Notre langue est en constante évolution. Cette évolution est en partie ascendante, grâce à l’inventivité de personnalités créatives ou de rédacteurs de publicités commerciales. D’autre part, cette évolution se fait de haut en bas, sous l’impulsion des pouvoirs en place qui cherchent à manipuler et à contrôler les processus de pensée du grand public.
Mon bref essai d’aujourd’hui porte sur ce dernier phénomène et sur l’introduction du mot « désinformation » dans le langage courant. Ce mot a une charmante fraîcheur, contrairement au mot « propagande », qui est périmé et répugnant.
Le mot « désinformation » s’inscrit dans un contexte temporel et intentionnel spécifique : il est utilisé par les pouvoirs en place et par les grands médias qu’ils contrôlent pour dénigrer, marginaliser et supprimer les sources d’informations militaires, politiques, économiques et autres susceptibles de contredire le discours officiel du gouvernement et de diluer ainsi le contrôle exercé par les détenteurs du pouvoir sur l’ensemble de la population. C’est pour éliminer la « désinformation » de la vie publique que les États-Unis et les États membres de l’UE interdisent à RT et à d’autres médias russes d’accéder à l’internet, aux chaînes de télévision par satellite et par câble. En Europe, la censure varie d’un pays à l’autre et c’est probablement en France et en Allemagne qu’elle est la plus radicale. On pourrait penser que ces États européens sont véritablement en guerre contre la Russie et qu’ils ne se contentent pas de donner un coup de main à Kiev.
En réalité, ce sont ces États censurés et les médias qui transmettent leurs messages avec une précision sténographique dans la presse écrite et électronique qui, jour après jour, alimentent le public en désinformation. Cette désinformation est composée de manière cynique et consiste en un mélange toxique de « spin », c’est-à-dire d’interprétation trompeuse des événements, et de mensonges purs et simples.
La bataille de plusieurs mois pour la ville de Bakhmut, dans la province du Donbas, ou Artyomovsk comme on l’appelle en Russie, a été décrite de diverses manières depuis les hautes sphères de Washington, de Londres et de Berlin. Lorsque l’issue probable n’était pas claire, la défense de Bakhmut a été qualifiée d’héroïque et de démonstration de l’esprit de combat courageux des Ukrainiens.
Les chiffres des pertes publiés par Kiev, puis claironnés par Washington, suggéraient que les Russes gaspillaient stupidement la vie de leurs combattants en utilisant des vagues humaines d’attaquants à la manière de la Première Guerre mondiale, qui étaient décimées par les défenseurs. Le message était le suivant : les vies russes ne coûtent pas cher. Le fait que l’artillerie russe sur place était plus nombreuse et plus performante que l’artillerie ukrainienne dans un rapport de cinq à sept a été librement admis par les propagandistes occidentaux qui plaidaient pour une augmentation des approvisionnements à Kiev. Ils ont néanmoins publié des rapports de pertes pour les Russes qui inversaient la corrélation des forces. On a supposé, évidemment avec raison, que le public était trop paresseux ou trop peu intéressé pour faire le calcul.
À un moment donné, les doreurs d’image de Washington, Londres et Berlin ont déclaré que la défense ukrainienne de Bakhmout avait du sens parce qu’elle immobilisait les forces russes et donnait aux Ukrainiens le temps de s’entraîner et de positionner leurs hommes en vue de la « contre-offensive » annoncée, au cours de laquelle ils envahiraient les positions russes en des points choisis de la ligne de combat de 600 miles et enfonceraient un coin jusqu’à la mer d’Azov, ouvrant ainsi la voie à la reconquête de la Crimée. Il s’agissait là de paroles et d’ambitions grandioses visant à justifier la poursuite et l’augmentation de l’aide militaire occidentale à Kiev.
À un autre moment, les doreurs d’image ont déclaré qu’il serait préférable que l’Ukraine cesse de perdre des hommes à Bakhmut et lance à la place cette contre-offensive tant vantée. On nous a alors dit que Bakhmut n’était qu’une fantaisie russe, qu’elle n’avait aucune valeur stratégique.
Au cours des deux dernières semaines, le commandement russe a publié des rapports quotidiens sur la prise progressive de Bakhmut par les forces russes, kilomètre carré après kilomètre carré. On nous a dit qu’elles contrôlaient 75 %, puis 80 % et, plus récemment, plus de 90 % de la ville proprement dite, tandis que les bombardements d’artillerie sur les derniers immeubles résidentiels de grande hauteur utilisés par les défenseurs ukrainiens pour leurs attaques de snipers et les rapports de renseignement sur les mouvements des troupes russes pulvérisaient tout ce qui se trouvait sur leur chemin.
À ce stade, l’attention des médias occidentaux défendant la vérité contre la désinformation russe s’est portée sur les « succès » ukrainiens dans la reconquête des localités situées sur les flancs de Bakhmout. Il y a trois jours à peine, le New York Times expliquait à ses lecteurs que ces « percées » des Ukrainiens mettaient en péril les forces russes qui tenaient la ville proprement dite : elles risquaient d’être encerclées et contraintes de se rendre ou de mourir. La possibilité que les offensives sur les flancs n’aient eu pour but que de faciliter le retrait des derniers soldats ukrainiens de Bakhmut et qu’elles aient été tolérées par les Russes pour éviter des combats sanglants jusqu’à la mort – cette possibilité n’a traversé l’esprit de personne au NYT, semble-t-il.
Hier 20 mai en milieu de journée, Evgueni Prigojine, le chef du groupe Wagner qui a mené l’essentiel des combats pour Bakhmout sur le terrain, a revendiqué la victoire totale. Dans la soirée, le président Vladimir Poutine a annoncé au public russe la prise de Bakhmout. Des messages de félicitations joyeux ont envahi les services de messagerie Internet en Russie, le grand public célébrant une victoire aussi emblématique que la bataille de Stalingrad.
Pendant ce temps, les défenseurs du public occidental contre la « désinformation » russe travaillaient d’arrache-pied, se creusant les méninges pour trouver quoi dire. Le New York Times de ce matin parle encore d’une bataille indécise pour Bakhmut, soulignant une fois de plus l’emprise ukrainienne sur les flancs.
Compte tenu des pertes en hommes et en matériel qu’ils ont subies en défendant Bakhmut, la reddition de la ville aux Russes sera un coup dur pour le moral des combattants ukrainiens lorsqu’elle sera finalement admise. Il en sera de même pour le sort de leur commandant en chef, le général Zaluzhny, qui, selon des sources russes, a été hospitalisé au cours des deux dernières semaines et reste dans un état critique après avoir été victime d’une frappe russe sur un centre de commandement provincial qui a tué la plupart des hauts gradés qui l’entouraient. Cela témoigne de l’incroyable succès des services de renseignement militaire russes dans la gestion de leur puissance de feu.
Pendant ce temps, l’attention des médias occidentaux sur l’Ukraine est commodément redirigée vers les voyages ininterrompus du président Zalensky qui, de sa tournée européenne, s’est rendu au Moyen-Orient, où il a assisté à la réunion de la Ligue arabe, puis, via un jet militaire français, au rassemblement du G7 à Hiroshima où il s’est entretenu avec d’autres chefs d’État et les a rejoints pour les photos de groupe obligatoires. Tout le monde a parlé de la date à laquelle les États-Unis donneront officiellement leur accord à l’envoi de F16 à Kiev. Pour les diffuseurs de désinformation occidentaux, il s’agit d’une merveilleuse distraction d’une guerre qui, de toute évidence, va mal pour Kiev et, en particulier, d’une distraction de la contre-offensive qui semble moins probable chaque jour que les frappes militaires russes sur les centres de commandement et les réserves d’armes de la partie ukrainienne.
Le panache de fumée et de cendres radioactives qui s’est élevé du dépôt d’obus d’artillerie britanniques à l’uranium appauvri de Khmelnitsky, dans l’ouest de l’Ukraine, après une frappe de missile russe, tout comme les dégâts considérables causés à l’installation de défense aérienne Patriot, près de Kiev, par un missile hypersonique russe Kinzhal, nous renseignent sur le sort des futures livraisons d’armes de l’Occident à l’Ukraine. Il est intéressant de se demander combien de temps encore les militaires ou les politiciens ukrainiens supporteront leur président à la vie bien remplie, alors que le pays est en train de sombrer dans l’enfer.
Source: Gilbert Doctorow