Par Ph. Huysmans
Publié le 1 Mai 2018 sur Le vilain petit canard
C’EST DÉCIDÉ, JE QUITTE LE RADEAU DE LA MÉDUSE. JE PRÉFÈRE NAGER, TOUT COMPTE FAIT.
Voilà bientôt trois ans que je suis sur Facebook. Je m’y étais inscrit peu après avoir lancé mon petit média à moi que j’aime, parce qu’il se disait alors que c’est une excellente manière de se faire connaître… Mais est-ce bien (encore) le cas ?
Facebook comme moyen de promotion
À ceux qui imagineraient naïvement que Facebook peut-être un moyen de toucher un public plus large, je dirais qu’il n’y a rien de plus faux, désormais. Ce serait même plutôt contre-productif, comme nous le verrons.
Il faut se rappeler que tout d’abord, Facebook n’a pas été conçu comme un moyen de toucher le public, mais bien un petit cercle de connaissances, les amis, et leurs amis, dans une moindre mesure. Mais même dans ce cas, il ne faut pas croire que vos publications sont visibles par tous vos amis. En fait elles le sont, seulement s’ils viennent consulter votre page, ce que personne ne fait.
Ainsi, nous parlons de la manière dont les publications apparaîtront dans la timeline de vos amis, ou des gens qui se sont abonnés à votre page. Une page, c’est un objet particulier qui a une forme d’existence autonome mais qui est toujours liée à un compte personnel. Une page n’a pas d’amis, mais des abonnés. J’ai donc un compte personnel et une page pour mon petit média.
J’ai environ 300 contacts Facebook et à ce jour 1.537 abonnés, et déjà là, il y a comme qui dirait un os dans le pâté. En effet, les 1.530 et quelques, je les avais déjà en décembre 2017… Comment expliquer qu’une page qui affiche une progression régulière durant presque deux années se mette subitement à stagner à partir d’une date donnée (décembre 17). Bon, alors on pourrait simplement en conclure que je suis légèrement paranoïaque et qu’en fait ceci est à mettre au compte d’une piètre qualité des publications, soyons fous !
Seulement voilà, ça ne tient pas, pour deux bonnes raisons.
Les likes et les dislikes qui restent étrangement stables
N’allez pas croire que je n’ai pas de mentions « j’aime » sur ma page, bien au contraire, j’ai à peu près la même progression, toutes proportions gardées, que ce que j’affichais avant décembre 2017 ! Ce qui est nouveau, c’est que pour pratiquement chaque nouveau « like », j’ai un abonné qui se barre. Vous avez dit bizarre ?
Comme vous pouvez le voir sur le graphique ci-dessus, pour pratiquement chaque like, il y a un dislike, de sorte qu’en moyenne, la page ne progresse pas. Comment expliquer ceci ? Des lecteurs qui viendraient s’abonner, puis le lendemain, ou quelques jours plus tard, se désabonneraient ? Et c’est assez pervers puisque Facebook ne cesse de vous informer que vous avez de nouveaux abonnés…
Vous me direz qu’une page n’est pas l’autre et qu’il ne faudrait pas tirer des conclusions à partir de l’étude de mon petit cas particulier (et vous auriez raison). Ma page (et mon média) sont relativement confidentiels, et qui sait, mon public est-il peut-être tout simplement plus volatil qu’un autre ? Alors comparons !
Statistiques d’Arrêt sur Info (ASI)
Arrêt sur Info est le site d’informations alternatives fondé par la journaliste Silvia Cattori. Et en termes d’abonnés, on ne parle pas de site confidentiel, mais d’un des plus populaires sur la place. Peut-être pas tant en termes de « likes » qu’en termes de vues (nombre de visiteurs uniques). Je lui ai donc posé la question pour savoir si elle aussi avait observé une stagnation du nombre d’abonnements. En réponse elle m’a donné accès aux statistiques de la page.
On le voit, le graphique a la même tête que le mien, et à la fin décembre 2017, toute progression durable est stoppée net (*)
Pareil sur une période d’un mois pour les abonnements/désabonnements. On arrive étrangement à un superbe zéro de progression nette. C’est magique.
Conclusion
On peut raisonnablement penser qu’à partir de fin décembre 2017, Facebook a introduit un mécanisme dans son algorithme qui bride la progression en termes d’abonnés. Est-ce uniquement pour les pages liées à des sites d’infos alternatives ? Je n’en sais rien, mais c’est net, ça se voit comme une mouche dans une tasse de lait. On pourrait aussi imaginer qu’il s’agirait, pour Facebook, de pousser les clients à faire la promotion de leur page via Facebook, en payant pour ça. Toutefois, cela paraît un peu idiot, parce que la démarche est malhonnête, et qu’on ne construit pas une relation de clientèle sur la duperie.
Éloge de la vacuité
La dernière raison pour laquelle j’en ai soupé de Facebook, c’est l’immense gâchis que cela représente. On a là des millions de panouilles qui s’égosillent dans le désert, n’ayant pas compris que c’est parfaitement vain et que personne ne les lit de toute façon.
Pire, on n’a strictement aucun contrôle sur ce que l’on voit : on ne choisit rien, on est priés de bouffer ce que maman Facebook nous a préparé. Et à tout prendre, c’est parfaitement contre-productif, parce qu’on y passe un temps fou, ou pour le dire autrement, on perd son temps. Du temps que l’on aurait pu employer utilement à lire des articles intéressants, à se documenter, ou à écrire.
Suis-je le seul à penser que Facebook fait de nous des imbéciles compulsifs ? On parcourt benoîtement un fil qui ne s’arrête jamais, ingurgitant au passage des monceaux d’informations plus ou moins ineptes, quand elles ne sont pas fausses, des vidéos de chatons, des problèmes de maths qu’un enfant de 8 ans résoudrait les doigts dans le nez. Crrrr Crrrrrr, fait la roulette de la souris, devenue notre seul lien au grand village internet.
Si vous voulez vous en convaincre, faites l’expérience suivante : essayez de vous remémorer 5 publications passées dans votre fil lors de votre dernière connexion… Vous échouerez très probablement, et il y a une bonne raison à cela ! Quand vous êtes purement spectateur d’une information que vous n’avez même pas demandée, votre cerveau est en mode géranium, il ne fixera strictement rien, un peu comme quand, partant de la maison, vous êtes incapable de vous rappeler si vous avez bien éteint les lumières. Et du coup, à quoi ça sert ?
Eh bien c’est très simple, ça sert à enrichir un peu plus Facebook tous les jours, avec pour corollaire de diminuer le trafic direct et organique des sites d’information alternative. Eh oui, puisque les gens pensent (à tort) que quand ils parcourent leur fil Facebook, ils se tiennent informés au mieux. Quelle erreur.
Thanks for all the fish
Cette réplique, issue du cultissime « Hitchhiker’s Guide to the Galaxy » me vient à l’esprit, au moment où je vais clôturer mon compte Facebook. Merci, donc, mais je m’en vais quand même. Je laisse derrière moi sans doute des personnes avec qui j’avais eu des contacts agréables ou instructifs, ce sera là mon seul regret.
Je n’agis pas sur un coup de tête, mais au contraire, cette décision est le fruit d’une longue réflexion portant sur plus d’une année durant laquelle j’ai pu constater l’inanité de tout effort visant à accroître mon lectorat via Facebook. C’est rédhibitoire en ce qui me concerne.
Avant, Facebook se contentait de faire du fric sur les contenus des utilisateurs, maintenant, ils se permettent de faire de la censure en prime. Il est grand temps de quitter le rafiot.
Ainsi donc, j’effacerai ma page Facebook (01.05 – 20h), ainsi que celle du Vilain Petit Canard, et il n’est pas impossible que je bloque totalement l’accès de mon site aux robots de Facebook, rendant ainsi impossible de republier mes articles sur cette daube. Aucune raison de leur offrir quelque contenu que ce soit.
Pour mon petit lectorat, eh bien ils devront se ré-habituer à visiter un site web qui ne serait pas Facebook (le grand saut), ou à user d’autres moyens de veille médiatique comme RSS, par exemple.
Et à ceux qui me diront que je ne dois pas quitter Facebook parce que malgré tous ses défauts, il est utile, je répondrai ceci :
Si pour chacune des victimes assassinées par l’Empire ou ses féaux, vous déposiez ne serait-ce qu’un petit caillou blanc sur la cheminée pour vous en souvenir, vous auriez fait nettement plus que tous les posts Facebook du monde. La vie n’est pas virtuelle, la mort non plus. La pauvreté est quelque chose de très concret à mille lieues des vidéos de chatons et des caricatures rigolotes. Le pouvoir ne s’exerce pas, ou peu, sur les réseaux sociaux… tant qu’ils n’empiètent pas sur la réalité. Ne comprenez-vous pas qu’il s’agit là d’une soupape de sécurité ainsi que d’un instrument de contrôle des masses ? C’est concrètement le portage des deux minutes de la hainede George Orwell. Vous vous défoulez, puis vous retournez dans le rang.
Facebook n’est que l’illusion de la liberté d’expression, dont l’image s’étiole à l’infini, à l’instar de la liberté d’expression dans notre société. Il vous est encore permis d’y vaticiner le grand soir qui vient, mais en attendant l’interdiction de rêver, dites-vous bien que les rêves ne se partagent pas, c’est chacun chez soi, et quand vous vous réveillez le matin, c’est dans le monde réel. Métro, boulot (pour les privilégiés qui en ont un), et dodo (pour ceux qui ont encore un peu de temps pour ça).
Au plaisir de vous retrouver sur Le Vilain Petit Canard ou chez les collègues qui me font parfois l’honneur de me republier.
Philippe Huysmans
(*) Ndlr : En octobre 2016 la page Facebook d’Arrêt sur info, ouverte deux ans plus tôt, comptabilisait plus de 50 000 abonnés et progressait alors au rythme de 1500 – 2000 nouveaux abonnés par semaine. Pour tomber, du jour au lendemain, malgré le fait qu’il y avait toujours de nouveaux abonnements, à quelques centaines par mois. Puis à zéro depuis décembre 2017. Ce qui indique que Facebook a introduit un mécanisme qui « annule » et fait disparaitre les nouveaux abonnés,; le nombre des abonnés réels n’est plus comptabilisé, il demeure inchangé depuis décembre 2017 : 58 700. Reste à savoir pourquoi Facebook procède de la sorte?
Un blogueur qui a constaté les mêmes dysfonctionnements nous a transmis ce commentaire : « Je possède des Screenshots des stats de la page « Euro pro poutine russian brothers »: alors qu’elle comptait 140 000 abonnés en novembre 2016 elle n’a plus eu que 8 000 nouveaux abonnés depuis. Tout cela porte à croire que notre succès a été foudroyant et menaçait la crédibilité des médias mainstream ou des journaux nationaux qui devaient acheter leurs « likes » a Facebook contrairement a nous ! »
Source: https://www.levilainpetitcanard.be/articles/edito/au-revoir-facebook-bonjour-la-vraie-vie_752783997