Par Glenn Greenwald | 4 février 2015

“Living Under Drones: Death, Injury and Trauma to Civilians From US Drone Practices in Pakistan”, NYU School of Law and Stanford University Law School, 2012. »

La conséquence la plus immédiate des attaques de drones est, évidemment, la mort et les blessures des personnes visées ou se trouvant à proximité. Les missiles tirés par les drones tuent et blessent de diverses manières, y compris en carbonisant les victimes, par les éclats d’obus et la libération de puissantes ondes de choc qui peuvent détruire les organes internes. Ceux qui survivent aux attaques de drone souffrent souvent de brûlures défigurantes et de blessures dues aux éclats d’obus, d’amputations de membres ainsi que de pertes de la vision et de l’ouïe….

En plus, parce que les missiles Hellfire tirés depuis les drones brûlent souvent les corps des victimes, les déchiquetant et les rendant impossibles à identifier, les rituels funéraires traditionnels en deviennent impossibles. Firoz Ali Khan, un commerçant dont le beau-père avait vu sa maison détruite, le décrit clairement: «Ces missiles sont vraiment puissants. Ils détruisent les êtres humains… Il ne reste personne à part des petits morceaux. Des morceaux. Ce qu’ils laissent derrière eux, c’est juste des petits morceaux de corps et des vêtements.» Un médecin qui a traité des victimes de drones a décrit comment «la peau est tellement brûlée que vous ne pouvez pas dire si c’est du bétail ou un être humain». Une autre personne a dit que lorsqu’elle est arrivée sur le site de l’attaque qui avait tué son père, «toute la place avait l’air d’être totalement brûlée, au point que que même les vêtements des victimes avaient brûlé. Toutes les pierres alentour étaient devenues noires.» Ahmed Jan, qui a perdu un pied lors de l’attaque de la jirga [assemblée tribale qui vise à prendre des décisions par consensus, surtout au sein de l’ethnie Pachtoune, au Pakistan et en Afghanistan, source wikipedia, NdT] du 17 mars, a parlé des défis auxquels étaient confrontés les équipes de sauveteurs pour identifier les corps : «Les gens essaient de retrouver les différentes parties des corps. Nous trouvons des morceaux de quelques personnes, mais parfois nous ne trouvons rien

Un père a expliqué que l’enterrement de parties essentielles du corps de son fils avait dû être reporté en raison des graves mutilations subies. «Après cette attaque, les villageois ont transporté les corps à l’hôpital. Nous ne les avons pas vus. Ils étaient dans des cercueils, des boîtes. Les corps étaient en pièces, et brûlés.» Idris Farid, qui a été blessé et a perdu plusieurs parents dans l’attaque de la jirga du 17 mars, a décrit comment, après l’attaque, les membres de la famille «ont dû rassembler les morceaux de leurs corps et leurs os avant de les enterrer comme ça.» La difficulté d’identification des corps ne permet pas non plus d’inhumer les individus dans des tombes séparées. Masood Afwan, qui a perdu plusieurs membres de sa famille dans l’attaque de la jirga du 17 mars, a décrit comment les morts dus à cette attaque ont été enterrés : «Ils ont organisé des funérailles pour tous, dans le même endroit, un par un. Leurs corps étaient dispersés en petits morceaux. Ils… ne pouvaient pas être identifiés »…

Voir par ex., Yancy Y Phillips & Joan T. Zajchuk, The Management of Primary Blast Injury, in Conventional Warfare: Ballistic, Blast and Burn Injuries 297 (1991) («Le choc thermique d’une détonation peut brûler la peau nue, ou des feux secondaires peuvent être déclenchés par la détonation, provoquant de graves brûlures.»); AGM-114N Metal Augmented Charge (MAC) Thermobaric Hellfire, GlobalSecurity.org,http://www.globalsecurity.org/military/systems/munitions/agm-114n.htm (consulté le 17 août 2012). (La nouvelle ogive [AGM-114N Thermobaric Hellfire] contient de la poudre d’aluminium fluoré réparti par couches entre l’ogive et la charge explosive PBXN-112. Lorsque le PBXN-112 explose, le mélange d’aluminium est dispersé et brûle rapidement. La forte pression persistante qui en résulte est extrêmement efficace contre les ennemis, tant les personnes que les bâtiments.); Explosions and Blast Injuries: A Primer for Clinicians, Center for Disease Control and Prevention, http://www.bt.cdc.gov/masscasualties/explosions.asp (consulté le 17 septembre 2012) (énumère les divers types de lésions par souffle comme les brûlures (épaisseur flash, partielle ou totale).

Mirza Shahzad Akbar, The New York Times, May 22, 2013.

Quelques jours après le discours d’investiture d’Obama, un drone de la CIA a largué des missiles Hellfire sur la maison de Fahim Qureishi, au nord du Waziristan, tuant sept membres de sa famille et blessant gravement Fahim. Il n’avait que treize ans et il s’est retrouvé avec un œil en moins et des éclats d’obus dans l’estomac…

M. Obama a prévu de prononcer un discours important sur les drones à l’Université de la défense nationale aujourd’hui. Peut-être dira-t-il à ses concitoyens que ces drones sont précis et efficaces pour tuer des combattants.
Mais ces paroles seront une piètre consolation pour la petite Nabila, 8 ans, qui revenait de l’école le 24 octobre et jouait dans un pré devant sa maison avec ses frères et sœurs et ses cousins pendant que sa grand-mère cueillait des fleurs. A 2h30 de l’après-midi, un missile Hellfire venu du ciel a frappé juste en face de Nabila. Sa grand-mère a été gravement brûlée et a succombé à ses blessures; Nabila a survécu à ses graves brûlures et aux blessures dues à des éclats d’obus dans l’épaule.

Al Jazeera, “Yemenis seek justice in wedding drone strike,” May 21, 2014.

Mousid al-Taysi faisait partie d’un convoi célébrant le mariage d’un cousin lorsqu’un missile s’est abattu sur lui. Tout ce qu’il se rappelle, ce sont des couleurs rouge-orange vif, puis l’affreux spectacle d’une douzaine de corps brûlés et les cris des autres blessés autour de lui.

Mousid a survécu à l’attaque du 12 décembre dans la province al-Baydah au centre du Yémen, apparemment due à un drone américain, mais il commence seulement à recouvrer ses moyens physiques et psychiques. Si elle est confirmée, ce serait l’attaque de drone la plus meurtrière en plus d’une année…

Après avoir parlé avec les victimes et les membres de la famille dans la région, il est devenu clair qu’il y avait une majorité de civils dans le carnage du convoi de mariage visé…

Les civils sous la menace des drones ont dit vivre dans la peur constante d’être frappés de nouveau. «Beaucoup de gens dans notre village sont terrorisés à l’idée d’une nouvelle attaque», a déclaré Sulaimani. «Quand les enfants entendent un avion, ils ne grimpent plus dans les arbres pour voir d’où vient le bruit. Chacun regagne immédiatement sa maison en courant»

CNN, December 23, 2011:

Elle a des cils, mais pas de sourcils. Elle a tous ses doigts, mais il lui manque quatre ongles. Sa peau est maintenant si tendue qu’elle ne peut plus froncer les sourcils.

Mais elle peut encore sourire.

Son visage raconte l’histoire d’une souffrance. Elle s’appelle Shakira, elle raconte l’histoire d’un nouveau voyage…
La semaine dernière, la petite Shakira, 4 ans, est arrivée aux Etats-Unis. Son tuteur, Hashmat Effendi, espère que ce sera le départ d’une nouvelle vie pour elle.
Shakira, a été découverte souffrant de brûlures graves au Pakistan, elle va subir une chirurgie reconstructive en janvier… Ce que tout le monde peut dire est qu’il y a eu là-bas une attaque de drones américains, mais le gouvernement affirme que les drones n’ont jamais visé de cibles à Swat.

The Independent, “The fog of war: white phosphorus, Fallujah and some burning questions”, November 15, 2005

Depuis novembre dernier, lorsque les forces US ont combattu pour libérer Fallujah des insurgés, il y a eu des affirmations répétées que les troupes ont utilisé des armesinhabituelles lors de l’assaut qui ont presque rasé la ville irakienne. La controverse a notamment porté sur les obus au phosphore blanc (WP) – une arme incendiaire généralement utilisée pour dissimuler les mouvements des troupes, mais qui peut également être employée comme une arme offensive contre l’ennemi. L’usage de ces armes incendiaires contre des civils est interdit par les accords internationaux…

Le débat a été relancé lorsqu’un documentaire italien a affirmé que des civils irakiens – dont des femmes et des enfants – avaient été tués par les terribles brûlures causées par les WP. Le documentaire, Fallujah : le massacre caché, (Fallujah: the Hidden Massacre), réalisé par la RAI, la télévision publique italienne, a cité un activiste pour les droits de l’homme de Fallujah rapportant comment les habitants ont parlé d’un déluge de feu tombé sur la ville… Les affirmations du documentaires de la RAI ont suscité une vigoureuse réponse officielle de la part des Etats-Unis…

Tandis que des experts militaires ont été d’accord avec certaines de ces critiques, une enquête de The Independent sur les preuves disponibles suggère ce qui suit : des obus WP ont été tirés sur des insurgés, des rapports provenant du champ de bataille indiquent que les troupes qui ont tiré ces obus WP ne savaient pas toujours qui elles frappaient et que de nombreux rapports font état de civils souffrant de graves blessures par brûlure. Alors que le commandement militaire US soutient avec insistance qu’il s’efforce toujours d’éviter les pertes civiles, l’histoire de la bataille de Fallujah révèle la difficulté inhérente à une telle entreprise.

Il est clair aussi que certains éléments au sein du gouvernement américain ont fourni de fausses informations sur la bataille de Fallujah, ce qui complique l’accès à la vérité. Quelques personnes dans le gouvernement US ont déjà publié des déclarations mensongères sur l’usage en Irak d’une autre arme incendiaire controversée – le napalm…
Un autre rapport, publié dans le Washington Post, a donné une idée du type de blessures que cause un obus WP. Il a affirmé que des insurgés « ont rapporté avoir été attaqués avec une substance qui faisait fondre leur peau, une réaction cohérente avec les brûlures au phosphore ». Un physicien d’un hôpital local a dit que les corps des insurgés « étaient brûlés, et certains d’entre eux avaient fondu»

Il existe pourtant d’autres rapports indépendants sur des civils de Fallujah souffrant de blessures par brûlures. Par exemple, Dahr Jamail, un journaliste indépendant, qui a recueilli le témoignages de réfugiés de la ville, a rapporté de nombreux cas de civils souffrant de brûlures inhabituelles.

Un habitant lui a raconté que les Etats-Unis utilisaient «des bombes bizarres qui émettent un nuage de fumée en forme de champignon» et qu’il a vu «des morceaux de ces bombes exploser dans de grands incendies qui continuent à brûler sur la peau même après que les gens ont mis de l’eau sur les brûlures». Le médecin a dit qu’il a «soigné des gens dont la peau avait fondu».

Jeff Englehart, un ancien marine qui a passé deux jours à Fallujah pendant la bataille, a dit qu’il avait entendu l’ordre donné par le commandement militaire qu’il ne fallait pas tirer des obus WP. Dans le film de la RAI, M. Englehart, aujourd’hui très critique à l’égard de la guerre, affirme: «J’ai entendu l’ordre de faire attention parce qu’ils allaient utiliser du phosphore blanc sur Fallujah. Dans le jargon militaire, c’est connu sous le nom de Willy Pete [les initiales de White Phosphorus, phosphore blanc en anglais, NdT]… Le phosphore brûle les corps, en fait il fait fondre les chairs jusqu’à l’os… J’ai vu les corps calcinés de femmes et d’enfants »…
Le napalm a été utilisé en plusieurs occasions pendant la première invasion. Le colonel Randolph Alles, commandant du Marine Air Group 11, a remarqué pendant l’invasion initiale de l’Irak en 2003 : «Les généraux aiment le napalm – il fait psychologiquement beaucoup d’effet.»

Lindsay Murdoch, The Age (Australia), March 19, 2013:

Je ne savais pas que le Pentagone m’avait traité de menteur…

Un éditeur de Sydney a reçu un appel du lieutenant-commandant du Pentagone un jour après le début de l’intervention au sol en Irak, il y a dix ans. Il m’a dit que mon article pour Fairfax Media sur le déclenchement des hostilités, qui faisait référence à l’usage du napalm à l’époque du Vietnam, était «manifestement faux»…

C’est seulement lorsque les pilotes de chasse et les commandants de l’US Marine Corps ont commencé à revenir de la zone des combats, plus tard en 2003, que le mensonge du Pentagone a été révélé dans des interviews réalisées par le San Diego Union Tribune.

Les pilotes ont décrit comment ils avaient largué d’énormes boules de feu, dont ils ont parlé comme étant du napalm, sur les forces irakiennes lorsque les marines combattaient pour faire tomber Bagdad.

Le 4 août 2003, un porte-parole du Pentagone a admis que des dispositifs incendiaires «Mark 77» étaient utilisés par les forces états-uniennes, dont il a reconnu qu’elles étaient «tout à fait semblables» aux armes au napalm.

Les Mark 77 utilisent un mélange de pétrole-gel semblable au napalm, a-t-il concédé.

Interrogé à propos des collines de Safwan, le colonel de marine états-unien Mike Daily a déclaré: «Je peux confirmer que des bombes incendiaires Mark 77 ont été larguées sur tout cette zone.»

Des bombes incendiaires ont aussi été larguées en avril 2003 près des ponts sur le canal Saddam et le Tigre, ont révélé des officiers de retour d’Irak.

« Nous avons déversé du napalm aux abords de ces deux ponts », a dit le colonel Randolph Alles, qui commandait le Marine Air Group 11 pendant la guerre. Il y avait là des soldats irakiens. Ce n’est pas une belle manière de mourir. »

Le colonel Alles a indiqué que le napalm «faisait beaucoup d’effet psychologique» sur l’ennemi. «Les généraux aiment le napalm», a-t-il ajouté.

Haaretz, October 22, 2006 (“Israel admits using phosphorus bombs during war in Lebanon”)

Israël a reconnu pour la première fois qu’il a attaqué des cibles du Hezbollah pendant la deuxième guerre du Liban avec des bombes au phosphore. Le phosphore blanc provoque des brûlures chimiques extrêmement graves et souvent mortelles à ceux qui sont atteints, et jusqu’à récemment, Israël a soutenu qu’il n’utilisait ce genre de bombes que pour marquer des cibles ou des territoires…

Pendant la guerre, plusieurs médias étrangers ont rapporté que des civils libanais montraient des blessures caractéristiques des attaques au phosphore, une substance qui brûle lorsqu’elle entre au contact de l’air. Un reportage de CNN a montré une de ces personnes dans un hôpital du Sud Liban.

Dans un autre cas, le Dr Hussein Hamud al-Shel, qui travaille à l’hôpital de Dar al-Amal à Baalbeck, a dit qu’il avait réceptionné trois corps « entièrement ratatinés et à la peau gris-vert», un phénomène caractéristique des blessures dues au phosphore.

Le président libanais Emile Lahoud a aussi affirmé que les Forces de défense israélienne (IDF) ont fait usage de munitions au phosphore contre des civils libanais.

Human Rights Watch, March 25, 2009 (“Israel: White Phosphorus Use Evidence of War Crimes”)

Les tirs répétés d’obus au phosphore par Israël sur les zones densément peuplées de Gaza pendant sa récente campagne militaire étaient inconsidérés et sont la preuve de crimes de guerre, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 71 pages, «Rain of Fire: Israel’s Unlawful Use of White Phosphorus in Gaza» contient des extraits de témoignages sur les effets dévastateurs des munitions au phosphore sur les habitants et les biens civils à Gaza…

«A Gaza, l’armée israélienne ne s’est pas contentée de recourir au phosphore blanc dans les zones ouvertes comme écran pour ses troupes», a affirmé Fred Abrahams, chercheur en chef sur les situations d’urgence auprès de Human Rights Watch et co-auteur du rapport. «ll y a eu des tirs au phosphore blanc répétés sur des zones densément peuplées, même si leurs troupes n’étaient pas dans cette zone et si d’autres obus fumigènes étaient disponibles. Résultat, des civils ont souffert et sont morts pour rien.»

Israël a commencé par nier utiliser du phosphore blanc à Gaza mais, face aux preuves croissantes du contraire, il a déclaré qu’il utilisait toutes les armes admises par la loi internationale. Plus tard, il a annoncé une enquête interne sur un éventuel usage inapproprié du phosphore…

L’IDF savait que le phosphore présente des dangers importants pour la vie des civils, a affirmé Human Rights Watch. Un rapport médical préparé pendant les récentes hostilités par le ministre israélien de la Santé a dit que le phosphore blanc « peut causer des blessures graves et la mort quand il entre en contact avec la pean, est inhalé ou avalé. » Des brûlures sur moins de 10% du corps peuvent être fatales à cause des atteintes au foie, aux reins et au cœur, constate le rapport. L’infection est courante et l’absorption par le corps du produit chimique peut provoquer des atteintes sérieuses aux organes internes, ainsi que la mort….

Tous les obus au phosphore blanc qu’a trouvés Human Rights Watch avaient été fabriqués aux Etats-Unis en 1989 par Thiokol Aerospace, qui à ce moment-là gérait l’usine Louisiana Army Ammunition… Le gouvernement des Etats-Unis, qui approvisionnait Israël avec ses munitions au phosphore blanc, devrait aussi mener une enquête pour déterminer si Israël en a fait usage en violation des lois de la guerre, a déclaré Human Rights Watch.

Boston Globe, February 14, 2013 (“Girl in famous Vietnam photo talks about forgiveness”):

La fille sur la photo — nue, en pleurs, brûlée, en train de courir avec d’autres enfants pour échapper à la fumée – est devenue une figure emblématique des souffrances endurées par les êtres humains pendant la guerre du Viêt Nam. Kim Phuc avait alors 9 ans, une petite fille qui passerait les 14 mois suivants à l’hôpital et le reste de sa vie avec une peau boursouflée par le napalm qui avait rongé son corps et totalement brûlé ses vêtements. Elle a couru jusqu’à la limite de ses forces, puis elle s’est évanouie…

Phuc était sortie et elle a vu l’avion s’approcher, puis elle a entendu le bruit de quatre bombes frappant le sol. Elle ne pouvait pas courir. Elle ne l’a su que plus tard, mais les bombes transportaient du napalm, une substance incendiaire semblable à du gel qui s’accroche à ses victimes jusqu’à ce qu’elle brûle.

« Subitement, j’ai vu du feu partout autour de moi », se souvient-elle. A ce moment, je n’ai vu personne, seulement le feu. Et soudain, j’ai vu mon bras gauche brûler. J’ai tenté de l’éteindre avec ma main droite. »

Sa main gauche était blessée aussi. Ses vêtements avaient complètement brûlé. Plus tard, elle serait reconnaissante que ses pieds soient restés intacts, ce qui lui a permis de partir en courant, jusqu’à ce qu’elle soit sortie de l’incendie. Elle a vu ses frères, ses cousins, et quelques soldats qui couraient aussi. Elle a couru jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus courir. Deux de ses cousins, âgés de 9 mois et 3 ans, sont morts dans le bombardement. Le corps de Phuc était brûlé à plus des deux tiers et personne ne s’attendait à ce qu’elle survive à ses blessures.

Contrairement à l’État islamique, en général, les Etats-Unis (quoique pas toujours) essaient de supprimer (plutôt que de publier) les preuves montrant les victimes de leur violence. En effet, dissimuler des compte rendus sur les victimes du militarisme américain est un aspect essentiel de la stratégie du gouvernement états-unien pour conserver le soutien à ses agressions permanentes. C’est pourquoi, en général, les médias états-uniens pratiquent une politique qui consiste à exclure et à ignorer systématiquement ces victimes (même si les faire disparaître de cette manière ne les empêche pas d’exister).

On peut soutenir de manière plausible qu’il y a un point de vue moral différent lorsqu’il s’agit (a) d’exécuter un prisonnier désarmé en le brûlant vif et (b) de tuer des civils par erreur ou même délibérément en les faisant brûler dans des zones qu’on bombarde avec des armes expressément destinées à brûler des êtres humains, souvent avec le maximum de souffrance possible. C’est le principe moral qui rend la torture particulièrement haïssable: infliger sadiquement douleur et souffrance à un détenu sans défense est une forme particulière de barbarie.

Mais il y a malgré tout quelque chose de tout à fait déconcertant dans ce rituel si apprécié qui consiste à dénoncer la barbarie du seul État islamique. C’est vrai que ce groupe semble s’être donné pour but – pour stratégie – d’être absolument sauvage, inhumain et moralement répugnant. Il est indiscutable que ce groupe est totalement nihiliste et moralement grotesque.

C’est exactement ce qui rend quelque part suspecte l’intensité de ces rituels répétés de dénonciation. Toute personne décente, par définition, comprend que l’État islamique est répugnant et sauvage. Il est compréhensible que le fait d’être contraint de regarder la sauvagerie sur une vidéo provoque des émotions fortes (bien que, de nouveau, cacher la sauvagerie ne la fait pas devenir moins sauvage dans les faits), mais il est difficile de ne pas conclure que la répulsion rituellement exprimée présente une utilité définitive.

L’orgie permanente de condamnations de ce groupe semble n’avoir pas d’autre utilité qu’une auto-affirmation tribale: quel que soient les actes atroces que pratique notre gouvernement, au moins nous ne faisons pas ça, au moins nous ne sommes pas aussi mauvais qu’eux. Dans certains cas, c’est peut-être vrai, mais même si ça l’est, les différences sont souvent davantage une question de degré que de fond (de même que les dénonciations indignées contre les talibans qui ont organisé un attentat suicide lors des funérailles d’une de leurs victimes dissimule le fait que les Etats-Unis pratiquent leur propre double punition en frappant les sauveteurs qui viennent au secours des victimes de leurs bombardements et les cérémonies funèbres en l’honneur des victimes de leurs drones.). Dans la mesure où ces rituels de dénonciation nous font oublier ou occulter davantage la brutalité de notre propre gouvernement – et il semble que c’est l’effet suprême sinon le but de ces rituels – ils sont pires qu’inutiles ; ils sont activement nocifs.