La Russie et les États-Unis sont finalement parvenus à s’entendre sur des actions communes en Syrie. L’annonce de cet accord a été faite conjointement par le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov et le secrétaire d’État américain John Kerry, vendredi 9 septembre.
Ce plan d’action conjoint permettra, selon M. Kerry, de réduire le niveau de violence en Syrie, d’alléger les souffrances des civils et de relancer le processus de régulation politique du conflit. « Nous croyons que ce plan, s’il est mis en œuvre, pourrait constituer un tournant [dans le conflit]», a déclaré le secrétaire d’État américain.
Ces accords ont été conclus à l’issue de la rencontre entre les présidents russe et américain Vladimir Poutine et Barack Obama à Hangzhou, en Chine, la semaine dernière.
La mécanique du plan
Le texte intégral des cinq documents n’a pas été rendu public par les parties, d’accord pour reconnaître que le sujet est hautement sensible, et que de nombreux acteurs souhaitent faire échouer cette transaction. Pourtant, les principaux points du plan ont été dévoilés par MM. Lavrov et Kerry lors de leur conférence de presse sur les conclusions des discussions. La première étape consiste en un cessez-le-feu de 48 heures, à compter du 12 septembre. Si cette trêve est respectée pendant deux jours, elle sera prolongée de 48 heures encore, à l’expiration desquelles elle pourra devenir illimitée.
Les forces aéroportées syriennes n’effectueront plus de vols militaires dans les zones contrôlées par l’opposition modérée, dont les frontières seront délimitées conjointement par Moscou et Washington. L’armée syrienne pourra en revanche continuer à frapper les groupuscules terroristes de l’EI et du front al-Nosra.
Selon les sources de Kommersant au sein de l’armée russe, ce changement de position des négociateurs russes, qui insistaient autrefois pour que l’armée syrienne poursuive les combats, est principalement lié au piètre état des troupes de Bachar el-Assad elles-mêmes. Les ressources de l’armée syrienne sont épuisées par les longs combats menés à Alep : au cours des trois dernières semaines, les troupes gouvernementales ont tenté plus de dix fois, en vain, de reprendre le contrôle de plusieurs quartiers de la ville.
Un centre d’opérations unifié
John Kerry a parlé d’accord « clé ». Selon lui, c’est précisément la poursuite des bombardements aériens par le régime d’Assad qui a fait échouer la précédente trêve, décrétée en février. Sous prétexte de lutter contre le front al-Nosra, l’armée d’Assad a frappé les positions des rebelles modérés, qui ont répondu militairement à leur tour, a insisté le secrétaire d’État américain.
Sept jours après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, la Russie et les États-Unis créeront en Syrie un centre d’opérations unifié, où des militaires et des agents des services spéciaux des deux pays se chargeront ensemble des questions de différenciation entre les terroristes et l’opposition modérée, a expliqué M. Lavrov. Les parties ont déjà défini les zones où les forces aériennes russes et aéroportées américaines effectueront désormais des frappes coordonnées, tandis que l’aviation d’Assad n’opérera pas sur ces territoires. Jusque là, la Russie et les États-Unis se contentaient de s’informer mutuellement sur leurs vols militaires, afin d’éviter les incidents.
Pour M. Kerry, ces deux points – concernant l’aviation d’Assad et la création du centre d’opérations unifié – sont la garantie que ces accords sur la Syrie connaîtront plus de succès que ceux conclus en février, qui avaient, en pratique, échoué.
al-Nostra
Les chefs de la diplomatie russe et américain ont aussi insisté sur le fait que les deux pays lutteront ensemble contre le front al-Nosra. Vendredi, M. Lavrov est revenu sur un grief de longue date de la Russie vis-à-vis des États-Unis : à l’en croire, les Américains protègent le front al-Nosra et ne bombardent pas ses positions, afin d’utiliser le groupe islamiste pour renverser le régime d’Assad. « Poursuivre al-Nosra correspond aux intérêts des États-Unis, qui consistent à frapper Al-Qaïda et sa filiale syrienne », a assuré M. Kerry en réponse.
Les parties se sont enfin entendues sur la façon d’assurer les livraisons d’aide humanitaire à Alep. La route du Castello, principale artère de transport menant à la ville, doit devenir une zone démilitarisée, a précisé M. Kerry.
« Ces accords permettront de mettre en place une coordination dans la lutte contre le terrorisme, mais aussi d’élargir l’accès aux populations civiles qui en ont besoin, en premier lieu à Alep. En outre, il va contribuer à renforcer le régime de cessez-le-feu. Tout cela créé les conditions pour une relance du processus de régulation politique, qui piétine depuis longtemps déjà », a déclaré M. Lavrov, résumant les discussions. Le chef de la diplomatie russe a ajouté espérer que les négociations inter-syriennes redémarreraient à Genève « très bientôt ».
Cet accord entre la Fédération de Russie et les États-Unis a été salué en Iran, en Turquie et en Allemagne.
« Casse-tête »
Pourtant, si les bilans de ces négociations semblent idylliques, même les diplomates ayant conclu ces accords ne sont pas prêts à garantir leur exécution. « Personne ne peut donner de garanties à cent pour cent : trop d’acteurs sont impliqués dans ce casse-tête. Et les intérêts de toute une série d’entre eux sont trop diamétralement opposés », a admis M. Lavrov.
Selon le Centre russe pour la réconciliation entre les patries en conflit, 597 zones de peuplement syriennes ont rejoint la trêve, mais au 10 septembre, on recense huit violations du cessez-le feu. Une dizaine d’agglomérations des provinces de Damas et Hama ont été la cible de tirs de mortier, a précisé le ministère russe de la défense.
Les représentants du groupuscule Ahrar al-Sham ont déjà fait part de leur refus de respecter le cessez-le-feu. Pour leur part, les membres du Haut comité des négociations, qui représente l’opposition syrienne à Genève, ont déclaré n’avoir pas encore arrêté leur position quant au plan conjoint russo-américain, et attendre des précisions explicatives sur le sujet.
Source: Le Courrier de Russie —
Russie-États-Unis : un accord capable d’arrêter la guerre en Syrie ?
Selon lui, la démarche suivante est de cimenter l’accord de Moscou et de Washington par une résolution du Conseil de sécurité des Nations uniesqui doit être soutenue entre autres par les pays proche-orientaux impliqués dans le conflit. « Si la Russie et les États-Unis sont les seuls à faire des efforts, la réconciliation risque de traîner en longueur », a-t-il affirmé. D’après lui, il serait erroné de croire que la Russie et les États-Unis sont capables de résoudre le problème syrien à eux deux, sans la participation d’acteurs régionaux.
Une guerre imprévisible
Sergueï Karaganov note que les négociations entre les parties prises dans l’engrenage du conflit seront longues et difficiles. « L’imprévu peut arriver à tout moment », a-t-il constaté.
Vladimir Akhmedov indique pour sa part à RBTH que le conflit syrien se complique du fait de la campagne militaire de la Turquie dans le nord du pays, ainsi que de l’implication des troupes iraniennes, du Hezbollah et d’autres détachements étrangers. Selon lui, les efforts russo-américains doivent être axés non seulement sur la lutte contre les terroristes, mais également sur le retrait de toutes les troupes étrangères du pays.
Dans l’attente du successeur de Barack Obama
Un autre facteur pouvant exercer son influence sur le conflit syrien sera la nouvelle administration à la Maison Blanche. Cette administration arrivera au pouvoir à l’issue d’une campagne électorale qui, pour la première fois au XXIe siècle, s’est basée dans une grande mesure sur la confrontation avec la Russie. Ce qui pourrait, surtout en cas de victoire d’Hillary Clinton, compliquer le dialogue entre Moscou et Washington sur le problème syrien, a expliqué Sergueï Karaganov. « Il se peut que la politique de la nouvelle administration sur le dossier syrien soit influencée par cette lutte étrange autour du facteur russe », a-t-il dit.
Cet avis est entièrement partagé par Vladimir Akhmedov. D’après lui, la politique étrangère des États-Unis peut changer au lendemain des élections et si l’accord sur la Syrie n’est pas établi juridiquement, il pourrait être tout simplement jeté aux oubliettes.
11 septembre 2016 –
Source: Rbth.com