Nous le disons depuis 42 mois. La révolution syrienne n’en est pas une. Il s’agit d’une contre-révolution pressée d’abattre le pire peut-être mais aussi et surtout le meilleur de la Syrie moderne.

Ce printemps de l’Apocalypse a dès ses premières manifestations, affiché sa volonté de détruire la nation syrienne, la citoyenneté syrienne, la culture syrienne, la civilisation syrienne et la résistance syrienne à Israël.

Nous étions les premiers à observer que la Syrie était déjà une société clivée non pas sur base confessionnelle mais sur base idéologique bien avant 2011 entre d’une part une population urbaine ou littorale, patriote, éduquée, multiconfessionnelle, tournée vers le monde et une autre population suburbaine, rétrograde, mono-confessionnelle et tournée vers la péninsule arabique.

Bien avant 2011, nous avons pu constater de visu l’extinction du paradigme baassiste dans cette Syrie profonde où très vite, le djihad armé a pu installer ses quartiers.Dans cette Syrie-là, depuis la nuit des temps, l’alaouite est considéré comme un impur.
Dans cette Syrie-là, on ne salue pas l’alaouite. Sa main est jugée impure, sa nourriture est impure, sa descendance est impure.
Dans cette Syrie-là, tous les malheurs du pays, tous les manquements, les abus et les crimes de l’Etat sont imputés aux alaouites.
Dans cette Syrie-là, le mythe du complot alaouite à la tête de l’Etat syrien, de l’alaouite fourbe qui contrôle tout et tout le monde ont la cote.
Dans cette Syrie-là, les alaouites sont tenus collectivement responsables de la sanglante opération de Hama menée en 1982 par l’armée nationale en représailles à un massacre commis par les Frères musulmans contre les sunnites baassistes de la ville.

Dans cette Syrie-là, dès avril 2011, les manifestants reprenaient en chœur des slogans génocidaires comme « les alaouites au tombeau, les chrétiens à Beyrouth » (El alawiy ‘al tabout wal massihiye la Beyrouth) ou encore « Pacifistes, pacifistes, jusqu’à l’extermination des alaouites ».
Tout cela, les médias inféodés à l’Elysée ou à la Maison Blanche ne vous l’ont pas dit ni montré.
Comme on ne vous a pas montré les rassemblements patriotiques monstres où des centaines de milliers de sunnites, alaouites, chrétiens, chiites, Arméniens, Arabes, Kurdes et Turkmènes manifestaient main dans la main contre le faux « printemps syrien ».

Quant à la « bobosphère » française qui hurle au moindre début de soupçon de préjugé antisémite, elle a totalement ignoré les ratonnades et lynchages anti-alaouites qui précédèrent la campagne actuelle d’extermination de cette minorité syrienne.
Leur historien préféré Jean-Pierre Filiu a osé déclarer qu’il n’y avait « pas un seul djihadiste en Syrie » en mars 2011 (Antoine Ajoury, L’Orient le Jour, 28 août 2014).
Ainsi donc, selon le grand « spécialiste », cette Syrie qui cumule toutes les « vices » de la « mécréance », à la fois laïque, nationaliste et peuplée de « minorités infidèles » et qui de surcroît fut le berceau du califat omeyyade, aurait été délaissée par les djihadistes alors que tous ses voisins en regorgeaient (Al Qaïda au pays des deux fleuves en Irak, El Kaide Türkiye Yapilanmasi en Turquie, Asbat al Ansar, Fatah al Islam, Jund al Cham au Liban, Brigades Tawhid et Jihad en Palestine etc).

Plus fou encore, ces mêmes « experts » qui prétendent qu’il n’y avait « pas un seul djihadiste en mars 2011 » vous disent également qu’Assad les a libérés en 2011 pour « pervertir la révolution syrienne ». Il eut sans doute été utile de leur demander un minimum de cohérence. Piégés par leurs propres contradictions, ces « syrianologues » ont tardivement avoué du bout des lèvres que les djihadistes étaient bien là mais marginaux. Puis ils ont inventé une connexion entre Assad et les djihadistes.Et enfin, quand leur propagande a été démasquée, ces mêmes « experts » ont tenté de nous convaincre que le calife Baghdadi est moins pire qu’Assad.

De son côté, incapable de mener la lutte des classes dans son propre pays, l’extrême-gauche française s’est réfugiée dans son monde imaginaire, s’inventant une lutte des classes entre une dictature bourgeoise cupide et un peuple opprimé vibrant au son de l’Internationale, confondant Brigades internationales antifranquistes et eurodjihadistes, les nouveaux SS mobilisés sur le Front de l’Est.

Or, contrairement aux affabulations des groupes trotskistes européens, le conflit syrien n’a jamais épousé les lignes des fractures sociales. On trouve en effet prolétaires et bourgeois, ouvriers et paysans de part et d’autre de la ligne de front. Quant aux prolétaires qui combattent dans les rangs djihadistes, ils sont loin, très loin de lutter pour l’instauration d’un paradis ouvrier.

42 mois et 200.000 morts plus tard, il serait sans doute temps de se réveiller.
Certes des milliers de démocrates honorables ont dès le début du mouvement, lutté avec courage pour mettre fin à la dictature baassiste avec la volonté sincère de créer un gouvernement civil.

Mais dès le début, ces militants ont été doublés par des djihadistes revanchards rêvant d’exterminer les non-musulmans et d’ériger un califat.
Les premiers n’avaient guère les compétences organisationnelles requises, ni les moyens humains de leurs ambitions.
Quant aux seconds, ils avaient le peuple de la Syrie profonde avec eux, l’argent des Etats et des donateurs du Golfe et les armes de l’Occident.

En somme, depuis 42 mois, hélas, les démocrates syriens anti-Assad en costume cravate que l’on promène devant nos caméras servent en fait de cache-sexe aux bourreaux de la Syrie plurielle. Et voilà que 42 mois après le début du chaos syrien, Obama reconnaît au micro de la CBN News que son chef du renseignement James Clapper a sous-estimé la menace djihadiste en Syrie.

De qui se moque-t-on ?

D’abord des 200.000 martyrs de la guerre de Syrie. De 320 millions de citoyens américains. De milliards de musulmans et des chrétiens. En fait, de l’humanité toute entière désormais confrontée à une nouvelle guerre de 100 ans.

Bahar Kimyongûr / 30 septembre 2014