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Huit ans après son indépendance, le 17 février 2008, le Kosovo s’enfonce dans la crise

Lors d’une brève visite le 6 juillet 1999, Bernard Kouchner en sa qualité de haut-représentant des Nations Unies au Kosovo déclarait avec son emphase habituelle :

« L’Europe est née à Pristina (…..), celle des droits de l’homme, de la fraternité, celle que nous aimons ».

L’ex-soixante- huitard pacifiste avait été, dès le début, un chaud partisan d’une intervention militaire de l’OTAN contre la Serbie (1). Quelques jours plus tard, le 14 juillet, devant les caméras, sur les lieux d’un abominable massacre de 14 paysans serbes occupés à la moisson, il promettait, avec fermeté, que justice serait faite. Il n’en fit rien. Durant cette période le haut-représentant des Nations Unies a assisté passivement au déchaînement de violences organisées par l’UCK  (Armée de libération du Kosovo).

Les Serbes oubliés du Kosovo 

Voici ce qu’écrivait dans son éditorial, le 18 novembre 1999, le quotidien Le Monde :

« Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme au Kosovo, Jjiri Dienstbier, ancien ministre tchèque des affaires étrangères, dresse un état des lieux sinistre. Dans ce no man’s land juridique qu’est le Kosovo – administré par les Nations Unies mais faisant toujours formellement partie de la Serbie -, les minorités sont  martyrisées. Il  s’agit essentiellement de 70 000 Serbes- sur plus de 200 000 avant l’entrée des troupes de l’OTAN en juin- de Tziganes (des Roms) et de Goranis, (musulmans slaves). Les uns et les autres sont obligés de  vivre dans des enclaves sous la protection des troupes de la force des Nations Unies (la KFOR). Ils sont l’objet de la haine de groupes appartenant à la majorité albanaise de la province et plus ou moins incontrôlés. Du 15 juin au 1er août 1999, on comptait de trente à quarante assassinats de Serbes par semaine. Rendu à la mi-novembre, le rapport de l’ONU affirme que l’ONU n’a pas su mettre en place une administration civile…. » (2)

Où était « l’Europe des droits de l’homme et de la fraternité » proclamée par Bernard Kouchner pendant ces semaines tragiques pour les Serbes et autres minorités du Kosovo ? Il y a eu faillite complète et plus grave, non-assistance à personnes en danger, de la part des autorités onusiennes, et de leur représentant Kouchner sur place.

Justice a-t-elle été rendue depuis ? Tout au contraire, la violence a repris de plus belle.

« En 2004, les Albanais déclenchent une vague de violence sans réaction appropriée, là encore, des forces de paix : elle se soldera par un bilan effarant : une  dizaine de milliers de personnes chassées de leur domicile, une quinzaine de villes et villages ethniquement purifiés, 1000 maisons détruites, une vingtaine d’établissements publics mis à bas, 35 lieux de culte majeurs anéantis. A Devic, les militaires danois évacuent de force les moniales tandis que les émeutiers incendient le couvent. Les militaires assistent impuissants à ce déchaînement de haine. La responsabilité, au manque d’ordres d’en haut. Le résultat, un immense pogrom impuni. La faute, irrémédiable, indélébile » (3)

En juin 2015 Le Monde diplomatique (4), sous le titre «  Faillite de la mission européenne au Kosovo » brossait un tableau très sombre. Des crimes impunis, déficit extérieur et chômage croissants poussant quelques 100 000 jeunes Kosovars à rejoindre l’UE. « Sept ans après la proclamation de l’indépendance et la mise sous tutelle du Kosovo par l’Union européenne, c’est la débâcle » affirme M. Andrea Capussela, qui fut, jusqu’en avril 2011, directeur des affaires économiques du Bureau civil international (International Civilian Office, ICO), l’une des principales missions déployées au Kosovo, « La situation est pire qu’avant l’arrivée de la mission européenne ».

Non, M. Kouchner, vous n’avez pas de quoi être fier de votre conduite et de vos envolées lyriques démenties par les événements qui s’en sont suivis au Kosovo. Bien au contraire, «  l’Europe est morte à Pristina » comme le mentionne fort bien le  titre de l’ouvrage de Jacques Hogard. Auriez-vous au moins la décence de reconnaître que vous avez, et avec vous « l’Europe des droits de l’homme », totalement failli au détriment des Serbes, ces oubliés de l’Histoire, pour lesquels d’ailleurs vous n’avez jamais témoigné la moindre empathie.

Les exactions des milices de l’UCK

Le témoignage de Jacques Hogard est à cet égard particulièrement édifiant. Dans un livre fort bien documenté (5), il nous donne un éclairage bien différent sur les événements survenus au Kosovo en cette année 1999. Patron du groupement des forces spéciales françaises opérant sous commandement britannique, le colonel Hogard (il a pris sa retraite anticipée en 2000) a été témoin de la duplicité des militaires de l’OTAN et de leur collusion avec les insurgés de l’UCK.

Cette organisation a commis, entre février 1996 et février 1998, 152 attentats, causant la mort de 70 personnes, dont une quarantaine de Serbes, notamment une quinzaine de policiers, les autres étant des Albanais modérés considérés comme des « traîtres » par l’UCK.

Pour la  période allant de 1993 à 1998, l’UCK aurait assassiné près de 200 policiers serbes au Kosovo ; 125 civils albanais accusés de « collaborer » avec les Serbes ; près de 120 civils serbes ou appartenant à d’autres minorités non albanaises, sans parler des 300 civils grièvement blessés par les «  soldats » de cette Armée de « libération ».

Rappelons que le 23 février 1998, l’ambassadeur américain Robert Gelbard avait publiquement annoncé que les Etats-Unis  « combattraient par tous les moyens possibles l’UCK », qu’il qualifiait de « mouvement terroriste », condamnant très sévèrement et « sans équivoque » ses actes de violence, et que la CIA classait toujours parmi la liste des « organisations terroristes anti-occidentales » (6). L’ambassadeur US ignorait-il, ou feignait-il d’ignorer le double jeu de ses dirigeants ?

D’après des informations récentes émanant du ministère néerlandais des Affaires étrangères, communiquées le 16 février 2016, un tribunal spécial pour les crimes de guerre commis par des membres de la guérilla indépendantiste kosovare ouvrira en 2016 à La Haye.

« Cette cour jugera les accusations de crimes graves présumés commis en 1999 et 2000 par des membres de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) contre des minorités ethniques et des opposants politiques » précise encore le ministère. Attendons de voir, mais l’exemple de la Côte d’Ivoire nous incite à la prudence

La complicité de certains militaires de l’OTAN avec l’UCK

 Le colonel Hogard rapporte un épisode  particulièrement révélateur et accablant pour l’OTAN.

« Le soir du 17 juin, nous apprenons qu’une embuscade vient d’être déclenchée par l’UCK sur un convoi de civils serbes remontant du sud vers le nord – deux cents tracteurs, hommes, femmes et enfants – sur la route reliant Pec à Mitrovica, à hauteur du lieu-dit « Kotare ». Je fais effectuer une reconnaissance par un hélicoptère armé qui me  rend compte de la position des éléments de l’UCK. Je lui demande alors de tirer quelques rafales de semonce afin de les contraindre à décrocher et cesser cette agression inqualifiable contre des civils désarmés. Quelques minutes plus tard, je suis à ma très grande surprise, appelé à la radio par le  général britannique Mason qui m’enjoint de faire cesser les tirs d’hélicoptère contre ses SAS ! Je réalise alors que les éléments de l’UCK qui se livrent à cette embuscade indigne contre des civils désarmés, sont encadrés – au minimum accompagnés – par mes « frères d’arme »des forces spéciales britanniques ! » (7)

Jamais nos journalistes n’ont rapporté cette complicité entre les éléments de l’UCK et certains militaires de l’OTAN.

La France du président Sarkozy renie ses propres engagements !

Rappelons enfin que la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo le 17 février 2008 avec la bénédiction des Etats-Unis, constitue en elle-même une violation très grave du Droit international et en particulier de la Résolution 1244 promulguée le 10 juin 1999 par le Conseil de Sécurité de l’ONU ; cette même résolution, qui autorisait le déploiement de forces internationales au Kosovo, mais rappelait en même  temps de manière formelle l’appartenance définitive de la province à la République de Serbie, héritière de la République Fédérale de Yougoslavie ! Il est   triste et affligeant que la France se soit alignée sans états d’âme sur les Etats-Unis, bafouant  la résolution précitée et reniant ainsi sa propre parole (8).

Mais que valent les résolutions, les principes et le Droit international  lorsque, dans les projets de l’OTAN et donc des Etats-Unis, le morcellement de la Yougoslavie et par suite de la Serbie constituait un objectif stratégique ?

Ceux qui en douteraient encore, peuvent lire le témoignage du colonel  Hogard :

«  C’est ainsi que, à quelques kilomètres de Gnijlane, j’aurai l’ébahissement de voir depuis mon hélicoptère, une impressionnante colonne de véhicules américains de tous types former en rase campagne un cercle gigantesque, un peu comme les chariots du 22 ème de cavalerie devaient le faire devant les hordes indiennes ! J’assiste en fait sans le savoir aux prémices de l’installation du futur Camp Bondsteel, aujourd’hui véritable ghetto-bunker de l’US Army dans les Balkans et première base américaine de par son importance en Europe » (9)

Qui viendra au secours des Serbes abandonnés par la Communauté internationale au Kosovo ?

Le sort des Serbes vivant dans la précarité dans des « enclaves » ressemblant à des réserves indiennes – et toujours dans la crainte de nouvelles violences – n’intéresse plus la « communauté internationale » et n’interpelle guère nos médias si prompts d’habitude à dénoncer les violations des droits de l’homme (réserve faite des reportages précités de la revue Marianne et du Monde Diplomatique).

Saluons alors d’autant plus chaleureusement le dynamisme d’une association comme «  Solidarité Kosovo » qui, depuis une dizaine d’années, organise des convois apportant une aide humanitaire aux Serbes oubliés du Kosovo. Néanmoins la situation demeure tendue et la violence latente (10). Au moment où nous écrivions cet article, nous apprenions que le monastère de Visoki Decani avait été l’objet d’une nouvelle tentative d’attaque terroriste dans la nuit du samedi 30 au dimanche 31 janvier 2016. Quatre islamistes armés d’une kalachnikov et d’un pistolet ainsi que de 20 chargeurs de réserve, ont été interpellés dans une action spectaculaire par des soldats de l’OTAN qui patrouillaient devant le monastère. C’est la présence d’un sas de sécurité équipé d’un système de vidéosurveillance – financé par des donateurs français alertés par l’association Kosovo Solidarité – qui a évité l’intrusion des terroristes dans le couvent et permis leur arrestation. Il est à craindre que l’enquête ne soit étouffée par les autorités locales.

Marc JEAN | 19 février 2016

(1) Guerres contre l’Occident. Par Alexandre Del Valle, Editions des Syrtes.

(2) L’Europe est morte à Pristina. Par Jacques Hogard. Editions Hugo, 2014

(3) Marianne, 24/12/2015 au 7/01/2016. « Retour du Kosovo », par Jean-François Colosimo

(4) Le Monde diplomatique. «  Faillite de la mission européenne au Kosovo », Juin 2015, par Ana Otasevic.

(5) L’Europe est morte à Pristina (précité)

(6) Guerres contre l’Occident (précité) page 251

(7) L’Europe est morte à Pristina (précité) page 7

(8) L’Europe est morte à Pristina (précité) page 95

(9) L’Europe est morte à Pristina (précité) page 60

(10) Solidarité Kosovo : www.solidarite-kosovo.org

Source:https://arretsurinfo.ch/la-faillite-de-leurope-au-kosovo-on-a-fait-la-part-belle-aux-kosovars-et-pietine-les-droits-des-serbes/