
Huda Abu Al-Naja, 12 ans, accompagnée de sa mère, reçoit un traitement contre la malnutrition à l’hôpital Nasser de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, le 25 juin 2025. (Doaa Albaz/Activestills)
Pourquoi ne pas “bombarder les rails” à Gaza ?
Par Michael Schaeffer Omer-Man
Avec l’anéantissement de Gaza qui se profile à l’horizon, la question est de savoir ce qui peut contraindre la communauté internationale à intervenir pour mettre fin au génocide perpétré par Israël, et quelle forme cette intervention prendra.
On dit souvent que la guerre menée par Israël contre Gaza est le premier génocide retransmis en direct. Les derniers appels à l’aide et les derniers soupirs tragiques de Hind Rajab ont été diffusés sur Internet pour que tout le monde puisse les entendre. Les soldats israéliens publient fièrement des vidéos de leurs atrocités et destructions sur TikTok. Des Palestiniens courageux ont rassemblé un nombre impressionnant d’abonnés sur les réseaux sociaux, les internautes se connectant chaque jour pour être témoins de leur famine, de leur déplacement et de leur terreur. Plus que jamais dans l’histoire, un nombre croissant de personnes à travers le monde ont été exposées à des images explicites et en temps quasi réel de meurtres et de famine.
La particularité du génocide à Gaza n’est pas que les dirigeants mondiaux – les seuls à avoir les moyens d’y mettre fin – soient au courant des agissements d’Israël et de ses intentions, et ce dès le début. C’est qu’ils n’ont pratiquement rien fait pour l’arrêter.
Les supplications des populations affamées, les images de corps émaciés, la déshumanisation sur laquelle reposent une telle cruauté et une telle souffrance me rappellent les écrits, les images et les expériences des Juifs emprisonnés et affamés par les nazis dans le camp de concentration de Bergen-Belsen. Ma mère faisait partie de ces hommes et femmes, alors encore enfant, jetés dans des espaces de plus en plus surpeuplés où la nourriture se faisait de plus en plus rare au fil des semaines.
Affamée à Bergen-Belsen aux côtés de ma mère, peut-être dans le même baraquement, se trouvait Hanna Levy-Hass, mère de la journaliste de Haaretz Amira Hass. Hanna fut l’une des rares personnes à tenir un journal pendant toute la durée de son séjour à Bergen-Belsen, qui a été conservé et publié par la suite.
En février 1945, elle écrivait :
“La faim brise le moral. Je sens mes forces physiques et intellectuelles décliner. Je ne comprends plus rien, je ne peux plus réfléchir correctement, je n’arrive pas à comprendre ce qui se passe, je ne réalise pas toute l’horreur de la situation.
“Notre faim n’a fait que s’intensifier”, poursuit le journal. “Nos corps sont détruits par la faim, nous nous traînons comme des chiffons ; les hommes s’effondrent littéralement d’épuisement et finissent par mourir de faim, tout simplement”.
Quatre-vingts ans plus tard, dans un article publié cette semaine depuis Khan Younis, dans le sud de Gaza, la journaliste Ruwaida Amer a écrit :
“Depuis environ un mois, cependant, j’ai perdu la capacité de suivre l’actualité. Je n’arrive plus à me concentrer. Mon corps est à bout.
“Nous ne sortons presque plus de chez nous, de peur que nos jambes ne nous lâchent”, poursuit Ruwaida. “C’est déjà arrivé à ma sœur alors qu’elle cherchait quelque chose, n’importe quoi, dans la rue pour nourrir ses enfants, et elle s’est soudainement effondrée. Son corps n’avait même plus la force de se maintenir debout”.
L’une des questions qui m’a toujours taraudé au sujet de l’Holocauste, c’est ce que les gens ordinaires auraient pu faire pour empêcher les massacres et les déportations. Bien sûr, nombreux sont ceux qui ont sauvé d’innombrables Juifs en les cachant ou en les aidant à fuir, au péril de leur vie et de celle de leur famille. Mais on connaît moins les rares grèves générales et manifestations de masse qui ont eu lieu. Au début de l’année 1941, par exemple, environ 300 000 personnes ont paralysé la ville d’Amsterdam pour tenter d’arrêter la machine nazie de déportation et d’extermination.
Selon le U.S. National WWII Museum :
“Ce sont les conducteurs de tramways et les éboueurs qui ont commencé. Les dockers les ont rapidement rejoints. Les ouvriers à vélo sonnaient aux portes des maisons et bloquaient la circulation dans les rues, implorant les conducteurs de se joindre à eux. Les usines ont fermé. Les bureaux, les magasins et les restaurants étaient vides”.
La réponse nazie a été féroce, meurtrière et radicale : les forces allemandes ont tué neuf grévistes lors d’affrontements dans les rues, en ont blessé des dizaines d’autres et ont ensuite exécuté 18 manifestants qui tentaient d’organiser une autre action.
Aucune mobilisation de masse similaire n’a jamais eu lieu depuis, et les nazis ont tué plus des trois quarts des Juifs néerlandais dans les années qui ont suivi. Si l’action populaire de masse s’est avérée insuffisante, une intervention militaire étrangère aurait pu sauver d’innombrables vies, voire mettre fin au génocide. En effet, dès 1944, les dirigeants juifs faisaient pression sur les responsables du gouvernement américain pour qu’ils bombardent Auschwitz et les voies ferrées servant au transport des Juifs vers le camp.
En 2013, dans un discours destinée à rallier le soutien international à une action militaire contre l’Iran, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré :
“Les dirigeants alliés savaient que l’Holocauste était en cours. Ils comprenaient parfaitement ce qui se passait dans les camps de la mort. On leur a demandé d’agir, ils auraient pu agir, mais ils ne l’ont pas fait”.
Lors d’une autre cérémonie commémorative de l’Holocauste quatre ans plus tard, Netanyahu a été encore plus précis :
“Si les puissances mondiales avaient agi en 1942 contre les camps de la mort – et tout ce qu’il aurait fallu, c’était bombarder les camps à plusieurs reprises –, elles auraient pu sauver quatre millions de Juifs et la vie de plusieurs millions d’autres. Les Alliés le savaient, mais ils n’ont pas agi”.
En septembre dernier, lors d’une conférence organisée par le magazine new-yorkais Jewish Currents, la question de savoir comment mettre fin à ce génocide s’est imposée. Au cours d’une session, un membre de l’auditoire a interpellé un diplomate sud-africain chevronné, Zane Dangor, lui demandant pourquoi, “au lieu d’envoyer nos meilleurs avocats à La Haye, nous n’envoyons pas nos meilleurs généraux à Gaza”.
M. Dangor a répondu que le soutien militaire ne ferait probablement qu’empirer les choses, soulignant la réalité du déséquilibre des pouvoirs entre Israël, qui bénéficie du soutien apparemment inconditionnel de la plus grande superpuissance mondiale, et les quelques nations qui ont le courage de lui tenir tête.
Il y a quelques semaines, j’ai croisé M. Dangor lors d’une réunion d’urgence du Groupe de La Haye à Bogotá, où les représentants de 30 pays s’étaient réunis pour discuter des mesures concrètes à prendre pour mettre fin au génocide à Gaza. Dans son discours d’ouverture, M. Dangor a rappelé aux États participants qu’ils “ont la responsabilité ultime de garantir et de protéger les droits inaliénables du peuple palestinien”.
Les États-Unis ont menacé tous les participants, affirmant qu’ils “défendraient activement leurs intérêts, leur armée et leurs alliés, y compris Israël, contre une telle guerre juridique et diplomatique concertée”.
Mais 12 des 30 pays, dont aucun n’a l’influence ni les moyens de défier une superpuissance, ont résisté à la pression américaine et ont annoncé un embargo sur les armes à destination d’Israël, ainsi que d’autres mesures commerciales et la poursuite des criminels de guerre israéliens.
On peut bien sûr imaginer toute une gamme d’interventions possibles entre le “bombardement des voies ferrées”, l’embargo sur les armes et la paralysie totale. Des centaines d’organisations mondiales et palestiniennes de défense des droits humains et de la société civile ont récemment appelé les pays du monde entier à se joindre à un convoi humanitaire, “en envoyant des missions diplomatiques officielles – au plus haut niveau possible – pour accompagner les camions d’aide qui attendent déjà au passage de Rafah et entrer avec eux dans Gaza”.
Le moment est venu d’agir concrètement, et toutes les options doivent être envisagées.
Michael Schaeffer Omer-Man, 25 juillet 2025
Michael Schaeffer Omer-Man est le responsable d’Israël-Palestine chez DAWN. Il est l’ancien rédacteur en chef du magazine +972 et coauteur du livre à paraître « From Apartheid to Democracy », qui sera publié par la University of California
Source: https://www.972mag.com/gaza-genocide-global-intervention-holocaust/







































































































































































































































