L’escalade est montée d’un cran entre Moscou et Washington, après la rupture unilatérale de l’accord sur la Syrie par les Etats-Unis; rupture suivie de la suspension par le président Poutine d’un accord avec les Etats-Unis sur la coopération dans le domaine de la recherche scientifique concernant l’énergie nucléaire.[Silvia Cattori]

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L’ULTIMATUM DE VLADIMIR POUTINE

Suite à l’ordre du Président de la Fédération Russe de suspendre l’application de l’accord avec les États-Unis sur le recyclage du plutonium à usage militaire et à la présentation du projet de loi correspondant devant le Parlement, la polémique est née dans les médias sur le lien qu’il pouvait y avoir avec l’échec de l’accord sur la Syrie. La deuxième pierre d’achoppement a été la raison pour laquelle la Russie, sachant depuis des années que les États-Unis ne remplissent pas leur part du contrat, ne réagit que maintenant.

Certains experts nucléaires affirment que l’accord était objectivement avantageux pour la Russie. C’est possible. Je ne suis pas spécialiste en la matière et il m’est difficile de dire s’ils sont vraiment objectifs. D’autant plus que ce qui est avantageux du point de vue du secteur nucléaire peut ne pas l’être du point de vue de la sécurité.

Mais je pense qu’en principe il n’y avait pas de problème particulier de sécurité. La Russie possédait un arsenal nucléaire suffisant pour porter un coup mortel aux États-Unis, ce que même Washington reconnaissait. Il y avait aussi assez de matériel pour la production de nouvelles ogives. Et en cas d’échange de frappes nucléaires à grande échelle la production d’un nouveau lot de charges nucléaires serait inutile. Et même physiquement irréalisable. La seule préoccupation serait la conservation physique de vestiges de civilisation, ne serait-ce qu’au stade de l’âge de pierre.

En ce qui concerne la question syrienne, ce ne serait pas la première fois, et pas seulement en Syrie, que les États-Unis concluent un accord, suspendent son application, puis y reviennent. La nature de la réaction russe est sans rapport avec le refus officiel de Washington de poursuivre une collaboration qui était de toute façon inexistante.

Je pense que pour comprendre la portée de ce qui vient d’arriver il faut bien voir que Poutine n’a pas seulement retiré la Russie de l’accord en question. Il a aussi annoncé la possibilité de reprendre son application. Mais sous certaines conditions.

Voyons lesquelles: annulation de toutes les sanctions visant la Russie; paiement d’une compensation pour les pertes dues non seulement aux sanctions américaines, mais aussi aux contre-sanctions russes; abrogation de la loi Magnitsky; diminution drastique de la présence militaire américaine en Europe de l’Est; renoncement à la politique de confrontation avec Moscou. Il n’y a qu’un mot pour définir la nature des exigences de Poutine: ultimatum.

Autant que je me souvienne, la dernière à adresser un ultimatum à Washington fut la Grande-Bretagne après l’incident avec le bateau-postal “Trent”. Et ce fut en 1861, pendant la guerre civile américaine. Même alors, confrontée à une situation extrêmement difficile, l’Amérique n’accepta de satisfaire que partiellement les exigences britanniques.

Et pourtant elles n’avaient rien d’humiliant pour les États-Unis. Le capitaine d’un navire de la flotte américaine avait bien violé volontairement le droit international, arrêté des gens à bord d’un bateau neutre (britannique) et porté atteinte à la souveraineté britannique, ce qui faillit provoquer une guerre. Et cependant, l’Amérique désavoua son capitaine, libéra les détenus, mais refusa de présenter des excuses.

Poutine, lui, ne demande pas de vagues excuses ni la libération de deux détenus, mais le changement de cap de toute la politique américaine et en plus des compensations pour les pertes dues aux mesures prises officiellement par le gouvernement américain. Ce sont des demandes irréalisables et humiliantes. Cela revient à exiger une capitulation totale et inconditionnelle dans la guerre hybride que Washington est loin de considérer comme irrémédiablement perdue. Avec en plus le paiement de contributions et réparations.

Seule la Couronne britannique exigea des États-Unis quelque chose de semblable avant la fin de la Guerre d’Indépendance, quand ils n’étaient encore que les sujets rebelles du roi Georges III. Au cours des cent dernières années personne n’a seulement imaginé pouvoir parler à Washington sur ce ton.

Première conclusion: Poutine a délibérément et ostensiblement humilié les États-Unis, prouvant qu’on peut leur parler dans un langage encore plus dur que celui qu’ils emploient habituellement avec le reste du monde.

Voyons à quel moment il a choisi de le faire. C’est-à-dire, qu’est-ce qui a provoqué chez Poutine cette réaction? Il n’a quand même pas été affecté parce qu’il croyait vraiment que les États-Unis allaient appliquer l’accord Kerry-Lavrov? Il savait aussi depuis longtemps que les États-Unis ne respectent pas l’accord sur le plutonium. Mais l’industrie nucléaire russe en tire un grand avantage, pratiquement un monopole mondial, et elle ne s’inquiète nullement du retard technologique des États-Unis, qui les empêche de recycler le plutonium militaire de la façon prévue dans l’accord.

La réaction sèche et pratiquement instantanée de la Russie a suivi les déclarations du porte-parole du Département d’État insinuant que la Russie pourrait commencer à rapatrier de Syrie dans des sacs les corps de ses soldats, qu’elle pourrait commencer à perdre des avions, et que des attentats terroristes pourraient se produire dans les villes russes.

De plus, la déclaration du Département d’État a été immédiatement suivie de celle du Pentagone se disant prêt à lancer sur la Russie une frappe nucléaire préventive. Pour sa part le Ministère russe des Affaires Étrangères a déclaré que Moscou est au courant des intentions des États-Unis de commencer les attaques aériennes contre l’armée syrienne, donc aussi contre le contingent russe déployé légalement en Syrie.

Voyons dans quel contexte s’inscrit l’ultimatum de Poutine. Nous avons, il y a six mois, les exercices des forces de défense antiaérienne et antimissile et des forces des missiles stratégiques, portant sur la manière de faire face à une attaque nucléaire contre la Russie et sur la riposte consécutive. Et aussi les exercices prévus pour les jours qui viennent du Ministère des Situations d’Urgence, qui concerneront 40 millions de personnes, pour vérifier le niveau de préparation des installations et des structures de la Protection Civile face à une guerre nucléaire, et pour compléter l’information des citoyens sur la conduite à suivre à l’heure H.

Si nous additionons tout cela, nous voyons que les États-Unis menacent depuis longtemps officieusement la Russie d’un conflit nucléaire et que Moscou laisse régulièrement entendre qu’elle est prête et qu’elle ne va pas reculer.
Cependant, profitant de la fin de la présidence d’Obama et n’ayant pas l’assurance absolue qu’Hillary Clinton aille remporter les élections présidentielles, les faucons de Washington ont décidé de faire monter les enchères une fois de plus. En outre, ils ont atteint le point extrêmement dangereux à partir duquel le conflit peut commencer à se développer de façon autonome. À ce stade, n’importe quel imprévu peut déclencher l’Armageddon nucléaire, y compris le comportement inadéquat de quelque officier supérieur du Pentagone ou d’un gros bonnet de l’administration de la Maison Blanche.

Et juste à ce moment Moscou a saisi l’initiative et fait à son tour monter la mise, mais en déplaçant la confrontation sur un autre plan. Contrairement à l’Amérique la Russie n’a pas agité la menace de guerre, elle a simplement suggéré la possibilité d’une réponse politico-économique drastique, capable, au cas où les États-Unis ne changeraient pas de comportement, de réaliser le rêve d’Obama mais à l’envers, de mettre en lambeaux le système économique et financier de Washington.

D’autre part la Russie a ainsi sérieusement mis à mal le prestige international des États-Unis, montrant au monde entier que l’on peut en toute impunité retourner contre l’Amérique ses propres armes. C’est le retour du boomerang. Si les évènements maintiennent cette dynamique et cette orientation, nous pourrions voir des centaines de représentants de l’élite américaine sur le banc des accusés à la Haye, non seulement de notre vivant, mais avant même que le prochain président américain ne termine son premier mandat de quatre ans.

Les États-Unis sont placés face à un choix: soit ils mettent leurs menaces à exécution et déclenchent une guerre nucléaire, soit ils acceptent que le monde n’est plus unipolaire et ils commencent à s’intégrer dans le nouveau format.

Nous ne savons pas quel choix fera Washington. Il y a dans l’establishment politique américain suffisamment de perturbés fanatiques, prêts à brûler avec le reste de l’humanité dans un incendie nucléaire plutôt que d’admettre la fin de l’hégémonie des États-Unis, qui aura été aussi courte et insensée que criminelle. Mais il devra choisir. Parce que plus longtemps Washington fera comme si rien ne s’était passé, plus nombreux seront ses vassaux (formellement des alliés, mais depuis longtemps las d’être subordonnés) à défier ouvertement et sans ambiguïté ses prétentions et à se ranger du côté de la nouvelle puissance mondiale montante.

Au bout du compte, les États-Unis risquent de découvrir qu’ils n’ont même pas leur place parmi les centres du monde multipolaire. Non seulement les africains, les asiatiques et les latinoaméricains, mais même les européens se vengeraient volontiers des humiliations infligées par l’ancienne puissance hégémonique. Et ils sont loin d’être aussi humains et épris de paix que la Russie.
Et enfin, l’ultimatum de Poutine est une réponse à tous ceux qui demandaient, indignés, pourquoi les tanks russes n’ont pas pris Kiev, Lvov, Varsovie et Paris en 2014, et en quoi consiste le plan de Poutine.

Je ne peux que le répéter: si vous allez affronter la première puissance mondiale, vous devez avoir prévu une réponse à chacun de ses mouvements. L’économie, l’armée, la société, les structures gouvernementales et administratives, tout doit être prêt. Si tout n’est pas prêt, il faut gagner du temps et prendre du muscle.

Maintenant tout est prêt et les cartes sont sur la table. Voyons quelle sera la réponse des États-Unis. Mais la réalité géopolitique ne sera plus jamais la même. Le monde a déjà changé. Les États-Unis se sont vu publiquement jeter le gant et ils n’ont pas osé le ramasser tout de suite.

Rostislav IshchenkoRIA Novosti – 5 octobre 2016

Traduit du russe par J. Arnoldski pour Fort Russ

Traduction : Anna S. pour Arrêt sur Info

Source:https://arretsurinfo.ch/fin-de-laccord-nucleaire-russie-usa-le-ton-monte-entre-moscou-et-wahisngton/

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