Christophe Oberlin est une personnalité très attachante dont nous suivons et admirons le combat inlassable pour la dignité et la justice en Palestine. [Silvia Cattori]

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Crédit photo: ASI


Christophe Oberlin a été condamné à un blâme par le Conseil de l’ordre des médecins le 12 juin 2015[1]. Il a fait appel. L’audience en appel a eu lieu le 11 octobre 2016.

Voici en substance le contenu de l’intervention de Christophe Oberlin.


Par Christophe Oberlin

Lorsque j’ai été mis en cause par le Conseil de l’Ordre, j’ai pensé que l’Ordre avait commis une grosse faute en me traînant devant sa juridiction disciplinaire. Et en première instance nous avons parlé en droit pour permettre à la Chambre de s’en tirer avec les honneurs. Nous nous sommes évertués avec maître Kattineh à expliquer au jury que les positions politiques sur le sujet israélo palestinien n’avaient pas à être discutées devant une instance ordinale. Et en particulier n’avaient pas à faire l’objet d’une plainte en provenance du Conseil de l’Ordre. Quand je discute la légitimité d’un Etat juif à majorité juive, il s‘agit d’une opinion personnelle que le conseil de l’Ordre n’a pas à contester. C’est une opinion exprimée en dehors de mes fonctions[2]. Quand le Conseil de l’Ordre porte plainte contre moi, et que l’avocate du Conseil de l’Ordre, qui est en même temps l’avocate du CRIF, choix peu adroit de la part du Conseil de l’Ordre, s’offusque que « le Dr Oberlin conteste la nature juive de l’Etat d’Israël », cela veut dire que l’Ordre a derrière lui les 200 000 médecins français : c’est tout à fait excessif.

Nous pensions que dans sa sagesse la première instance sous la présidence d’un juge issu des tribunaux administratifs, allait faire comme le Défenseur des droits[3] et classer l’affaire. Or ce n’est pas le cas, donc nous sommes contraints aujourd’hui de parler politique.

Je vais vous lire quelques textes qui ne sont pas des pièces ajoutées au dossier, mais simplement des textes écrits par certaine personnalités et qui reflètent fidèlement mes convictions. Vous pouvez me les attribuer.

« Je sais qu’il y a des gens qui, sans me connaitre, me haïssent. Le pire c’est que certains sont de bonne foi. Car ce qu’ils savent de moi, ce sont des propos déformés et non mes positions réelles. J’ai eu la tentation face à un tel tir de barrage de ne plus m’exprimer sur le sujet. Certains amis me l’ont conseillé pour me protéger. Après avoir longuement hésité, j’ai décidé de ne pas me taire car il n’y a aucune raison qu’on ne puisse pas traiter, avec des désaccords mais librement et sereinement ce sujet. Le débat sur le Proche-Orient ne doit pas être dramatisé, doit être sorti de l’ornière, des insultes, des menaces, de la diabolisation, pour revenir dans un cadre démocratique et il est capital de ne pas céder au chantage visant à l’étouffer[4]».

Le mot est lâché, le mot chantage. Comme l’a rappelé maître Devers, je me rends trois fois par an en Palestine, et depuis quinze ans. Je ne vais d’ailleurs pas faire de la chirurgie humanitaire « qu’en Palestine », question un peu vicieuse qui m’est posée régulièrement.

Et j’observe qu’Israël est un bateau qui fait eau de toutes parts. Avec une population à l’intérieur de frontières de 1967 qui est dépressive, des soldats et des soldates qui n’en peuvent plus de passer trois ans à faire leur service militaire. J’étais à Gaza la semaine dernière, j’ai encore passé deux heures à la sortie par Tel Aviv à être fouillé par des jeunes gens de 20 ans qui m’ont demandé de baisser mon pantalon, tout comme à une infirmière de bloc opératoire qui était avec moi et qui est âgée de quatre-vingt ans. L’état psychologique de ces jeunes m’inquiète.

Pour ce qui est de la position internationale d’Israël au niveau de l’ONU, ce n’est guère mieux. Imaginez une association de pêcheurs à la ligne dont un membre indélicat pêcherait à la dynamite. On lui colle un blâme, et s’il récidive on l’exclue. Voici un Etat, Israël, qui n’a respecté aucune des dizaines de résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU concernant ses exactions.

Alors que reste-il comme outil aujourd’hui en France[5] pour soutenir Israël ? Il reste le chantage à l’antisémitisme.

« Prétendre que cet antisémitisme est en montée ne représente aucunement une situation réelle mais une opération de stigmatisation. Cette opération est un fusil à deux coups. Elle vise d’une part la jeunesse noire et arabe et de l’autre ceux qui la soutiennent et se trouvent presque tous hostiles à la politique des gouvernements israéliens successifs. Il est essentiel d’empêcher ces gens-là de nuire car ils écrivent parfois des livres et peuvent de temps à autre faire entendre leur voix. Pour tenter de les réduire au silence on va les accuser eux aussi d’antisémitisme et peu importe si cette accusation est totalement absurde.

Tous ces procédés, si tirés par les cheveux qu’ils soient, finissent par former une rhétorique d’intimidation » – c’est ce que vous êtes en train de faire – « dont le seul but est de coller à l’adversaire l’étiquette antisémite avec l’idée qu’une fois appliquée, on ne pourra plus s’en défaire comme le capitaine Hadock avec son célèbre sparadrap (…) 

Hormis l’hypothétique désir de défendre les juifs, on peut se poser la question de ce qui pousse certains intellectuels à user de la très grave accusation d’antisémitisme. Ces raisons sont diverses, on peut en dégager le fond commun : soutien à l’ordre existant, collusion avec le pouvoir en place, anticommunisme historique, conviction que l’armée américaine est le dernier rempart des libertés, défense de l’Etat d’Israël, sans compter un bien compréhensible souci d’autopromotion[6] ».

« Alors il faut comme toujours tenir bon. Et rendre coup pour coup, disent Alain Badiou et Éric Hazan, rien n’est plus important que d’avoir notre propre idée de ce qui dans les dispositions et les combats du monde contemporain a valeur universelle. Si nous sommes sur ce point de vue invulnérables dans la pensée, les inquisiteurs sauront que nous nous sentons entièrement libres de tenir leurs vaticinations non comme un péril pour nous mais comme un symptôme supplémentaire de leur indignité ».

Or les exemples d’indignité ne manquent pas dans notre affaire. Je vais vous en citer quelques-uns.

Cette fameuse enquête administrative qui a été annoncée dans la presse[7]. Pour la première fois on a cité mon nom dans tous les journaux nationaux et toutes les télévisions, de manière globalement hostile[8]. Un an après que cette enquête ait été initiée, j’ai interrogé le président de l’université Vincent Berger[9], le doyen Benoit Schlemmer, l’administration : ils m’ont dit « on ne sait pas » ! Ils ne m’ont pas dit qu’il y avait eu un non-lieu, ils m’ont dit « on ne sait pas » ! Je suis allé au siège de l’université, j’ai ouvert mon dossier administratif : pas une trace !

Quand je suis allé à Gaza on m’a posé la seule question vraiment intelligente « les étudiants ont-ils bien répondu ? » Eh bien oui,  86 sur 90 ont bien répondu. Ils ont donné les définitions des crimes de guerre relevant de la Cour Pénale Internationale, avec les arguments pour appuyer chaque crime et notamment la nécessité d’une investigation indépendante pour juger du caractère intentionnel. Les copies d’examen, je pense qu’elles sont conservées par l’université, vous pouvez les consulter.

Tout ça n’est pas très glorieux pour Vincent Berger qui était le président de l’université et m’a reproché dans la presse « une atteinte à la laïcité ». Benoit Schlemmer qui a affiché un communiqué me condamnant sur les murs de la faculté[10], apporté immédiatement par les étudiants. Il y manifestait « son émotion », non pas vis-à-vis de la famille Al Daya dont 22 membres ont été tués sous un bombardement israélien, mais qu’on ait pu en faire un cas de droit.

Le professeur Robert Haiat est quelqu’un pour lequel j’ai beaucoup de respect en tant que cardiologue, j’ai utilisé ses très bonnes questions quand je préparais l’internat. Mais l’Association des Médecins Israélites de France[11] qu’il préside se prétend « apolitique », alors que ses statuts précisent qu’elle invite à débattre « les personnalités les plus prestigieuses du monde politique », que l’association est « présente sur tous les fronts de l’action en faveur d’Israël ». Le Pr Haiat n’a jamais été convoqué pour enfreinte à la déontologie ! Quant au changement de qualification entre « plainte » et « doléance », il a évité au professeur Haiat de devoir se confronter avec moi [12] pour discuter d’égal à égal, tranquillement, argumenter, pas plus que madame C[13]. Ce n’est pas glorieux.

Mme Kahn Bensaude. J’ai été effaré d’apprendre le passé de cette dame qui a été vice-présidente puis présidente de la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins.[14]

Il est absolument inadmissible que quelqu’un ait couvert pendant des années et mis sous le coude des plaintes de femmes agressées sexuellement en consultation par un médecin le Dr Hazout. Des plaintes relatant des faits commis dès les années 1980. En 2014 le Dr Hazout a été jugé aux assises comme c’est normal quand on a commis un crime, et le viol est un crime. Aujourd’hui le Dr Hazout est en prison. Et Mme Kahn Bensaude ose, au nom du Conseil de l’Ordre, porter plainte contre moi[15]  pour des entorses à la morale ! le Conseil de l’Ordre en 2012 a été condamné dans cette affaire. Mme Bensaude aurait dû démissionner au minimum.

Donc ce n’est pas acceptable de se faire donner des leçons de morale par des personnes qui ont commis des actes d’une gravité extrême, qui ont été complices de recel de crimes.

Ariel Tolédano[16]. C’est amusant de se faire donner des leçons de morale par quelqu’un qui fait de la phlébologie esthétique avenue des Champs Elysées et qui surtout commet de graves entorses à la déontologie.  Son site internet comporte une rubrique « titres universitaires » alors qu’il n’en a pas. Un médecin qui se fait de la publicité médicale interdite à ma connaissance par la déontologie. Et il fait même de la publicité, dans le cadre du traitement des jambes lourdes, pour l’application de boues de la Mer morte !

Cette histoire prêterait à rire s’il ne s’agissait pas en réalité d’un conflit extrêmement meurtrier. J’ai vu encore lors de mon séjour récent à Gaza des gens qui vivent dans des maisons en carton, gorgées d’humidité et de cafards. J’y ai vu des handicapés mentaux enchaînés parce qu’ils habitent en bordure de la frontière et s’ils s’en rapprochent errants ils vont se faire mitrailler. Ceci est une affaire extrêmement grave. Mais au milieu il y a un peu d’humour et je remercie Mr Tolédano de nous donner l’occasion de rire un peu.

Par ailleurs Mr Tolédano, c’est tout à fait intéressant, m’avait posé la seule et unique question en provenance du jury ce jour-là : « Auriez-vous posé une question sur les crimes commis par le Hamas ? » Je lui ai répondu par l’affirmative, mais lui-même m’aurait-il alors traîné devant une juridiction si j’avais posé une question mettant en cause la Somalie, le Soudan ou le Hamas ? Certainement pas.

Il y a ici effectivement ici un outil qui est utilisé et qui est le chantage à l’antisémitisme. Avec des attaques non pas sur les idées, car aucun opposant ne veut venir débattre avec moi, mais des attaques contre les personnes.

On m’a interdit de parole dans quelques villes de France. Et j’ai été interdit de parole à l’université de Freiburg en Allemagne. Au dernier moment le président de l’université m’a refusé la salle. La personne qui m’avait invité, un médecin, a porté plainte. Au tribunal de Freiburg le président de l’université a cru bon de faire venir deux vieux professeurs juifs de l’université. Et ces professeurs ont parlé du génocide. L’effet a été très mauvais sur le jury, car ce n’était absolument pas le sujet, et l’université de Freiburg a été condamnée. Un an après j’ai pu donner ma conférence dans les locaux de l’université de Freiburg.

J’assume complètement ce que je viens de vous dire, et je prétends même continuer.

Par Christophe Oberlin

[Publié le 23 octobre 2016 par Arrêt sur Info]

[1] 3 « Le Conseil départemental de l’Ordre des médecins de la ville de Paris reproche au Dr Oberlin d’avoir tenu des propos antisémites sur un site internet et de s’être départi de la partialité qui incombait à sa fonction de professeur ». Vous avez bien lu : « partialité » !

[2] Témoignage d’étudiant

[3] Plainte du Conseil de l’Ordre classée sans suite le 28 mai 2014

[4] Est-il permis de critiquer Israël ? Pascal Boniface, Robert Laffont Paris 2003, p 224

[5] La France dispose du droit de veto au Conseil de sécurité

[6] L’antisémitisme partout – Aujourd’hui en France, Alain Badiou et Éric Hazan, la Fabrique, Paris 2011

[7] Le 14 juin 2012

[8] La presse étrangère m’a été unanimement favorable, curieux ?

[9] Qui n’a pas répondu

[10] Il « partage l’émotion légitime » suscitée par une question de droit humanitaire tirée du Rapport Goldstone sur la guerre de Gaza 2008-2009. Voir https://www.youtube.com/watch?v=xQbcd8Zar8U

[11] Membre du CRIF, elle y dispose de trois délégués au sein de l’Assemblée générale, et d’un représentant au Comité directeur

[12] Ce qui est la règle lorsqu’un médecin porte plainte contre un confrère. Ici c’est le Conseil de l’Ordre qui a repris à son compte la plainte.

[13] Plainte anonyme ou anonymisée ?

[14] Enquête sur les mandarins de la médecine – Le Conseil de l’Ordre : protections, affaires et gaspillages, René Chiche, Editions du Moment, Paris 2013

[15] Comme elle a fait condamner pour diffamation un médecin qui s’était plaint à l’Ordre du viol de sa femme par le Dr Hazout !

[16] L’un des juges en première instance

Christophe Oberlin, est l’un des meilleurs connaisseurs de Gaza où il se rend régulièrement depuis 2001. Derniers ouvrages : Le chemin de la Cour – Les dirigeants israéliens devant la Cour pénale internationale, Erick Bonnier 2014,   L’Echange – Le soldat Shalit et les Palestiniens,  Erick Bonnier 2015

Source: https://arretsurinfo.ch/chantage-a-lantisemitisme-le-conseil-de-lordre-des-medecins-instrumentalise-par-le-crif/