Pour ceux qui ne savent pas encore ce que signifie l’Etat juif d’Israël pour les Palestiniens qui vivent sous son occupation militaire, la lecture des écrits de Victor Ostrovsky, ancien officier du Mossad, peut être instructive. Depuis la rédaction en 2000 de l’article ci-dessous, leur sort n’a fait qu’empirer dans l’indifférence de la presse occidentale. Depuis le 17 avril, les prisonniers politiques palestiniens emprisonnés en Israël sont en grève de la faim illimitée. Ils réclament « l’amélioration des conditions de détention qui se sont dramatiquement détériorées depuis la dernière lutte collective des prisonniers, en avril 2012. La répression des prisonniers et la suppression de leurs droits humains les plus élémentaires, comme leur dignité et celle de leurs familles lors des visites, leur droit à l’enseignement et à la santé font partie des nombreuses revendications du mouvement des prisonniers ». [ASI]
Victor Ostrovsky a grandi en Israël, bien que né au Canada. A 18 ans, il est devenu le plus jeune officier de l’armée israélienne, puis il fut promu au grade de lieutenant en charge des tests d’armes pour la marine. Il a été officier du Mossad de 1984 à 1986. Victor Ostrovsky est l’auteur des ouvrages By Way of Deception [ouvrage traduit et publié en français, mais ce livre est pratiquement introuvable…] et The Other Side of Deception.
Par Victor Ostrovsky | Première diffusion en Mars 2000
Occasionnellement paraît un article tellement dérangeant de par sa teneur que l’on aurait aimé crier au monde, en proie à la colère et à la frustration : « Stop ; arrêtez, ça suffit ! ». Le quotidien israélien Ha’aretz a publié un article tel que celui-là, sous la plume d’Aviv Lavi, le 23 décembre 1999.
Généralement, Ha’aretz traduit ses articles (publiés originellement en hébreu, ndt) – ou, tout au moins, des versions quelque peu édulcorées des dits articles – en anglais, après quoi il les met à la disposition du public sur son site ouèbe à l’adresse www.haaretz.co.il/english. Mais certains articles, comme celui dont nous allons traiter ci-après, ne sont pas traduits en anglais, pour des raisons qui vont vite s’avérer évidentes…
C’est l’histoire d’Haim Peretz, un Israélien apparemment ordinaire, grandi dans la petite ville d’Ofakim – qui n’est pas particulièrement le genre d’endroit où grouillent des militants d’extrême-gauche. Néanmoins, en le déclarant bon pour le service militaire, les responsables israéliens avaient négligé chez lui un vice de caractère. Figurez-vous que ce jeune homme quelconque originaire d’une ville on ne peut plus ordinaire avait, à l’insu des autorités, développé une conscience ! Cela ne fut apparemment pas remarqué durant toute la période, de près de trois ans, durant laquelle Haim Peretz travailla sur l’avion F-16 en tant que technicien de l’armée de l’air israélienne. Toutefois, alors qu’il ne lui restait plus que quinze jours à tirer avant la « quille » de son service militaire obligatoire d’une durée de trois ans, le premier sergent à la conscience sans tache fut envoyé pour une corvée de quinze jours dans un centre de rétention au point de passage d’Erez, entre Israël et la bande de Gaza…
Il n’est absolument pas inhabituel que des soldats arrivant à la fin de leur service soient « désignés comme volontaires » par leur unité pour donner un coup de main à certaines unités en sous-effectifs, dans lesquelles personne ne veut être affecté. Peretz n’avait pas la moindre intention de faire des vagues, dans sa nouvelle et ultime affectation : tout ce qu’il voulait, c’était tirer paisiblement ses trois semaines, et retourner dans le civil…
Le centre de rétention en question se trouve du côté israélien du checkpoint d’Erez ; il sert à incarcérer des Palestiniens arrêtés tandis qu’ils tentaient de pénétrer en territoire israélien sans avoir les papiers requis. En majorité, ces prisonniers sont des gens qui ont été arrêtés tandis qu’ils essayaient d’entrer en Israël pour y trouver du travail. Ils sont arrêtés, et amenés dans le centre, où ils attendent de passer en jugement. Leur attente peut aller d’une semaine à trois mois.
Généralement, ce centre de détention compte environ soixante pensionnaires, il est géré par une unité régulière de soldats de « Tsahal », renforcée par une aide temporaire envoyée par d’autres unités, comme celle d’Haim Peretz.
Il est arrivé dans ce centre en mars 1999. Après la fin de son service et son retour à la vie civile, il est allé au siège du quotidien Ha’aretz afin de raconter son expérience. Voici quelques extraits :
Peretz a passé les deux dernières semaines de son service militaire au centre de rétention d’Erez. « Dès le premier jour, j’ai compris ce qui se passait, là-bas. Six ou sept prisonniers sont enfermés dans des cellules de trois mètres sur trois. Il n’y a pas de lits. Les prisonniers (des hommes de tous âges, depuis des adolescents jusqu’à des hommes âgés) dorment sur des couvertures étalées à même le sol en béton.
« La cellule n’a pas d’autre ouverture que deux petits trous de ventilation munis de barreaux. Il n’y a pas de toilettes : les prisonniers peuvent se rendre aux toilettes une fois par jour, au moment où on les emmène à l’extérieur, le matin, pour leur promenade quotidienne. Le reste du temps, ils utilisent un gros seau, placé au centre de la cellule. Au passage, je mentionne que cette pratique les empêche de faire leurs prières (leur religion, l’islam, leur demande de prier cinq fois par jour), parce que ce seau transforme leur cellule en latrines, un environnement dans lequel les musulmans ne peuvent pas prier).
« Le règlement spécifie que les prisonniers ont droit à une promenade d’une durée d’une heure, quotidiennement. Mais cette « heure » est extrêmement élastique : parfois, le sergent (terme désignant quiconque est responsable des prisonniers, il s’agit généralement d’un caporal, voire même d’un civil) décide que la promenade ne durera qu’une demi-heure, ou même un quart d’heure. Le simple fait de laisser sortir les prisonniers de leur cellule pour la promenade quotidienne est une corvée, pour lui, et, dans la plupart des cas, il ne veut pas se casser la tête.
« C’est à ce moment précis (de la promenade quotidienne) que les prisonniers sont censés aller aux toilettes, utilisant deux WC pour vingt personnes, dès lors que vingt prisonniers sont emmenés à la promenade à la fois. Souvent, il n’y a pas de papier hygiénique. Quand les prisonniers en demandent, parfois on leur dit oui, parfois on leur dit non, souvent on leur dit peut-être.
Les samedis (shabbat), il n’y a pas de promenade. Après tout, le sergent doit avoir son repos de shabbat. Aussi les prisonniers sont-ils enfermés durant quarante-huit heures, du vendredi matin au samedi matin. « Tout le monde a droit à deux cigarettes par jour, mais les gardiens se servent des cigarettes comme d’une monnaie d’échange, et ils font passer les prisonniers par les sept degrés de l’enfer avant de leur refiler leurs clopes. Parfois, les gardiens ne donnent pas de cigarettes aux prisonniers, pour la simple raison qu’ils n’ont pas envie de leur en donner.
« Une fois par semaine (le mercredi), on emmène les prisonniers à la douche. C’est un spectacle horrible : les prisonniers, en groupes nombreux, sont poussés dans deux salles de douche, avec un seul pain de savon pour tout le groupe. Pendant ce temps-là, les gardiens surveillent leur chronomètre, et ils gueulent aux prisonniers de se grouiller.
« Certains prisonniers, voulant tout simplement éviter l’humiliation, restent en-dehors des douches. Certains d’entre eux, dans la prison, n’avaient pas pris de douche depuis plusieurs semaines. Aucune raison objective n’impose de ne laisser aux prisonniers la possibilité de prendre des douches qu’une fois par semaine, mis à part le fait que prévoir plus de séances de douche, cela dérangerait le sergent. Même après avoir pris une douche, les prisonniers doivent remettre leurs vêtements sales. On ne leur donne aucun vêtement de rechange, ni même une serviette de toilette. Parfois, ils doivent porter les mêmes vêtements sales durant plusieurs mois d’affilée.
« Il y a là des enfants de douze-treize ans. Quand j’étais au centre (au mois de mars), il y avait un gamin qui était arrivé sans chaussures. Il est resté pieds nus. Il allait et venait, dans cet état. D’ailleurs, c’est toujours les pieds nus qu’il a été emmené devant le juge…
« Les prisonniers n’ont aucun contact avec leur famille. Le jour de leur arrestation, on les autorise à passer un coup de fil, et s’il n’y a personne chez eux, c’est leur problème. Quiconque est mis en examen est autorisé à conférer avec un avocat, mais cela n’arrive pas souvent, car les procès en eux-mêmes semblent une aberration.
L’avocat promet qu’au cas où il serait retenu, il obtiendrait la libération du prisonnier au prix d’une amende de 1 500 shekels. Et ça, pour des gens qui ont tenté de pénétrer en territoire israélien afin d’y travailler pour 50 shekels par jour.
« J’escortais les prisonniers au tribunal, en tant que garde de sécurité. Les jugements se déroulent dans une petite pièce, dans un local adjacent. Il s’agit de procès à la chaîne. Sans aucune valeur. La juge et la procureure ont déjeuné ensemble avant les auditions, et elles sont elles-mêmes lassées par la routine. Elles s’interpellent par leur prénom. Elles produisent des sentences de plusieurs mois de prisons ou d’amende, mais comme les prisonniers n’ont de toutes les manières pas un seul radis en poche pour payer une quelconque amende, ils restent en prison.
« Un garçon de quinze, ou seize ans, s’était vu infliger une amende de 300 shekels. Je l’ai pris à part et je lui ai donné 200 shekels, que j’avais sur moi. L’officier a vu cet échange, du coin de l’œil, et il m’a gueulé après, m’accusant d’avoir voulu tirer un Arabe d’affaire. J’ai vu ce même gosse, une semaine après, toujours en tôle, pour la simple raison qu’il n’avait pas la totalité de la somme qui lui aurait permis de s’acquitter de son amende.
« Les prisonniers reçoivent trois repas par jour. Le matin, un grand plat est déposé au centre de la cellule, sur lequel les gardiens balancent une miche de pain, un petit bol de fromage blanc et quelques légumes. Le seul petit bol de fromage blanc est supposé suffire à sept adultes. Au déjeuner, il y a du riz et un ou deux hot-dogs par prisonnier. La quantité de nourriture reçue par un prisonnier dépend de la lèche qu’il fait auprès des soldats qui le gardent.
« En cas de visite annoncée d’Amnesty International au centre, les inspecteurs étaient amenés dans la cellule où les collaborateurs étaient enfermés. Les collabos disaient aux visiteurs que la nourriture était grandiose. Le soir, le prisonnier reçoit la même chose que le matin. La plupart du temps, ils ont faim. Si quelqu’un doit être emmené à l’extérieur, pour son procès, par exemple, durant le déjeuner, ou s’il doit être emmené pour une quelconque raison, on ne lui donnera pas son déjeuner. Quand j’ai demandé qu’il soit pallié à cela, on m’a intimé l’ordre de « la fermer ». Même dans les conditions telles qu’elles sont, l’entretien des prisonniers coûte trop cher au pays, m’a-t-on dit, et « ces sangsues nous bousillent la vie… »
« Une fois par semaine, le mardi ou le mercredi, on donne une boisson chaude aux prisonniers. Une semaine, où je me trouvais au centre de rétention d’Erez, les prisonniers n’ont pas eu de boisson chaude. C’est pitoyable, de voir des gens qui ont espéré durant toute une semaine une tasse de thé chaud la réclamer quand on ne la leur donne pas (c’était l’hiver, et il n’y a pas de chauffage, dans les cellules). La seule raison de cette absence de thé, ce jour-là, c’était que « les cuisiniers ne voulaient pas se faire chier ».
Il est très rare qu’un Israélien rompe les rangs et raconte à tout le monde, en détail, ce qui se passe réellement à l’intérieur de ces camps du gouvernement israélien. Ce n’est pas quelque chose de facile à faire, et Haim essaie encore aujourd’hui de comprendre pour quelle raison il a senti qu’il lui incombait, à lui, de franchir le pas et de raconter ce qu’il avait vu et vécu.
« C’est peut-être parce que je viens, moi-même, d’un milieu où l’abondance n’était pas la norme, et que j’ai vu des gens traverser des temps difficiles. Je ne pouvais pas supporter de voir des gens se faire maltraiter de la sorte. Pour l’amour de Dieu ; nous n’avions pas affaire à des terroristes, ni à des gens qui eussent voulu faire du mal à qui que ce fût. Tous ces pauvres gens n’aspiraient qu’à une seule chose : travailler, pour faire vivre leur famille…
« Quand j’étais au lycée, je travaillais dans une usine textile, où la majorité des ouvriers étaient des Arabes. J’ai eu des relations géniales avec eux. J’ai appris quelques mots d’arabe avant d’aller faire mon service. J’avais eu également l’opportunité de prendre quelques cours d’arabe et de théologie islamique, à l’université pour tous, avant d’entrer dans l’armée. C’est probablement la raison pour laquelle, à la différence de la quasi-totalité des autres soldats, je en voyais pas dans tout Palestinien un terroriste, ni je ne regardais les Palestiniens de haut. »
Go-Between, entre les gardiens (israéliens) et les prisonniers (palestiniens)
En raison de sa connaissance partielle de l’arabe, Haim devint une sorte d’intermédiaire, de go-between, entre les gardiens et les prisonniers. Il les escortait à leur procès, ou chez une infirmière ou un médecin. Là, un prisonnier pouvait normalement s’attendre à trouver un îlot de compassion, quelqu’un qui, conformément au serment hippocratique du médecin ou de l’infirmière, aurait soulagé, ne serait-ce qu’en partie, la souffrance du prisonnier. Mais la réalité était bien différente…
« Le genre de traitement médical qu’ils reçoivent est en soi une histoire. Quand ils arrivent, on leur fait passer un checkup afin de vérifier qu’ils sont suffisamment en bonne santé pour être maintenus en prison. Ce checkup vise en réalité à donner au centre de rétention un vernis de légitimité.
« En fait, le médecin n’a ni touché, ni examiné les prisonniers. Il leur a juste demandé s’ils allaient bien. Il ne parlait pas un seul mot d’arabe et il était totalement incapable de comprendre ce que les prisonniers répondaient – oh, remarquez, il y avait peu de chances qu’ils se fussent plaints, quoi qu’il en soit…
« Les médecins sont des réservistes, qui travaillent par roulement. Quand j’étais dans ce centre, le docteur ne permettait pas aux prisonniers de s’asseoir, ni de s’étendre sur le lit, tandis qu’il les auscultait. Il ne voulait pas que le lit d’examen se salisse, aussi il disait aux prisonniers de s’étendre sur le carrelage… Durant une des visites, un prisonnier s’étant exceptionnellement plaint d’une douleur je ne sais plus où, le médecin dit, en ma présence : « Il faudrait qu’ils crèvent tous, ces Arabes, qu’ils se reçoivent chacun leur balle et qu’on en soit débarrassés. Qui a besoin de les soigner ? » Ensuite, il me précisa qu’il ne faisait que plaisanter, mais je savais parfaitement que ça n’était absolument pas le cas…
« Dès le début, ce toubib traitait les prisonniers comme de la merde. Il ne faisait que les tirer ou les pousser, il leur gueulait après et il les maudissait. « C’est quoi, ton blaze, sale Arabe ? », demandait-il. Les jours où il s’était levé du bon pied, il leur donnait de l’Acamole [c’est la version israélienne de l’aspirine], qui ne servait pas à grand-chose.
« Un jour, un des prisonniers avala plusieurs comprimés, après quoi il perdit conscience. Il est resté là, allongé sur le sol, plus d’une heure, mais les docteurs ne se pressaient pas : « Qu’il attende ! Personne ne lui a donné l’ordre de se suicider ?! », commenta le médecin en question. « Un Arabe de moins, c’est toujours ça de gagné !… »
« Un des prisonniers se mit à souffrir de terribles démangeaisons, c’était les couvertures militaires, sales, qui lui avaient provoqué ça. Le prisonnier fut accusé d’avoir eu ces démangeaisons avant son arrivée de la bande de Gaza. Mais je sais qu’il allait parfaitement bien, à son arrivée au centre de rétention. Il avait seize ans. Il avait été chopé la veille, tandis qu’il tentait, en compagnie de son frère, de s’infiltrer en territoire israélien. Le toubib décréta qu’il devait être mis en quarantaine.
« Une fois mis en quarantaine, le prisonnier, qui souffrait toujours de démangeaisons atroces, hurlait et appelait au secours. Il est resté là, comme ça, très longtemps, à se geler dans une minuscule cellule, avec très peu à manger. J’ai supplié l’officier de me laisser lui expliquer pour quelle raison il avait été mis à l’isolement, et essayer de le calmer. Mais on ne m’en donna pas l’autorisation.
« Le docteur a dit que ce prisonnier devait prendre une douche par jour. Mais même s’il avait pris une douche, cela n’aurait sans doute pas vraiment amélioré son état, étant donné qu’il devait rendosser ses vêtements usagés sales et sans doute contaminés, après…
« La plupart des troufions israéliens regardaient les Palestiniens comme s’ils eussent été des animaux. J’en ai vus qui, à seule fin de s’amuser et de s’éclater, crachaient dans les plats de nourriture des prisonniers. Quand les prisonniers arrivent au centre, ils ont déjà été tabassés par la patrouille de garde-frontières qui les ont chopés.
« Un des tous premiers jours où j’étais au centre, j’ai vu un soldat de la police des frontières tabasser un gamin, là, juste dans le centre. Je lui ai demandé d’arrêter ça. « Ferme ta gueule, gauchiste philo-arabe ! », qu’il m’a gueulé dessus… A l’époque, je voulais encore avant tout éviter les emmerdes, alors je me suis écrasé…
« Les sergents tabassent les prisonniers 24/24 7/7. Apparemment, le soldat israélien attend des prisonniers qu’ils parlent couramment l’hébreu, et tout mot prononcé en arabe par un prisonnier semble être perçu par les gardiens comme une insulte. Si un prisonnier non encore au courant se plaignait, ils le battaient comme plâtre.
« Au cours d’un appel, un des prisonniers dit quelque chose, et le gardien pensa qu’il lui tenait tête : il a tordu le bras du prisonnier derrière son dos, et il l’a balancé contre un mur. Le garde l’a placé, ensuite, à l’isolement au mitard, une cellule incroyablement exigüe. Le prisonnier continua à gémir de douleur durant plusieurs jours, avant qu’on ne m’eût demandé de l’emmener chez un médecin, qui diagnostiqua un bras cassé. Après que j’eus expliqué au médecin ce qu’il s’était passé, celui-ci a écrit, dans son rapport, que le prisonnier s’était fracturé un bras après avoir trébuché. Alors que j’insistais, qu’il s’agissait d’un tabassage, un des infirmiers me fit comprendre clairement que si je continuais à ouvrir ma grande gueule, ils allaient me « péter la tronche ».
Après ses révélations publiques, Haim a été harcelé, et considéré comme un traître par beaucoup de ses amis. L’armée dit qu’elle examinerait ses révélations et la promesse fut faite qu’une enquête officielle serait diligentée. Le commandant du centre de rétention fut démis de ses fonctions.
Il faut, toutefois, se souvenir qu’il existe de nombreux autres centres similaires à celui-ci en Israël, et qu’il y a beaucoup de prisonniers dont on ne sait tout simplement strictement rien. De plus, il ne faut pas oublier que les otages qu’Israël a kidnappés au Liban, sont considérés comme des pions, en vue de futurs échanges de prisonniers avec le Hezbollah. Cinq de ces otages libanais viennent d’être libérés. Un avait trente-et-un ans. Il était prisonnier – sans jugement, et sans avoir commis la moindre faute – depuis l’âge de seize ans : cela fait quinze ans en captivité.
L’exposé fait par Haim n’a fait que très peu de vaguelettes en Israël. Le puits de la compassion israélienne est peut-être totalement à sec ? L’élément le plus préoccupant, dans cette histoire, c’est cette cruauté non-provoquée et totalement arbitraire dont font preuve ceux qu’on ne peut considérer autrement que des « Israéliens ordinaires ». Cela semble confirmer les nombreuses prévisions faites par des psychologues, à savoir que l’occupation prolongée par Israël des territoires palestiniens a pu dépouiller les Israéliens de leurs âmes. Si la paix est un jour instaurée, et quand elle le sera, et nous espérons que ce jour est proche, où le « nouvel Israélien » déversera-t-il toute sa cruauté, toute sa haine et toute sa violence accumulées ? Le taux des actes violents d’ores et déjà perpétrés par des Israéliens envers des Israéliens, à commencer par des membres de leur propre famille, pourrait être la revanche finale des centaines de milliers de victimes innocentes d’Israël.
Victor Ostrovsky | Mars 2000 | Droits réservés
Article original :Washington Report on Middle East Affairs, Mars 2000, pages 35-36, 78
http://washington-report.org/backissues/0300/0003035.html
Traduit par Marcel Charbonnier
Première diffusion : http://www.silviacattori.net/article5180.html
Lire aussi: Par la tromperie : construction et démolition d’un officier du Mossad
– http://www.washingtonreport.me/2000-march/book-review-jewish-fundamentalism-in-israel.html