Dans une actualité médiatique pourtant bien encombrée par la campagne présidentielle et la pandémie, on assiste à un lynchage médiatique géant dont la cible est une personnalité médiatico-politique considérable. Nicolas Hulot appartenait depuis très longtemps au système assez ridicule du classement des personnalités « préférées des Français ». Il avait mis en place dans les années 80 un business très lucratif, à base d’émissions de télévision particulièrement spectaculaires. Utilisant une incontestable popularité, et travaillé par l’ambition politique, il veilla à devenir dans les années 2000 une icône médiatique de la défense de l’environnement. Il fit un premier tour de piste en 2007, sans s’engager directement dans la campagne électorale, mais en faisant signer un « pacte écologique » par les principaux candidats. Constatant l’usage par les politiques du vieil adage de Charles Pasqua selon lequel « les promesses électorales n’engagent que ceux à qui elles sont faites », il tenta de franchir une nouvelle étape en participant à la primaire écologique en vue de la présidentielle 2012. Mauvaise pioche, il s’y fit écraser par Eva Joly qui se couvrit ensuite de ridicule pour aboutir à un désastre électoral. C’est dans ces conditions que soutenu par les dirigeants d’EELV avec lesquels sa proximité ne s’était pas démentie, il fit son entrée dans le gouvernement Philippe après l’élection d’Emmanuel Macron. Dès février 2018, il sera l’objet d’une première offensive médiatique dans laquelle il sera accusé de viol pour des faits remontant à 21 ans et pour lesquels le parquet saisi avait conclu que : « Les faits dénoncés, n’apparaissaient pas établis, et faisaient l’objet ce jour d’un classement sans suite en raison de la prescription intervenue. » Il fut alors fermement soutenu par la Macronie et l’on n’en parla plus. Il ne perdait rien pour attendre.
Sa sortie fracassante du gouvernement, l’ayant coupé de ses appuis élyséens, un article du journal Reporterre – notoirement lié à la mouvance écologiste – relançait le sujet le 22 septembre 2021, en plein retour de la campagne #metoo. Puis vint le réquisitoire d’Élise Lucet diffusé à une heure de grande écoute sur le service public. On ne reviendra pas ici en détail sur le tsunami médiatique auquel Hulot est confronté, mais il est nécessaire de se livrer à quelques observations à propos de cette affaire, qui permettent de pointer ces dérives qui à force de violences finissent par rendre irrespirable le fonctionnement de la société du spectacle.
Tout d’abord, quel sort est fait aux libertés publiques dont le contrôle du respect appartient la justice ? Ensuite, l’évolution des mentalités par la « libération de la parole » doit-elle passer par les lynchages médiatiques ? Enfin peut-on penser être en présence d’une instrumentalisation, à visées politiques, de cette affaire ?
Et la justice dans tout ça ?
Dans une société civilisée, pour savoir si Nicolas Hulot a commis des infractions visées dans le Code pénal, et pour le sanctionner si c’est le cas, il faut s’adresser à la justice. C’est à elle d’établir, après une procédure contradictoire, une vérité judiciaire permettant d’entrer en voie de condamnation. Malheureusement, une fois de plus, l’on entend tout et n’importe quoi et en particulier ceux qui, amateurs de procès expéditifs, vilipendent les règles de procédure au motif qu’elles seraient là pour protéger les délinquants. Mais enfin, c’est le contraire ! Les principes du procès pénal et les règles qui organisent son déroulement sont précisément là pour protéger les innocents. Comme le disait Rudolf von Jhering, grand philosophe du droit au XIXe siècle : « adversaire acharnée de l’arbitraire, la forme est la sœur jumelle de la liberté ». La prescription en fait partie, puisqu’à l’évidence, 20 ans 30 ans après les faits, la vérité judiciaire devient de plus en plus difficile à établir. Qu’il soit nécessaire en 2021, pour y répondre, de rappeler une évidence multiséculaire est particulièrement accablant.
Comme d’entendre ce nouveau mode d’ordre consistant à dire : « en matière d’agression sexuelle ou de harcèlement, il faut renverser la charge de la preuve. » Pure folie qui permettrait d’accuser n’importe qui en le sommant de prouver son innocence ! Et, tout à leur fanatisme, des militants incultes en ont fait une exigence et trouvent des échos dans le champ politique (et y compris, de façon désolante, dans le monde judiciaire) et chez certains avocats oubliant la nature de leur mission. Et il est inquiétant de voir la justice avoir du mal à résister à la pression populiste et devenir de plus en plus poreuse à ses emportements.
Alors, concernant Hulot, si l’on se penche sur ce que racontent les médias, si l’on écoute, lit et reçoit les témoignages des femmes qui se plaignent de ces comportements, il semble que même sans remettre en cause leur bonne foi, il n’y aurait pas matière jusqu’à présent à des infractions pénales. Soit que les faits reprochés ne relèvent pas d’une qualification prévue dans le Code au moment où ils ont été commis, soit qu’ils soient prescrits. Il semble bien que Nicolas Hulot soit (comme d’autres qui ont fait l’actualité avant lui) ce que les jeunes appellent des « gros lourds » ou des « coinceurs d’ascenseur ». Mais, en l’état, l’affaire ne semble pas avoir de dimension judiciaire.
Cela n’empêche pas de le traiter comme un criminel dans l’espace médiatique, qui lui n’obéit à aucune des règles concernant le débat contradictoire et la présomption d’innocence.
La violence du lynchage médiatique
Il est banal de souligner la violence des tsunamis médiatiques auxquels les citoyens peuvent se trouver confrontés. Il faut savoir que personne n’est assuré de ne pas se retrouver un beau matin dans l’œil du cyclone. Et si les personnalités publiques sont bien sûr, les plus exposées, les simples citoyens ne sont pas à l’abri. Le mode de fonctionnement du système médiatique surtout depuis l’irruption des réseaux dans la vie sociale repose essentiellement sur l’effet de résonance. Chaque média, chaque support, chaque intervenant va regarder ce que disent les autres et relancer la machine infernale, en fonction de ses propres intérêts. Ceux qui ont vécu ces épisodes ou les ont accompagnés – ce qui est le cas de l’auteur de ces lignes – savent que le retrait immédiat de l’arène publique est indispensable pour essayer, malheureusement très souvent sans succès, d’échapper à la machine qui broie. Personne ne peut dire qu’il est sorti intact d’un tel épisode. Il y a aussi la mort sociale qui très souvent s’y rattache. La victime devient infréquentable, les amis s’éloignent, les gens se détournent et les employeurs regardent ailleurs. Et même si l’on peut obtenir une réparation symbolique de la justice quelques années après, chacun sait que cela ne compte pour rien. On ne donnera pas les exemples, ils sont multiples et malheureusement certains ont connu des issues fatales.
Quoi qu’on pense de Nicolas Hulot, quelle que soit l’aversion que l’on peut avoir pour un imposteur médiatique et politique, et/ou pour le comportement vis-à-vis des femmes qu’on lui prête, on ne peut pas se réjouir qu’une société fonctionne en multipliant ainsi ce qu’il est justifié d’appeler un « lynchage ». Parce qu’il en a les caractéristiques, où hors de tout processus contradictoire, en l’absence de moyens de défense, sans que la justice soit armée pour défendre l’intégrité et la dignité de la personne mises en cause, un mécanisme de meute inflige une énorme violence morale, familiale et matérielle.
Restons quelques instants sur le réquisitoire d’Élise Lucet, spécialiste de la mise au pilori, et présenté à plusieurs millions de spectateurs sur le service public. Pour prétendre à l’objectivité d’un débat contradictoire, l’auteur a indiqué avoir proposé à Nicolas Hulot d’y intervenir. C’est une plaisanterie. La réalisatrice a sélectionné les témoins, choisi la mise en scène, décidé le montage, les commentaires etc. Et elle disposerait du même pouvoir sur les déclarations de Nicolas Hulot. Il n’existe pas actuellement dans la loi sur la presse des outils juridiques permettant de faire respecter une présomption d’innocence dans le procès médiatique.
Dire cela n’est pas remettre en cause la parole des plaignantes ou des témoins. On peut considérer que ce que l’on appelle la libération de la parole est une évolution positive en ce qu’elle permettrait la modification des rapports où l’infériorisation des femmes est trop souvent présente. Et protéger celles-ci des violeurs, des harceleurs et même des « gros lourds » est une cause juste. Mais pas au prix de cette violence sociale et de l’assouvissement de pulsions guère reluisantes. La meute a toujours une sale gueule.
Sans oublier l’instrumentalisation de ces épisodes pour la poursuite d’intérêts personnels qui n’ont rien à voir avec la cause que l’on prétend défendre.
Il y a toujours un commanditaire
L’expérience de ces épisodes de lynchage médiatique permet d’acquérir la conviction qu’il y a toujours un ou plusieurs commanditaires. Ceux qui, à l’origine, déclenchent, ceux qui attisent, et ceux qui en profitent. La poursuite d’objectifs directement politiques est la plus fréquente, mais il y a également des objectifs économiques et des règlements de compte plus personnels. Certains médias peu regardants sur des pratiques mercenaires s’en sont d’ailleurs fait une spécialité.
En ce qui concerne l’affaire Hulot, on ne peut qu’être interpellé par le moment choisi pour relancer une affaire déjà connue et qui avait déjà donné lieu à un scandale il y a quatre ans. Sans accuser personne, on notera simplement l’ancienne proximité de Nicolas Hulot avec le groupe dirigeant d’EELV. La composition de ce que ses membres appellent eux-mêmes « la firme » est passablement endogamique. Les responsabilités y évoluent en fonction de leurs arrivées successives au gouvernement, que ce soit sous François Hollande ou sous Emmanuel Macron. Tout ce petit monde, ne tarissant pas d’éloges sur Nicolas Hulot, avait soutenu son arrivée au ministère de l’Écologie en 2017. La lecture de leurs textes de l’époque est particulièrement réjouissante lorsqu’on voit leur vigueur d’aujourd’hui à jeter par-dessus bord leur ancien ami.
Le problème est que la primaire des Verts apparaissait moins comme le choix d’un candidat susceptible d’arriver à l’Élysée, que comme la désignation de celui ou celle qui deviendrait ministre d’un Macron réélu. Perspective qui provoquait évidemment quelques appétits. La très grande proximité avec Nicolas Hulot d’Yannick Jadot et de Mathieu Orphelin, son porte-parole, est notoire. Certains parlent même d’un « clan Hulot ». Le porte-parole a été prestement sacrifié, et le pauvre Jadot essaie de se sortir du marécage. Il ne faut pas oublier que les Verts ont déjà changé de candidat en cours de route pendant une campagne présidentielle.
Alors, quelqu’un aurait-il, par calcul politique, allumé la mèche qui a mis le feu à la plaine et placé Jadot en difficulté?
Bien sûr, personne ne peut croire une chose pareille.
Régis de Castelnau
Source: https://www.vududroit.com/2021/12/affaire-hulot-considerations-sur-un-lynchage/
Crédit image: Vidéo BFMTV