Par Michel Segal
29 octobre 2022Curieusement, les récentes déclarations d’Emmanuel Macron à Rome concernant l’Ukraine n’ont pas été soulignées par la presse. Pourtant, elles marquent un virage serré puisque le président a d’une part lancé de discrets appels à Biden pour qu’il rencontre Poutine, et d’autre part a déclaré que la paix en Ukraine interviendra quand les Ukrainiens le décideront. C’est une façon indirecte de dire qu’il est temps de se préparer à la fin du conflit dont le président semble penser qu’il est allé suffisamment loin.
Personne ne peut plus ignorer que l’affrontement OTAN/Russie sur le territoire ukrainien a été pour le moins inspiré par les Etats-Unis dans le but d’affaiblir simultanément la Russie et l’Europe. Cette stratégie a marché à merveille, de même qu’avait bien fonctionné la guerre Iran-Irak provoquée par les Américains au début des années 80, et dans laquelle l’oncle Sam avait utilisé l’Irak (son nouvel allié) pour se massacrer mutuellement avec l’Iran (son ancien allié). Dans le cas de l’Ukraine, les Etats-Unis ont convaincu l’Europe de sacrifier ses forces et ses richesses pour une grande cause. Confiants dans leur victoire proche, c’est dans une euphorie quasi-hystérique que nos dirigeants se sont lancés dans une lutte acharnée contre le mal absolu représenté cette fois par la Russie.
Huit mois après le début du conflit, un peu comme s’ils se réveillaient d’une nuit trop alcoolisée ou qu’ils en recevaient la facture, nos dirigeants commencent peut-être à penser que ça suffit comme ça. Les résultats de la politique européenne des sanctions sur l’énergie russe sont éloquents : en France on annonce qu’un minimum de 150.000 faillites est à venir dans les prochaines semaines, que les boulangers ne pourront bientôt plus faire de pain (sauf à mettre la baguette à cinq euros), que dans certaines régions, les écoles ne pourront pas ouvrir toute l’année faute de chauffage, et plus généralement que toutes les aides de l’Etat envers les particuliers ou les entreprises se chiffreront bientôt en centaines de milliards. Folie pure. En Allemagne, le bilan est pire encore puisque s’ajoute aux mêmes effets les risques d’une désindustrialisation du pays. Parallèlement, partout en Europe, l’inflation post-covid est dopée par les prix délirants de l’énergie et bat tous les records. Ce n’est plus l’épisode d’une simple récession qui est à redouter, c’est une véritable pauvreté qui plane sur des dizaines et des dizaines de millions d’Européens qui auront autant de difficulté à se nourrir qu’à se chauffer cet hiver. On parle là de populations européennes. Démence totale.
Les auteurs de cette brillante politique sont bien connus puisqu’il s’agit de notre célèbre couple franco-allemand chapeauté par la présidente de la commission européenne. Autant dire le gratin de l’Union Européenne. Le trio de champions a été guidé dans ses œuvres par le vieil oncle Sam qu’ils ont écouté comme des enfants suivent un vieillard qui leur propose des bonbons. Ces derniers jours, des dissensions seraient soudainement apparues au sein du fameux couple et les commentateurs évoquent confusément des désaccords sur une politique de défense, sur des budgets d’armement… ou sur les prix du gaz.
La vérité est certainement plus simple et il est hautement probable que les dirigeants allemands ont été rappelés à la raison par les industriels, et invités à cesser cette gestion absurde et suicidaire. Rappelons que la Russie n’a jamais manifesté la moindre intention de ne pas fournir son énergie, bien au contraire. Rappelons aussi que ce sont les européens seuls qui ont provoqué le changement de contrats de fourniture en gelant les avoirs russes en euros, ce qui interdisait de fait à la Russie l’accès à ses paiements. Le fournisseur russe s’était vu alors contraint de demander un paiement dans une autre monnaie, le rouble, cette fois utilisable.
Le calcul occidental était d’affaiblir la Russie dans de telles proportions que, d’une façon ou d’une autre, la fourniture d’énergie russe pourrait reprendre dans de bonnes conditions avec une Russie à genoux. Hélas, rien ne s’est passé comme prévu et c’est finalement les économies européennes, laminées par leurs propres sanctions, qui vivent une débâcle sans précédent tandis que la Russie affiche une économie solide et une croissance satisfaisante.
Comme un joueur de casino en panique, Biden insiste, il veut continuer à jouer, il veut continuer à miser et faire miser encore et encore face à la Russie tout en répétant qu’il va se refaire. Même le camp des démocrates américains est lassé. Le renoncement est proche d’autant que les Allemands ont perdu patience car, contrairement à la France, ils ont une industrie, et ils y tiennent. Leur économie est réelle, elle est dans le dur, dans la production industrielle et dans la tôle, pas dans des PowerPoint.
Les patrons allemands savent que les Russes ont gagné depuis longtemps. Les dernières mises en scène de contre-offensive sur le terrain, à Kherson ou autre part, font durer un peu le spectacle pour les spectateurs de BFMTV mais l’affaire est réglée depuis le 24 février. La Russie avait annoncé vouloir intégrer le Donbass à la fédération, c’est fait. Personne ne croit que la Crimée ou ces régions puissent retourner à l’Ukraine. La Russie n’a pas fait que gagner sur le terrain, elle a de plus considérablement renforcé ses alliances économiques, stratégiques… et morales. Amérique du Sud, Afrique, Asie, rares sont ceux qui parieraient encore sur le G7 plutôt que sur les BRICS. Pour la Russie, la victoire est totale, et sur tous les plans. En Europe, on comprend qu’avec un peu de chance, une paix négociée maintenant peut éviter à l’Ukraine de perdre aussi Odessa, donc tout accès à la mer noire.
L’Occident a compris sa défaite, il est temps qu’il l’accepte. Pour ne pas perdre la face, tout est affaire de communication. Ne pas avoir l’air de reculer, afficher des mines de gagnant, se retirer discrètement en continuant de pérorer. On ne dira pas qui a gagné ou qui a perdu, on pourra toujours dire que le conflit est gelé et jurer sur son honneur que les territoires intégrés à la Russie ne seront jamais reconnus.
Tout cela finira par passer. Mais il reste un problème à régler : Zelinsky. A force de s’entendre comparé à Churchill, il est possible que le comédien ait fini par y croire et s’imagine une destinée de personnage historique, glorieux, héroïque, militaire, éternel. Il s’est tellement investi dans son rôle qu’il a récemment pris quelques initiatives qui ne lui auraient pas été indiquées par son mentor. Il est à craindre qu’il en prépare une pire encore qui donnerait raison aux craintes russes d’une bombe sale. On assisterait alors à un remake du poème de Goethe avec Biden dans le rôle du sorcier et Zelensky dans celui du balai. Tout cela pourrait très mal se terminer …
Espérons donc que le comédien qui a joué les présidents en guerre avec beaucoup d’ardeur ne s’accroche pas trop à son personnage et accepte de faire ses adieux dignement sur la scène internationale. Faute de quoi, il ne passera sans doute pas l’hiver et ce ne sera pas la faute d’une mauvaise grippe. Les Russes en seront évidemment accusés, une fois de plus contre toute logique. Pour trouver le coupable, il faudra se souvenir des mots de Henri Kissinger : « Être un ennemi des Etats-Unis est dangereux, mais être leur ami est fatal. »
Crédit image: The Economist
Source: Arrêt sur info