Intervention du Ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors du débat public au sein du Conseil de sécurité des Nations unies portant sur un multilatéralisme efficace reposant sur la défense des principes consacrés dans la Charte des Nations unies. New York, le 24 avril 2023.
La 9308ème réunion du Conseil de sécurité des Nations unies est déclarée ouverte.
L’ordre du jour provisoire de cette réunion est le suivant : « Maintien de la paix et de la sécurité internationales, un multilatéralisme efficace reposant sur la défense des principes consacrés dans la Charte des Nations unies ». L’ordre du jour est adopté.
Conformément à l’article 37 du Règlement intérieur provisoire du Conseil, j’invite les représentants de l’Afrique du Sud, de l’Arménie, de l’Australie, de l’Azerbaïdjan, de Bahreïn, de la Biélorussie, du Canada, de la Colombie, de Cuba, de l’Égypte, de l’Éthiopie, de l’Inde, de l’Indonésie, de l’Iran (République islamique d’), du Koweït, du Liban, de la Malaisie, du Maroc, du Mexique, du Népal, du Pakistan, des Philippines, de la République arabe syrienne, de la République de Corée, de la République démocratique populaire lao, de la Sierra Leone, de Singapour, de la Thaïlande, de la Turquie, du Turkménistan, de l’Uruguay, du Venezuela, et du Vietnam à participer à la présente séance. La décision est adoptée.
Le Conseil de sécurité va maintenant entamer l’examen du point 2 de l’ordre du jour. Je voudrais attirer l’attention des membres du Conseil de sécurité sur le document S/2023/244, une lettre datée du 3 avril de cette année, adressée au Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, par le Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l’Organisation des Nations unies, transmettant un document de réflexion sur la question à l’examen.
Je souhaite la bienvenue au Secrétaire général de l’ONU, Son Excellence Antonio Guterres, et je lui donne la parole.
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Je remercie le Secrétaire général pour son exposé.
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Je vais maintenant faire une déclaration en ma qualité de Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie.
Monsieur le Secrétaire général,
Chers collègues,
Il est symbolique que nous tenions notre réunion à l’occasion de la Journée internationale du multilatéralisme et de la diplomatie au service de la paix, introduite dans le calendrier des anniversaires par la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies du 12 décembre 2018.
Dans une quinzaine de jours, nous marquerons le 78e anniversaire de la victoire dans la Seconde Guerre mondiale. La défaite de l’Allemagne nazie, à laquelle mon pays a apporté une contribution décisive avec le soutien des Alliés, a jeté les bases de l’ordre international d’après-guerre. La Charte des Nations unies en a constitué un fondement juridique et notre organisation, incarnant un véritable multilatéralisme, a assumé un rôle central de coordination dans la politique mondiale.
En près de 80 ans d’existence, l’ONU remplissait la mission cruciale que lui avaient confiée ses pères fondateurs. Pendant des décennies, l’entente fondamentale des cinq membres permanents du Conseil de sécurité sur la primauté des objectifs et des principes de la Charte garantissait la sécurité mondiale. Ce faisant, elle a créé les conditions d’une véritable coopération multilatérale régie par des normes du droit international universellement reconnues.
Le système centré sur l’ONU est aujourd’hui en crise profonde. La cause première en est le désir de certains membres de notre organisation de remplacer le droit international et la Charte des Nations unies par une sorte d’ « ordre fondé sur des « règles » ». Personne n’a vu ces « règles », elles n’ont pas fait l’objet de négociations internationales transparentes. Elles sont inventées et appliquées pour contrecarrer les processus naturels de formation de nouveaux centres de développement indépendants, qui sont la manifestation objective du multilatéralisme. On tente de les contenir par des mesures unilatérales illégitimes, notamment en leur coupant l’accès aux technologies modernes et aux services financiers, en les écartant des chaînes d’approvisionnement, en confisquant leurs biens, en détruisant les infrastructures critiques des concurrents, en manipulant les normes et les procédures universellement reconnues. Le résultat est la fragmentation du commerce mondial, l’effondrement des mécanismes de marché, la paralysie de l’OMC et la transformation finale, non masquée, du FMI en un outil permettant d’atteindre les objectifs des États-Unis et de leurs alliés, y compris militaires.
Dans une tentative désespérée d’affirmer leur suprématie en punissant les récalcitrants, les États-Unis ont entrepris de détruire la mondialisation qui, pendant des années, avait été saluée comme le bien suprême de l’humanité, au service du système multilatéral de l’économie mondiale. Washington et le reste de l’Occident, qui lui est soumis, appliquent leurs « règles » chaque fois qu’ils ont besoin de justifier des mesures illégitimes à l’encontre de ceux qui alignent leurs politiques sur le droit international et refusent de suivre les intérêts rapaces du « milliard d’or ». Les dissidents sont mis à l’index sur la base du principe « celui qui n’est pas avec nous est contre nous ».
Nos homologues occidentaux sont depuis longtemps « mal à l’aise » pour négocier dans des formats universels tels que les Nations unies. Le thème des « démocraties » s’unissant contre les « autocraties » a été présenté comme une justification idéologique pour saper le multilatéralisme. Outre les « sommets pour la démocratie », dont la composition est déterminée par l’hégémon autoproclamé, d’autres « clubs de quelques élus » qui contournent les Nations unies sont mis en place.
« Sommets pour la démocratie », « Alliance pour le multilatéralisme », « Partenariat mondial sur l’intelligence artificielle », « Coalition mondiale pour la liberté des médias », « Appel de Paris pour la confiance et la sécurité dans le cyberespace » – tous ces projets et d’autres encore, non inclusifs, sont conçus pour saper les négociations sur des sujets pertinents sous les auspices de l’ONU, pour imposer des concepts et des solutions non consensuels qui profitent à l’Occident. Ils se mettent d’abord d’accord en privé, dans un cercle restreint, et présentent ensuite ces accords comme « la position de la communauté internationale ». Appelons les choses par leur nom : personne n’a autorisé la minorité occidentale à parler au nom de toute l’humanité. Il faudrait se comporter avec décence et respecter tous les membres de la communauté internationale.
En imposant un « ordre fondé sur des règles », ses auteurs rejettent avec arrogance le principe clef de la Charte des Nations unies qu’est l’égalité souveraine des États. La quintessence du « complexe d’exclusivité » a été la déclaration « fière » du chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, selon laquelle « l’Europe est un jardin d’Eden et le reste du monde est une jungle ». Permettez-moi également de citer la déclaration conjointe Otan-UE du 10 janvier dernier, qui dit : « L’Occident uni utilisera tous les instruments économiques, financiers, politiques et, j’attire particulièrement l’attention, militaires dont disposent l’Otan et l’UE pour garantir les intérêts de « notre milliard ». »
L’Occident collectif a également entrepris de remodeler le multilatéralisme au niveau régional. Il n’y a pas si longtemps, les États-Unis ont appelé à une renaissance de la « doctrine Monroe » et ont demandé aux pays d’Amérique latine de limiter leurs liens avec la Fédération de Russie et la République populaire de Chine. Cette ligne s’est toutefois heurtée à la détermination des pays de la région à renforcer leurs propres structures multilatérales, en particulier la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (Celac), en défendant leur droit légitime à s’imposer comme l’un des piliers d’un monde multipolaire. La Russie soutient pleinement ces justes aspirations.
Les États-Unis et leurs alliés consacrent actuellement des efforts considérables à saper le multilatéralisme dans la région Asie-Pacifique, où un système ouvert et efficace de coopération économique et sécuritaire s’est développé au fil des décennies autour de l’Asean. Ce système a produit des approches consensuelles qui satisfont à la fois les Dix de l’Asean et ses partenaires de dialogue, notamment la Russie, la Chine, les États-Unis, l’Inde, le Japon, l’Australie et la République de Corée, offrant ainsi un véritable multilatéralisme inclusif. Avec ses stratégies indopacifiques, Washington a entrepris de démanteler cette architecture bien établie.
Lors du sommet de Madrid de l’année dernière, l’Otan, qui avait toujours cherché à convaincre tout le monde de son « caractère pacifique » et de la nature exclusivement défensive de ses programmes militaires, a déclaré sa « responsabilité mondiale », l’ « indivisibilité de la sécurité » dans la région euro-atlantique et dans la région dite indopacifique. En d’autres termes, la « ligne de défense » de l’Otan (en tant qu’Alliance défensive) se déplace désormais vers les rives occidentales du Pacifique. Les approches de blocs qui sapent le multilatéralisme centré sur l’Asean sont évidentes dans la création de l’alliance militaire Aukus, dans laquelle Tokyo, Séoul et un certain nombre de pays de l’Asean se font enfourner. Des mécanismes sont mis en place sous l’égide des États-Unis pour interférer dans les questions de sécurité maritime en vue de garantir les intérêts unilatéraux de l’Occident dans les eaux de la mer de Chine méridionale. Hier, Josep Borrell, que j’ai cité précédemment, a promis de dépêcher des forces navales de l’Union européenne dans cette région. Il ne fait aucun doute que les stratégies indopacifiques sont conçues pour contenir la Chine et isoler la Russie. C’est ainsi que nos homologues occidentaux conçoivent le « multilatéralisme efficace » en Asie-Pacifique.
Après la dissolution de l’Organisation du Pacte de Varsovie et la disparition de l’Union soviétique, l’espoir d’une mise en œuvre d’un véritable multilatéralisme sans clivage dans l’espace euro-atlantique a commencé à poindre. Mais au lieu de libérer le potentiel de l’OSCE sur une base collective égale, les pays occidentaux ont non seulement conservé l’Otan, mais, contrairement à leurs promesses solennelles, se sont lancés dans une prise de contrôle impudente de l’espace adjacent, y compris des régions où des intérêts russes vitaux ont toujours existé et continueront d’exister. Comme le secrétaire d’État américain de l’époque, James Baker, l’a signalé au président George H. W. Bush : « La principale menace pour l’Otan, c’est l’OSCE. » J’ajouterais qu’aujourd’hui, l’ONU et les exigences de sa Charte constituent également une menace pour les ambitions mondiales de Washington.
La Russie a patiemment essayé de parvenir à des accords multilatéraux mutuellement bénéfiques basés sur le principe de l’indivisibilité de la sécurité, qui a été solennellement proclamé au plus haut niveau dans les documents des sommets de l’OSCE de 1999 et 2010. Ce principe stipule noir sur blanc que personne ne doit renforcer sa sécurité au détriment de celle des autres et qu’aucun État, groupe d’États ou organisation ne peut se voir confier la responsabilité principale du maintien de la paix dans l’espace de l’OSCE ou considérer une partie de cet espace comme sa sphère d’influence.
L’Otan a jeté à la poubelle ces engagements pris par les présidents et les premiers ministres de ses États membres et a commencé à agir exactement à l’opposé, proclamant son « droit » à l’arbitraire. Un exemple flagrant est le bombardement illégitime de la Yougoslavie en 1999, y compris avec des munitions à l’uranium appauvri, qui a entraîné par la suite une épidémie de cancer – tant chez les citoyens serbes que chez les militaires de l’Otan. Joe Biden était sénateur à l’époque et il a déclaré non sans fierté devant les caméras qu’il avait personnellement préconisé le bombardement de Belgrade et la destruction de tous les ponts sur la rivière Drina. Aujourd’hui, l’ambassadeur américain à Belgrade, Christopher R. Hill, appelle les Serbes, par l’intermédiaire des médias, à « tourner la page » et à « cesser de s’offusquer ». Les États-Unis ont accumulé une riche expérience en matière de « cessation de l’offense ». Le Japon a longtemps gardé un silence gêné sur les auteurs des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Pas un mot à ce sujet dans les manuels scolaires. Récemment, lors de la réunion du G7, le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’est contenté de déplorer avec pathos les souffrances des victimes de ces bombardements, mais ne s’est pas résolu à mentionner qui les avait organisés. Telles sont les « règles ». Et personne n’ose les contredire.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, des dizaines d’aventures militaires criminelles ont été menées par Washington, sans aucune tentative d’obtenir une légitimité multilatérale. À quoi servirait-elle, alors qu’il existe, à l’insu de tous, des « règles » ?
L’invasion honteuse de l’Irak par la coalition dirigée par les États-Unis en 2003 a été menée en violation de la Charte des Nations unies, tout comme l’agression contre la Libye en 2011. Le résultat a été la destruction d’un État, des centaines de milliers de morts et un terrorisme endémique.
L’ingérence des États-Unis dans les affaires des États postsoviétiques a constitué une violation flagrante de la Charte des Nations unies. Les « révolutions de couleur » en Géorgie et au Kirghizstan et le coup d’État sanglant à Kiev en février 2014 ont été organisés. Cela inclut également les tentatives de prise de pouvoir par la force en Biélorussie en 2020.
Les Anglo-Saxons, qui dirigent avec assurance l’ensemble de l’Occident, non seulement justifient toutes ces aventures criminelles, mais se vantent également de leur ligne de « promotion de la démocratie ». Mais toujours selon leurs « règles » : pour le Kosovo – reconnaître l’indépendance sans aucun référendum; pour la Crimée – ne rien reconnaître (bien qu’il y ait eu un référendum); pour les Malouines – ne pas y toucher, il y a eu un référendum (comme l’a récemment déclaré le ministre britannique des Affaires étrangères, James Cleverly). C’est ridicule.
Pour rejeter la politique des deux poids deux mesures, nous appelons chacun à s’inspirer des accords consensuels convenus dans le cadre de la déclaration des Nations unies de 1970 sur les principes du droit international, qui reste en vigueur. La nécessité de respecter la souveraineté et l’intégrité territoriale de tout État « se conduisant conformément au principe de l’égalité de droits et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (…) et doté ainsi d’un gouvernement représentant l’ensemble du peuple appartenant au territoire » y est clairement énoncée. Il est évident pour tout observateur impartial que le régime nazi de Kiev ne peut en aucun cas être considéré comme représentant les habitants des territoires qui ont refusé d’accepter les résultats du coup d’État sanglant de février 2014 et contre lesquels les putschistes ont déclenché une guerre pour cela. Tout comme Pristina ne peut prétendre représenter les intérêts des Serbes du Kosovo, à qui l’UE a promis l’autonomie – de la même manière que Berlin et Paris avaient promis un statut spécial au Donbass. Le résultat de ces promesses est bien connu.
Notre Secrétaire général, M. Guterres, dans son discours au « Deuxième Sommet pour la démocratie » le 29 mars dernier, l’a parfaitement dit : « La démocratie découle de la Charte des Nations unies. Ses premiers mots – Nous les peuples – reflètent la source fondamentale du pouvoir légitime: le consentement de ceux qui sont gouvernés. » Le consentement. Permettez-moi d’insister à nouveau sur ce point.
Pour mettre fin à la guerre déclenchée par le coup d’État dans l’est de l’Ukraine, des efforts multilatéraux avaient été déployés en vue d’un règlement pacifique, qui se sont traduits par une résolution du Conseil de sécurité approuvant à l’unanimité les Accords de Minsk. Ces accords ont été foulés aux pieds par Kiev et ses maîtres occidentaux, qui ont eux-mêmes récemment admis, avec cynisme et même fierté, qu’ils n’avaient jamais eu l’intention de les mettre en œuvre, mais qu’ils voulaient seulement gagner du temps pour approvisionner l’Ukraine en armes contre la Russie. Cette déclaration publique consacre une violation de l’obligation multilatérale de tous les membres des Nations unies, telle qu’elle est inscrite dans la Charte des Nations unies, qui exige que tous les pays se conforment aux résolutions du Conseil de sécurité.
Nos actions cohérentes pour prévenir la confrontation, y compris la proposition de décembre 2021 du président russe Vladimir Poutine de négocier des garanties de sécurité mutuelles multilatérales, ont été rejetées avec arrogance. Personne, nous a-t-on dit, ne pouvait empêcher l’Otan d’accueillir l’Ukraine dans son « étreinte ».
Au cours de toutes les années qui ont suivi le coup d’État, malgré nos demandes insistantes, aucun des maîtres occidentaux du régime de Kiev n’a critiqué Piotr Porochenko, Vladimir Zelenski ou la Rada (parlement d’Ukraine) lorsque la langue russe, l’éducation, les médias et, en général, les traditions culturelles et religieuses russes ont été détruits par voie législative et de manière cohérente – en violation directe de la Constitution ukrainienne et des conventions universelles sur les droits des minorités ethniques. Dans le même temps, le régime de Kiev a introduit, par voie législative et dans la vie quotidienne, la théorie et la pratique du nazisme. Il n’a pas hésité à organiser de somptueuses processions aux flambeaux sous les bannières des divisions SS dans le centre de Kiev et dans d’autres villes. L’Occident gardait le silence et se « frottait les mains ». Ce qui se passait était tout à fait conforme aux plans des États-Unis d’utiliser le régime ouvertement raciste qu’ils avaient nourri dans l’espoir d’affaiblir profondément la Russie, conformément à l’orientation stratégique consistant à éliminer les concurrents et à saper tout scénario impliquant l’affirmation d’un multilatéralisme équitable dans les affaires mondiales.
Aujourd’hui, tout le monde le sait, même si tout le monde n’en parle pas à voix haute: il ne s’agit pas du tout de l’Ukraine, mais de la manière dont les relations internationales seront développées à l’avenir, par la construction d’un consensus durable basé sur un équilibre des intérêts ou par la promotion agressive et explosive de l’hégémonie. La « question ukrainienne » ne peut être considérée indépendamment du contexte géopolitique. Le multilatéralisme présuppose le respect de la Charte des Nations unies dans tous ses principes interdépendants, comme indiqué ci-dessus. La Russie a clairement expliqué les objectifs de son opération militaire spéciale: éliminer les menaces pour notre sécurité que l’Otan fait peser depuis des années directement sur nos frontières et protéger les personnes qui ont été privées de leurs droits stipulés dans des conventions multilatérales, les protéger des menaces directes d’extermination et d’expulsion énoncées publiquement par le régime de Kiev des territoires où leurs ancêtres ont vécu pendant des siècles. Nous avons honnêtement dit pour quoi et pour qui nous nous battons.
Face à l’hystérie propagée par les États-Unis et l’Union européenne, je voudrais poser la question suivante, par contraste: que faisaient Washington et l’Otan en Yougoslavie, en Irak et en Libye? Leur sécurité, leur culture, leur religion et leurs langues étaient-elles menacées ? Quelles normes multilatérales les ont guidés pour déclarer l’indépendance du Kosovo au mépris des principes de l’OSCE, pour détruire les États stables et économiquement riches qu’étaient l’Irak et la Libye situés à 10.000 kilomètres des côtes américaines?
Le système multilatéral a été menacé par les tentatives éhontées des États occidentaux de soumettre les secrétariats de l’ONU et d’autres institutions internationales. Il y a toujours eu un déséquilibre quantitatif en termes de leur personnel en faveur de l’Occident, mais jusqu’à récemment, le Secrétariat s’efforçait de rester neutre. Aujourd’hui, ce déséquilibre est devenu chronique, le personnel du Secrétariat s’engageant de plus en plus dans un comportement politiquement motivé, inapproprié pour des responsables internationaux. Nous appelons l’estimé Secrétaire général Guterres à veiller à ce que l’ensemble de son personnel adhère aux exigences d’impartialité conformément à l’article 100 de la Charte des Nations unies. Nous demandons également à la direction du Secrétariat, lors de la préparation des documents proactifs sur l’ « agenda commun » et le « nouvel agenda pour la paix » susmentionnés, d’être guidée par la nécessité de suggérer aux pays membres comment trouver un consensus et un équilibre des intérêts, plutôt que de jouer le jeu des concepts néolibéraux. Sinon, au lieu d’un agenda multilatéral, le fossé entre le « milliard d’or » et la majorité mondiale s’approfondira.
Parler du multilatéralisme ne peut se limiter au contexte international, tout comme parler de la démocratie ne peut ignorer ce contexte international. Il ne doit pas y avoir de deux poids deux mesures. Le multilatéralisme et la démocratie devraient être respectés tant à l’intérieur des États que dans leurs relations mutuelles. Chacun sait que l’Occident, imposant sa conception de la démocratie aux autres, ne veut pas d’une démocratisation des relations internationales fondée sur le respect de l’égalité souveraine des États. Mais aujourd’hui, tout en promouvant ses « règles » sur la scène internationale, il « étouffe » le multilatéralisme et la démocratie chez lui, en utilisant des outils de plus en plus répressifs pour éliminer toute dissidence – tout comme le fait le régime criminel de Kiev, soutenu par ses maîtres – les États-Unis et leurs alliés.
Chers collègues, une fois de plus, comme pendant la guerre froide, nous sommes arrivés à un seuil dangereux, peut-être même encore plus dangereux. La situation est aggravée par la perte de confiance dans le multilatéralisme, lorsque l’agression financière et économique de l’Occident détruit les avantages de la mondialisation, lorsque Washington et ses alliés abandonnent la diplomatie et exigent de régler les différends « sur le champ de bataille ». Tout cela à l’intérieur des murs de l’ONU, qui a été créée pour prévenir les horreurs de la guerre. Les voix des forces responsables et raisonnables, les appels à la sagesse politique, la renaissance de la culture du dialogue sont noyés par ceux qui veulent saper les principes fondamentaux de la communication interétatique. Nous devons tous revenir aux origines: l’adhésion aux objectifs et aux principes de la Charte des Nations unies dans toute leur diversité et leur interconnexion.
Un véritable multilatéralisme exige aujourd’hui d’adapter les Nations unies aux tendances objectives vers une architecture multipolaire des relations internationales. La réforme du Conseil de sécurité devrait être accélérée par une représentation accrue des pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. La surreprésentation excessive de l’Occident au sein de ce principal organe de l’ONU sape le principe du multilatéralisme.
Le Groupe des amis pour la défense de la Charte des Nations unies a été créé à l’initiative du Venezuela. Nous appelons tous les États qui respectent la Charte à y adhérer. Il est également important d’utiliser le potentiel constructif des BRICS et de l’OCS. La CEEA, la CEI et l’OTSC sont prêtes à apporter leur contribution. Nous sommes favorables à l’utilisation de l’initiative des associations régionales des pays du Sud global. Le G20 pourrait également jouer un rôle utile dans le maintien du multilatéralisme si les participants occidentaux cessent de détourner l’attention de leurs collègues des questions urgentes inscrites à son ordre du jour dans l’espoir de rendre moins évidente leur responsabilité dans l’accumulation des phénomènes de crise au sein de l’économie mondiale.
Il est de notre responsabilité commune de préserver les Nations unies en tant que modèle forgé du multilatéralisme et de la coordination de la politique mondiale. La clef du succès est de travailler ensemble, de ne pas revendiquer l’exclusivité et – une fois de plus – de respecter l’égalité souveraine des États. C’est ce à quoi nous avons tous souscrit en ratifiant la Charte des Nations unies.
En 2021, le président russe Vladimir Poutine a proposé de convoquer un sommet des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Les dirigeants de la Chine et de la France ont soutenu cette initiative, mais elle n’a malheureusement pas encore été mise en œuvre. Ce sujet est directement lié au multilatéralisme: non pas parce que les cinq puissances ont une sorte de privilège sur les autres, mais précisément en raison de la responsabilité particulière qui leur incombe, en vertu de la Charte des Nations unies, en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. C’est ce qu’exigent les impératifs du système centré sur l’ONU, qui s’effondre sous nos yeux en raison des actions de l’Occident.
Les préoccupations concernant cet état de fait se font de plus en plus entendre dans les nombreuses initiatives et idées du Sud global, de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, du monde arabe et du monde musulman en général, de l’Afrique et de l’Amérique latine. Nous apprécions leur désir sincère d’apporter des solutions à tous les problèmes contemporains par un travail collectif honnête visant à concilier les intérêts sur la base de l’égalité souveraine des États et de l’indivisibilité de la sécurité.
En conclusion, je voudrais m’adresser à tous les journalistes qui couvrent actuellement notre réunion. Vos collègues russes n’ont pas été autorisés à venir. L’ambassade des États-Unis à Moscou les a informés de manière moqueuse qu’elle était prête à leur remettre leurs passeports revêtus du visa alors que notre avion venait de décoller. C’est pourquoi je vous demande instamment de compenser l’absence des journalistes russes. Essayez de faire vos reportages de manière à transmettre au public mondial toute la diversité des jugements et des évaluations.
Traduction officielle
Source: Ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie
Voir aussi:
Réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, lors d’une conférence de presse à l’issue de sa visite aux États-Unis dans le cadre de la présidence russe au Conseil de sécurité de l’ONU, New York, 25 avril 2023
Question (traduite de l’anglais): Vous avez dit que la Russie ne pardonnerait pas et n’oublierait pas le fait que les journalistes russes qui devaient vous accompagner se sont vu refuser des visas américains. Qu’est-ce que cela signifie? Pourriez-vous expliquer?
Sergueï Lavrov: Notre porte-parole s’est exprimée aujourd’hui au Comité de l’information. Maria Zakharova a déjà abordé ce sujet en détail. Nous trouvons scandaleux que cela se produise. Tous les « sortilèges » sur la liberté de la presse et l’accès à l’information prononcés par les dirigeants occidentaux, y compris les États-Unis, consignés dans les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et de l’OSCE, ont été adoptés au début des années 1990. À l’époque, l’Union soviétique était encore ouverte à de telles ententes. Maintenant, alors que l’Occident est gêné par la présence de points de vue alternatifs et la possibilité pour les habitants de la planète et les citoyens des pays concernés d’accéder à des faits qui ne correspondent pas au discours occidental, il a commencé à réprimer radicalement les médias qui ne lui sont pas soumis.
Nos ambassadeurs dans divers pays, y compris à Washington, fournissent régulièrement des informations concrètes sur la discrimination des médias russes. Il y a plusieurs années, la France a refusé d’accréditer RT et Sputnik au palais de l’Élysée, les qualifiant « d’instruments de propagande ». John Kirby a également déclaré, à propos de nos journalistes n’ont pas reçu de visas pour participer à cette partie de notre présidence, que les journalistes russes étaient des propagandistes, sans lien avec la vision américaine et démocratique de la liberté d’expression. Le premier amendement à la Constitution des États-Unis ne semble rien signifier en pratique. Il faut voir comment se porte la liberté d’expression aux États-Unis. J’ai entendu dire que Tucker Carlson avait quitté Fox News. Une nouvelle intéressante. On en ignore la raison. Il est clair que la richesse des opinions dans le paysage médiatique américain en a souffert.
En ce qui concerne nos mesures de rétorsion. Nous tiendrons certainement compte de ce comportement inapproprié de la part des autorités américaines. Je crois savoir que la décision a été prise au département d’État. Nous en tiendrons compte lorsque les Américains auront besoin de quelque chose de notre part.
Question (traduite de l’anglais): Que pensez-vous du Soudan et de ce qui s’y passe? Que pouvez-vous dire concernant l’implication de la société militaire privée Wagner dans cette situation? Nous avons demandé à Hemeti, le chef de ce groupe, à propos de cette entreprise. Il n’a pas nié leur participation. À qui cette société militaire privée obéit-elle: au gouvernement russe ou à un autre organe?
Sergueï Lavrov: En ce qui concerne Wagner, c’est une société militaire privée. Nous avons abordé ce sujet à plusieurs reprises, y compris dans cette salle, lorsque, il y a quelques années, nos collègues français et le chef de la diplomatie de l’UE, Josep Borrell, nous ont reproché nos relations avec le Mali, la République centrafricaine et ont provoqué un mini-scandale. Alors que les Français commençaient à cesser leur opération Barkhane et à fermer leurs bases militaires dans le nord du pays, où la principale menace terroriste se trouvait, le gouvernement malien, pour ne pas rester sans défense, a fait appel aux services de la société militaire privée Wagner. C’est son droit. Le Ministre des Affaires étrangères du Mali l’a déclaré lors de la session de l’Assemblée générale des Nations unies. Personne n’en fait un secret. La République centrafricaine, le Mali, le Soudan et d’autres pays dont les gouvernements, les autorités légitimes font appel à de tels services ont le droit de le faire.
Si vous êtes préoccupé par ce sujet, regardez sur internet le nombre de sociétés militaires privées qui existent aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France. Il y en a des dizaines. Beaucoup d’entre elles ont travaillé pendant de nombreuses années directement à nos frontières, y compris en Ukraine. Cela donne également matière à réflexion.
Quant à ce qui se passe au Soudan. C’est une tragédie. Des gens meurent. Il y a une menace sérieuse pour les diplomates. Nous le savons et suivons la situation. Aujourd’hui, des représentants du Fonds des Nations unies pour l’enfance ont demandé à notre ambassade de protéger leurs employés d’une manière ou d’une autre, car ils se trouvent dans un endroit dangereux. Je ne sais pas comment cela peut être fait. Mais nous allons nous en occuper maintenant.
Rappelez-vous comment l’État soudanais s’est « développé ». D’abord, il existait en tant qu’entité unique, puis sous la forme du Soudan et du Soudan du Sud. Tout cela s’est passé sous nos yeux. Les collègues américains ont fait de la division du Soudan en deux parties l’une de leurs priorités en matière de politique étrangère. Ils se sont adressés à nous pour que nous persuadions l’ancien président Omar el-Bechir d’accepter un accord sur la tenue d’un référendum libre et volontaire et une séparation volontaire. Pour être honnête, nous étions en faveur de laisser les peuples du Soudan décider par eux-mêmes. Finalement, le pays a été divisé en deux parties. Le Soudan du Sud a été créé. Les Américains, en tant qu’initiateurs de ce « divorce », auraient dû aider les deux nouveaux États à coexister, à développer leur économie et à assurer la prospérité de leurs citoyens, mais quelque chose ne leur plaisait pas. Je n’entrerai pas dans les détails, mais les États-Unis ont imposé des sanctions contre les dirigeants du Soudan et du Soudan du Sud. Ensuite, il y a eu des demandes constantes par le biais du FMI. Cette ingénierie géopolitique ne mène à rien de bon.
Je recommanderais de tirer la conclusion principale de la crise soudanaise actuelle. N’empêchons pas les Africains de s’entendre entre eux et n’ajoutons pas d’exigences externes (qui ne reflètent pas les intérêts de ces pays) à leurs efforts pour résoudre leurs propres problèmes à l’africaine.
Question (traduite de l’anglais): Parlez-nous de l’accord céréalier ukrainien. La Russie a-t-elle répondu à la lettre du Secrétaire général de l’ONU adressée au président Vladimir Poutine concernant l’extension et la prolongation de cet accord céréalier? La Chine est le principal bénéficiaire de ces céréales. A-t-elle demandé à la Russie de le prolonger?
Sergueï Lavrov: Je vous dirai tout de suite que nous n’abordons pas ce sujet avec nos partenaires chinois, y compris pour des raisons purement pragmatiques. Nous partons du principe que la Russie et la Chine ont une frontière commune, où les exportations et les importations sont bien en place. Les espaces de la mer Noire ne sont pas nécessaires pour que la Chine achète nos céréales. Cela concerne également d’autres pays voisins de la Russie, comme le Kazakhstan.
En ce qui concerne la lettre que le Secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres a adressée hier au Président russe Vladimir Poutine. J’espère qu’elle n’a pas « fuité ». Il s’agit après tout d’une correspondance personnelle entre le dirigeant de l’ONU et un pays membre de l’Organisation. Si cette lettre a été rendue publique, ce ne sera pas très décent. Cela signifierait une nouvelle tentative de mettre la pression sur une situation qui ne se résout pas et qui est bloquée par nos collègues occidentaux.
Je rappelle que lorsque l’accord de l’initiative de la mer Noire a été signé le 22 juin 2022, il était clairement indiqué dans son texte qu’il concernait l’exportation de céréales et d’ammoniac. Personne n’a évoqué l’ammoniac jusqu’à avant-hier. Bien qu’hier Antonio Guterres m’ait dit que le marché mondial ressentait une grave pénurie d’engrais, surtout du groupe ammoniacal. Personne n’y avait pensé jusqu’à la dernière minute.
La rapidité avec laquelle cet accord s’est transformé d’initiative de la mer Noire en initiative céréalière de la mer Noire et d’une initiative humanitaire en une entreprise commerciale soulève suffisamment de questions, dont nous ne cessons de parler et d’y attirer l’attention. Vous avez vu les statistiques: moins de 3% de l’ensemble des céréales exportées des ports ukrainiens sont allées dans des pays pauvres figurant sur la liste correspondante du PNUD (Éthiopie, Yémen, Afghanistan, Soudan et Somalie). Tout le reste (plus de 80%) est allé dans des pays à revenu élevé ou supérieur à la moyenne. Nous en avons discuté et attiré l’attention sur cette question.
Il est clair que les collègues ukrainiens tentent d’organiser un encombrement artificiel de navires dans le cadre du Centre de coordination conjointe d’Istanbul. Même la presse ukrainienne a rapporté que le régime ukrainien acceptait des pots-de-vin pour accélérer l’approbation du passage pour certains navires plutôt que sans ce type de mécanisme de corruption.
Nous avons attiré l’attention sur le fait qu’en se concentrant entièrement et complètement sur la partie ukrainienne de l’accord, nos collègues, principalement aux Nations unies, oubliaient qu’à l’origine Antonio Guterres avait proposé un « paquet » indissociable. Oui, il m’a dit hier que le mémorandum Russie-ONU n’était pas très concret. Nous avons accepté cela parce qu’il contenait des engagements du Secrétaire général et de ses employés de faire tout pour éliminer les obstacles à l’exportation d’engrais et de céréales russes.
Je ne peux pas dire que l’ONU ne fait pas d’efforts. Au contraire. Antonio Guterres et le Secrétaire général de la Cnuced, ainsi que le Secrétaire général adjoint pour les affaires humanitaires soutiennent cela et essaient de s’entendre avec les pays qui ont imposé des sanctions unilatérales illégales contre la Fédération de Russie. Mais il n’y a pratiquement pas de résultat. La Rosselkhozbank, la banque principale qui soutient nos exportations agricoles, a été déconnectée du système Swift. Personne ne prévoit de la reconnecter. Au lieu de cela, on nous propose des alternatives ponctuelles. Le Secrétaire général de l’ONU a demandé à trois banques américaines de remplacer le Swift et d’aider la Rosselkhozbank à soutenir les opérations d’exportation. Plusieurs mois se sont écoulés et, en effet, l’une des banques a « aimablement » accepté de financer une seule opération. Cependant, lorsqu’on nous dit que nous devons baser tout notre travail futur sur ce principe, ce n’est pas sérieux. Si vous voulez résoudre systématiquement les problèmes de pénurie alimentaire sur les marchés mondiaux, vous devez simplement ramener notre banque dans le système Swift. Si vous voulez que nous et le Secrétaire général de l’ONU courions et suppliions à chaque fois une structure financière américaine pour qu’elle fasse preuve de générosité, cela ne peut pas et ne fonctionnera pas.
Il y a toujours des problèmes avec l’assurance. Bien que le Secrétaire général m’ait dit hier que les taux avaient considérablement baissé après ses contacts avec le Lloyd’s of London. Tout cela vise à maintenir le contrôle sur tout ce qui se passe et à ne pas permettre à nos céréales et engrais d’accéder librement aux marchés et d’être distribués dans divers pays sur la base de mécanismes de marché. Tout cela complique le travail du Programme alimentaire mondial, qui aide les pays les plus pauvres.
En plus de ce dont nous parlons, près de 200.000 tonnes d’engrais ont été saisies dans les ports de l’UE. En août 2022, le président russe Vladimir Poutine a publiquement exprimé notre position, selon laquelle les entreprises (propriétaires de ces engrais) les donnent gratuitement aux pays les plus pauvres par le biais des mécanismes du PAM. C’était en août de l’année dernière. Le premier lot de 20.000 tonnes (sur 200.000 tonnes) est allé au Malawi seulement six mois plus tard. À présent, avec beaucoup de difficultés, deux autres expéditions de 24.000 tonnes chacune au Kenya et au Nigeria sont en cours de discussion. Tout cela prend du temps et c’est associé à des obstacles bureaucratiques et des frais généraux supplémentaires.
En ce qui concerne « notre » partie de l’accord céréalier. Oui, nous voyons les efforts du Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres et de ses collègues, mais il y a peu de résultats. À moins de ne pas considérer comme un résultat l’espoir naissant que, au lieu d’une fourniture normale de produits nécessaires sur les marchés mondiaux, il faudra « supplier » manuellement à chaque fois des ports, banques, compagnies d’assurance et autres structures américains et européens pour qu’ils fassent preuve de bienveillance. Ce n’est pas ce dont nous sommes convenus le 22 juillet 2022, lorsque nous avons soutenu l’initiative du Secrétaire général de l’ONU, qui, comme il le répète lui-même, est un « paquet ». Le « paquet » ne se compose pas d’une seule partie.
Contrairement à vous, je ne peux donc pas qualifier avec autant de certitude ce qui est contenu dans le message du Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres adressé au président russe Vladimir Poutine. Ce message n’est pas destiné au grand public, mais à notre président. Autant que je sache, des messages similaires ont également été envoyés en Ukraine et en Turquie. La réaction à ce message viendra après que le destinataire en aura pris connaissance. C’est ainsi que l’on procède dans les maisons respectables.
Question (traduite de l’anglais): Il semble que vous n’aimez pas cet accord. Vous n’avez pas beaucoup d’espoir en lui?
Sergueï Lavrov: Sans commentaire.
Question (traduite de l’anglais): Le 25 avril 2023, le président américain Joe Biden a annoncé qu’il briguerait un second mandat. Les commentaires des républicains (par exemple, Donald Trump, qui a également annoncé son intention de se présenter pour un second mandat) indiquent qu’ils craignent sérieusement que cela ne conduise à une troisième guerre mondiale. Si quelqu’un devenait président des États-Unis, qui serait « préférable » à la Russie?
Sergueï Lavrov: Contrairement aux journalistes qui sont obligés d’analyser publiquement ce qui se passe, le gouvernement russe ne s’immisce pas dans les affaires d’autres États.
Question (traduite de l’anglais): Vous avez parlé de l’inadmissibilité de l’élargissement de l’Otan en 2022 et le 24 avril de cette année. À cause de la guerre, la Finlande et la Suède sont devenues membres de l’Alliance. Le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg soutient l’adhésion de l’Ukraine. Était-ce une erreur de calcul? Quelles sont les causes de la guerre maintenant, puisque la frontière de l’Otan avec la Russie a doublé?
Sergueï Lavrov: L’Otan ne voulait pas s’arrêter. Si vous regardez l’évolution des événements ces dernières années, le processus de fusion de l’Union européenne et de l’Otan dans les affaires militaires se poursuivait activement. Ils ont récemment signé une déclaration aux termes de laquelle l’UE a en effet délégué à l’Otan la responsabilité d’assurer la sécurité de tous ses membres et garanti la mise à disposition du territoire des pays de l’UE non membres de l’Alliance pour les besoins de l’organisation. La Suède et la Finlande étaient « à l’avant-garde » de cette interaction, participant plus souvent aux exercices militaires de l’Alliance et à d’autres événements visant à synchroniser les programmes militaires de l’Otan et des États neutres.
C’est une façon de parler de dire que la Russie ne voulait pas admettre l’élargissement de l’Otan. Ce n’est pas tant ce que nous voulions et estimions nécessaire d’empêcher, mais on nous l’a promis à plusieurs reprises. Ils mentaient. Maintenant, tout le monde le sait déjà. Comme plus tard ils mentaient sur les Accords de Minsk et bien plus encore. Ils l’avouaient sans rougir.
La thèse selon laquelle la Russie tentait d’empêcher l’expansion de l’Otan, mais l’a finalement accélérée, c’est votre point de vue. Nous avons aussi notre propre point de vue. Et les évaluations faites par des observateurs impartiaux et des politologues en Fédération de Russie et à l’étranger tiennent au fait que l’Otan voulait détruire la Russie, mais l’a finalement ralliée. Nous n’allons pas tirer des conclusions sur la façon dont tout cela se terminera. Nous avons clairement annoncé nos objectifs et les avons réaffirmés, y compris hier dans notre discours au Conseil de sécurité de l’ONU.
Qu’ambitionnent les Américains? Je lis des articles dans la presse locale, des analystes, je communique avec de vieux amis parmi les politologues. Ils se demandent davantage ce qui va se passer ensuite. Nos objectifs sont clairement et honnêtement énoncés. Quel est l’objectif des États-Unis, de l’Otan et de l’UE? Fournir des armes à l’Ukraine? Maintenant, il existe une théorie « ridicule ». Que l’Occident assure à l’Ukraine une contre-offensive réussie, puis demande-lui, ainsi qu’au président Vladimir Zelenski d’entamer des négociations. C’est une logique schizophrénique.
Nous voulons qu’aucune menace à notre sécurité n’émane du territoire ukrainien. Elles y s’accumulaient pendant de nombreuses années, notamment après le coup d’État de février 2014. Nous voulons également que les personnes qui se considèrent impliquées dans la langue, la culture, la religion russes, qu’elles professaient toujours à travers l’Église orthodoxe ukrainienne, ne soient pas victimes de discrimination, de persécution et de menaces d’extermination.
Zelenski a une telle « figure » – Mikhaïl Podoliak, conseiller du chef du bureau du président de l’Ukraine. Il a déclaré que l’Ukraine se battait pour les valeurs occidentales et la démocratie. Est-ce qu’il s’agit de la « démocratie » et des « valeurs » pour lesquelles l’Otan est prête à se battre « jusqu’au dernier Ukrainien »?
Depuis de nombreuses années nous attirons l’attention de tous sur ce qui se passe avec les minorités nationales en Ukraine, en particulier avec les Russes. Des lois ont été adoptées interdisant l’enseignement dans des langues autres que l’ukrainien, bien qu’une exception ait été faite pour les langues de l’Union européenne, ce qui a une fois de plus mis l’accent sur toute cette campagne contre la culture russe. Les médias ont été interdits – à la fois diffusant en Ukraine depuis la Russie et appartenant à des Ukrainiens, mais diffusés en russe et reflétant les opinions de l’opposition. Des millions de livres ont été jetés des bibliothèques. Certains d’entre eux ont été brûlés sur les places, comme le faisaient les nazis. Pratiquement tous les contacts culturels entre nos pays sont interdits.
Regardez ce qui se passe actuellement avec l’Église orthodoxe ukrainienne. Nous nous sommes adressés au secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, la direction de l’OSCE, d’autres instances. La réaction n’était pas forte.
À peu près pareil quand le coup d’État a eu lieu en février 2014. Nous avons posé des questions aux Français, Allemands et Polonais: la veille de ce coup d’État, vous avez garanti un règlement, qui était signé par vous en tant que garants. On nous a dit que, disent-ils, il existe des « excès » dans les processus démocratiques. C’est tout. Tous les actes du régime de Kiev ont ensuite été justifiés de la même manière. Dans le même temps, l’Occident a solennellement confirmé qu’il ne fournirait pas d’armes afin de vaincre la Russie sur le champ de bataille, car le régime de Kiev défend les valeurs occidentales et les idéaux de « démocratie ». Si l’Occident se bat pour cela, alors il devrait être d’autant plus clair ce que nous défendons et ce que nous combattrons jusqu’au bout.
Question (traduite de l’anglais): Parlez, s’il vous plaît, des éventuels contacts que vous avez eus avec des représentants américains concernant le sort des citoyens américains dans les prisons russes. Y a-t-il eu des contacts ou des tentatives? Il y a eu des échanges de prisonniers dans le passé. Qu’attendez-vous en échange de Paul Whelan et Evan Gershkovich?
Sergueï Lavrov: Selon une entente entre le président américain Joe Biden et le président russe Vladimir Poutine lors de leur rencontre en juin 2021 à Genève, un canal spécial a été créé pour discuter des problèmes des citoyens russes détenus aux États-Unis et des citoyens américains en Fédération de Russie. Je ne révélerai pas un grand secret si je vous dis que ce canal n’impliquait pas de journalistes et des divulgations de certaines situations dans le but de faire pression sur des négociations sérieuses et professionnelles en cours.
En Russie, plusieurs citoyens américains purgent des peines pour divers crimes, dont les personnes que vous avez mentionnées (Paul Whelan et Evan Gershkovich). Ils ont été arrêtés pour avoir commis un crime – l’obtention de documents constituant un secret d’État. Nous n’acceptons pas les déclarations pathétiques selon lesquelles un journaliste, par définition, ne peut pas commettre de crimes. Il existe de nombreux exemples de cela. Nous avons attiré l’attention sur le fait que lorsque cette campagne a éclaté autour d’Evan Gershkovich, personne ne se souvenait de Julian Assange, notre citoyenne et journaliste Maria Boutina, qui a passé deux ans dans une prison américaine simplement parce qu’elle participait au travail d’ONG.
Il y a environ 60 Russes dans les prisons aux États-Unis. Dans la plupart des cas, les allégations sont douteuses. Pas une seule fois, lors de l' »enlèvement » de nos citoyens d’Europe et d’autres pays, ce que font les Américains, ils n’ont daigné se conformer aux exigences de la convention consulaire bilatérale, selon laquelle, s’ils ont des soupçons sur des citoyens russes, ils ne doivent pas être kidnappés (comme dans les films hollywoodiens), mais s’adresser à la Fédération de Russie et exprimer leurs inquiétudes.
Je répète qu’il existe un canal pour discuter de ces choses-là. Ce travail n’est pas de notoriété publique. Dans ce cas, cela ne peut que compliquer ce processus pour des raisons évidentes. On n’a pas besoin de l’expliquer aux professionnels.
Question (traduite de l’anglais): Il n’y a pas si longtemps, le président turc Recep Tayyip Erdogan a invité le président russe Vladimir Poutine en Turquie pour assister à la cérémonie de lancement du premier réacteur nucléaire turc construit par des entreprises russes. Le président russe envisage-t-il de se rendre en Turquie?
Sergueï Lavrov: Je pars du principe que les présidents comprennent qu’une telle rencontre sera importante.
Question (traduite de l’anglais): La Russie déclarait à plusieurs reprises que l’Ukraine ne remplissait pas ses obligations au titre de l’accord sur les céréales. La Russie a-t-elle l’intention de se retirer de cet accord et y a-t-il des raisons d’y rester?
Sergueï Lavrov: L’Ukraine n’a rien à voir avec la partie de l’accord concernant des engrais et des céréales russes. Ces parties de l’accord sont bloquées par les sanctions occidentales. Le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres œuvre à surmonter ces sanctions et supprimer les obstacles à l’exportation d’engrais et de céréales de la Russie vers les marchés mondiaux. Dans ce Mémorandum, il s’est engagé à faire tout son possible pour atteindre ces objectifs. Apparemment, il faudra faire « l’impossible ». Jusqu’à présent, nous n’avons pas vu cela.
Quant aux perspectives de l’accord, je viens de répondre à votre collègue. En effet, hier, Antonio Guterres a transmis un message au président russe Vladimir Poutine. On le lui transmettra. Nous vous ferons part de sa réaction.
Question (traduite de l’anglais): Le président tchèque Petr Pavel a déclaré que Pékin n’avait pas besoin de la paix en Ukraine et que la Chine était satisfaite du statu quo. Quelle est la position de la Russie à ce sujet?
Sergueï Lavrov: Des déclarations de ce genre n’ont rien à voir avec le travail d’un politicien normal.
Vous avez mentionné la République tchèque et je me suis souvenu de l’Union européenne (elle existe toujours). Le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a déclaré qu’ils développeraient des relations avec les autres en fonction de leur attitude envers la Russie et la Chine. C’est un indicateur de la mentalité de la « diplomatie » européenne actuelle.
Question (traduite de l’anglais): Il y a 80.000 réfugiés ukrainiens en Irlande. Leur avez-vous présenté des excuses pour les avoir contraints de fuir leur domicile? Si la Chine est votre amie, pourquoi ne vous envoie-t-elle pas d’armes?
Sergueï Lavrov: Personne ne se réjouit de la façon dont ce qui se passe affecte la vie des gens ordinaires. Mais leur vie ne devrait pas seulement attirer l’attention lorsqu’ils se trouvent à l’étranger et causent des désagréments aux pays d’accueil. La vie des gens ordinaires devrait attirer l’attention des politiciens, alors que ces vies ont été discriminées dans la pratique pendant de nombreuses années et mises en danger.
Personne ne se souciait que nous attirions l’attention sur le fait que de telles lois ne devaient pas être adoptées. La Constitution ukrainienne stipule que tous les droits des minorités nationales sont garantis: politiques, religieux, linguistiques. Et lorsqu’ils ont adopté des lois interdisant ces droits par rapport à la langue russe, nous nous sommes adressés (à l’époque nous étions encore membres du Conseil de l’Europe) à la Commission de Venise (il existe un tel organe qui analyse la législation des pays membres du Conseil de l’Europe pour le respect des conventions européennes). Et le Conseil de l’Europe, par l’intermédiaire de cette commission, a rendu un verdict selon lequel l’Ukraine devrait adopter une nouvelle loi sur les minorités nationales. Ils l’ont adoptée en décembre dernier. Elle précise que tous les droits des minorités nationales sans exception sont garantis dans la mesure où cela est prévu par la législation en vigueur. Autrement dit, dans la mesure où elles ont été tronquées à presque zéro. C’est un outrage à la justice.
Quant aux réfugiés en Irlande. Je ne sais pas. Maintenant, il y a beaucoup d’informations, y compris dans les médias d’Europe occidentale et d’Europe de l’Est, qu’ils ne sont pas tous dans le besoin. Et il y a des scandales, quelqu’un a volé quelque chose à quelqu’un, a séduit la femme d’un autre ou vice versa. Je ne veux offenser personne. Les réfugiés ont commencé à apparaître sur notre territoire bien plus tôt à la suite de la guerre déclenchée par le régime de Kiev contre son propre peuple dans l’est du pays uniquement parce que la population de Crimée et de l’est de l’Ukraine a refusé de reconnaître le coup d’État et a dit à ces « gars » de les laisser tranquilles et qu’ils voulaient résoudre eux-mêmes leurs propres problèmes. Pour cela, on les a déclarés terroristes et on a commencé une guerre contre eux. Des millions de personnes ont couru vers nous. Je ne me souviens pas que quiconque dans cette salle ou lors de mes autres conférences de presse avec la participation de journalistes occidentaux se soit intéressé à cet aspect de la situation. Depuis un an et demi des réfugiés arrivent chez nous de régions qui restent sous le contrôle du régime de Kiev.
Êtes-vous d’Irlande? Très bien. De temps en temps, j’utilise cet argument: si l’anglais était interdit en Irlande, comment les Britanniques réagiraient-ils? C’est impensable.
Et en Ukraine, la langue russe peut être interdite. On peut déclarer publiquement: dégagez en Russie si vous vous considérez comme faisant partie de la culture russe. Cela a été dit par Vladimir Zelenski bien avant notre opération militaire spéciale. On lui a demandé ce qu’il pensait des personnes vivant de l’autre côté de la ligne de contact. Il a répondu: il y a des gens et qu’il y a des « spécimens ». Ce « leader de la démocratie mondiale » a dit un jour que si quelqu’un en Ukraine se sentait comme faisant partie de la culture russe, son conseil, pour le bien de l’avenir de ses enfants et petits-enfants, il devrait aller en Russie. En clair. Et quand on lui a demandé ce qu’il pensait du régiment néonazi Azov (qui en 2013, même à Washington était spécifiquement désigné comme une structure qui ne devrait pas recevoir de financement américain, qui marche sous des drapeaux nazis, avec des symboles de divisions SS), il a dit qu’il y en avait beaucoup, qu’ils sont ce qu’ils sont. Point. Les valeurs que Zelenski défend dans la guerre contre la Russie incluent des choses dont, franchement, nous nous sommes débarrassés il y a longtemps. Mais l’Europe est revenue en un clin d’œil à ces traditions qui étaient encore cultivées dans l’ancien temps.
Question (traduite de l’anglais): Les Nations unies ont de nombreux objectifs. Ils changent constamment. En 1945, l’objectif principal était d’empêcher une troisième guerre mondiale. Pendant 75 ans, nous avons été en mesure d’atteindre cet objectif. J’ai écouté votre discours au Conseil de sécurité hier. Vous ne semblez plus convaincu que cette Organisation puisse empêcher une nouvelle guerre mondiale.
Pourquoi n’en êtes-vous pas convaincu? Quel rôle peut jouer le Secrétaire général? Pourquoi ne prépare-t-il pas un plan de paix? Il ne le prépare pas parce que vous ne voudrez pas l’examiner ou parce qu’il ne le veut pas?
Sergueï Lavrov: Ne voulez-vous pas le lui demander vous-même?
Je ne peux que dire ceci de ceux qui poussent de hauts cris au sujet d’une troisième guerre mondiale. Le président Joe Biden a dit un jour (je ne reproduirai pas la citation exacte) que s’ils aidaient l’Ukraine à gagner, ils empêcheraient une troisième guerre mondiale. Analysez-vous les déclarations de votre président ou seulement mes discours au Conseil de sécurité des Nations unies?
Il y a quelque temps, la Première ministre britannique de l’époque, Liz Truss, a déclaré qu’elle n’hésiterait pas à appuyer sur le « bouton rouge ». En entendant ces propos, le ministre [français] des Affaires étrangères de l’époque, Jean-Yves Le Drian, a déclaré que la France possédait elle aussi des armes nucléaires. Le commandant de l’armée de l’air allemande a ensuite déclaré que Vladimir Poutine ne devait pas les effrayer par une guerre nucléaire, car ils étaient prêts à y faire face. Tout cela s’est passé alors que nous ne parlions pas du tout de la troisième guerre mondiale.
Permettez-moi de vous rappeler que sous la présidence de Donald Trump, nous avons proposé que les Américains réaffirment publiquement, officiellement et au plus haut niveau la déclaration de Gorbatchev-Reagan selon laquelle la Russie et les États-Unis (à l’époque l’URSS et les États-Unis) étaient sûrs qu’il ne pouvait y avoir de vainqueur dans une guerre nucléaire et qu’elle ne devait jamais être déclenchée. Nous avons proposé à Donald Trump de faire la même chose. Cela n’a pas fonctionné. Les Américains, pour autant qu’ils fussent prêts à discuter de cette déclaration, l’assortissaient de réserves qui la dévaluaient complètement. Sous la présidence de M. Biden, nos présidents ont fait cette déclaration. Puis nous avons à nouveau fait preuve d’initiative et une déclaration similaire sur l’inadmissibilité de la guerre nucléaire a été adoptée au plus haut niveau par les cinq puissances nucléaires.
Lorsque ce sujet est abordé, tout le monde pointe du doigt la Russie. Ils disent que nous menons le monde vers une troisième guerre mondiale. Eh bien, on voit la paille dans l’œil de son voisin, mais pas la poutre dans le sien, selon l’adage. J’espère que ceux qui font des déclarations telles que « si l’Ukraine perd, la troisième guerre mondiale ne pourra pas être évitée » et vice versa, sont sains d’esprit et savent se montrer responsables.
Question: La première question concerne le départ de la délégation israélienne, dirigée par son représentant permanent, de la réunion du Conseil de sécurité sur le Moyen-Orient qui s’est tenue aujourd’hui. Que pensez-vous de cette démarche? Y a-t-il eu des communications avec Israël avant la réunion qui indiquaient, ou auraient pu indiquer, la décision de la délégation israélienne de quitter la réunion?
La deuxième question concerne la récente déclaration du vice-ministre britannique de la Défense, James Heappey, qui a affirmé que le Royaume-Uni avait déjà envoyé à Kiev des milliers d’obus Challenger à l’uranium appauvri. Quelle est votre réaction à de telles déclarations?
Sergueï Lavrov: Au sujet de la réunion d’aujourd’hui. Pour être honnête, je ne peux pas en commenter les détails. Lorsque nous avons pris la présidence du Conseil de sécurité, nous avons discuté du calendrier des réunions et de leurs thèmes. Personne ne s’est opposé à ce que l’on discute aujourd’hui des problèmes du Moyen-Orient, y compris du problème palestinien. Aujourd’hui, le représentant d’Israël a posé une question rhétorique de manière si pathétique et émotionnelle sur la façon dont la Russie se sentirait si une réunion antirusse était programmée le 9 mai, jour de la Grande Victoire. Vous savez, j’ai travaillé aux Nations unies pendant dix ans. Il nous est arrivé de tenir des réunions le 9 mai, pour soulever toutes sortes de questions, et de le faire à l’occasion d’autres jours fériés dans d’autres États membres des Nations unies. Telle est l’organisation. Si vous excluez toutes les dates que chaque pays voudrait garder libres, vous savez, il ne resterait très peu de jours ouvrables.
Mais le représentant israélien a déclaré qu’il ne pouvait pas participer à une « action anti-israélienne » un tel jour. Je suppose que c’est une question de prise de position à laquelle nous devrions chercher une réponse. Il n’y a pas eu d' »action anti-israélienne ». L’action, la réunion était basée sur un point de l’ordre du jour du Conseil de sécurité qui figure à cet ordre du jour depuis des décennies.
La question palestinienne est le plus vieux conflit qui n’a été résolu par personne et d’aucune manière. Aujourd’hui, ils tentent de s’éloigner à nouveau des accords inscrits dans les résolutions du Conseil de sécurité et de promettre des avantages économiques aux Palestiniens pour que ces derniers n’exigent pas la création de leur propre État. C’est de cela qu’il s’agit. Il n’est donc pas question d’un événement anti-israélien. Il est question d’un événement, comme je l’ai souligné dans mon intervention, visant à mettre en œuvre les décisions initiales des Nations unies destinées à garantir le droit des Palestiniens à créer leur État et, dans le même temps, le droit d’Israël à la sécurité à l’intérieur de ses frontières et, en général, à garantir qu’il n’y ait pas de menaces pour la sécurité d’Israël dans l’ensemble de la région. C’est de cela qu’il s’agit, et non de condamner Israël. Les actes terroristes perpétrés contre des Israéliens ont également fait l’objet de nombreuses critiques aujourd’hui. Tout le monde le sait.
L’uranium appauvri a été mentionné à plusieurs reprises. Certains affirment qu’il n’est pas radioactif et qu’il ne figure pas sur la liste de l’AIEA, mais ce ne sont pas les listes qui comptent car il existe des faits et des interviews de personnes qui ont souffert de l’uranium appauvri dans l’ex-Yougoslavie. Il y en a sur notre télévision, sur Internet et sur les chaînes de télévision occidentales. Ces personnes s’expriment également en Italie. Ce sont des vétérans qui ont combattu le « régime » de Slobodan Milosevic (comme on disait à l’époque). Il faut être conscient de sa responsabilité. Au Royaume-Uni, ils s’imaginent qu’ils sont sur une île, donc peut-être que ce n’est pas si important de savoir où cet uranium appauvri va ou ne va pas irradier ce qu’il contient.
Question (traduite de l’anglais): Après le 24 février 2022, de nombreux pays ont imposé des sanctions contre la Russie. Les sanctions occidentales sont-elles efficaces? La Russie peut-elle résister à la pression?
Sergueï Lavrov: Je me souviens qu’en 2015, l’ancien président américain Barack Obama avait déclaré que l’économie russe était déjà « en lambeaux ». Apparemment, cette volonté existe. Elle est stable et ne change pas en fonction de l’administration au pouvoir.
Nous sommes arrivés à la conclusion il y a longtemps que nous devions compter sur nous-mêmes et sur ceux qui sont capables de négocier. Nous ne nous fierons plus à ceux qui mentent, trompent constamment les autres et tentent d’obtenir un avantage unilatéral illégitime.
Aujourd’hui, certaines entreprises occidentales qui ont été expulsées de Russie par leurs gouvernements et qui leur ont obéi tentent de revenir. Notre gouvernement a commenté cette situation. Nous ne sommes pas sûrs de devoir résoudre ce problème immédiatement. Laissons nos entreprises occuper les créneaux libérés. Développons notre économie par l’exploitation des biens matériels que l’histoire et Dieu nous ont donnés dans ce monde, et non par des services virtuels ou par la domination artificielle du dollar et la dépendance de ce dollar.
Les États-Unis ont lancé un processus de dédollarisation. Ce processus est aujourd’hui analysé avec une grande inquiétude, y compris par les politologues et les économistes américains locaux. C’est un fait. Si mes souvenirs sont bons, en un an, la part du dollar dans les paiements mondiaux est passée de 55% à 47%. 8% en un an, c’est considérable.
La transition vers les paiements en monnaies nationales, en contournant le dollar, l’euro et le yen, vers le développement des monnaies numériques est déjà inéluctable. L’avenir du système financier monétaire international, y compris le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, est remis en question. Le processus est en marche. Les Américains ont démontré qu’ils ne disaient pas la vérité lorsque, pendant des décennies après l’abolition de l’étalon-or par Richard Nixon, ils ont prétendu que, même sans l’étalon-or, le dollar n’était pas « le leur », mais « notre dollar commun ». Et qu’une monnaie mondiale assurerait le bon fonctionnement harmonieux de tous les mécanismes de l’économie mondiale.
Ils viennent de montrer qu’ils pouvaient facilement, « d’un coup de baguette magique invisible », abandonner tous les fondements qu’ils présentaient comme les bases de l’économie mondiale: la concurrence loyale, l’inviolabilité de la propriété privée, le rejet de l’utilisation de mesures protectionnistes unilatérales et bien d’autres choses encore. Autant d’éléments sur lesquels ils avaient fondé le modèle de la mondialisation, que le monde entier avait largement adopté et dans lequel il avait commencé à inscrire ses projets. Aujourd’hui, la mondialisation n’a plus de perspectives sous la forme qu’elle avait. On assiste à une fragmentation de l’économie mondiale, à une démondialisation et à une régionalisation.
Nous ressentons ces processus et y participons activement dans le cadre de l’OCS, de l’Union économique eurasiatique (UEE), de l’accord entre l’UEE et la Chine, et au sein des Brics. Le président brésilien Lula da Silva souhaite préparer pour le prochain sommet, qui aura lieu en été, une analyse sur la manière de ne pas dépendre des caprices de ceux qui ont jusqu’à présent dirigé le système financier monétaire international.
Question (traduite de l’anglais): Vous avez beaucoup parlé de la nature de l’accord sur les céréales, à savoir s’il est de nature humanitaire ou commerciale. La Russie était-elle prête à signer un tel accord dès le départ?
Vous avez également parlé du « nouvel ordre mondial ». Des États membres, notamment le Brésil, ont réagi hier. Pourquoi la multipolarité est-elle préférable à l’actuel « ordre fondé sur des règles » de l’Occident? Comment allez-vous convaincre vos collègues occidentaux de votre option?
Sergueï Lavrov: Je le répète une fois de plus. « L’accord » ne s’appelait pas l’accord sur les céréales, mais « l’initiative de la mer Noire ». Dans le texte même de cet accord, il était écrit qu’il concernait l’élargissement des possibilités d’exporter les céréales et les engrais.
Non, je ne peux pas soupçonner le Secrétaire général des Nations unies, M. Guterres, d’avoir rusé lorsqu’il a proposé cet accord. Je suis convaincu qu’il a agi de bonne foi. Je connais bien M. Guterres. Je peux l’affirmer en toute confiance.
Ceci étant dit, ses efforts sincères et persistants pour persuader ceux qui avaient imposé des sanctions de faire une exception au moins pour les exportations agricoles, les céréales et les engrais, n’ont pas été efficaces. J’en ai déjà parlé en détail aujourd’hui.
Comment pouvons-nous convaincre nos collègues occidentaux de la nécessité de construire un monde multipolaire? Nous n’allons pas les convaincre. Nous affirmons notre position, comme le font la République populaire de Chine, le Brésil et bien d’autres. Nous proposons de faire des affaires sur la base de ce qui est écrit dans la Charte des Nations unies: nous avons tous des droits égaux, nous devons rechercher un équilibre des intérêts et résoudre collectivement les problèmes du monde. La meilleure façon de convaincre les pays occidentaux qu’un monde multipolaire est déjà en train de prendre forme serait probablement de ne pas interférer avec le processus historique. Et c’est ce qu’ils tentent de faire aujourd’hui.
Les sanctions contre la Russie sont en effet d’un type que personne n’a jamais vu ou même imaginé. Mais pour nous, il s’agit d’une question close. Nous avons toutes les chances de ne pas dépendre de ce type de comportement de la part de nos collègues occidentaux, qui se sont révélés totalement incapables de coopérer. J’ai entendu dire qu’ils interdisaient désormais la vente de semi-conducteurs à la Chine. Dans le même temps, ils exigent que la Corée du Sud ne remplace pas les livraisons déficientes de semi-conducteurs provenant d’Europe et des États-Unis par ses propres livraisons. Une nouvelle guerre pour la domination du monde se prépare, ou plutôt une guerre pour tenter de maintenir la domination du monde. Cela pourrait probablement ralentir le processus naturel de formation d’un ordre mondial multipolaire, mais pas pour longtemps. Historiquement, je suis sûr que ce ne sera pas le cas.
Toutes ces affirmations selon lesquelles, comme l’a dit le Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell, « le jardin d’Eden » (par lequel il entend l’Occident) est entouré d’une « jungle » (en plus d’être racistes et nazies) sont le reflet de la philosophie même qui est néfaste pour toute l’humanité, y compris pour les porteurs de cette philosophie eux-mêmes.
Le président français Emmanuel Macron, après sa visite à Pékin (si nous parlons de la Chine), a déclaré que l’Europe devait être indépendante, qu’être allié aux États-Unis ne signifiait pas nécessairement suivre la volonté des États-Unis sur toutes les questions et a mentionné Taïwan. Il a déclaré qu’il ne s’agissait pas d’une question européenne. Je note entre parenthèses que cela implique que l’Ukraine est une question européenne. Ce faisant, il a reconnu que l’Europe était en guerre par Ukraine interposée. Mais immédiatement après les propos de M. Macron, pas plus tard qu’hier M. Borrell a lancé une initiative selon laquelle l’UE devrait envoyer ses forces navales dans le détroit de Taïwan. Qu’est-ce que cela signifie? Que ceux qui soutiennent la logique de Josep Borrell en Europe ont déjà perdu toute indépendance et ne sont guidés que par les intérêts des États-Unis, ou qu’ils ne se sont pas encore mis d’accord sur leur future position commune.
Le monde multipolaire est objectivement en train de se former. Je ne sais pas à quoi il ressemblera, quelle sera sa configuration. Beaucoup ont dit, y compris lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies d’hier, que le G20 pourrait devenir le prototype d’une sorte de mécanisme de gouvernance.
J’estime qu’il est préférable de s’appuyer sur la Charte des Nations unies, étant entendu que le Conseil de sécurité des Nations unies devra être réformé pour refléter les nouvelles tendances et réalités. Il s’agira peut-être de quelque chose comme le G20, qui rappelle l’appartenance au G20. Mais la profonde sous-représentation évidente de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique latine doit nécessairement être éliminée.
Question (traduite de l’anglais): Les talibans ont récemment interdit aux femmes de travailler à l’ONU. Le Secrétaire général de l’ONU, M. Guterres, est en route pour Doha afin de rencontrer son envoyé spécial sur la question. Quelle est la prochaine étape pour la communauté internationale en ce qui concerne l’Afghanistan?
Le plan d’action global commun est-il « mort »?
Sergueï Lavrov: Oui, nous avons soutenu l’initiative du Secrétaire général des Nations unies d’organiser une réunion des représentants spéciaux, dont un grand nombre de pays occidentaux, à Doha les 1er et 2 mai.
Tout au long de l’année 2022 et de cette année, nous avons traité de l’Afghanistan dans des formats tels que celui des « pays voisins ». Récemment, la quatrième conférence ministérielle des pays voisins de l’Afghanistan s’est tenue en Ouzbékistan. La Chine a accueilli une réunion similaire en 2022. Le quatuor Russie-Chine-Pakistan-Iran, dans lequel nous avons invité l’Inde, travaille en parallèle. Nous voulons que ces cinq forment le « noyau » du format des pays voisins.
Nous préservons le format de consultations de Moscou, auquel les États-Unis ont déjà participé par le passé. Ensuite ils ont changé d’avis après avoir provoqué les événements en Ukraine et se sont retirés de ce format. Il y avait aussi la troïka Russie-Chine-États-Unis, à laquelle le Pakistan s’était joint. Ce format a également été abandonné.
Apparemment, afin d’amener l’Occident à faciliter le règlement du problème afghan, le Secrétaire général des Nations unies organise une conférence à laquelle nous participerons. Nous estimons que l’Occident ne doit pas « sombrer » dans les discussions. Ils ont été présents en Afghanistan pendant 20 ans et n’ont rien fait pour améliorer les capacités économiques du pays. Il y a eu une explosion de la production de drogue là-bas, qui reste un record, bien que les talibans tentent de l’interdire. Nous soutenons leurs aspirations.
Mais pour le développement de l’Afghanistan, il faut avant tout de l’argent, que les États-Unis ont saisi et refusent de restituer à la population. L’Occident devrait non seulement rendre ces afghanis à la population de ce pays lorsque les conditions seront réunies, mais aussi envisager une compensation pour les dommages qu’il a causés à l’État afghan – à son économie et à sa population – pendant 20 ans.
Nous partons du principe que les talibans sont une réalité sur le terrain et que nous devons leur parler. En même temps, nous n’accepterons pas la reconnaissance de ce gouvernement « de jure » tant qu’il n’aura pas rempli ses propres obligations, qui ont été reconnues par la communauté internationale. À savoir, tant qu’il n’aura pas veillé à ce que les structures du gouvernement soient inclusives. Pas seulement au sens ethnique, mais aussi au sens politique. Il y a maintenant des Ouzbeks, des Tadjiks et des Hazaras dans le gouvernement taliban, comme ils disent. C’est vrai. Mais tous ces représentants ethniques sont tous des talibans au sens politique du terme.
Il est important que la société civile veille à ce que les forces politiques du pays soient largement représentées. Parmi les autres critères de reconnaissance juridique, tous mentionnent les exigences fondamentales en matière de droits de l’homme, y compris les droits des femmes et des jeunes filles. Ce point sera discuté lors de la conférence qui a été convoquée par le Secrétaire général des Nations unies, M. Guterres.
Question (traduite de l’anglais): Qu’en est-il de l’accord sur le programme nucléaire iranien?
Sergueï Lavrov: Ce n’est pas à nous qu’il faut poser cette question. Nous partons du principe que l’accord sur son renouvellement a été conclu il y a assez longtemps. Etrangement, les pays européens ont perdu leur enthousiasme. Les Américains ont déjà déclaré, sous couvert de l’anonymat, par le biais de diverses sources, qu’il fallait chercher quelque chose de « différent ». Je ne sais pas ce qu’il en est.
Je pense que c’est une énorme erreur de rater l’occasion de renouveler cet accord. Surtout à un moment où les relations entre les pays arabes et l’Iran s’améliorent et se normalisent. En particulier, les relations ont été rétablies avec l’Arabie saoudite avec le soutien de la République populaire de Chine. C’est un processus sain. Nous sommes favorables à l’établissement d’une coopération, d’une transparence, de mécanismes de confiance dans la région du Golfe.
À ce stade, ce n’est ni à l’Iran, ni à nous, ni à la Chine de relancer complètement cet accord. C’est à ceux qui l’ont détruit de le faire revivre. Si tant est qu’une chance existe, c’est uniquement sous cette forme. Nous estimons que le document convenu l’année dernière est à la hauteur de la tâche. Les tentatives d’imposer de nouvelles exigences qui n’existaient pas dans le texte original du Plan d’action global commun compliquent le processus et reflètent la ligne même de ce dont il a été question aujourd’hui: le marchandage ou le chantage en vue d’obtenir des avantages unilatéraux.
Question (traduite de l’anglais) : Vous avez parlé du « milliard d’or ». Pensez-vous qu’à l’avenir, le monde ne comptera pas un « milliard d’or » mais « huit milliards d’or »?
La deuxième question porte sur la solution à deux États. Tout le monde l’acclame. Pensez-vous qu’il existe une réelle possibilité de parvenir à l’existence d’un État palestinien indépendant, entier et souverain?
Sergueï Lavrov: Je pense qu’il ne faut pas baisser les bras. Nous assistons aujourd’hui à des tentatives de faire abstraction des aspects politiques du dossier palestinien et de se concentrer sur l’offre d’avantages économiques aux Palestiniens. Il semblerait qu’il s’agisse d’une sorte de pot-de-vin: voici l’argent, mais oubliez l’indépendance et l’État. Je ne comprends pas cette logique.
Nous avons déjà mentionné aujourd’hui le représentant permanent d’Israël auprès des Nations unies, Gilad Erdan, qui, dans son discours plein d’émotion, a défendu le droit d’Israël à avoir un État hébreu. Mais s’il en est ainsi, qu’en est-il des Palestiniens? Ils ont besoin de leur propre État. C’est admettre qu’une solution à deux États est le seul moyen de « saper » l’essence juive d’Israël qu’il préconise.
Je pense que la raison l’emportera et qu’en gardant la tête froide (lorsqu’il sera possible de se détacher des cycles électoraux), on pourra s’attaquer sérieusement au problème. Mais comment s’en détacher? Aux États-Unis, par exemple, ils ont lieu tous les deux ans et il ne reste pas de temps pour travailler. Il faut « se faire élire ».
À propos du « milliard », je l’ai dit hier. Bien sûr, c’est de l’arrogance, de l’impolitesse, qui est inscrite dans les décisions de l’Otan et de l’UE. C’est du dédain. Or, ces mêmes gens disent que « les vies noires comptent ».
Question (traduite de l’anglais): Êtes-vous personnellement impliqué dans des pourparlers sur la libération de prisonniers en Amérique et en Russie. Par exemple, Evan Gershkovich.
Sergueï Lavrov: Non.
Question (traduite de l’anglais): L’adhésion de l’Ukraine à l’Otan ne semble pas très réaliste, malgré ce que certains disent. Mais c’est plus réaliste de devenir membre de l’UE. Qu’en pensez-vous?
Sergueï Lavrov: Je ne peux pas décider pour l’Union européenne. Nous pouvons voir comment cette organisation se militarise à un rythme record. Elle se transforme en une structure agressive dont l’objectif déclaré est de « contenir » la Fédération de Russie.
Notez que le président serbe Aleksandar Vucic se dit régulièrement préoccupé par les demandes qu’on lui adresse de se joindre aux sanctions contre la Russie et de reconnaître l’indépendance du Kosovo, en ignorant le sort des Serbes qui vivent dans le nord de la province depuis des centaines d’années. Voilà ce qu’est l’Union européenne.
Si vous menez une politique antirusse, vous avez de bonnes chances. Il sera intéressant d’examiner la situation avec la Serbie ou la Turquie, qui négocie depuis de nombreuses années.
Certains, au sein de l’UE, veulent laisser l’Ukraine y adhérer de toute urgence. L’UE démontrera alors que tout cela n’est pas conforme aux critères, mais qu’il s’agit d’un pur jeu géopolitique visant à s’approprier davantage de territoires, qui resteront « abandonnés ».
Je ne sais pas. Laissons-les décider pour eux-mêmes. Mais il ne fait aucun doute que l’UE n’est guère différente de l’Otan aujourd’hui. D’autant plus qu’ils ont récemment signé une déclaration Otan-UE stipulant explicitement que l’Alliance assurerait la sécurité de l’Union européenne, et l’UE a exprimé sa gratitude. Il a également été écrit que cela serait important pour le « milliard ».
Question (traduite de l’anglais): Compte tenu du temps qu’il reste avant la fin de l’année, quelles sont vos attentes en matière de paix et de sécurité sur Terre? Y a-t-il, selon vous, des perspectives de négociations ou de cessation du conflit ukrainien ou d’autres conflits (Yémen, Libye)? Vous avez également évoqué le Soudan. Quels sont vos espoirs et vos attentes?
Sergueï Lavrov: Je ne suis pas payé pour des espoirs ou des attentes. Nous avons des tâches concrètes à accomplir. Aujourd’hui, il s’agit principalement d’assurer la sécurité de notre pays et d’empêcher que les Russes, qui vivent dans notre voisinage depuis des siècles, ne soient discriminés et décimés par le régime ukrainien. Y compris physiquement, comme il l’affirme publiquement à travers ses représentants.
La politique est ainsi faite… En mai 2003, quelques mois après le début de la guerre illégale en Irak, George W. Bush annonçait à bord d’un porte-avions que la démocratie avait gagné en Irak. C’était en 2003. Qu’attendez-vous de l’Irak aujourd’hui? Je n’en sais rien.
Il en est de même pour la Libye. Le président Barack Obama avait décidé de diriger l’opération en coulisses et de laisser les Européens se mettre à l’avant-scène. La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies avait été violée de manière flagrante. Tout ce qu’elle exigeait, c’était l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne afin que les avions de Kadhafi ne puissent pas décoller. En effet, ils sont restés au sol. Mais le pays a été bombardé, il est maintenant « en lambeaux ». C’est ce que Barack Obama a dit à propos de la Russie. Or, cela n’est pas arrivé à l’économie russe, mais à un État appelé Libye.
J’espère que des progrès seront réalisés au Yémen. Dans son discours d’aujourd’hui, j’ai indiqué que nous apprécions les efforts déployés par l’Arabie saoudite à cet égard pour établir un dialogue direct.
En ce qui concerne l’Ukraine, je ne vais même pas me perdre en conjectures. Ce ne sont pas les « calendriers » qui comptent. Il y a des calendriers dans d’autres pays.
Par exemple, en Libye. Combien de fois les Français ont-ils annoncé des conférences où il était décidé que « dans quatre mois et trois jours » il y aurait des élections? C’est le cas depuis 2015. Or, nous sommes toujours au point de départ.
Nous devons simplement nous efforcer d’exercer nos droits légaux. Il faut le faire honnêtement, en expliquant ses motivations. C’est ce que nous avons fait en ce qui concerne nos actions dans le cadre de l’opération militaire spéciale. Et nous aimerions également entendre, en guise de réciprocité, nos collègues occidentaux: quels sont les objectifs qu’ils poursuivent en Irak, en Libye et dans d’autres endroits où ils essaient de montrer une certaine activité.
Nous devons rester optimistes. C’est inévitable. Même si l’on dit qu’un pessimiste est un optimiste bien informé. Espérons que le désir d’unir nos forces et la compréhension du fait que diviser la communauté mondiale en « un milliard » et « sept milliards » est une erreur prévaudront. Se placer au-dessus des autres est également une erreur, quelles que soient les traditions aristocratiques des seigneurs et autres hauts dignitaires qui serviraient à le justifier. Nous vivons sur la même Terre.
Nous venons de parler d’une troisième guerre mondiale. Qui en a besoin? Mais apparemment, quelqu’un est prêt à aller jusqu’au bout. Je cite à nouveau la déclaration: « Si l’Ukraine bat la Russie, nous éviterons la troisième guerre mondiale. » Voilà une « petite formule » très simple qui, jusqu’à présent, remplace une conversation professionnelle correcte entre des hommes politiques responsables.
Je vous souhaite de réussir dans votre travail. C’est vraiment important. Une fois de plus, étant donné que les journalistes russes sont moins nombreux cette fois-ci qu’ils n’auraient pu l’être, je vous invite instamment à remédier à cette carence par une couverture étendue de tout ce que vous avez entendu de notre part.
Traduction officielle
Image: Mid.ru