Guillaume Borel | 21 septembre 2016

« Il ne s’agit pas ici de contester l’urgence ou la gravité de la situation humanitaire des populations civiles dans la région d’Alep, mais de montrer comment cette thématique est instrumentalisée, par la coalition internationale menée pas les Etats-Unis, dans le but de sauver les factions djihadistes combattant au sol. »

syrie convoi alep

Crédits/photos : OMAR HAJ KADOUR (AFP)


Le bombardement des positions de l’armée syrienne par l’aviation américaine près de l’aéroport de Deir ez-Zor, le 17 septembre, a signé la fin de la trêve « humanitaire » négociée entre la coalition internationale et l’axe Moscou-Damas. Cet engagement armé de la coalition contre l’armée régulière syrienne a pris place au cours d’une offensive de Daech dans la région et a permis aux combattants du groupe terroriste de s’emparer des positions occupées par les troupes gouvernementales près de l’aéroport de la ville. Cet événement a donc marqué la coopération opérationnelle des Etats-Unis et des membres de la coalition avec le groupe Etat Islamique ainsi que la fin de la trêve négociée précédemment et destinée, comme je le soulignais dans un précédent article, à desserrer l’étau autour des combattants du Front Al-Nosra qui occupent la partie est d’Alep.

Mardi 20 septembre, la destruction de la majeure partie d’un convoi d’aide humanitaire de l’ONU et du Croissant Rouge à destination de la périphérie d’Alep a donné lieu à une nouvelle offensive de la propagande occidentale sur la thématique « humanitaire » ciblant l’armée syrienne et son allié russe. Cette attaque s’est déroulée opportunément alors que s’ouvrait la 71ème assemblée générale de l’ONU et a permis aux leaders occidentaux qui se sont succédé à la tribune des Nations Unies de clamer leur « indignation » face à ce qui apparaît comme un acte barbare, mais aussi d’insister sur l’urgence de la mise en place d’une nouvelle trêve permettant de faire parvenir aux populations civiles l’aide humanitaire internationale. Il ne s’agit pas ici de contester l’urgence ou la gravité de la situation humanitaire des populations civiles dans la région d’Alep, mais de montrer comment cette thématique est instrumentalisée par la coalition internationale dans le but de sauver les factions djihadistes combattant au sol.

Il faut en effet d’abord remarquer que c’est le bombardement des positions de l’armée syrienne par la coalition internationale près de Deir ez-Zor en appui d’une offensive de Daech qui a mis fin de facto à la trêve toute relative signée par les belligérants le 9 septembre, et qui n’avait semble-t-il jamais été respectée par les groupes djihadistes. Selon le général russe Viktor Poznikhir : « Seules les parties russe et syrienne remplissent entièrement leurs engagements. » Moscou a également accusé les rebelles de « profiter de la trêve pour se regrouper et remplir les stocks de munitions et d’armements ».

L’attaque de mardi contre un convoi humanitaire de l’ONU et du Croissant Rouge constitue donc un prétexte idéal, dans le contexte d’indignation internationale qu’elle a suscité, à l’imposition d’un nouveau cessez-le-feu à l’avantage des groupes djihadistes soutenus par la coalition.

La destruction du convoi humanitaire a ainsi été immédiatement attribuée aux forces armées syriennes, puis russes, sans que des éléments tangibles viennent pour l’instant les étayer.

Le directeur de l’ONG syrienne Shafak a ainsi déclaré « Nous ne sommes pas sûrs si ce sont des hélicoptères ou des avions qui sont intervenus en premier. Mais ce qui est sûr, c’est que la deuxième frappe venait d’un avion, et qu’elle était particulièrement précise.»  Les rebelles ne possédant pas d’aviation ces déclarations, désignant l’action des forces armées syriennes et de l’aviation russe, ont été immédiatement reprises par le département d’Etat américain. John Kerry a ainsi réagi : « Les Russes contrôlent Assad qui de toute évidence bombarde indistinctement, y compris des convois humanitaires », ajoutant pour faire bonne mesure : « Nous avons besoin de voir ce qu’il s’est passé et ensuite on se fera une opinion. » Bel exemple d’inversion accusatoire qui consiste tout d’abord à désigner un coupable puis de demander des investigations afin « d’établir les faits »… On peut toutefois remarquer que les premiers témoignages, remontant du terrain et émanant pour la plupart de militants d’ONG humanitaires, se contredisent sur l’origine des bombardements ayant détruit le convoi. Il s’agit tantôt de « bombes baril » larguées par un hélicoptère syrien, tantôt de tirs de missiles de l’aviation russe, voir les deux.

Zakariah Junaid un activiste média proche des rebelles, a ainsi raconté à la BBC :

« Le bombardement a commencé avec un hélicoptère qui a largué deux bombes-barils ; elles sont tombées sur le dispensaire du croissant Rouge Syrien, dans la campagne à l’ouest d’Alep… 30 minutes plus tard ce sont des avions qui ont attaqué le centre médical, cette fois à la roquette… »

Le New-York Times rapporte quant à lui les déclarations d’un « haut fonctionnaire américain » affirmant que « le Pentagone a déterminé avec une probabilité très haute qu’un Sukhoï 24 russe se trouvait directement à la verticale du convoi moins d’une minute avant que l’attaque ne soit rapportée. »

Mardi, le porte-parole du bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires, Jens Laerke, a toutefois démenti ces affirmations en déclarant : « Nous ne sommes pas en position d’affirmer qu’il s’agissait d’attaques aériennes. Nous pouvons simplement dire que le convoi a été attaqué. »

Malgré les dénégations officielles des gouvernements russes et syriens des témoignages émanant d’ONG, d’activistes médias proches des rebelles, ou encore du Pentagone, concordent tous à pointer la responsabilité de l’aviation russe et/ou de l’armée syrienne, dans ce qui apparaît comme une attaque délibérée et coordonnée.

On peut cependant s’interroger sur le bénéfice opérationnel et tactique d’une telle attaque pour le régime syrien et son allié russe, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une « bavure ». Si, comme l’affirment les différents témoignages, le bombardement était coordonné et planifié, quel pouvait être son objectif stratégique à part provoquer l’indignation internationale et créer un rapport de force en faveur de la négociation d’une nouvelle trêve « humanitaire » ?

Selon le journal Libération, le convoi était régulier et avait reçu les autorisations nécessaires de Damas, il empruntait cette route « une fois par mois ». Le centre de stockage était également identifié par l’armée syrienne. Ces éléments permettent donc d’écarter l’hypothèse d’une « bavure » et ne laissent subsister que celle d’une attaque délibérée ne répondant pourtant à aucun objectif opérationnel et stratégique autre que celui de susciter l’indignation internationale et de décrédibiliser toute l’action militaire du régime syrien et de son allié russe…

Il y a une autre possibilité. Il peut évidemment s’agir d’une attaque des groupes djihadistes dans le but d’en imputer la responsabilité aux forces régulières syriennes et russes et susciter ainsi l’indignation « humanitaire », ce qui créerait un rapport de force favorable susceptible d’imposer une nouvelle trêve.

Suite à l’attaque, l’ONU a ainsi immédiatement suspendu toutes ses opérations visant à acheminer de l’aide humanitaire, ce qui aura pour effet de renforcer la dégradation de la situation des populations civiles et l’urgence d’imposer une nouvelle trêve destinée à leur porter assistance. Dans les faits, l’imposition d’une nouvelle trêve est essentielle au renforcement des capacités militaires des groupes djihadistes et à leur approvisionnement…

Le 17 septembre, le gouvernement syrien accusait les groupes rebelles d’entraver le déploiement de l’aide humanitaire dans la région d’Alep, avançant qu’ils avaient menacé d’attaquer la route que les convois devaient emprunter. Les rebelles continuent à ouvrir le feu sur la route du Castello et les routes secondaires adjacentes, ajoutait le ministère syrien des affaires étrangères. Ces derniers refusent en effet les termes de l’accord américano-russe sur l’acheminement de l’aide humanitaire et plus particulièrement le fait que cette dernière soit supervisée par les forces russes et le gouvernement syrien. On comprend donc mieux l’intérêt qu’auraient ces groupes à imposer un nouvel accord sur la question stratégique de l’aide humanitaire, qui leur permettrait, si cette dernière n’était plus contrôlée par les forces russes ou le gouvernement syrien, d’acheminer des armes et des équipements aux groupes djihadistes actuellement pris au piège dans les quartiers est d’Alep…

Guillaume Borel | 21 septembre 2016

Guillaume Borel, documentaliste, analyste politique, est l’auteur de l’ouvrage Le travail, histoire d’une idéologieÉditions Utopia: 2015. Il s’intéresse aux questions de macro-économie, à la géopolitique et aux questions de propagande et d’intoxications médiatiques.

Source: https://arretsurinfo.ch/convoi-humanitaire-detruit-en-syrie-a-qui-profite-le-crime/