Risque d’une guerre plus large
Tass, le service d’information de l’État russe, affirme qu’une tentative de l’Ukraine de faire sauter le pont du détroit de Kertch vers la Crimée a été empêchée par les Russes qui ont fait exploser un drone maritime ukrainien.
Selon les informations disponibles, les Ukrainiens ont tenté à trois reprises de faire sauter le célèbre pont le 1er septembre. Les Russes ont créé une barrière maritime composée de navires coulés pour protéger le pont des attaques maritimes. Ces obstacles canalisent tout navire attaquant et donnent aux Russes la possibilité de l’intercepter et de le détruire.
Mais l’histoire ne se résume pas à ce que dit Tass.
Selon un rapport de la chaîne militaire, la tentative ukrainienne de détruire le pont a bénéficié de l’aide et de la complicité des forces aériennes américaines qui coordonnaient l’opération ukrainienne.
Les États-Unis ont déployé un Global Hawk Forte II (RQ-48) équipé de capteurs sophistiqués, un P-8A Poseidon de la marine américaine (pour suivre les navires et les sous-marins russes), un CL-60 Artemis de l’armée (système de renseignement multi-missions de reconnaissance et de ciblage aéroporté) et un EP-3E Aries II de la marine, une plateforme de renseignement multiple basée sur le vénérable P-3. Ces plates-formes étaient destinées à soutenir la tentative ukrainienne de sonder les vulnérabilités des défenses russes adjacentes au pont et sur celui-ci, tout en soutenant la contre-offensive ukrainienne dans le sud de l’Ukraine.
Les Russes, du moins jusqu’à présent, n’ont rien dit d’autre que le fait qu’ils ont repoussé les attaques sur le pont.
Le pont du détroit de Kerch relie le continent russe à la Crimée. Il comporte une chaussée et permet également le transit de trains de marchandises. Il s’agit d’une voie de communication vitale pour les opérations militaires russes en Crimée, à Kherson et à Zaphorize. Le pont est suffisamment important pour que, après avoir été gravement endommagé par un attentat au camion piégé ukrainien et réparé, Vladimir Poutine lui-même l’ait traversé au volant d’une voiture Mercedes.
Comme pour le gazoduc Nordstream, les États-Unis n’ont jamais caché leur volonté de détruire le pont. Personne ne sait si le pont peut survivre, d’autant plus que les États-Unis consacrent des efforts considérables à sa destruction.
La situation générale dans les régions de Kherson et de Zaphorize, où se concentre l’essentiel de la contre-offensive ukrainienne, semble montrer que l’Ukraine ne parviendra pas à atteindre ses objectifs déclarés, à savoir percer les défenses de la Russie et reprendre Melitopol. Entre-temps, les Ukrainiens ont perdu des quantités importantes de blindés et ont subi de lourdes pertes. Non seulement ces pertes ont été lourdes, mais de nombreuses unités ukrainiennes, parmi les meilleures, ont été réduites à néant.
Le meilleur espoir de Washington est d’essayer de stabiliser le front et de faire cesser les combats intenses, ce qui donnerait à l’Ukraine le temps de mobiliser de nouvelles forces, de les entraîner et de rééquiper ses troupes. Cette entreprise prendrait de six mois à un an si elle se concrétisait. Le plan, si l’on peut l’appeler ainsi, repose jusqu’à présent sur la réticence de la Russie à engager le gros de ses forces dans une offensive visant à briser l’armée ukrainienne. Il a été question que la Russie lance une grande opération dans la région de Kupyansk, mais elle ne s’est pas encore concrétisée. Certains suggèrent que la Russie attend que les forces ukrainiennes soient encore plus réduites qu’elles ne le sont déjà, avant que les généraux russes ne soient prêts à prendre le risque d’une véritable offensive.
Le problème pour la Russie est que si elle attend trop longtemps, elle devra tout répéter et subir des pertes que l’opinion publique russe ne sera peut-être pas prête à accepter. Il y a beaucoup de discussions à Moscou et sur les médias sociaux, certaines émanant de politiciens sérieux, selon lesquelles la Russie devrait bombarder l’Ukraine et rentrer chez elle. D’autres disent que la Russie devrait attaquer les dépôts de ravitaillement en Allemagne, en Pologne et ailleurs, afin d’étrangler l’armée ukrainienne. Aucune de ces propositions n’a eu beaucoup de succès, mais cela pourrait changer si la guerre se prolonge. Curieusement, les attaques ukrainiennes par drones et le sabotage d’installations sur le territoire russe pourraient se retourner contre l’Ukraine en suscitant la colère de l’opinion publique russe, ce qui nécessiterait une action énergique de la part du gouvernement.
L’interview du chef du renseignement militaire ukrainien, Kyrylo Budanov, qui déclare que l’Ukraine devrait porter la guerre sur le territoire russe, a contribué à créer de nouveaux problèmes. Cela signifierait que l’Ukraine devrait utiliser ses principales forces armées pour attaquer au-delà de la frontière russe (et pas seulement tirer des obus d’artillerie, envoyer des équipes d’intervention, procéder à des incendies criminels, à des attaques de drones et à des assassinats). Son interview, si elle est prise au sérieux, pourrait avoir des conséquences inattendues pour l’Ukraine en intensifiant la réponse globale de la Russie au-delà des limites supposées de l’opération militaire spéciale. Cela pourrait se traduire, par exemple, par des attaques massives contre Kiev ou Odessa, ou par d’autres actions visant à paralyser l’Ukraine et son gouvernement.
Budanov fait beaucoup d’affirmations et bon nombre d’entre elles doivent être prises avec un grain de sel. Toutefois, nous ne savons pas lesquelles les Russes prendront au sérieux.
Pendant ce temps, Washington continue de prendre de gros risques, en commençant par la fourniture d’armes à sous-munitions et, maintenant, d’obus antichars à l’uranium appauvri. L’utilisation des services de renseignement américains pour cibler la Russie est également un risque qui pourrait conduire à un conflit plus important en Europe. Si l’escalade de Washington se poursuit, il est difficile de prédire ce qui se passera dans les semaines à venir.
Stephen Bryen, 3 Septembre 2023
Stephen Bryen est un ancien haut fonctionnaire du Pentagone et cadre de l’industrie de la défense, l’auteur du blog “Armes et stratégie”.
Source: Weapons and Strategy