In memoriam
L’écrivain sud-africain André Brink nous a quittés le 6 février 2015 à l’âge de 80 ans.
Nous aimions l’homme André Brink. Nous aimions l’écrivain André Brink.
En 2010, lors de la publication de son livre « Mes bifurcations » [1], nous avions salué son courage [2]. Revenant sur sa visite en Palestine, il disait ce qu’aucun correspondant occidental n’a jamais dit avec une telle honnêteté sur Israël. Il évoquait la pénible impression qu’il avait ressentie au cours de ce voyage en 2002. Impression que nous avions ressentie, avec la même violente exaspération, lors de notre voyage en Terre sainte cette même année:
« … l’expérience déterminante de ce voyage fut la visite à l’université palestinienne de Birzeit. J’avais beaucoup lu sur le conflit au Moyen-Orient; à Salzbourg et ailleurs, j’avais eu de longues conversations passionnées avec des écrivains palestiniens. Je me rappelle encore ma discussion avec Hanan Mikhail-Ashrawi quand elle était venue au Cap des années plus tôt.
En plusieurs occasions avant sa mort prématurée, j’avais aussi pu bénéficier de la grande sagesse et de la douce humanité d’Edward Said. Mais cette immersion dans la terrible réalité de cet endroit tragique, de cette terre et de son peuple, m’a éprouvé comme peu d’expériences l’ont fait dans ma vie. Je crus redécouvrir le cœur hideux de l’apartheid : la manière dont les Palestiniens, y compris certains des êtres les plus merveilleux que j’ai jamais rencontrés, sont soumis à l’une des oppressions les plus cruelles ici-bas, le tissu d’hypocrisie et de mensonges qui, du côté israélien, tente d’obscurcir et de déformer la vérité. Au cours de ce séjour se produisit un événement particulièrement choquant : la bicoque d’un vieux Palestinien fut rasée par les bulldozers de l’armée israélienne parce qu’il avait osé installer une citerne sur sa toiture afin de récupérer les quelques gouttes de pluie qui tombaient là. »
« J’ai vu le réseau d’autoroutes modernes construites pour les Israéliens et les misérables petites routes auxquelles les Palestiniens sont confinés ; j’ai vu les oliveraies, souvent seul moyen de subsistance des agriculteurs palestiniens, arrachées par les Israéliens ; j’ai vu la prolifération de nouvelles colonies israéliennes en plein territoire palestinien, établies là à l’encontre de tous les accords signés, simplement pour renforcer la présence et le pouvoir des Israéliens dans un territoire qui ne leur appartient pas.»
« Quand j’y repense aujourd’hui, je ne peux écarter de mon esprit le souvenir des terribles vestiges de Dachau et d’Auschwitz : si Israël ne s’est jamais lancé dans un génocide de l’ampleur de l’Holocauste, le nettoyage ethnique que cette nation inflige aux Palestiniens équivaut, moralement, à une version lente et en mode mineur des camps de la mort. J’ai du mal à comprendre comment un peuple pour lequel il a été si difficile de se relever des horreurs de l’Holocauste peut ensuite infliger à d’autres ce qu’on lui a fait. »
Ses écrits vont continuer de nous ravir
Silvia Cattori
[1] Actes Sud. Arles, 2010
[2] http://www.silviacattori.net/spip.php?article148