Les USA et leurs alliés régionaux et occidentaux, qui se sont évertués à alimenter la guerre en Syrie, ont perdu la bataille visant à changer le régime par des moyens militaires. Mais ils sont loin d’avoir lâché prise. Bien au contraire, ils s’apprêtent à livrer la plus grande bataille d’entre toutes : faire tomber le président syrien Bachar al-Assad par la voie des urnes, plus particulièrement en comptant sur les votes des millions de réfugiés dispersés à l’extérieur du pays, loin du contrôle du gouvernement central à Damas.

Par Elijah J. Magnier | 22 août 2017

Selon les Nations Unies, il y aurait environ 6 millions de réfugiés déplacés à l’intérieur du territoire syrien et 5,1 millions à l’extérieur de la Syrie (surtout en Turquie, au Liban, en Jordanie et en Irak), plus environ un million en Europe.

Les pays abritant des réfugiés syriens se font constamment recommander de garder ces réfugiés où ils sont et de les empêcher de retourner en Syrie, surtout dans les secteurs libérés par l’armée syrienne. Des pays comme le Liban ont été avertis sans ambages que le retour des réfugiés syriens constitue une « ligne rouge » et qu’il doit être évité coûte que coûte (apparemment parce que « ce n’est pas encore leur moment d’entrer en scène »).

Les recommandations liées au retour des réfugiés syriens reposaient sous trois conditions : ce devrait être un retour volontaire, dans un environnement sûr et qui ne constituait pas une menace à la sécurité nationale.

Ces trois conditions peuvent-elles être remplies? Premièrement, le retour volontaire des réfugiés se complique lorsqu’ils bénéficient d’une aide financière substantielle dans le pays hôte (qui représente une fortune comparativement à ce qu’ils peuvent gagner chez eux). Deuxièmement, la guerre en Syrie n’est pas encore terminée, rendant ainsi impossible un retour en toute sécurité de l’ensemble des réfugiés. Troisièmement, la plupart des réfugiés à l’extérieur de la Syrie sont considérés comme hostiles par le gouvernement de Damas, qui craint donc leur retour malgré le programme de réconciliation en cours mis sur pied par Damas ces dernières années, qui invite tous les éléments antigouvernementaux à retourner chez eux sans craindre pour leur sécurité.

La communauté internationale se prépare en vue des prochaines élections présidentielles anticipées en Syrie, dont la supervision internationale exigée par l’entremise des Nations Unies se ferait non seulement en Syrie, mais aussi à l’extérieur de la Syrie, où des millions de réfugiés pourront démontrer qu’Assad n’a pas l’appui de millions de Syriens. Pour sa part, Damas est bien conscient de ces préparatifs et rejettera tout ce qu’il soupçonne de violer sa souveraineté. Le gouvernement syrien se méfie de la manipulation et de la corruption d’élections précédemment observées au Liban voisin, où l’Arabie saoudite a investi deux milliards de dollars pour obtenir quelques sièges supplémentaires au parlement libanais pour ses mandataires, le « mouvement Avenir » dirigé par Saad Hariri, le premier ministre national actuel qui possède la double nationalité. Damas ne va certainement pas perdre par la voie des urnes ce qu’il a gagné après plus de six ans de guerre, au moment même où les pays de la région ont déjà perdu les centaines de milliards de dollars qu’ils ont investis en armes et en aide financière pour renverser le régime syrien.

La bataille de Deir Ezzor

Par ailleurs, la course vers Deir Ezzor (au nord-est de la Syrie) à laquelle se livrent la Russie, les États-Unis et leurs alliés respectifs sur le terrain est maintenant bien engagée.

Des sources haut placées en Syrie croient que lorsque les forces armées des deux superpuissances arrivent dans un même territoire, il y a toujours un compromis. Les USA et la Russie tiennent compte des avantages mutuels de l’un et de l’autre et parviennent à un compromis au lieu de s’affronter, comme en fait foi l’accord conclu dans le sud syrien, au grand dam de leurs alliés respectifs. Mais Deir‑Ezzor est un cas spécial, pour les raisons suivantes :

1.Le pétrole et le gaz naturel découverts en 1930 pendant le mandat français constituent les actifs les plus importants de l’économie syrienne, ses réserves de pétrole étant estimées à 2,5 mille millions de barils et sa production totale à 400 000 barils par jour (b/j) (avant 2011). Quand Daech occupait une partie importante du pays, il contrôlait 80 % des gisements et produisait environ 65 000 b/j; Damas en contrôlait 8 % et produisait 10 000 b/j; et les Unités de protection du peuple kurdes (YPG) en contrôlaient 12 % et produisaient 25 000 b/j (soit 1 322 puits de pétrole – la plupart sont hors service aujourd’hui – connectés à la raffinerie de Homs et 25 puits de gaz). La Syrie a exporté une partie de sa production pétrolière, soit l’équivalent de 30 % (4,5 milliards de dollars) de ses recettes générales, même si de nombreux gisements pétroliers et gaziers sont encore inexploités.

La production pétrolière de la Syrie provient en majeure partie de la province de Deir Ezzor et de la Badia. À Deir Ezzor seulement, le gisement pétrolier le plus important de l’Euphrate est celui d’Omar, à 45 km au sud‑est de Deir Ezzor, découvert en 1987, dont la production s’élève à 80 000 b/j (en déclin à bien des égards en raison d’une gestion déficiente depuis des années). Les autres gisements pétroliers de la région, soit Tayyem, Ward, Maleh, Qahar, al-Qarrata, Derro, Sijan, Azraq, Tanak et Jafar (qui produit à lui seul 60 000 b/j), étaient tous sous le contrôle de Daech, ce qui a entraîné une réduction de la production pétrolière (due aux conditions des raffineries et de l’équipement désuets en place) d’environ 40 000 à 42 000 b/j provenant de Deir Ezzor seulement.

2.Depuis que Deir Ezzor est encerclé, l’armée syrienne, les forces de défense nationale et le Hezbollah sont présents dans la ville et la défendent contre les attaques de Daech.

Par conséquent, la course vers Deir Ezzor est à l’avantage de la Russie et de ses alliés, qui disposent de ressources humaines et de troupes, qui progressent sur trois fronts en direction de la ville encerclée, et qui ne sont qu’à quelques dizaines de kilomètres de son aéroport, qui sert de base à Daech. Pour leur part, les forces américaines ne disposent pas d’un nombre suffisant de mandataires sur le terrain et de ressources humaines pour étendre leur contrôle en direction de Deir Ezzor et de ses gisements pétroliers (l’objectif principal, car il s’agit davantage d’une course pour le pétrole que pour le territoire). Les Kurdes (qui combattent sous le commandement et les conseils des USA) ne voient aucune raison de subir des pertes en vie humaine dans une ville déjà occupée par l’armée syrienne, où les Kurdes ne forment pas la majorité, et qu’ils seront forcés de remettre à Damas et aux tribus arabes qui contrôlent la région par la suite.

L’occupation du nord-est de la Syrie par les USA fera long feu une fois Daech expulsé du secteur, faute d’excuse légitime. Le Département d’État des USA a affirmé que ses forces quitteraient le pays après la défaite de Daech. N’empêche que tous les spécialistes du terrorisme et du contre-terrorisme s’entendent pour dire que le terrorisme ne peut être défait, mais seulement contenu (et ses sources de financement taries), qu’il disposera toujours de cellules capables de frapper partout dans le monde, tant qu’il pourra recruter ou trouver des partisans prêts à se joindre à des groupes terroristes (les raisons pour ce faire ne manquent pas).

Dans l’intervalle, l’armée syrienne et ses alliés, avec l’appui des forces aériennes russes, progressent vers Deir Ezzor, dernier château fort de Daech, vers al‑Mayadin puis d’Abou-Kamal, et aussi vers al-Qaem, à la frontière syro-irakienne. Sous la pression irakienne et syrienne, les forces de Daech se replient dans le secteur, où ils livreront leur dernière bataille le long de l’Euphrate. La bataille ultime sera (inévitablement) coordonnée entre Damas, Bagdad et l’Iran, la Russie et les USA, afin d’empêcher Daech de traverser d’un côté ou de l’autre de la frontière quand il sera traqué, une fois privé de la dernière partie du territoire qu’il occupait des deux côtés (probablement à l’été 2018). Daech perd graduellement tout son territoire et en même temps tout espoir de former un « État ». Il perd aussi tout le soutien régional dont il disposait en 2014 et en 2015. Mais avant tout, le corps social qui l’a accueilli et protégé l’a laissé tomber, en raison de sa mauvaise gouvernance et du règne sanglant imposé à la population.

La chute de Saddam Hussein et l’occupation de l’Irak en 2003 ont fourni un soutien énorme à Daech (appelé au départ Ansar al-Islam, puis Al-Qaïda en Irak, pour ensuite prendre d’autres noms). Bon nombre de sunnites irakiens et syriens ont sympathisé avec cette idéologie extrémiste wahabo-takfiriste. Chose certaine, l’étude de ce phénomène va se poursuivre pendant des années, afin de mieux comprendre sa popularité, son succès et les raisons derrière son échec et sa chute.

Les guerres au Moyen-Orient arrivent à terme et en seront à leur dernier souffle cette année et pendant une partie de l’année qui vient. Cependant, toutes ces années de guerre ont donné naissance à de nombreux groupes terroristes qui se fondent graduellement dans la société ou qui prennent le maquis pour poursuivre leur lutte armée inutile, avec une absence totale d’objectif stratégique pouvant être atteint « un jour ». Les peuples du Moyen-Orient ne sont pas habitués à s’asseoir autour d’une table et à accepter leurs différences sans conspirer les uns contre les autres, sans utiliser le pouvoir de la finance pour soutenir les guerres, tuer les leurs, détruire leurs biens et même déplacer physiquement la nouvelle génération, elle-même élevée pour qu’elle commémore et même fasse revivre la mémoire de la guerre et de la destruction. Les superpuissances maintiendront donc leur contrôle sur les territoires, au‑dessus de la mêlée, en veillant à leurs propres intérêts au Moyen-Orient et en assurant leur domination sur la majorité de la population, qui ne semble apparemment pas encore assez mature pour se diriger elle-même et régler ses problèmes toute seule.

Par Elijah J. Magnier22/08/2017

Article en anglais: Elijahjm.wordpress.com/2017/08/22/

Traduction : Daniel G.

Source: Middle East Politics