Par Drieu Godefridi –
Trop de journalistes confondent le fait et l’opinion, dont la distinction était la marque de fabrique d’une certaine presse. Mais un journaliste ne devrait pas prendre ses désirs pour des réalités, et « prédire » un événement seulement parce qu’il le souhaite.
L’élection de Donald J. Trump à la présidence des États-Unis est un événement dont l’importance ne doit pas être sous-estimée. Cette élection marque, en effet, une rupture à plusieurs niveaux. Relevons ici le cas emblématique de la presse.
J’ai vécu plusieurs campagnes électorales, mais jamais je n’avais assisté à une telle déferlante médiatique, dans l’hostilité méprisante, à l’égard d’un candidat américain, jusque et y compris Ronald Reagan. L’hostilité — sans doute le mot haine conviendrait-il mieux — dont Trump a fait l’objet, dans la presse, américaine comme européenne, depuis l’annonce de sa candidature en juin 2015, est sans précédent.
À la recherche de l’objectivité perdue
Trop de journalistes confondent aujourd’hui le fait et l’opinion, dont la distinction était la marque de fabrique d’une certaine presse, dans la tradition anglo-saxonne. On peut être hostile aux idées de Trump, à ce qu’il représente, etc. Mais un journaliste ne devrait pas prendre ses désirs pour des réalités, et « prédire » un événement seulement parce qu’il le souhaite (in casu, la défaite de Trump).
Les éditoriaux brûlant de haine et de mépris du Financial Times, par exemple, sous la plume de son chief economist Martin Wolf, laissaient pantois. Comment des « plumes » aussi renommées ont-elles pu se laisser aller à descendre ainsi dans l’arène des passions politiques ? Cette attitude est très exactement celle que Julien Benda qualifiait de « trahison des clercs ».
La défaite de la presse traditionnelle est d’autant plus flagrante qu’elle s’est accompagnée de la montée en puissance de médias alternatifs tels que WikiLeaks, Breitbart, le Drudge Report, etc. On peut critiquer WikiLeaks, la publication de mails privés, et rien de ce qui est humain n’est parfait. Il n’empêche que WikiLeaks aura constitué la principale source d’information du public américain sur les réalités — les réalités, sans filtre interprétatif — de la campagne et de la machine électorale démocrate et de ses maîtres d’œuvre. « We open governments » est le slogan de WikiLeaks.
De fait, jamais les arcanes du gouvernement américain n’avaient été si parfaitement mises à nu qu’elle ne l’ont été par WikiLeaks. N’en donnons qu’un exemple avec ce mail hallucinant, daté de 2008, dans lequel un responsable de la banque Citigroup suggérait au président Obama les membres de sa future administration… La même administration Obama qui devait ensuite offrir à Citigroup la plus formidable opération de « bail-out » — renflouement avec de l’argent public — de l’histoire financière américaine.
Remise en question
Une remise en question des médias traditionnels doit intervenir, à peine de se condamner à la non pertinence à brève échéance. De nombreux organes de presse, en Belgique comme en France, ne survivent que grâce à d’importants subsides publics, et utilisent ces subsides pour mettre en avant des opinions subjectives, souvent minoritaires dans la population.
Cette situation, qui n’est pas saine, ne pourra pas perdurer éternellement car elle finit par induire un rejet massif — et justifié — de la part du public. Or, une presse libre est un rouage indispensable à toute démocratie visant au règne du droit.
De ce point de vue, l’élection de Donald Trump est une terrible leçon, mais également une opportunité, celle d’une remise en cause : a good review, dit-on en américain !
Drieu Godefridi
Source: Contrepoints.org