Par Jonathan Marshall – 16 novembre 2016
La victoire électorale de Donald Trump soulève de nombreuses questions sans réponse, mais elle en règle également quelques-unes, en commençant par le sort du processus de paix israélo-palestinien. Selon Naftali Bennett, ministre israélien de l’Éducation « l’ère de l’État palestinien est terminée».
Pour ne pas reprocher à cet extrémiste israélien de s’auto-persuader, il suffit de rappeler l’insistance du candidat Trump, au printemps dernier, disant que les Israéliens«doivent vraiment continuer» à s’installer dans les territoires qu’ils occupent depuis 1967. Deux mois plus tard, le parti Républicain modifia sa plate-forme politique, établie depuis 2012, en omettant de mentionner tout soutien à un État palestinien et en condamnant la«fausse idée qu’Israël est un occupant».
La semaine dernière, un coprésident du Comité consultatif israélien de la campagne Trump a réaffirmé que le président élu rejette le point de vue traditionnel de Washington, selon lequel la colonisation israélienne est un obstacle à la paix et est illégale au regard du droit international.
La soi-disant «solution à deux États» – la création d’une patrie nationale palestinienne comprenant la Cisjordanie et Gaza et coexistant avec Israël – a été un axiome de longue date de la politique officielle des États-Unis, mais aussi d’Israël et de son groupe de lobbying officieux, le Comité américain des affaires publiques israéliennes [l’AIPAC, NdT].
Cependant, l’accession des nationalistes juifs extrémistes au pouvoir en Israël, l’expansion incessante des colonies juives dans les territoires occupés et le désintérêt manifeste d’Israël pour les négociations de paix, ont tué l’espoir d’une telle solution. En 2015, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré: «Il n’y aura pas de retraits» de la Cisjordanie occupée et «aucune concession» ne sera faite aux Palestiniens.
Comme le souligne l’association Americans for Peace Now, «plus de 40% de la Cisjordanie est sous le contrôle direct des colons ou des colonies et zone interdite pour les Palestiniens […] Israël a réquisitionné des centaines de kilomètres en Cisjordanie pour construire des routes qui relient les colonies […] séparant les villes et les villages palestiniens les uns des autres et imposant diverses barrières aux mouvements et à l’accès aux Palestiniens […] Ces colonies et la construction de nouveaux édifices ont pour objectif explicite d’empêcher l’implantation d’une capitale palestinienne à Jérusalem-Est, ce qui signifie, par fait accompli, l’impossibilité de la solution à deux États.»
Beaucoup d’alliés les plus stables d’Israël aux États-Unis admettent maintenant cette réalité. Hillary Clinton, dans un courriel privé de 2015 à l’un de ses conseillers, a reconnu que le processus de paix israélo-palestinien était devenu un «spectacle Potemkine». Le secrétaire d’État John Kerry a averti publiquement que la colonisation israélienne «mettait en péril la viabilité d’une solution à deux États».
Roger Cohen, chroniqueur du New York Times et ardent libéral sioniste, a rapporté le mois dernier, après un voyage en Israël, que l’idée des deux États était «cliniquement morte». Il a expliqué : «L’assimilation de toute la Terre biblique d’Israël est allée trop loin, pendant trop longtemps, pour être inversée maintenant.»
De nombreux partisans israéliens d’une solution à deux États admettent publiquement cette amère vérité. L’ancien Premier ministre Ehud Barak accuse Netanyahou de s’engager dans un «mouvement messianique» vers «un seul État juif, du Jourdain à la mer Méditerranée». Pour le groupe en place de leaders de la droite israélienne, la question principale est maintenant de savoir s’ils doivent offrir aux Palestiniens la citoyenneté dans un Israël élargi ou les virer.
Les Palestiniens admettent également, en privé, que leur rêve d’un État est mort. Le sondeur palestinien Khalil Shikaki dit : «Nous, Israéliens et Palestiniens, ne vivons en réalité que dans un seul État.» L’ancien premier ministre palestinien Ahmed Qurei, a déclaré sans ambages : «Il n’y aura pas d’autre choix qu’un seul État. Aucun autre choix.»
Quel chemin prendre ?
Si l’État palestinien est vraiment mort, les Palestiniens devront abandonner leurs aspirations nationalistes vieilles de plusieurs décennies, un coup déchirant que beaucoup trouveront difficile à accepter. Les Israéliens, à leur tour, devront trouver de la place, dans un État démocratique binational, aux millions de Palestiniens – à peu près égaux en nombre aux juifs – un ajustement encore plus déchirant, que beaucoup combattront jusqu’au bout. Les sionistes libéraux avertissent depuis des années que le refus d’accepter un État palestinien obligera Israël à choisir entre rester un État démocratique ou devenir un État juif.
Comme l’a dit l’ancien Premier ministre Ehoud Barak, «l’ambition démesurée» d’absorber les territoires occupés «ne peut qu’aboutir soit à un État binational, qui, en une génération, aura une minorité juive et probablement une guerre civile de type bosniaque, ou à un état d’apartheid si les résidents palestiniens sont privés du droit de vote. Les deux issues marqueront la fin du rêve sioniste.»
Une réalité semblable à l’apartheid existe déjà pour les Palestiniens, mais de nombreux Israéliens et leurs partisans la rationalisent publiquement, comme une nécessité malheureuse mais temporaire, pendant une période de transition qui se terminera par un règlement de paix. Israël, en mettant de côté la détermination du statut définitif des territoires occupés, peut justifier de soumettre les Palestiniens à des lois militaires sévères, de saisir leurs terres, de démolir leurs maisons, de contrôler leurs mouvements et de les emprisonner à volonté, plutôt que de leur accorder les mêmes droits que les citoyens israéliens.
Le politologue israélien et ancien maire adjoint de Jérusalem, Meron Benvenisti, déclare depuis des années que « toute notion d’État palestinien […] est un leurre.» Israël a maintenu le prétexte des pourparlers de paix, seulement «parce qu’ils ont été utiles», a-t-il rajouté. Tout en parlant de la solution à deux États comme d’un objectif, les gouvernements israéliens continuent de financer l’expansion des colonies. Les responsables palestiniens, quant à eux, aident à faire respecter l’ordre en échange des millions de dollars d’aide internationale.
Mais si les extrémistes israéliens parviennent à mettre fin à la fiction d’un processus de paix et à annexer les territoires, «la lutte palestinienne sera inévitablement transformée d’un mouvement demandant l’indépendance en un mouvement exigeant l’égalité des droits», déclare James Zogby, président de l’Institut arabe américain. «Si tel est le cas, on pourra vite voir le jour où les citoyens palestiniens d’Israël vont émerger […] et prendre la nouvelle direction d’une communauté palestinienne unifiée, luttant pour la justice et l’égalité.»
Une telle lutte sera confrontée à une opposition énorme. Ces dernières années, les sondages d’adultes israéliens montrent que près de la moitié pensent que les Arabes devraient être expulsés d’Israël. Près de huit personnes sur dix estiment que les juifs devraient bénéficier d’un traitement préférentiel par rapport aux non-juifs. Le gouvernement Netanyahou et la Knesset sont remplis de racistes décomplexés. L’année dernière, Netanyahou a nommé comme ministre adjoint à la Défense un rabbin ayant affirmé que «[les Palestiniens] sont comme des animaux, ils ne sont pas humains».
Le défenseur de la paix israélien et analyste de l’opinion publique, Dahlia Scheindlin, ne minimise pas les obstacles, mais a déclaré que les Palestiniens pourraient être prêts à lutter pour leurs droits en Israël. «Mieux vaut le racisme israélien que l’occupation israélienne, écrivait-elle, et ils sentent probablement qu’ils peuvent vivre avec, aussi longtemps qu’existent des fondations démocratiques pour exiger mieux. Peut-être que pour eux, la domination israélienne ne rendra pas leur situation pire, mais au moins elle offre une possibilité qui manque à beaucoup d’entre eux : une citoyenneté.»
Des droits démocratiques
Un certain espoir est offert, du fait que plusieurs notables politiciens israéliens de droite favorisent l’octroi de droits démocratiques aux Palestiniens dans un grand Israël, plutôt que de les soumettre éternellement à une occupation militaire ou à une ségrégation de type Jim Crow [loi de ségrégation raciale aux États-Unis, NdT].
Comme l’a souligné le rédacteur en chef du New Yorker, David Remnick, il y a quelques années, le président israélien Reuven Rivlin – membre du parti de droite Likoud – est «apparu comme le plus éminent critique de la rhétorique raciste, du jingoïsme, du fondamentalisme et de la violence sectaire, comme le plus haut avocat parmi les Israéliens juifs pour les droits civils des Palestiniens en Israël et dans les territoires occupés».
Rivlin a visité une ville arabe qui avait été le théâtre d’un massacre israélien en 1956 pour s’excuser et «jurer, en mon nom et en celui de tous nos descendants, que nous n’agirons jamais contre le principe de l’égalité des droits, et que nous n’abuserons jamais quelqu’un de notre pays». Il a également condamné les fans racistes d’une équipe de football de Jérusalem, qui ont protesté contre l’embauche de deux joueurs musulmans.
Avec de tels sentiments, il n’est pas surprenant que Rivlin ait été qualifié de «traître», de «saleté pourrie», et même de «petit menteur juif» par ses ennemis israéliens.
Mais Rivlin n’est pas seul. Moshe Arens, ancien leader du Likoud, ministre de la Défense et des Affaires étrangères et ambassadeur aux États-Unis, soutient le droit de vote des Palestiniens vivant en Cisjordanie pour les élections israéliennes. La clé de la préservation de la démocratie israélienne, a-t-il écrit en 2010, sera de les faire se sentir chez eux dans l’État d’Israël, «jouissant non seulement de l’égalité des droits, mais aussi de l’égalité des chances».
Il faudra un petit miracle pour persuader l’opinion publique israélienne de risquer d’élargir sa démocratie en intégrant des millions de Palestiniens, mais plus le statu quo est insupportable, moins il est probable que les Israéliens continueront à jouir des droits démocratiques et civils qu’ils connaissent depuis longtemps. Les médias israéliens sont sous la menace du gouvernement, ce qui amène Freedom House à rebâtir son évaluation de la presse du pays de «libre» à «partiellement libre». Les militants de la paix israéliens et les ONG sont constamment harcelés et persécutés. Les manifestants de droite chantent régulièrement «mort aux Arabes».
L’ancien ministre de la Défense Moshe Yaalon, membre du parti Likoud, a récemment déclaré: «La direction d’Israël en 2016 est occupée à enflammer les passions et à provoquer la peur entre les juifs et les Arabes, entre la droite et la gauche et entre les différents groupes ethniques pour survivre au pouvoir.»
Et Ilan Baruch, l’ancien ambassadeur d’Israël en Afrique du Sud, déclarait : «Netanyahou mène la démocratie israélienne droit dans le mur […] C’est le gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays, qui n’a aucun scrupule à prendre des mesures tactiques et stratégiques dans les médias, l’éducation et la culture, afin d’assurer le règne permanent de Netanyahou. Pour ce faire, le gouvernement sème la division raciale […] Calomnie et prêche de la haine de l’autre – qu’il s’agisse de citoyens arabes d’Israël, de Palestiniens, de réfugiés africains ou de défenseurs des droits de l’homme.»
Néanmoins, grâce au prétexte d’une solution à deux États mise en péril par la victoire de Trump et l’intransigeance extrême de Netanyahou, les partisans de la démocratie israélienne et des droits des Palestiniens peuvent enfin entamer une discussion sans préjugés sur la manière de parvenir à un véritable accommodement entre ces deux peuples, sur une terre commune.
Selon Sandy Tolan, auteur du best-seller international The Lemon Tree, «au moins, il y a maintenant l’occasion de jeter les bases d’une nouvelle forme de solution fondée sur les droits de l’Homme, [le droit international, ndlr] la liberté de mouvement, l’arrêt complet de la construction de colonies et l’égalité d’accès à la terre, à l’eau et aux lieux de culte. Il faudra se fonder sur une nouvelle réalité, à laquelle Israël et les États-Unis ont participé. Pensez-y comme la solution à un seul État.»
Jonathan Marshall
Source: ConsortiumNews