Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, reçu le 7 avril 2022 par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg au siège de l’organisation. Photo NATO


Par Karl-Jürgen Müller – 18 octobre 2022 – Zeit-fragen.ch

L’ancien rédacteur en chef de la «Tribune de Genève» et membre du Grand Conseil du Canton de Genève, Guy Mettan vient de publier un article fondamental, intitulé L’Ukraine et l’effondrement des valeurs occidentales.

Le non-respect des valeurs européennes et universelles des puissances occidentales au pouvoir représente, il faut le dire, un problème persistant depuis longtemps déjà. On avait pourtant toujours pu entendre des voix qui s’y sont opposées. Le groupe de travail international, «Mut zu Ethik»1 par exemple, auquel je participe, fondé il y a déjà presque trente ans, en est un exemple parmi beaucoup d’autres. Regardant les choses de près, on constate qu’en vérité le mépris des valeurs européennes et universelles se manifestait depuis ce que l’on a appelé l’«l’Occident» ait pris forme. Ce n’était qu’occasionnellement, par exemple après la catastrophe de la Seconde guerre mondiale, qu’une partie considérable des élites occidentales d’alors s’en sont rappelées en essayant de donner un nouveau visage à leur politique, en la réorientant selon les principes de l’éthique politique.2

Avec leur présumée «victoire» de la première Guerre froide, après 1990/91 au plus tard, des puissances occidentales haussent le ton pour sauvegarder à nouveau ces valeurs, mais en réalité, elles font exactement le contraire.

Absence de bases éthiques

La guerre des informations, menée par des puissances occidentales contre la Russie n’a donc – contrairement aux prétentions de base de la propagande occidentale – aucune base éthique, mais bien d’autres origines et objectifs. Il faut se détromper: les élites des puissances occidentales mènent cette guerre idéologique contre la Russie de manière si impitoyable non pas dans l’intention de défendre les valeurs occidentales, la démocratie ou les vertus héroïques3.

L’action menée par les puissances occidentales est en effet une guerre dirigée contre la Russie. Une partie essentielle en est menée par la guerre d’information.

  • Cette guerre d’information contre la Russie travaille depuis longtemps avec des préjugés. Il y a plus de 20 ans déjà que l’on a pu lire, dans une recherche d’une université berlinoise, le résumé suivant: «L’analyse des articles sur la Russie dans les colonnes du grand quotidien «FAZ» et du magazine «Spiegel» a démontré la transmission uniquement de mauvaises nouvelles et de ‹mauvais événements› de la Russie. […]
  • Pour nous transmettre les événements russes, on travaille avec des stéréotypes. Le négativisme a beaucoup de poids dans les nouvelles sur la Russie.»4Des recherches dans d’autres pays ont abouti à des résultats à peu près semblables. Depuis le 24 février 2022, les préjugés envers la Russie et de la politique russe ont été nivelés et transmis de manière très agressive, avec une violence jamais vue avant. On y remarque surtout la diabolisation, provocant la peur et la haine, ciblée avant tout sur la personne du président du pays. Cette guerre d’information sape, en même temps, la vie en commun dans nos sociétés occidentales.
  • Les élites des puissances occidentales essaient de faire plier la Russie en recourant à la guerre économique (les sanctions), elle aussi à des dimensions massives.
  • Leurs gouvernements livrent des quantités énormes d’armes et de munitions aux forces armées ukrainiennes. Pour eux, ce sont avant tout les Ukrainiens qui doivent combattre «jusqu’au dernier Ukrainien». Pour les élites occidentales les combattants ukrainiens fanatisés sont donc leurs «idiots utiles».
  • Les élites occidentales mènent leur guerre contre la Russie également avec leurs participations directes à cette guerre: en formant militairement des combattants ukrainiens, en leur fournissant des systèmes logistiques, de la reconnaissance militaire sophistiquée, des conseillers militaires, des commandements militaires et des actes de sabotage militaire.

Il s’agit de bien plus que de l’avenir de l’Ukraine

La question des buts que poursuivent les élites occidentales au pouvoir ne s’arrête pas aux frontières de l’Ukraine. Même si l’appel à un cessez-le-feu en Ukraine est compréhensible, cet appel ne doit pas négliger le fait que l’enjeu est bien plus important et que cette guerre menée par le front belliciste occidental ne sera pas terminée au moment où les armes se tairont en Ukraine.

Pour y voir plus clair il faut en effet reprendre la lecture des discours du Président russe des 22 dernières années passées jusqu’à son discours, très détaillé, du 1er octobre 2022, (voir aussi L’hégémonie occidentale touche à sa fin) en examinant, sans préjugé, leur contenu réel. Il est vraisemblable que l’on y rencontre maintes réponses à la question du pourquoi et du comment de la guerre implacable menée par les cercles occidentaux bellicistes contre la Russie. Dans ces discours, on apprend que la Russie remet radicalement en question la prétention orientée de ces cercles. Elle l’a fait et continue de le faire en insistant imperturbablement sur la légitimité de ses revendications quant aux garanties de sa sécurité; sur l’égalité du droit de la Russie (ainsi que de tous les autres Etats du monde) à sa sécurité; sur le respect des règles figées dans la Charte des Nations Unies; sur le respect de son droit à sa culture et ses valeurs, notamment en poursuivant leur propre voie russe en matière de famille, de religion et de nation; sur son droit à œuvrer en direction d’une économie mondiale plus juste, liée à la création d’un système financier mondial égal; sur son droit à critiquer les diverses formes privilégiant l’impérialisme et le néocolonialisme occidentaux.

Comment arrêter la guerre?

La guerre menée par les puissances occidentales au pouvoir peut se terminer de différentes manières:

  • la pire variante en est la guerre totale, se terminant par l’enfer nucléaire. Certains médias occidentaux, y compris en Suisse, vont jusqu’ à propager en effet – à l’instar de Goebbels– cette guerre totale lui donnant, dans un élan pervers de l’enjoliver, la fausse étiquette d’acte de «solidarité». Que Dieu nous en préserve!
  • La défaite militaire et politique de la Russie ferait triompher les élites occidentales au pouvoir. Considérant ce qui en sortira, une telle «solution» n’est en aucun point prometteuse pour le monde dans son ensemble.
  • Après d’importants succès militaires et (ou) politiques de la Russie et (ou) en raison de la prise de conscience de l’absence de perspectives ou des coûts trop élevés d’une poursuite de la guerre, les élites occidentales au pouvoir se ravisent, cherchant un nouveau modus vivendi en «realpolitik». Cela permettrait pourtant de respirer. Mais qu’on ne s’y trompe pas: la période de la politique de détente pendant la première guerre froide était elle aussi un modus vivendi sur la corde raide. La première moitié des années quatre-vingt l’a montré.
  • Ou alors les peuples du monde occidental trouvent le courage de s’engager sur une voie humainement viable, mettant en retrait leurs élites au pouvoir et construisant des rapports sociaux, économiques et politiques orientés selon les principes de l’éthique politique. Cette dernière voie reste un idéal digne de nos efforts.

Notes

1) cf. Verein zur Förderung der Psychologischen Menschenkenntnis (éd.) Mut zur Ethik. Eine Besinnung auf gesellschaftliche Grundnormen und moralische Grundhaltungen im Individuum (documentation du congrès du 24 au 26. septembre 1993 à Bregenz), ISBN 3-906989-35-6 et en particulier les thèses qui y ont été adoptées aux pages 543 ss.
2) cf. sur les fondements: Sutor, Bernhard. Politische Ethik. Gesamtdarstellung auf der Basis der Christlichen Gesellschaftslehre, (2e édition), ISBN 3-506-79090-0.
3) Les termes se réfèrent à l’article de Guy Mettan dans la Weltwoche du 1/10/22, repris dans cette édition (v. p. 1)
4) Crudopf, Weake. Russland-Stereotypen in der deutschen Medienberichterstattung (Arbeitspapiere des Osteuropa-Instituts der Freien Universität Berlin, Arbeitsschwerpunkt Politik, 29), Berlin 2000, p. 42.

Karl-Jürgen Müller

Traduction: Zeit-fragen.ch