Tyler Robinson, le jeune homme de 22 ans officiellement inculpé le 16 septembre pour avoir tué Kirk d’un seul coup de feu tiré à une distance considérable avec une Winchester 30-06 ? Qui était Charlie Kirk, le jeune prodige de 31 ans du mouvement conservateur américain dont la mort soulève des questions autrement plus importantes ? À ce stade, nous n’avons de réponse fiable dans aucun des deux cas. Nous ne disposons pour l’instant que de récits douteux, dont l’élaboration semble bien chaotique.

Selon l’avis général, Tyler Robinson était un étudiant studieux du département d’électricité du Dixie Technical College de St. George, dans l’Utah, jusqu’au 10 septembre. Il est décrit comme un jeune homme “très attentif, calme et respectueux” par un voisin de la banlieue de Washington, dans l’Utah. “C’était un bon gars”, a ajouté Kristen Schwiermann, qui s’est entretenue avec NBC News le lendemain de l’arrestation de Robinson en tant que suspect. Sa grand-mère le décrit comme étant “propre sur lui”.

Le reportage de NBC explique que “l’évolution de Robinson, d’étudiant brillant à sujet recherché par le FBI, est encore mystérieuse”. Un doux euphémisme…

Le 11 septembre, le FBI a publié deux photos floues d’un homme dans une cage d’escalier de l’université de l’Utah Valley, où Kirk a été assassiné la veille, admettant qu’il n’avait pour l’instant aucune certitude. Un ami de Robinson a vu ces photos et a fait remarquer sur la plateforme de messagerie Discord que Robinson ressemblait à l’homme sur ces photos. Selon un article publié par le New York Times, Robinson a immédiatement répondu que “son sosie essaie de lui jouer des tours”. Quelqu’un d’autre a alors écrit sur Discord : “Tyler a tué Charlie !”,apparemment pour plaisanter”, comme l’a rapporté à juste titre le Times.

Cette théorie semble tout à fait ridicule. Il s’agit indubitablement à de l’humour entre amis. Mais les choses ont néanmoins suivi leur cours. Robinson a été arrêté à son domicile plus tard dans la journée. Les premiers rapports indiquent qu’il s’est rendu pacifiquement. Nous savons maintenant qu’il ne coopère pas.

Depuis, les insinuations fleurissent. Robinson semble avoir des convictions politiques modérément progressistes et n’aimait pas Kirk, si l’on en croit les rumeurs. Nous avons également lu qu’il adhère plutôt au genre de politique que dénigrait Kirk. Selon certaines informations, il aurait entretenu une relation amoureuse avec un colocataire engagé dans une transition du sexe masculin au sexe féminin. D’autres indiquent que les douilles trouvées sur les lieux comportaient, à la Luigi Mangione, des inscriptions faisant référence à des jeux vidéo et contenant divers messages antifascistes et liés au genre. Tout cela n’est toutefois qu’une hypothèse. Rien de tout cela ne constitue de motif recevable.

“Nous essayons de comprendre”, a déclaré dimanche dernier Spencer Cox, le gouverneur conservateur de l’Utah, dans l’émission “Meet the Press”, expliquant comment un étudiant irréprochable, doué d’une adresse exceptionnelle au tir, se serait transformé en meurtrier après avoir été “profondément endoctriné par l’idéologie de gauche”.

La question est de savoir comment et quand cela s’est produit. Il n’y a aucune trace d’une telle conversion. Voici ce que Cox développe :

Des amis auraient confirmé l’existence du “dark web”, de la culture Reddit et d’autres recoins sombres du net, où cet homme se serait aventuré.

Des sites obscurs et inquiétants, comme l’auraient confirmé ses amis. Je suis désolé, gouverneur. Cela commence à ressembler à L’invasion vient de Mars, ce classique de la guerre froide de 1953, où des banlieusards ordinaires tombent dans un trou et sont transformés en ennemis de l’État par des extraterrestres venus de l’espace, qui leur ont implanté des boutons de contrôle mental sur la nuque.

C’est plutôt ingénieux, si vous aimez ce genre de scénario. Et vous ne seriez pas le seul.

Le gouverneur Cox affirme que Tyler Robinson aurait agi seul. Pour étayer ces propos, nous apprenons maintenant qu’il aurait préparé son plan d’action pendant une semaine — en envoyant des SMS relatifs à ce projet. Le président Trump et ses collaborateurs affirment — je cite à nouveau le Times — que “le suspect ferait partie d’un mouvement organisé prônant la violence anti-conservateurs”.

Stephen Miller, chef de cabinet adjoint de Trump, s’est exprimé avec véhémence le 12 septembre sur Fox News :

“Un mouvement terroriste national sévit dans ce pays. Quand on voit ces campagnes de doxxing organisées par la gauche, qui traitent les gens d’ennemis de la République, de fascistes, de nazis, de malfaisants, et publient leurs adresses, que pensez-vous qu’ils essaient de faire ? Ils essaient d’inciter quelqu’un à les assassiner. C’est leur objectif. C’est leur intention”.

Des questions, toujours des questions. Robinson est-il le tireur solitaire, le Lee Harvey Oswald de l’affaire ? Ou appartient-il à un mouvement extrémiste responsable d’une série de meurtres ? De quelle “gauche” Miller et son employeur parlent-ils sans cesse ? On n’en sait rien. Mais ces questions mènent à une conclusion évidente — du moins pour moi — : le récit officiel de l’assassinat de Kirk est encore en cours d’élaboration, et la bonne vieille paranoïa américaine et les impératifs idéologiques formeront le ciment de toute cette entreprise.

Et c’est encore plus vrai dans le cas de Kirk que celui de Robinson.

Charlie Kirk était un conservateur pur et dur, et l’un des alliés les plus influents et éminents du président Trump. Il a été très efficace dans diverses opérations de propagande. Son mouvement, Turning Point USA, a reçu des millions de dollars de donateurs sionistes, les représentants américains d’Israël, comme disent certains commentateurs. Il revendiquait la liberté, la vérité, les valeurs judéo-chrétiennes et la cause sioniste, et s’opposait notamment à “la censure libérale et au wokisme sous toutes ses formes”. Voilà le Charlie Kirk dont parlent les faiseurs de récits maintenant qu’il est mort. C’est le Kirk que vous pouvez lire dans n’importe quelle parution grand public.

C’est Benjamin Netanyahu lui-même qui a lancé le mouvement. Dans un timing que beaucoup trouvent suspect, le Premier ministre israélien s’est rendu sur X pour prier pour Kirk, quelques minutes après sa mort. Deux heures plus tard, il a publié le message suivant :

“Charlie Kirk a été assassiné pour avoir dit la vérité et défendu la liberté. Ami courageux d’Israël, il a combattu le mensonge et défendu la civilisation judéo-chrétienne. Je lui ai parlé il y a à peine deux semaines et je l’ai même invité en Israël. Malheureusement, cette visite n’aura pas lieu. Nous avons perdu un être humain extraordinaire. Sa fierté sans limite pour l’Amérique et sa foi courageuse en la liberté d’expression marqueront durablement les esprits. Repose en paix, Charlie Kirk”.

Le lendemain, Bill Ackman, le milliardaire sioniste, a abondé en ce sens en se vantant de son amitié avec Kirk.

“Je me sens incroyablement privilégié d’avoir passé une journée et partagé un repas avec @charliekirk11 cet été”, a-t-il écrit. “C’était un homme exceptionnel”.

Le 15 septembre, J. D. Vance s’est installé derrière le bureau de Kirk pour animer “The Charlie Kirk Show”. Voici ce que Stephen Miller a déclaré à cette occasion au vice-président :

“Nous allons canaliser toute la colère que nous ressentons envers la campagne qui a mené à cet assassinat afin d’éradiquer et de démanteler ces réseaux terroristes. Nous y parviendrons, et nous le ferons au nom de Charlie”.

Kirk, en martyr des idées de la droite et du sionisme, est un exemple d’hypocrisie vraiment choquante. Comme l’ont rapporté Max Blumenthal et Anya Parampil dans The Grayzone le 12 septembre, Kirk s’est opposé cet été à Netanyahu, sinon à Israël, et a vivement critiqué les relations du régime Trump avec “l’État juif”. Voici un extrait rapporté par Blumenthal et Parampil et publié par ScheerPost. Il s’appuie sur une source proche de Kirk et bien informée de la Maison Blanche :

Dans les semaines précédant son assassinat, le 10 septembre, Kirk se serait mis à détester le dirigeant israélien, le considérant comme un “tyran”, selon cette source. Il était écoeuré par les agissements de l’administration Trump, notamment par les tentatives de Netanyahu de dicter personnellement les décisions du président en matière de recrutement, et par la manière dont il use de l’influence de personnalités israéliennes telles que la milliardaire Miriam Adelson pour garder la Maison Blanche sous son emprise.

Ceux qui ont récemment bénéficié du soutien de Kirk se sont retournés contre lui lorsqu’il a s’est mis à dénoncer leur influence abusive. Il a ensuite été soumis à des pressions constantes, allant jusqu’à craindre pour sa vie, de la part des alliés américains les plus puissants d’Israël, dont beaucoup avaient fait don de millions de dollars à l’organisation Turning Point USA. Dans un autre article publié le 15 septembre, Blumenthal rend compte d’une réunion organisée début août par Ackman avec Kirk et divers sionistes américains dans les Hamptons, le côté chic de Long Island. Kirk a été si violemment attaqué pour sa trahison qu’il en est ressorti “terrifié”.

Voilà pour cette journée et ce repas qu’Ackman aurait eu le privilège de partager avec Kirk, un mois avant son assassinat.

Les révélations de The Grayzone viennent contredire la version officielle du meurtre de Charlie Kirk. Outre le récit détaillé de la conversion politique de Kirk, nous avons maintenant un aperçu de la façon dont Netanyahu impose sa volonté à la Maison Blanche de Trump. Ces articles mériteraient le prix Pulitzer pour ce qu’ils révèlent, mais Blumenthal et Parampil ne le recevront jamais, car les médias mainstream, tout occupés qu’ils sont à défendre l’univers parallèle qu’ils contribuent à mettre en place, ignorent résolument leur excellent travail.

L’assassin de Charlie Kirk aurait pu commettre son crime de mille façons différentes. Il aurait pu lui faire perdre le contrôle de sa voiture et être éjecté, être victime d’un attentat à la bombe ou être abattu en rentrant chez lui en voiture un soir, sans témoin, juste un cadavre affalé sur le volant. Mais, comme l’a écrit Thomas Karat, psychologue spécialiste de l’analyse comportementale, dans un long article publié le 13 septembre, l’assassinat de Kirk poursuivait un autre objectif. Il s’agissait de bien plus que cela. Karat s’exprime dans une vidéo de 23 minutes publiée en même temps que son article sur Substack :

“La balle ne fait pas l’histoire. L’histoire ne fait que commencer. Car un assassinat ne se résume pas à tuer un homme. Un assassinat implique celui qui écrit le scénario dès l’instant où le corps touche le sol”.

Revenons donc à nos questions, toujours plus nombreuses. Le meurtre de Kirk était-il destiné à engendrer une “tension sociale”, comme bien souvent durant les décennies de la guerre froide ? S’agissait-il de défendre une cause contre un ancien initié suffisamment influent pour la menacer ? Certains suggèrent même qu’il pourrait être destiné à servir d’avertissement à ceux qui changent de camp.

Venons-en à la question la plus importante de toutes. À qui profite le crime ? Voilà à peine une semaine que Kirk a été assassiné, et la question revient sans cesse. Il y a pourtant des réponses à cette question — j’en ai deux, qui ne sont pas difficiles à trouver — mais ces réponses soulèvent d’autres questions sans réponse.

D’abord, il y a l’administration Trump. J’ai déjà suffisamment cité la garde rapprochée de Trump — Stephen Miller n’est-il pas qu’un sbire avec un titre pompeux ? – qui suggère qu’une attaque majeure contre les groupes terroristes de gauche, quels qu’ils soient, est imminente. Comme il n’existe pas de groupes terroristes de gauche à attaquer, cette campagne risque de se transformer en une offensive vague contre le libéralisme américain dans son ensemble, à l’étendue et à la légalité indéterminées.

J’ai du mal à me représenter le président ou l’un de ses proches commanditant l’assassinat de Kirk. Selon moi, il ne s’agit que d’opportunistes de la pire espèce qui instrumentalisent le meurtre d’un homme de plus en plus écœuré pour en faire un martyr, un saint patron de la répression de droite. Trump a déjà proposé une “loi Charlie Kirk” qui, si elle aboutit, rétablirait et redéfinirait une loi de la guerre froide contrôlant les médias au nom du “devoir de responsabilité”.

J’imagine plus facilement une implication des Israéliens dans l’assassinat de Kirk, même si je ne peux que spéculer. Les déclarations précipitées de Netanyahu exprimant sa tristesse, puis ses éloges enflammés : comme le souligne de manière convaincante Thomas Karat, ce genre de communication officielle est généralement mûrement réfléchi, préparé et vérifié plusieurs heures avant d’être rendu public. Vingt minutes après les faits ? La réponse s’impose d’elle-même.

Au-delà de cette incohérence, le bilan des assassinats commis par les Israéliens est impressionnant, comme en témoignent des preuves remontant loin dans l’histoire. Netanyahu, qui, à mon sens, conteste beaucoup trop pour être honnête, a déclaré à la télévision américaine le week-end dernier que toute suggestion d’implication israélienne est “tout simplement insensée”. Il n’y a certes aucune preuve, du moins pour l’instant, indiquant que le meurtre de Kirk soit un autre coup du Mossad, mais se poser la question n’a rien d’insensé.

La violence politique aux États-Unis se manifeste par cycles, comme l’a judicieusement fait remarquer Edward Luce, chroniqueur au Financial Times, dans un long article récent. Ce journaliste, spécialiste de la politique américaine, a cité les quatre assassinats des années 1960 — les deux Kennedy, Martin Luther King et Malcolm X — à titre d’exemple.

“Mais aujourd’hui, les choses sont différentes”, a-t-il observé. “Les assassinats de MLK et de JFK n’ont pas été accompagnés d’incitations à la vengeance au plus haut niveau. Cette fois-ci”, souligne-t-il, “les Républicains au Congrès se lancent à travers l’hémicycle : ‘C’est vous les responsables. C’est de votre faute, bande d’enfoirés’, et autres joyeusetés du même acabit”.

Le lien social aux États-Unis se délite depuis des années, c’est vrai. Mais Luce a raison de suggérer que l’assassinat de Kirk nous fait basculer dans une nouvelle dimension particulièrement inquiétante. Nous sommes désormais une nation de sans-abri, incapables de discerner ne serait-ce qu’une lueur d’unité ou d’espoir. Même en prenant du recul sur les questions soulevées ci-dessus, le simple fait de devoir les poser témoigne de la gravité du problème. Jusqu’où allons-nous sombrer ? Voilà la question que nous devrions nous poser.

Patrick Lawrence,  18 septembre 2025

Source: https://www.unz.com/plawrence/to-whom-goes-the-good/

Traduit par Spirit of Free Speech