Grândola Vila Morena (Grândola Ville Brune) a été diffusée à la radio portugaise le 25 Avril 1974, moment de la Révolution des Œillets qui mit fin à la dictature que le Portugal endurait depuis 1933.

 

Paroles et traduction de «Grândola Vila Morena»

Grândola Vila Morena (Grândola Ville Brune)

Texte original

Traduction française

Grândola, vila morena
Terra da fraternidade
O povo é quem mais ordena
Dentro de ti, ó cidade

Grândola, ville brune
Terre de la fraternité
Seul le peuple ordonne
En ton sein, ô cité

Dentro de ti, ó cidade
O povo é quem mais ordena
Terra da fraternidade
Grândola, vila morena

En ton sein, ô cité
Seul le peuple ordonne
Terre de la fraternité
Grândola, ville brune

Em cada esquina um amigo
Em cada rosto igualdade
Grândola, vila morena
Terra da fraternidade

À chaque coin de rue un ami
Sur chaque visage, l’égalité
Grândola, ville brune
Terre de la fraternité

Terra da fraternidade
Grândola, vila morena
Em cada rosto igualdade
O povo é quem mais ordena

Terre de la fraternité
Grândola, ville brune
Sur chaque visage, l’égalité
Seul le peuple ordonne

À sombra duma azinheira
Que já não sabia a idade
Jurei ter por companheira
Grândola a tua vontade

À l’ombre d’un chêne vert
Qui ne connaissait plus son âge
J’ai juré d’avoir pour compagne
Grândola, ta volonté

Grândola a tua vontade
Jurei ter por companheira
À sombra duma azinheira
Que já não sabia a idade

Grândola, ta volonté
J’ai juré d’avoir pour compagne
À l’ombre d’un chêne vert
Qui ne connaissait plus son âge

« Grândola Vila Morena » : l’hymne de la contestation portugaise

Par Marie-Noëlle Ciccia

« Écrite et enregistrée en 1971 par l’artiste engagé José Afonso (Zeca Afonso) en hommage à la « Sociedade Musical Fraternidade Operária Grandolense » (Société musicale Fraternité ouvrière de Grândola — petite ville agricole de l’Alentejo au Sud du Portugal), la chanson « Grândola Vila Morena » est devenue un chant à la fois politique et fortement identitaire, symbole de la contestation du pouvoir, dès lors qu’elle a été choisie par les militaires comme signal de la révolte contre le régime salazariste l’Estado Novo, et diffusée à la Radio Renascença de Lisbonne dans la nuit du 24 au 25 avril 1974. Mais, contrairement à « E depois do Adeus » (Et après l’adieu) qui fut en réalité la première des deux chansons diffusées ce soir-là pour servir de mot d’ordre de marche au MFA (Mouvement des Forces Armées) son impact ne s’est pas restreint à l’immédiate post-révolution. Bien au contraire, outre qu’elle est, depuis, régulièrement entonnée dans certaines manifestations politiques (le premier mai, par exemple), elle a trouvé dans l’actualité portugaise du début de l’année 2013 un regain de force contestataire contre le gouvernement de Manuel Passos Coelho, accusé d’appliquer une politique d’austérité trop stricte, dictée par Bruxelles.

Dans cette étude, il s’agira dans un premier temps de nous interroger sur les caractéristiques de cette chanson qui, bien plus qu’une autre, a marqué la mémoire de l’auditeur. Ces premières conclusions éclaireront dans un second temps, la fortune postrévolutionnaire d’un air qui rythme l’histoire contemporaine du Portugal depuis 40 ans, tout particulièrement dans les moments de crise non seulement économique mais aussi sociale et identitaire ».

« Vous avez des tanks. J’ai des chansons. […]
Je suis plus fort que vous parce que le temps use les tanks,
tandis qu’il renforce les chansons. » Mikis Theodorakis cité par Katinakis (2008, 213).

1.- En février 2013, en entonnant la chanson « Grândola Vila Morena » dans les galeries du Parlement National, au moment de la prise de parole du Premier ministre Passos Coelho, un groupe de manifestants est parvenu à interrompre le débat durant de longues minutes. Cette chanson de José Afonso, patrimoine culturel de la nation démocratique qu’est le Portugal aujourd’hui, n’a bien évidemment pas été choisie au hasard ce jour-là : elle est aujourd’hui sacralisée comme hymne de la contestation portugaise bien qu’elle n’ait pas été conçue initialement comme subversive envers le régime salazariste qui l’a vue naître. Il s’agit à l’origine d’un simple poème écrit par José Afonso en 1964, en remerciement de l’accueil que la société musicale « Fraternité ouvrière de Grândola » lui avait réservé, lors d’un concert dans la salle des fêtes de la bourgade alentejane. Le poème est publié en 1966 dans le recueil de textes Cantares(Afonso 1966). Mais c’est à partir de 1971, grâce à son enregistrement et à sa diffusion pourtant modeste que, devenu chanson, ce texte a résonné comme un véritable engagement politique en faveur de la liberté, de la solidarité, et a finalement été choisi comme mot d’ordre de marche des capitaines du 25 avril 1974. « “ Grândola Vila Morena ” appartient à l’imaginaire de la nation portugaise » (Marlière 2013). Cet imaginaire, c’est l’utopie d’une révolution militaire qui a mené à la fin de la dictature salazariste mais n’a pas concrétisé, loin s’en faut, tous les espoirs de changement profond conçus par les militaires d’avril et les sympathisants civils du mouvement.

2.- Il s’agira ici d’examiner les conditions de la création de « Grândola » et son parcours de près de cinquante ans de façon à comprendre comment, aujourd’hui encore, non seulement elle s’impose comme le symbole de la Révolution passée mais aussi comme celui de la liberté d’expression et de la revendication sociale et politique, dans un Portugal désormais démocratique mais meurtri, tout particulièrement ces derniers mois (et, a priori, jusqu’en juin 2014), par les mesures de restriction budgétaire tous azimuts imposées par la troïka UE-BCE-FMI.

Le contexte de l’écriture de « Grândola Vila Morena » et ses caractéristiques.

3.- Son auteur, José Manuel Cerqueira Afonso dos Santos (Zeca Afonso), est né en 1929 et mort en 1987. Étudiant à Coimbra après avoir vécu en Angola, il devient professeur d’histoire au Mozambique, avant d’être renvoyé de l’éducation nationale pour ses prises de position politique. Il fera même plusieurs séjours dans les prisons politiques de l’Estado Novo. Libéré, il continue à écrire, à chanter, à donner des concerts, à enregistrer des disques clandestins ou fortement censurés. Il est interdit de parler de lui dans les journaux, de sorte que, pour contourner la censure, son nom écrit à l’envers (ESOJ OSNOFRA) est parfois employé dans la presse et reconnu par les initiés. Ce véritable chanteur engagé, militant, s’intéressant à la pédagogie par le chant et la parole pour éveiller les consciences, sympathisant communiste et de la gauche radicale avant et après le 25 avril, s’engage dans les mouvements syndicaux ouvriers. En faveur de la Réforme agraire au Portugal et particulièrement en Alentejo, il chante les héros de la terre victimes de la répression1 salazariste.

4.- Le 17 mai 1964, Zeca est donc invité à participer à un concert de la salle des fêtes de Grândola (Almeida 2013), organisé par une collectivité ouvrière, la Société musicale fraternité ouvrière. À ce moment-là, il est déjà connu dans les milieux intellectuels et contestataires comme « innovateur » dans la chanson : « Dans ses ballades transparaît la dimension poético-tragique de la sensibilité de notre peuple », indique le programme2 (Almeida 2013). Quelques jours après le concert, en remerciement d’avoir été si bien accueilli, il écrit, en hommage à la ville et à ses habitants, un poème en redondilha maior, le vers heptasyllabique typique de la poésie populaire médiévale portugaise, intitulé « Grândola Vila Morena ». Ce poème ne devient une chanson qu’en octobre 1971, dans l’album Cantigas de Maio enregistré en France, à Hérouville, et dont la sortie a lieu en décembre de la même année. José Mário Branco3, le producteur, va inciter Zeca à lui donner les caractéristiques d’une chanson alentejane, c’est-à-dire une chanson dont les strophes paires sont la reprise en sens inverse des vers de la strophe précédente.

5.- Sans esprit contestataire lors de sa conception, les transformations apportées à « Grândola, Vila Morena » au moment de l’enregistrement lui donnent la tournure d’un message résonnant comme éminemment politique dans le contexte dictatorial de l’époque.

6.-Comme le rappelle Michel Prat, il existe deux catégories de chansons « politiques » : celles qui sont écrites avec un contenu politique voulu comme tel (par exemple « L’Internationale ») et celles qui sont reçues comme des chansons politiques alors qu’elles ne l’étaient pas au départ et cela, sous la pression du contexte socio-historique en vigueur (par exemple « Lili Marleen »). Dès lors, elles sont perçues comme indissociables d’un moment intense de la vie collective (Prat 2008, 10) :

Le trait commun à toutes ces variétés réside cependant, quels que soient la perspective adoptée et le rapport — réel ou imaginaire — à l’action, dans le fait que ces chansons expriment toujours, fût-ce de façon médiatisée, les besoins, les aspirations, les buts, des hommes qui, pris dans l’Histoire, contribuent à faire l’Histoire.

7.- C’est le cas de « Grândola », dont les paroles reposent sur un certain nombre de mots politiquement connotés eu égard à l’époque de l’écriture. Ils seront analysés plus loin. Auparavant, il convient de se pencher un instant sur ses aspects musicaux. Comme le cante alentejano traditionnel, la chanson n’est pas accompagnée d’instrumentation. Une première voix d’homme s’élève, entonnant la première strophe que le chœur exclusivement masculin reprend ensuite avec un contrepoint, conférant au texte une sensation de force. S’il rappelle les airs traditionnels chantés par les hommes allant ou revenant des champs, ce chant a capella et en chœur renvoie aussi inconsciemment à une espèce de rituel liturgique, religieux, sacré, à une communion.

8.- La « rythmique » est donnée par des bruits de bottes martelant un rythme binaire et lancinant, matérialisant phoniquement les pas des ouvriers agricoles qui marchent vers les champs. La chanson « s’ethnicise » par la réappropriation d’éléments folkloriques ou traditionnels des chants alentejans qui renvoient à l’inconscient collectif. Mais cette réappropriation n’est pas un simple regard passéiste ou un hommage au passé. De fait, ainsi que le souligne Bernard Lortat-Jacob, « la tradition, supposée être conservation, manifeste une singulière capacité à la variation, ménage une étonnante marge de liberté à ceux qui la servent4. » Zeca produit ainsi une chanson qui, bien que création nouvelle, semble appartenir à la tradition, une tradition que, par ailleurs, il ne renie pas, au contraire, puisqu’il a souvent, par la suite, recueilli et enregistré des chants populaires portugais, dans un but de conservation du patrimoine culturel de son pays. À ce propos, il faut retenir du concept de musiques traditionnelles la notion de transmission d’un « contenu socialement important, culturellement significatif », à travers une réappropriation — reformulation, réinterprétation, réutilisation — […] faisant de celles-ci des musiques « dotées d’un fort pouvoir intégrateur » (Lortat-Jacob, 1999, 156-171). Cette notion s’applique à l’intention de Zeca dans sa démarche musicale. La chanson traditionnelle, en faisant le pont entre les représentations passées et actuelles, constitue une démarche artistique performative qui « intègre », qui réunit un auditoire autour de valeurs qui sont celles de la tradition réactualisée, afin de mieux vivre le présent, voire le changer.

9.- « Un hymne doit avoir quelque chose d’austère », affirme Didier Franckfort (Franckfort 2004). De fait, la voix grave exclusivement masculine, l’épuration de tout instrument musical visant à ne pas parasiter le message, le rythme donné par le pas en cadence presque militaire, confèrent à cette chanson l’austérité d’un hymne auquel il faut associer un mouvement totalement synchronisé des corps : union, force, invincibilité sont les impressions que l’on retient du spectacle auditif et visuel des chants de cette région portugaise. En effet, ces cantares alentejanos sont chantés par un groupe humain marchant en cadence en formation resserrée et se balançant de droite à gauche5. L’union exprimée par les mots du texte trouve une concrétisation corporelle dans le resserrement du groupe pour le chant à l’unisson, le collectif, la solidarité. Ce sentiment de communion s’est élargi symboliquement au sentiment national grâce à la chanson. Ce que Flora Bajard souligne dans son étude intitulée La réappropriation des musiques traditionnelles dans les musiques actuelles correspond au destin de « Grândola » : « C’est alors la forme même de la production musicale qui devient un « opérateur symbolique », en ce qu’elle met au jour le potentiel politique de la production musicale en question » (Bajard 2008), puisqu’effectivement, c’est une conjonction de facteurs lors de sa production qui lui ont conféré sa symbolique politique. À son tour, Didier Franckfort affirme que : « il y a plus qu’une coïncidence entre folklorisme et nationalisme en musique » et que « l’utilisation des thèmes populaires authentiques ou inventés est un moyen de “ nationaliser ” ou d’“ ethniciser ” la musique » (Francfort 2004, 193-194). Le lien entre musique et nationalisme est plus fort qu’avec un autre art car « la musique rassemble, accompagne les manifestations de masse et diffuse le sentiment d’appartenance » (Francfort 2004, 10). La musique agit davantage sur l’affect que sur la raison, c’est pourquoi son impact est plus fort et souvent plus durable. Effectivement, la « folklorisation » qui enracine cette chanson dans un terrain qui à l’origine, n’est pas le sien, fait fleurir un sentiment d’appartenance, d’union nationale qui n’est pas étranger à la matérialisation physique de l’union dans le mouvement totalement synchronisé des chanteurs6. Il est étonnant de constater aujourd’hui encore que pour cette chanson l’association chant/mouvements corporels soit si immédiate. On a vu, par exemple, Mário Soares entonner « Grândola » debout, le 30 mai 2013, en prenant par les bras ses voisins immédiats et imprimant ce mouvement de balancier désormais familier7 au groupe ainsi constitué. On peut considérer la reprise en chœur du groupe après la voix seule qui a entonné la chanson comme le passage symbolique du mot d’ordre à l’action collective. Ce n’est pas seulement l’unisson qui suscite la puissance émotive mais le fait, d’une part qu’une voix isolée soit rejointe par le groupe qui lui est solidaire et, d’autre part, que le mouvement de chacun devienne un mouvement unique du groupe.

10.- Didier Franckfort affirme :

Il faudrait chercher du côté du sentiment que produit sur l’auditeur une ligne musicale unique, sans complexité, sans à-côté. L’écoute d’une telle musique ne semble pas nécessiter de culture musicale, ni de connaissance de la musique ou du solfège. Chacun peut aisément se joindre au chœur. Le résultat n’est pas toujours d’une justesse certaine mais qu’importe. La qualité d’un chant consiste à permettre cette pratique unanime où la conviction, parfois tempérée par le conformisme, tient lieu de qualité musicale. Le fait qu’un hymne, national ou religieux, puisse être facilement chanté révèle une qualité esthétique mais aussi un trait que l’on serait tenté de qualifier de politique (Francfort 2004, 273).

11.- De fait, si initialement « Grândola » n’était pas conçue pour être un chant mobilisateur, elle l’est devenue, pour partie, grâce à la simplicité de ses qualités musicales, propres à émouvoir et rassembler tout type d’interprète.

12Mais il ne faut pas négliger la portée des paroles, fort simples, elles aussi, qui, sorties du contexte initial du remerciement dédié aux Grandolenses, sonnent comme des armes révolutionnaires. Dans la première strophe, la ville que le poète interpelle et personnalise, se trouve empreinte de sensualité féminine (« morena »), et devient la métonymie de ses habitants (« terra da fraternidade »). Le poète sollicite collectivement la population unissant « terra » et « povo », tel l’idéal communiste auquel il aspire et dans lequel c’est « o povo quem mais ordena ». Dès la deuxième strophe, l’approche se fait plus individuelle : chaque habitant est considéré pour lui-même. Il est un ami pour tous les autres dans une atmosphère d’égalité et d’harmonie entre les hommes. La troisième strophe que l’on connaît aujourd’hui n’est pas le texte initial. Zeca l’a transformé au moment de l’enregistrement8 :

Texte initial

Capital da cortesia
Não se teme de oferecer
Quem for a Grândola um dia
Muita coisa há-de trazer

(Capitale de la courtoisie
On ne craint pas d’y offrir des présents
Si l’on va un jour à Grândola
On en rapportera bien des choses)

Texte enregistré

À sombra duma azinheira
Que já não sabia a idade
Jurei ter por companheira
Grândola a tua vontade

(À l’ombre d’un chêne vert
Qui ne connaissait plus son l’âge
J’ai juré d’avoir pour compagne
Grândola, ta volonté)

13.- On attribuera l’importance de cette transformation à la maturité du poète : à présent, il s’implique à la première personne dans un paysage alentejan dont l’azinheira (le chêne vert) est l’un des arbres emblématiques que sa longévité rend fort, voire indestructible. C’est en prenant racine lui aussi dans cette terre vieille, faite de traditions et de luttes pour la liberté que le poète s’engage solennellement et définitivement dans le combat (« jurei ter por companheira, Grândola, tua vontade »). Les termes fraternidade, igualdade et vontade,placés à la rime et martelés par le chant, signifient avec simplicité et efficacité que seule l’union des hommes égaux entre eux permet l’action, la volonté d’avancer.

14.- Outre ces trois termes, le vers marquant de ce texte est bien évidemment « O povo é quem mais ordena », dans un contexte politique qui, à l’époque, ne permettait pas d’en faire une réalité. La spontanéité, peut-être même la naïveté du poète, fait de ce poème une chanson de paix et non pas un appel à la violence9. Il convient de rappeler que la démarche de Zeca s’inscrit dans un contexte européen de révolution ou d’esprit révolutionnaire des années soixante et soixante-dix dans lequel la chanson engagée prend de plus en plus le pas sur la « chanson légère ». Par exemple en Italie qui se trouvait, dans les années soixante-dix, dans une situation politique du même ordre (censure), on entend les textes contestataires de Giorgio Gaber, comme par exemple celui intitulé La libertà (1972), dont on peut rapprocher l’esprit de celui de Zeca :

La libertà non è star sopra un albero,
non è neanche avere un’opinione,
la libertà non è uno spazio libero,
libertà è partecipazione10.

La liberté ce n’est pas être (perché) sur un arbre
Ce n’est pas non plus avoir une opinion
La liberté n’est pas un espace libre
La liberté c’est la participation

15Autre exemple, en France en 1961, cette chanson « Ami lointain » de Francis Lemarque, sympathisant communiste (sur une musique de B. Mokroussov) dont les termes rappellent les vers du poète portugais :

Le cœur d’une ville inconnue11
Se livre au hasard de ses rues
J’étais l’étranger venu là pour un soir
Et soudain j’ai croisé un regard
Ce n’était rien, rien qu’un passant
Il m’a souri sur mon chemin comme un ami
Je ne sais pas pourquoi je garde encore l’image
De ce visage plein de chaleur
[…]
Ami lointain
Je ne sais rien
Ni de ta ville ni de ton nom
Mais j’ai gardé
Ton souvenir qui chante
Encore dans ma mémoire
Et la chaleur de ton regard

16.- Un rapide commentaire intertextuel permet de souligner la communauté des thèmes de ces chansons dans le contexte européen de l’époque.

17.- Zeca chante « Grândola » le 29 mars 1974, au Coliseu dos Recreios, la grande salle de spectacles lisboète, pour la première Rencontre de la chanson portugaise organisée par la Casa da Imprensa. Postérieure au soulèvement raté du 19 mars 1974, cette manifestation culturelle, qui se tient à guichets fermés, alerte la police politique (PIDE-DGS) qui vérifie les paroles des chansons avant que les chanteurs montent sur scène mais, curieusement, autorise Zeca à la chanter. Sur scène, tous les chanteurs — ainsi que les spectateurs qui connaissent la chanson — se donnent le bras et la reprennent en chœur, dans un moment fort d’union, immédiatement ressenti comme un acte militant. On voit par là comment le contexte de réception a pu influencer de façon prépondérante le décodage politique de cette chanson qui devient une chanson engagée mais non partisane. Elle « relate la condition du peuple et ses aspirations en des termes généraux et simples. Ces caractéristiques expliquent pour une grande part la résilience de son succès auprès du peuple » (Marlière 2013). Le texte ne comportant pas de marqueurs spécifiquement circonstanciés hormis le nom de la ville alentejane, il se présente davantage comme une « proposition politique » que comme un chant de combat :

[si on considère] la chanson politique, [comme] un acte, une proposition politique, dans ce cas, on ne peut plus se contenter de rechercher dans les paroles des éléments politiques : il faut embrasser la situation de communication qu’est la chanson dans sa globalité. C’est-à-dire à la fois comme une interprétation en situation, et comme une interaction entre des artistes et des auditeurs (Pécqueux 200212).

18.- Une autre des principales fonctions des chansons engagées est l’affirmation identitaire : il s’agit d’affirmer l’unité du « nous » (ou du « je » inclus dans un groupe, dans un collectif) contre le « vous » perçu comme le censeur, le rétrograde, le tout dans un paysage, un territoire dans lequel chacun peut se fondre, se reconnaître, et pour lequel il peut se sentir prêt à lutter :

L’essence unitaire de la nation, assimilée de façon métaphorique à un paysage, est territorialisée. […] avec cette référence aux paysages, à la géographie de la nation, la musique reste dans le domaine de la proclamation. Le nationalisme lui assigne une fonction descriptive, constitutive d’un espace national (Franckfort 2004, 235).

19.- La chanson se fait non pas « politicienne » (dans les termes) mais politique (dans l’attitude) ; elle devient une tribune.

Parcours de Grândola du 25 avril 1974 à aujourd’hui

20.- En mars 1974, le processus révolutionnaire des militaires est en marche dans le plus grand secret. Les moyens de communications entre les militaires n’étant pas suffisants pour garantir un signal fiable et audible dans tout le pays, c’est par le biais de la Rádio Renascença que deux mots d’ordre de marche seront susceptibles d’être lancés, l’un ou l’autre confirmant « totalement par lui seul, le début des opérations, qui à partir de ce moment deviennent irréversibles » (Rudel 1980, 256). Le premier est la chanson « E depois o Adeus » de Paulo de Carvalho, diffusée à 22h55 le 24 avril et précédée de la voix du speaker annonçant : « il est 23 h moins 5 min » ; le second sera « Grândola Vila Morena », diffusée dans le programme « Limite » à 0 h 20 au matin du 25 avril. Le speaker lit la première strophe de la chanson avant de lancer le disque interdit. À partir de ce moment-là « Grândola » est définitivement subversive,

[c]ar parfois, c’est a posteriori que telle ou telle chanson prendra sa dimension politique. Le processus créateur de la chanson procède également d’une harmonie idéale de la réception, qui dépasse bien souvent les intentions premières de ses instances créatrices. Le rôle de cette réception dans la signification de la pièce peut être tel qu’il ajoute une strate de sens, ou transforme telle autre déjà existante dans des chansons apparemment anodines (Cechetto 2008).

21.- Zeca Afonso est resté en lutte toute sa vie, dénigrant le succès pour le succès. Sa chanson est devenue un instrument de lutte dont il était fier mais lui-même a été rapidement ostracisé. Peu médiatisé, relativement abandonné par les médias, marginal, même après la révolution, c’est sa popularité auprès d’un certain public qui a permis d’entretenir son prestige.

22.- Les chansons luttent le plus souvent bien mal contre le vieillissement, contre la caducité de leur texte. Mais le support musical conserve à « Grândola » la force qu’elle aurait pu perdre sur le papier : « Si la chanson est insidieuse et politique, c’est donc par son aura, son prestige et par l’adhésion quasi corporelle qu’elle permet grâce au chant, à la voix, à l’euphorie, entre un interprète, un texte, une mélodie et des auditeurs » (July 2008, 110), surtout si les auditeurs deviennent eux-mêmes les chanteurs et s’approprient le texte. La chanson est passée au patrimoine culturel à la fois personnel et collectif, populaire des Portugais car « le contexte et le temps se sont associés pour en enrichir la portée (textuelle et musicale) » (July 2008, 111).

23.- « Grândola », aujourd’hui hymne de la révolution, souvenir impérissable du 25 avril 1974, s’est institutionnalisée en une tradition. Les chansons-slogans ou chansons-hymnes renvoient à des situations qui ainsi deviennent exemplaires. Souvent inspirées par des faits réels, elles seront ensuite chantées lors d’autres événements similaires (July 2008). Il est symptomatique de la force de cette chanson que l’un de ses vers soit effectivement repris en slogan. On a vu ainsi fleurir lors de manifestations au cours du premier semestre 2013 banderoles et affiches comportant ces termes : « Que se lixe a Troika. O povo é quem mais ordena13. » Plus encore que les notions de fraternité ou d’égalité qui apparaissent dans la chanson, on perçoit la force potentielle de ce vers « O povo é quem mais ordena » quand on le met en parallèle avec le moment historique où Marcelo Caetano a donné le pouvoir, au soir du 25 avril, au Général Spínola, préférant le confier à un militaire « afin qu’il ne tombe pas entre les mains du peuple (nas mãos da rua14) ».

24.- Ce vers, mais bien évidemment aussi la chanson tout entière, a été repris souvent au long des dix premières années de démocratie, comme une piqûre de rappel, sur les murs de la ville ou dans les journaux, indissociablement liée à l’idée de démocratie et de liberté15. Puis, la chanson s’est fait moins entendre. Ou plutôt, Zeca Afonso a disparu des références musicales, poétiques et politiques du Portugal démocratique. Pendant la période « faste » du pays où la manne européenne lui a permis un développement rapide, la chanson est souvent restée cantonnée aux concerts d’artistes de gauche, aux manifestations du 1er mai ou aux commémorations du 25 avril. Mais il importe aussi de souligner qu’elle est ressortie ponctuellement dans des situations de protestation contre le gouvernement ou l’autorité, par exemple à l’Assemblée législative de Madère en 1995 et 2011.

25.- En février 2013, une vague de grandoladas (substantif tiré du néologisme grandolar, c’est-à-dire huer une personnalité en chantant « Grândola » pour l’empêcher de parler) a commencé à l’Assemblée nationale, quand le chef du gouvernement, Pedro Passos Coelho, a été interrompu par des manifestants pacifiques qui l’ont empêché de présenter de nouvelles mesures économiques à l’Assemblée16. De manière pacifique, la chanson s’est paradoxalement faite arme de combat : elle est entonnée aujourd’hui tout autant par les traditionnels militants de gauche que par un éventail très varié de la population portugaise. Elle « exerce un effet égalisateur » (Chalvin 2008, 121), effaçant totalement la différence entre le public et l’interprète initial. L’interprète de cette chanson aujourd’hui c’est le peuple portugais qui sait utiliser les réseaux sociaux pour lancer des manifestations simultanées, telle celle du 2 mars 2013 à 16 h précises où un mot d’ordre a été lancé pour chanter « Grândola » dans tous les lieux publics nationaux et internationaux où un rassemblement populaire était prévu.

26.- Une sorte d’aura et de respect entoure cette chanson, sanctuarisée par les événements passés et récents. Ainsi on a pu voir des manifestants retraités, une fois encore au Parlement, interrompre le débat public avec la chanson et être délicatement menés hors de l’hémicycle par des policiers qui semblaient empruntés, gênés de devoir couper court à cet acte de protestation pacifique et sacralisé par la chanson de Zeca. La démocratie permet l’usage de cette « arme » interdite en temps de dictature : « Feliz é o país que protesta com uma canção », a affirmé Viviane Reding, vice-présidente de la Communauté Européenne en visite à Lisbonne le 21 février 201317. Faisant taire les hommes politiques, « Grandôla, Vila Morena » est l’arme parfaite : non violente, elle revendique les valeurs d’une démocratie dont les dirigeants eux-mêmes se réclament ; les intéressés ne peuvent que s’incliner, se taire ou sourire » (Musseau 2013 et Riez 2013).

27.- Les journaux nationaux et internationaux ont, au cours du premier semestre 2013, associé à « Grândola » divers adjectifs ou expressions plus ou moins convenus, comme par exemple : révolutionnaire (Marlière 2013), emblème unitaire (Musseau 2013), communion, locomotive (Torres 2013), réactions émotionnelles18, mais aussi « l’ultime bannière protectrice » (Musseau 2013).L’idée nouvelle, semble-t-il, qu’une chanson puisse être protectrice ne manque pas de force. On remarque que si « Grândola » est entonnée et invoquée si puissamment c’est parce qu’elle renvoie les Portugais aux acquis sociaux gagnés avec la démocratisation du pays et avec son entrée dans l’Europe, acquis actuellement mis en péril par la crise économique et financière. « Grândola » garantirait le maintien de la démocratie et du bien-vivre au Portugal contre la dictature de Bruxelles. Une journaliste du journal Públicoanalyse ainsi la force de la chanson par la facilité de sa diffusion :

Como se controlam manifestações avulsas, espontâneas e desenquadradas politicamente ? Não se controlam. Evitam-se. Não fechando as portas dos palácios, porque elas não serão suficientes para conter a indignação. Nem evitando os contactos com as pessoas, porque a sua voz virá sempre pelas ondas hertzianas e electrónicas (Botelho 2013)19.

Plus encore qu’autrefois la chanson a un pouvoir immense, grâce aux moyens actuels de transmission : la censure semble ne pas pouvoir trouver de prise sur elle. Elle a traversé aisément les frontières, entre autres celles avec le pays voisin, l’Espagne où elle a été régulièrement reprise dans les manifestations20 du premier semestre 2013.

29.- Si les jeunes générations portugaises sont souvent ignorantes de la Révolution du 25 avril 1974, « Grândola », symbole de la lutte populaire et véritable patrimoine national, est désormais connue de tous les publics.


BIBLIOGRAPHIE

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DOI : 10.1177/001139283031001002

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Nétographie (articles, mémoires)

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Vidéos Youtube

Europa canta ‘Grândola Vila Morena’ contra ditadura governantes e da troika

Cante Alentejano .

Soares canta ‘Grândola Vila Morena’.

Grândola vila Morena (programa televisão espanhola).

Grândola Vila Morena – José Afonso ao vivo no Coliseu .

Passos Coelho interrompido por Grandola Vila Morena (15/02/2013).

Reformados expulsos do Parlamento após cantarem a Grandola.

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NOTES

1 Par exemple Catarina Eufêmia, dans la chanson « Cantar Alentejano », album Cantigas de Maio, 1971.

2 Voir également la vidéo, Europa canta ‘Grândola Vila Morena’ contra ditadura governantes e da troika.

3 Un chanteur, auteur et interprète portugais, également militant contre l’Estado Novo.

4 Lenclud G., cité par Bajard (2008, 21).

5 Voir ce mouvement dans la vidéo.

6 Il semble que l’on puisse y trouver-là un effet similaire aux chants militaires, saccadés et précis, véritables facteurs de cohésion entre les hommes confrontés à des situations difficiles et pénibles.

7 Voir la vidéo. Voir également cette pratique du cantar alentejano lors d’une commémoration de la Révolution des Œillets.

8 Voir le lien suivant.

9 À l’inverse, sa chanson « Os Vampiros » fut une violente attaque anticapitaliste, censurée, mais qui est restée un repère important de la chanson engagée au Portugal et de la résistance antifasciste. Elle fut élue hymne de résistance par les étudiants en 1960.

10 La libertà, citée par Céline Pruvost (Pruvost 2008).

11 En gras par nous-même.

12 Cité par Joël July (July 2008, 109).

13 « Que la Troïka aille se faire f… C’est le peuple qui ordonne » (Idálio Revez 2013).

14 Cité par Vilarino 2005, 91.

15 Voir par exemple, la célébration des dix ans de la Révolution des Œillets, au Coliseu dos Recreios, fin 1983, qui fut aussi la dernière apparition sur scène de Zeca.

16 Voir cette séquence sur le lien suivant.

17 « Heureux le pays qui proteste avec une chanson ». Voir ici ou bien .

18 A propos du genre chanson à la période de la Révolution française, Stéphane Hirschi, affirme qu’elle est une « émanation d’une émotion politique, mais plus encore support et vecteur d’un va-et-vient émotionnel. En effet, les œuvres chantées ne se bornent pas à traduire un air du temps politique selon les canons susceptibles d’être goûtés : cette réussite d’ordre esthétique — plaire — assure aussi leur propagation. Insaisissables en même temps qu’efficaces, ces œuvres s’avèrent de redoutables facteurs d’émotions insurrectionnelles ou révolutionnaires ». (Hirschi 2008, 73).

19 « Comment contrôle-t-on les manifestations intempestives, spontanées et dénuées de cadre politique ? On ne les contrôle pas. On les évite. En ne fermant pas les portes des palais parce qu’elles ne suffiront pas à contenir l’indignation. Ni en évitant que les gens entrent en contact, parce que leur voix passera toujours par les ondes hertziennes et électroniques. »

20 Voir par exemple la vidéo.

Référence

Marie-Noëlle Ciccia, « « Grândola Vila Morena » : l’hymne de la contestation portugaise », Lengas [En ligne], 74 | 2013, mis en ligne le 10 décembre 2013, consulté le 16 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/lengas/307  ; DOI : 10.4000/lengas.307

Université Paul-Valéry Montpellier 3, LLACS

Source: https://journals.openedition.org/lengas/307