Les Palestiniens de Jénine marchent dans les rues endommagées de la ville et évaluent la destruction laissée dans le sillage d’une opération militaire israélienne de 10 jours. Le 6 septembre 2024. Photo de Shatha Hanaysha.

Après une opération militaire qui s’est soldée par la mort de dizaines de Palestiniens à Jénine et par d’importantes destructions dans les rues et les infrastructures de la ville et du camp les soldats israéliens se sont retirés.

Pendant dix jours, l’armée israélienne a imposé un siège à la ville de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie, tuant des dizaines de Palestiniens. Des centaines d’habitants ont été contraints de fuir en brandissant des drapeaux blancs, tandis que d’autres sont restés bloqués chez eux, sans eau ni nourriture.

L’invasion de Jénine faisait partie de l’opération « Camps d’été », une opération sur plusieurs fronts qui visait plusieurs villes et camps de réfugiés dans le nord de la Cisjordanie, notamment Jénine, Tulkarem et Tubas.

Selon le ministère palestinien de la santé, 39 Palestiniens ont été tués au cours de l’opération, dont 21 dans la seule ville de Jénine.

Au cours de cette opération, décrite comme la plus importante depuis l’opération « Defensive Shield », qui a décimé le camp de Jénine en 2002, les forces israéliennes ont également procédé à des frappes de drones ciblant des résistants dans plusieurs villes et villages voisins de Jénine. En outre, elles ont effectué de nombreux raids sur des maisons qui, selon elles, abritaient des individus recherchés.

3 septembre 2024 – Un Palestinien est assis sur les décombres d’une rue de la ville de Jénine après l’invasion militaire israélienne – Photo : Shatha Hanaysha

Dès que l’armée d’occupation israélienne s’est retirée de la ville de Jénine et du camp, les résidents déplacés sont retournés dans leurs maisons, qu’ils avaient quittées soit parce qu’ils avaient été forcés d’évacuer par l’armée israélienne, soit parce qu’ils avaient fui en raison des tirs nourris et des explosions massives à proximité de leurs maisons.

Alors que les familles déplacées rentraient chez elles, des centaines de volontaires venus des villes et villages voisins aidaient à déblayer les dégâts causés par les bulldozers militaires, qui avaient détruit des infrastructures vitales, des magasins et de nombreuses habitations.

Déplacés brandissant des drapeaux blancs

Alors que nous étions en reportage devant l’hôpital gouvernemental de Jénine, qui est resté assiégé pendant les jours de l’opération militaire, une famille a attiré mon attention alors qu’elle quittait le camp les mains levées ; parmi eux se trouvait une femme qui portait un drapeau blanc.

« J’ai porté le drapeau blanc pour que nous puissions faire sortir nos jeunes. Les soldats israéliens n’ont aucune pitié pour personne. Nous voulons juste faire sortir nos fils. Nous n’avons pas peur pour nous, mais pour eux. Nous sommes partis au milieu des destructions et des tirs », a-t-elle déclaré à Mondoweiss.

Une autre femme déplacée nous a raconté : « Au début, notre quartier était sûr, mais le matin du quatrième jour, ils ont bombardé une zone du quartier. L’armée israélienne voulait entrer dans le secteur et les drones bombardaient. À chaque instant, la situation devenait plus dangereuse et plus violente. Nous étions inquiets pour les personnes âgées et les enfants, alors nous avons décidé de partir ».

Um Weam Hariri, une femme âgée déplacée que nous avons rencontrée au cinquième jour de l’opération militaire, nous a raconté que les soldats israéliens l’ont forcée à évacuer sa maison, en faisant sauter les portes alors qu’elle, ses enfants et ses petits-enfants se trouvaient à l’intérieur. Elle a expliqué à Mondoweiss que pendant cinq jours, la famille n’a pas eu accès à de la nourriture ou à de l’eau, car elle était piégée dans sa maison.

« La soif et la faim nous ont anéantis après ces cinq jours. Nous n’avions même pas une goutte d’eau à boire, et mon mari, qui a eu une attaque, avait sa poche d’urine à côté de lui. Lorsqu’ils ont fait exploser la maison, il a été blessé à la main, et malgré cela, ils l’ont détenu avec les jeunes hommes », a déclaré M. Hariri.

Une autre personne déplacée, Um Feda’ Shalabi, nous a raconté : « Les tirs venaient de toutes les directions. Tout dans la maison a été détruit – les fenêtres, le climatiseur et l’écran de télévision. Certains d’entre nous se sont cachés dans la salle de bain, tandis que d’autres se sont réfugiés dans la cuisine ».

Shalabi poursuit : « Nous avons commencé à crier, en espérant que les soldats de l’occupation [israélienne] nous entendent. Finalement, un soldat s’est approché de nous et nous a demandé qui était dans la maison. Nous lui avons dit qu’il y avait des enfants tout petits et des femmes dans la maison, et ils nous ont retenus pendant des heures avant de nous permettre de partir. »

« J’ai dû placer ma petite-fille dans une autre pièce, et je ne pouvais même pas me lever pour aller lui apporter son biberon. Ils ont pris nos téléphones et nous ont coupés du monde extérieur », a-t-elle ajouté. « Ces jours ont été remplis de terreur, mais Dieu merci, nous sommes habitués à ce genre de choses. »

Des médecins sous le feu de l’occupant

Mohammad Abu Murad, infirmier et auxiliaire médical bénévole de l’équipe d’aide médicale du camp de Jénine, est resté à l’intérieur du camp pendant les dix jours qu’a duré l’incursion, n’en sortant que pour apporter de l’aide humanitaire, transporter des fournitures et déplacer des patients. Il utilise un petit véhicule motorisé, ou « tuk-tuk », pour remplir sa mission.

« La situation dans le camp était très, très grave et difficile. Il y a des maisons et des quartiers que nous n’avons pas pu atteindre », a raconté Abu Murad à Mondoweiss. « Ni la défense civile ni le Croissant-Rouge n’ont atteint ces zones. Même avec la coordination [avec l’armée israélienne], nous avons parfois été soumis à des tirs directs lorsque nous avons atteint certaines parties du camp. »

Il poursuit : « Au cours de l’invasion israélienne, nous avons transporté de nombreux blessés graves. Nous avons emmené une personne qui a été blessée dans une épicerie alors qu’elle achetait des provisions pour sa maison. Cette personne avait été touché à l’abdomen et lorsque nous avons essayé de l’atteindre, nous avons essuyé des tirs directs. La situation était vraiment très tragique. »

L’ambulancier Sameh Hanoun, qui travaille pour un service d’ambulance privé de la ville, a raconté qu’il avait été agressé par des soldats israéliens alors qu’il tentait de se rendre pour un secours médical à la périphérie du camp de Jénine. « Nous avons été détenus pendant des heures, et ils nous ont agressés, nous tabassant, sans aucune raison de nous frapper ou de nous détenir », a dit Hanoun à Mondoweiss.

Il a ajouté : « La situation générale est difficile, et les forces d’occupation nous mettent constamment des bâtons dans les roues. Elles fouillent continuellement les ambulances et nous agressent alors que nous essayons d’aider les gens. »

Les habitants ont été assiégés, et sont restés sans nourriture, sans eau ni médicaments

Abu Murad a expliqué à Mondoweiss qu’au cours des premiers jours de l’incursion, les médecins comptaient sur l’aide des habitants pour leur envoyer des messages et les alerter lorsque quelqu’un était blessé ou avait besoin d’aide.

« Nous vérifiions s’il y avait ou non des soldats israéliens dans le secteur et nous tentions de l’atteindre. Lorsque l’armée était présente, nous coordonnions nos efforts jusqu’à ce qu’elle parte, mais il arrivait qu’elle ne parte pas. Dans ces cas-là, nous devions parfois y aller par nos propres moyens et mettre notre vie en danger », a-t-il déclaré.

« Parfois, nous avons pu répondre aux appels, et d’autres fois, nous n’avons pas pu le faire en raison des obstacles posés par l’occupant [israélien]. Depuis le début de l’incursion, nous avons traité des blessés à l’intérieur du camp, ainsi que des patients souffrant de problèmes rénaux, cardiaques, de maladies chroniques, de diabète, de femmes avec enfants et de nourrissons », a-t-il ajouté.

Selon Abu Murad, les patients souffrant de maladies chroniques telles que le diabète et l’hypertension avaient des difficultés à obtenir leurs médicaments en raison du siège du camp imposé par Israël.

« Nous avons donc commencé à aller voir d’autres patients qui avaient un minimum de réserve de médicaments pour en apporter à ceux qui en avaient besoin », a-t-il expliqué, ajoutant que les résidents qui étaient assiégés dans leurs maisons devaient également rationner le lait maternisé, la nourriture et l’eau.

« Par exemple, il n’y avait plus de pain dans tous les magasins du camp dès le troisième jour de l’incursion, et le camp avait donc un besoin urgent de pain et d’eau », a-t-il expliqué, disant aussi que Israéliens tiraient sur les réservoirs situés sur les toits des maisons du camp, qui servent à stocker l’eau des habitants, ce qui a encore aggravé la situation.

La municipalité : « Jénine est une ville dévastée »

Au lendemain du raid, le maire de Jénine, Nidal Obedi, a déclaré dans une interview accordée à Mondoweiss : « L’occupation israélienne est brutale et meurtrière. Un citoyen du quartier est a été tué, un homme âgé de plus de 84 ans. Les gens ont été tués dans leurs maisons et devant leurs maisons ».

« La plus grande perte que nous subissons est la perte de la vie pour nos martyrs, de nos fils et du sang de notre peuple. Mais il y a aussi de graves pertes matérielles », a dit M. Obeidi. « Au cours des deux dernières années, qui se sont aggravées après le 7 octobre, la région a subi des pertes [matérielles] s’élevant à pas moins de 100 millions de shekels. »

Obeidi estime qu’au cours des dix jours qu’a duré l’incursion, Jénine et ses environs ont subi des dommages et des pertes matérielles qui s’élèvent à « pas moins de 50 millions de shekels », soit plus de 13 millions de dollars.

« L’ampleur des dégâts est énorme. Jénine est en effet devenue une ville dévastée », a expliqué M. Obeidi. « Le quartier commercial a été visé, les pylônes électriques ont été frappés et même les lignes électriques souterraines ont été déterrées et détruites. »

Il a appelé l’Autorité palestinienne à intervenir pour réparer les infrastructures endommagées, déclarant : « L’étendue des dégâts dans la municipalité de Jénine est au-delà de ce que nous pouvons gérer. »

« J’espère que le gouvernement prendra des mesures très rapides pour fournir l’aide nécessaire à la ville et au camp de Jénine, afin que nous puissions restaurer, au moins en partie, ce dont les citoyens ont besoin », a déclaré M. Obeidi.

Alors que les habitants pleurent leurs morts, la résistance s’engage à poursuivre la lutte

Vendredi matin, après le retrait de l’armée de la ville, des centaines de Palestiniens de Jénine ont organisé une grande procession funéraire en l’honneur des 14 personnes assassinées au cours de l’incursion militaire.

La procession a vu une présence significative de combattants, signalant que la résistance armée à Jénine et dans son camp se poursuivrait malgré les récents coups portés lors de l’invasion.

Dans une interview accordée à Mondoweiss, l’un des résistants a déclaré que cette dernière opération militaire israélienne « n’affecterait pas leur engagement à continuer à résister à l’occupation jusqu’à ce qu’ils obtiennent la liberté », soulignant que le martyre de leurs camarades « ne fait que renforcer leur détermination ».

Entre-temps, un porte-parole de l’armée israélienne a annoncé que l’opération à Jénine n’était pas terminée et que l’armée d’occupation poursuivrait ses activités militaires à Jénine « jusqu’à ce que leurs objectifs soient atteints ».

La chaîne israélienne Channel 12 a rapporté que l’opération « Summer camps » se poursuivait, les responsables de la répression déclarant : « Nous retournerons bientôt à Jénine et dans d’autres zones ; l’opération dans le nord de la Cisjordanie et dans toute la région ne s’arrêtera pas ».

Source: Mondoweiss, 6 septembre 2024