La Chine veut des routes sûres pour ses marchandises et la Russie veut exercer une influence mondiale au moyen de ses compagnies pétrolières et de ses banques d’État capables d’offrir des lignes de crédit aux nations sud-américaines en difficulté.
Todd Royal | 4 décembre 2017 | The National Interest
Une rencontre de juillet dernier entre le président chinois Xi Jinping et le Premier ministre russe Dmitry Medvedev a jeté les fondements commerciaux et politiques de la Route Arctique chinoise, qui devrait s’unir avec la BRI (Belt & Road Initiative ou « Nouvelle route de la soie ») et comprendre un partenariat technologique et stratégique avec la Russie dans la mer Arctique : le partenariat a pour but ultime d’unir les deux nations dans l’hémisphère occidental, au moyen de la construction en cours du canal du Nicaragua, pour remplacer le canal de Panama.
Au début des années 2000, le commerce maritime mondial a connu une croissance sans précédent, quand la Chine est devenue un partenaire commercial des économies développées et de celles en voie de développement. La Route Arctique et la BRI créent un scénario géopolitique dans lequel la Chine et la Russie prennent solidement pied au Nicaragua, mais aussi ailleurs en Amérique Latine, grâce au groupe HKND de l’investisseur chinois Wang Jing. En 2013, la compagnie de Jing a obtenu, du président Ortega, un permis pour la construction du canal et pour son exploitation pendant cinquante ans. Le canal du Nicaragua aura trois fois la longueur et deux fois la largeur » du canal de Panama, apportant une nouvelle solution au transport maritime entre la Chine et la Côte Est des États-Unis.
La BRI, sur le parcours de la Route de la Soie historique, va concerner 65 pays, 4,4 milliards de personnes et 30% du PNB du monde. L’investissement de Pékin totalisera un trillion de dollars [douze zéros, ndt]. Un des projets-types de la BRI est le Corridor Économique Sino-Pakistanais (CPEC) dont le coût s’élève à 62 milliards de $. Si la BRI est reliée à la Route Arctique, on se trouve en présence d’une situation gagnante-gagnante en matière de coopération éonomique, du même genre que l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), qui a amené les voisins combattants, l’Inde et le Pakistan, à s unir pour se développer pacifiquement. Ceci est typique de la politique chinoise de stabilité par l’intégration culturelle et sociale, qui tient compte du fait qu’il ne peut y avoir de prospérité sans sécurité.
Une fois que la Chine aura relié les deux projets avec l’aide de la Russie, les deux pays auront la possibilité de peser sur les destinées du Conseil Arctique et de l’Europe, diminuant ainsi le pouvoir des Etats-Unis et de l’OTAN. Sans compter que les leçons apprises de l’Arctique pourront s’appliquer au Nicaragua, parce qu’il y a un aspect pacifique dans le développement du secteur maritime de la BRI à travers l’Arctique, qui « diversifie les routes commerciales en impliquant des états voisins dans des projets portuaires et dans la recherche scientifique ».
La Chine veut acheminer des marchandises vers l’Europe par l’Arctique, solution qui réduirait ses parcours maritimes de 20 à 30%, diminuerait la quantité de pétrole nécessaire pour transporter ces marchandises et ferait baisser d’autant le taux d’émissions polluantes. Du fait que 90% des marchandises chinoises sont transportées par mer, la réduction escomptée signifierait des économies plus grandes et des bénéfices plus élevés, tant pour les firmes chinoises que pour les autres. Mi-novembre, la Chine a lancé le brise-glaces Xue Long (la Russie a deux brise-glaces nucléaires), via le passage Nord-Ouest de l’Arctique, pour aider à relier la BRI à la Route Arctique. Ceci permettra à la Chine de relier le port de Dalian à Rotterdam dans les deux tiers du temps normal.
Il y a trois routes viables dans l’Arctique : la route Nord-Est, la route Nord-Ouest et la route « Nord-Nord », qui passe par le Pole. C’est du point de vue financier et géopolitique que ces routes justifient un croisement russo-chinois, parce que l’absence d’infrastructures plus la rigueur du climat font de la Route Arctique une proposition coûteuse – compte tenu, surtout, du fait que les trois routes ne peuvent être utilisées que quatre mois par ans.. La route Nord-Nord restera inaccessible jusqu’en 2050, selon les estimations des scientifiques, rendant, par là même, les deux autres encore plus coûteuses.
Mais ces routes, pour la Russie – et particulièrement pour la Chine – sont inestimables. Pour prendre un exemple : le canal de Suez, qui est actuellement pour la Chine le seul moyen d’atteindre l’Europe, prend douze mille miles nautiques par rapport au passage Nord-Ouest, option qui ramène le trajet à moins de sept mille miles nautiques. Les possibilités sont formidables, et c’est pourquoi Pékin investit de façon si considérable dans les ports d’outremer – ainsi qu’en témoigne la première base chinoise à Djibouti (port aussi important pour les États-Unis que pour la Chine, à cause du Détroit de Bab-el-Mandab) – et dans les infrastructures à un degré sans précédent.
Tout ce que la Chine pourra faire pour réduire les temps de navigation et augmenter les bénéfices avec l’assistance russe, deviendra le nœud central du lien entre la BRI et la Route Arctique.
Il est probable que la Russie fera son miel et acceptera la présence de la Chine en Amérique Latine, eu égard aux avantages du canal du Nicaragua et de ce que Pékin entreprend économiquement et politiquement dans la région. Mais la Russie fera son miel dans l’Arctique et y gagnera la capacité d’exploiter les hydrocarbures et les autres ressources naturelles, grâce à la fonte rapide des glaciers. Avec les capacités de la Russie dans l’Arctique et les besoins de a Chine en ressources et en finances pour soutenir ses coûteuses infrastructures, le projet titanesque de relier les deux routes offrira une alternative à l’ordre planétaire post-IIe Guerre mondiale imposé par les Etats-Unis. Cela signifie que des pays seront en mesure de choisir entre travailler avec les USA ou avec un bloc économique sino-russe qui tient à faire du commerce et de la géopolitique en même temps.
La viabilité d’un gargantuesque canal du Nicaragua, alors que le canal de Panama vient de subir une remise en état de 5,2 milliards $, paraît sottement aventureuse, mais pas si on considère la position de la Chine, qui en retire de nouvelles technologies en matière de commerce maritime et de canaux, tout en apprenant comment réduire ses frais de recherche et de développement. Bien que certains croient que le canal du Nicaragua soit une chimère, la Chine y voit un moyen de décongestionner la circulation dans l’hémisphère occidental, de créer de nouvelles possibilités économiques, de raccourcir les voyages et de construire des pipelines, des lignes de chemin de fer, des réseaux de cables en fibres optiques, des canaux de télécommunications et d’autres infrastructures.
La Chine veut des routes sûres pour ses marchandises et la Russie veut exercer une influence mondiale au moyen de ses compagnies pétrolières et de ses banques d’État capables d’offrir des lignes de crédit aux nations sud-américaines en difficulté. Au moyen des projets infrastructurels massifs que le canal du Nicaragua représente, la Chine et la Russie peuvent relier entre elles plusieurs régions d’Amérique Latine et pousser vers la sortie l’influence politique US par des moyens pacifiques et économiques. Si l’on en croit le centre US de la London School of Economics, les quatre intérêts principaux de la Chine en Amérique Latine sont : de s’assurer des ressources, d’acquérir un soutien politique et économique dans les forums régionaux et internationaux, d’encourager les nations à reconnaître la Chine au lieu de Taïwan et d’ouvrir de nouveaux marchés aux marchandises chinoises
Des investissements stratégiques, la sécurité et la capacité de projeter du pouvoir économiquement, politiquement et géopolitiquement non sans connotations financières, sont les raisons qu’on la Chine et la Russie de se serrer les coudes dans l’Arctique, pour prendre l’avantage sur les États-Unis en Amérique du Sud et Centrale, et si possible dans les Caraïbes. L’investissement et la connectivité sont les buts visibles de la BRI et de la Route Arctique, Mais la connectivité avec l’hémisphère occidental grâce au canal du Nicaragua semble être le bénéfice ultime qu’escomptent la Chine et la Russie en accroissant leur relation commerciale.
Todd Royal, M.P.P. (Master of Public Policy) est un auteur et un consultant, basé à Los Angeles, Californie, qui écrit notamment dans The National Interest.
Source: The National Interest