« La définition de l’antisémitisme a souvent été utilisée à tort pour qualifier d’antisémites les critiques à l’égard d’Israël », ont fait savoir les organisations des droits humains à António Guterres, le secrétaire général de l’ONU. (Photo : Lev Radin / ZUMAPRESS)

Rejetez la fausse définition de l’antisémitisme, demandent instamment les organisations des droits humains à l’ONU

Maureen Clare Murphy, 26 avril 2023

Des douzaines d’organisations du monde entier demandent à António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, de rejeter une définition biaisée de l’antisémitisme, laquelle confond la critique à l’égard d’Israël et de son idéologie d’État, le sionisme, avec le sectarisme antijuif.

En attendant, sous le prétexte de combattre l’antisémitisme, des organisations opérant pour le compte du gouvernement israélien ont intensifié une campagne de calomnie contre Francesca Albanese, une experte de l’ONU sur le plan des droits humains, en réclamant qu’elle soit virée de son poste (non rémunéré).

Parmi les 100 organisations et plus qui demandent à Guterres et à son sous-secrétaire de rejeter la très controversée définition de l’antisémitisme formulée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (AIMH ou IHRA en anglais), figurent des organisations palestiniennes et israéliennes des droits humains, ou encore Human Rights Watch, Amnesty International et l’American Civil Liberties Union (Union américaine des libertés civiles).

Les organisations applaudissent à « l’engagement de l’ONU dans le combat de l’antisémitisme en ligne avec les normes internationales en matière de droits humains ».

Mais elles mettent en garde contre le fait qu’« un certain nombre de gouvernements d’État et d’organisations alignées sur ces mêmes gouvernements » (faisant apparemment référence à Israël et à ses alliés) ont insisté auprès de l’institution mondiale pour qu’elle adopte la définition de l’AIMH-IHRA.

Ces gouvernements ont été rejoints par Ahmed Shaheed, un proche allié des lobbys pro-israéliens qui, lors de son mandat en tant que rapporteur spécial de l’ONU concernant la liberté de culte ou de conviction, a publié un rapport accusant de façon calomnieuse les avocats des droits palestiniens d’antisémitisme.

« L’adoption de la définition par les gouvernements et institutions est souvent conçue comme une démarche essentielle dans les efforts en vue de combattre l’antisémitisme », déclarent les organisations dans leur lettre adressée à Guterres.

« En pratique, toutefois, la définition de l’IHRA a souvent été utilisée pour étiqueter à tort la critique envers Israël comme antisémite et, par conséquent, pour dissuader et même parfois réprimer les protestations non violentes, l’activisme et les discours critiques envers Israël et/ou le sionisme, y compris aux EU et en Europe. »

Les organisations font remarquer que l’ancienne rapporteuse spéciale sur le racisme, E. Tendayi Achiume, avait mis en garde contre la « possibilité » pour la définition de l’IHRA « d’être politiquement instrumentalisée et contre les torts infligés aux droits humains suite à cette instrumentalisation ».

Mme Achiume avait conseillé la prudence dans le recours à la définition « hautement controversée et divisive » en tant qu’« instrument de guidance au sein des Nations unies et de leurs entités constituantes ».

La menace contre la liberté d’expression posée par la définition qui a été approuvée par l’IHRA en 2016, se situe dans les 11 exemples de la façon dont il conviendrait d’appliquer la définition même.

Comme l’a fait remarquer Rowan Gaudet, d’Independent Jewish Voices Canada (Voix juives indépendantes – Canada) en 2020, « nombre de ces exemples étendent l’antisémitisme à des remises en question d’Israël, comme le refus au peuple juif du droit à l’autodétermination ». « Toutes prises de position perçues comme délégitimant Israël, tel le fait de qualifier Israël d’entreprise raciste, sont par conséquent taxées par défaut d’antisémitisme », a ajouté Gaudet.

Une tactique passablement éculée

Israël et ses défenseurs et avocats se sont longtemps appuyés sur la diffusion de calomnies à propos des défenseurs des droits palestiniens en les traitant d’antisémites, afin d’étouffer le débat et la discussion autour des actions de l’État.

Selon Palestine Legal, une organisation américaine des libertés civiques, les organisations de lobbying pro-israélien ont cherché d’adopter la définition de l’IHRA « afin d’ajouter de la légitimité à cette tactique ».

Comme l’a fait remarquer la lettre adressée à Guterres, l’exemple d’« entreprise raciste » de la définition de l’IHRA ouvre la porte « à l’étiquetage comme antisémites des critiques disant que les mesures et pratiques du gouvernement israélien violent la Convention internationale sur l’élimination de la discrimination raciale ».

Elle pourrait également être utilisée pour saper « les conclusions des principales organisations israéliennes, palestiniennes et mondiales des droits humains, disant que les autorités israéliennes commettent contre les Palestiniens le crime contre l’humanité qu’est l’apartheid », ajoutent les organisations.

Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les droits humains en Cisjordanie occupée et à Gaza, s’est retrouvée sous le feu des groupes de lobbying pro-israélien en raison de son travail qui éclaire les abus israéliens envers les Palestiniens.

L’International Legal Forum (Forum juridique international), une organisation installée en Israël, est le fer de lance d’une campagne de calomnie réclamant la démission d’Albanese.

Albanese s’est attiré la colère d’Israël et de ses partisans en disant qu’« Israël a le droit de se défendre, mais ne peut le revendiquer quand il s’agit du peuple qu’il opprime et dont il colonise les terres ».

Campagne de calomnie à l’ONU

Dans un éditorial réclamant le licenciement d’Albanese, le quotidien de droite The Jérusalem Post accusait la spécialiste de l’ONU de « déshumanisation des gens en y faisant référence en tant que ‘colons’ », et ce, afin de justifier ses attaques.

L’appel en faveur de son licenciement est le tout dernier épisode d’une incessante campagne de calomnie contre Albanese, laquelle campagne avait déjà commencé bien avant qu’elle n’entre en fonction.

Elle fait également partie d’un effort plus large en vue de saper les appels à rendre Israël responsable devant l’ONU, dont la principale institution concernant les droits humains a décidé d’examiner l’oppression par Israël du peuple palestinien dans son ensemble.

En janvier, l’Assemblée générale de l’ONU a voté en faveur de la demande d’un avis consultatif de la Cour internationale de justice à propos de la légalité de l’occupation par Israël de la Cisjordanie – y compris Jérusalem-Est – et de Gaza.

Israël et ses avocats tentent de détourner l’attention des violations flagrantes et générales par l’Etat des droits palestiniens en critiquant le langage utilisé pour décrire ces violations et en attaquant les personnes qui s’expriment sur ce plan.

Cette tactique passablement éculée n’a pas échappé à Albanese, qui a déclaré que son attention restait concentrée « sur mon travail autour des droits humains et des gens sous occupation, de ceux qui sont en état de siège et qui subissent la répression ».

Maureen Clare Murphy 

Traduction