Mauvaise année pour la Constitution américaine

Par Philip Giraldi | 19 DÉCEMBRE 2017
Publié par Unz Review sous le titre A Good Year for Israel and Its Friends. A bad year for the U.S. Constitution

La décision malheureuse de l’administration Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël ne sert aucun intérêt américain évident, contrairement à ce que certains des experts ont toujours suggéré. Israël s’emploie déjà à exploiter la situation à sa manière habituelle. Immédiatement après cette annonce, l’ambassadeur d’Israël à Washington, Ron Dermer, a suggéré que la décision concernant Jérusalem pourrait maintenant être étendue à d’autres zones contestées, en particulier les hauteurs du Golan syrien, occupées depuis 1967. Et la décision sur Jérusalem elle-même s’avérera très probablement élastique puisque le gouvernement israélien a déjà préparé une législation visant à incorporer un grand nombre de colonies de peuplement à l’intérieur des limites de la ville, bien au-delà des frontières historiques.

L’argument actuellement en faveur parmi les sionistes – selon lequel la reconnaissance de Jérusalem accélérera, en quelque sorte de façon perverse, la recherche d’un règlement de paix définitif avec Israël puisque cela démontrera aux Palestiniens à quel point leur cause est désespérée – n’est guère pertinent : le désespoir est plus susceptible de conduire à une augmentation de la violence qu’à une solution politique. Une lecture plus intrigante suggère qu’Israël, États-Unis et Arabie saoudite ferment les yeux sur l’entassement d’un plus grand nombre de Palestiniens dans un camp pénitentiaire légèrement agrandi à Gaza, laissant le reste de la Cisjordanie ouvert à absorption par Israël. Encore une fois, un tel résultat n’est guère probable car les 2,5 millions de Palestiniens qui resteront dans la région auront probablement leur mot à dire sur la question, quelle que soit la pression exercée par les Saoudiens et Jared Kushner pour qu’ils se soumettent.

Rien de bon ne sortira de la décision Trump, car la situation dans la région commence déjà à se dégrader. Les Turcs parlent d’ouvrir une ambassade en Palestine à Jérusalem-Est, et les 56 autres pays musulmans de l’Organisation de coopération islamique pourraient faire de même. Israël, qui a le contrôle physique de toute la ville, pourrait recourir à la force pour empêcher cela, créant ainsi de nouveaux points de conflit à son profit au Moyen-Orient. Les États-Unis s’impliqueraient, bien sûr, vu leur rôle de protecteur et sponsor d’Israël. La situation évolue et elle est susceptible de se transformer en Israël et aux États-Unis par rapport au reste du monde, avec des conséquences fâcheuses, au fur et à mesure que le conflit se répercutera sur des questions normalement sans rapport, comme le commerce et autres accords internationaux inoffensifs, tandis que touristes et entreprises américaines deviendront de plus en plus la cible du terrorisme.

Si vous voulez comprendre la raison pour laquelle les États-Unis ne peuvent pas poursuivre d’objectifs raisonnables au Moyen-Orient ou ailleurs, il suffit d’observer les néoconservateurs, trop souvent centrés sur Israël, et qui ont pour habitude de conseiller presque tout le monde au sein du gouvernement de la Maison-Blanche sur ce qu’il faut faire, en particulier en matière de politique étrangère. Du fait de la lenteur de l’Administration Trump à pourvoir les postes de haut niveau, il reste encore beaucoup de postes vacants – ce qui a ouvert la porte à des républicains néoconservateurs, avides de renouer avec le gouvernement. Au département d’État, Brian Hook du « John Hay Initiative » (néocon) est maintenant chef de la planification des politiques, avec l’aimable autorisation de Margaret Peterlin, chef d’état-major de Tillerson. Pour diriger le bureau Asie, ils ont récemment embauché David Feith, fils du tristement célèbre chef du « Bureau des plans spéciaux du Pentagone », Doug Feith. De même, Wes Mitchell, dont les politiques sont en grande partie indissociables de celles de son prédécesseur, a remplacé Victoria Nuland au poste de secrétaire adjointe aux affaires européennes et eurasiatiques. Elliot Abrams, Eliot Cohen, les Kagans – entre autres néoconservateurs éminents – ont été bloqués, mais des militants de second rang, moins marqués politiquement, sont tranquillement entrés en scène.

Dans une certaine mesure, le Congrès est à la source de tous ces maux, car ses nombreuses réunions de commissions se nourrissent de conseils d’experts qui sont souvent tout sauf ce qu’ils prétendent être, mais sont là pour relayer les vues intransigeantes de bon nombre des législateurs eux-mêmes, sans aucune opinion contraire à l’horizon. Au cours d’une récente session du Comité sénatorial des services armés, Eric Edelman a fait une déclaration. Sa présentation est extrêmement va-t-en guerre, avec un accent particulier sur l’Iran et la Russie. On peut la résumer brièvement en citant quelques titres de ses chapitres : « Adopter une stratégie post-ISIS (Etat islamique, ndlr] pour la Syrie et l’Irak », « Développer un levier militaire crédible contre l’Iran », « Reconnaître la Russie comme un obstacle et non comme un partenaire », « Augmenter les pressions internes contre le régime iranien » et « Appliquer les restrictions nucléaires à l’Iran ».

Quant à la façon dont le gouvernement obtient une grande partie de l’information dont il dispose, on se trouve devant un cas de « données incorrectes, résultats erronés ». Et compte tenu des antécédents de la Maison-Blanche par rapport à l’Iran et Jérusalem au cours des derniers mois, on pourrait raisonnablement conclure qu’Israël obtiendra tout ce qu’il veut, y compris une guerre catastrophique avec l’Iran, parce que cela fait aussi partie des foutaises à la Maison-Blanche, aux bons soins du gendre, Jared Kushner, et de ses vues sur le Moyen-Orient.

Or une deuxième histoire se raconte sur Israël ici même, aux États-Unis, qui risque d’être encore plus inquiétante que ce qui se passe sur le terrain en Palestine et en Syrie. Vous voyez, le problème d’Israël, c’est qu’il s’agit bien d’un État d’apartheid fondé sur la race et la religion. Les 320 000 Palestiniens qui tentent désespérément de rester à l’intérieur et autour de Jérusalem-Est n’ont aucun droit, et sont systématiquement expulsés pour s’être vu refuser l’obtention d’un permis de construire suite aux contrôles arbitraires exercés par l’armée et la police israéliennes. Églises et fondations chrétiennes subissent également des pressions de la part des autorités israéliennes, mais le Congrès ou la Maison-Blanche n’en parlent guère.

La vérité sur Israël est tout à fait déplaisante ; il a donc été nécessaire d’élaborer un contre-narratif complètement faux mais convaincant, qui s’appuie psychologiquement sur la culture de revendications de la part des perpétuelles victimes liées de façon récurrentes à l’holocauste. Le faux récit commence généralement avec le mythe selon lequel Israël serait la seule démocratie du Moyen-Orient, pays tolérant où toutes les religions peuvent pratiquer leur culte et où chacun jouit d’une liberté garantie par la loi. Pourtant, hélas, le pauvre Israël est traité injustement par la communauté internationale, uniquement parce qu’il est juif.

Si l’on se donne la peine d’en parler avec n’importe quel palestinien musulman ou chrétien qui a le malheur d’y habiter, la réalité de la vie en Israël est bien différente. De même si l’on prend la peine de lire la littérature évoquant la déshumanisation foncièrement raciste des Arabes par les Israéliens, qui a entraîné mort, passage à tabac et emprisonnement d’enfants, tandis qu’un tireur d’élite de l’armée abattait récemment un manifestant palestinien cul-de-jatte en fauteuil roulant.

En outre, une fois qu’on a construit un faux récit, on doit le protéger en veillant à ce que personne ne puisse facilement le contester. Une grande partie des médias nationaux soutient cet effort, et limite ou élimine volontairement toute couverture négative d’Israël. Et les principaux acteurs de la communauté des médias alternatifs se sont également alignés ; de plus en plus souvent, ils censurent et manipulent directement les articles apparaissant sur des sites tels que Facebook et Google. L’objectif ultime du lobby israélien c’est de suivre l’exemple de certains pays européens, où toute critique d’Israël est assimilée à de l’antisémitisme et donc classée comme délit de haine, assorti de sanctions civiles et pénales.

J’ai déjà expliqué que 24 États exigent maintenant des promesses officielles dans lesquelles ils s’engagent à ne pas boycotter Israël de la part des citoyens et organisations qui reçoivent des fonds du gouvernement ou qui cherchent simplement un emploi dans les administrations locales. S’ajoutent les progrès documentés de la loi anti-boycott israélienne au Congrès et de la loi sur la sensibilisation à l’antisémitisme – deux grands pas dans la même direction. Toutes deux visent à définir comme antisémite toute critique d’Israël. Le 12 décembre, la loi sur la sensibilisation à l’antisémitisme a été approuvée par la Chambre des représentants avec 402 votes en sa faveur ; ce jour-là, seulement deux députés à la sensibilité libertaire votèrent contre. La loi anti-boycott israélienne, également en voie d’être adoptée par le Congrès, dépasserait de loin ce qui se passe au niveau des États et établirait une nouvelle obligation de déférence à l’égard des intérêts israéliens de la part du gouvernement national. Elle placerait en infraction pénale tout citoyen américain « impliqué dans le commerce interétatique ou étranger » soutenant un boycott d’Israël ou ne faisant même qu’une « demande d’information » à son sujet ; les sanctions seront exécutables par le biais de modifications apportées à deux lois existantes, la loi de 1979 sur l’administration des exportations et la loi de 1945 sur les exportations et importations ; les amendes peuvent aller de 250 000 $ à un million de dollars et jusqu’à 20 ans de prison. Selon l’Agence télégraphique juive, le projet de loi du Sénat a été rédigé avec l’aide de l’AIPAC.

Les bureaucrates mis en place par l’Administration Trump pour interpréter et appliquer lois et règlements sont sans doute plus dangereux que les lois actuelles et à venir, déjà contestées devant les tribunaux pour constituer une violation des droits du premier Amendement. Comme nous l’avons découvert à la lumière de l’expérience de James Comey et des activités de certains de ses associés, les hauts fonctionnaires ont une grande liberté d’interprétation quant à la façon dont ils doivent s’acquitter de leurs responsabilités, ce qui rend quelque peu mythique la norme de la « primauté du droit » appliquée par un gouvernement éthique. Dans ce contexte, la récente nomination de Kenneth Marcus à la tête du Bureau des Droits civiques du Département de l’éducation devrait servir de signal d’alarme pour ceux qui s’inquiètent des libertés civiles.

Marcus est actuellement à la tête du Louis D. Brandeis Center for Human Rights Under Law, qu’il a fondé en 2011. Le Centre a été impliqué dans des procès en série n’ayant qu’un seul objectif – mettre un terme dans les universités aux manifestations organisées par les étudiants contre les politiques israéliennes. Marcus s’attache à faire taire le mouvement non violent « Boycott, Désinvestissement et Sanctions » (BDS), qui gagne en popularité auprès des jeunes Américains et que le gouvernement israélien considère comme une menace majeure à sa légitimité. L’énoncé de mission du Brandeis Center est clair : « Le principal défi en matière de droits civils et de droits des personnes auquel sont confrontés les Juifs d’Amérique du Nord est la résurgence du problème de l’antisémitisme et de l’anti-israélisme sur les campus universitaires.

À ceux qui répondent « Et alors ? Marcus a le droit de faire valoir ses points de vue par tout moyen à sa disposition », on pourrait rétorquer que sa nomination place une personne aux intentions parfaitement claires à la tête d’une organisation établie pour veiller à ce qu’il n’y ait pas d’agenda relatif aux droits civils des étudiants. Certes, Marcus n’a jamais gagné un seul procès en justice, mais ce n’est pas son but. Ce qu’il cherche c’est créer des ennuis, faire de la mauvaise publicité et augmenter les frais qu’impliquent les litiges juridiques. Comme il le dit lui-même, « ces actions – même si elles sont rejetées – exposent les administrateurs à une mauvaise publicité… Si une université ne traite pas sérieusement les plaintes initiales, cela lui cause du tort auprès de donateurs, professeurs, dirigeants politiques et étudiants potentiels.

Marcus a le pouvoir et l’autorité de priver des fonds fédéraux les universités qui ne répondent pas à ses normes d’action visant à réprimer la vague montante de critiques contre Israël, ce qui le rend bien peu différent d’un journaliste auteur de panégyriques sur Israël ; ou d’un politicien qui accepte l’argent des Comités d’Action Politique (PAC) et se lève vingt-neuf fois pour applaudir le monstrueux Benjamin Netanyahu. En effet, lors de l’audition confirmant les charges contre Marcus, aucun sénateur ne lui a posé de questions sur ses activités de plaidoyer à plein temps en faveur Israël.

De nombreuses universités dépendent des fonds fédéraux et ont déjà pris des mesures administratives pour se distancer de toute critique d’Israël ou carrément les interdire. Marcus pourra abaisser encore plus la barre, en pressurant les universités à pousser « ceux qui haïssent Israël », comme il les appelle, à quitter le système éducatif. Dans un avenir prévisible, les étudiants seront libres de critiquer les États-Unis sur le campus, mais leur sera interdite toute évocation sans langue de bois de l’État étranger d’Israël.

Philip Giraldi

Original : https://www.unz.com/pgiraldi/a-good-year-for-israel-and-its-friends/

Traduit de l’anglais par Macabies pour Arrêt sur info