Entre incohérence et renoncement, le jeu trouble de l’Autorité Palestinienne

Christophe Oberlin | 14 octobre 2016

Le 23 juin dernier le président de l’Autorité Palestinienne a annoncé la tenue d’élections municipales en Cisjordanie et à Gaza pour le samedi 8 octobre 2016, soit 416 municipalités.  Avec des réactions variables : applaudie par le Secrétaire général des Nations-Unies, initiative qualifiée de très mauvaise par d’autres et jusque dans le propre camp d’Abbas. Il faut dire que les rares élections récentes ont vu l’université de Birzeit, historiquement Fatah, passer au Hamas tout comme Naplouse et Jénine.

Selon Hassan El Dali (Abu Moaz), président de la commission électorale de Gaza, la pièce s’est déroulée en cinq actes[1].

Acte 1

Mahmoud Abbas annonce la tenue d’élections municipales. Contre toute attente le Hamas fait savoir le 20 juillet qu’il va participer. Mais sans listes nommément Hamas : des techniciens n’ayant pas exercé de fonctions politiques au préalable.

Acte 2

L’Autorité Palestinienne envoie fin juillet un médiateur, Hanna Nasser, un universitaire chrétien de Cisjordanie, négocier un règlement électoral avec Gaza.

La sécurité sera assurée par les forces de police locales à Gaza et en Cisjordanie. Les recours seront soumis aux commissions électorales respectives en Cisjordanie et à Gaza. En cas de contestation persistante ce sera aux tribunaux respectifs de Gaza et de Cisjordanie de trancher. Ne pourront se présenter les candidats qui appartiennent à l’une des huit catégories suivantes : n’habite pas la circonscription électorale, condamnation préalable, dette d’eau ou d’électricité, passé d’appartenance aux forces de sécurité, au ministère de l’Intérieur, les anciens maires, les anciens membres de conseil municipal, les avocats de municipalités.

Un point est âprement discuté : en cas de rejet d’une candidature, est-ce le seul candidat litigieux ou l’ensemble de la liste qui est rejeté ? Le Hamas plaide pour le seul candidat, le Fatah pour la liste complète. Le Hamas se range finalement à la position du Fatah : les listes seront supprimées.

L’accord sur les modalités électorales est entériné par Mahmoud Abbas et son Premier ministre. Les listes sont constituées et rendues publiques le 26 août, notamment dans les médias et sur internet.

Acte 3

A l’issue des trois jours réglementaires d’observation, le Fatah n’émet aucune objection, tandis que le Hamas conteste 42 candidatures à Gaza. La commission électorale de Gaza ne retient le bien fondé que de 4 recours : une personne condamnée pour usage et trafic de drogue, une autre pour chèque sans provision, un ancien avocat de municipalité, une résidence hors circonscription.

Comme l’accord le lui autorise, le Hamas porte l’affaire des 38 restant devant le tribunal de Gaza qui retient le bien fondé de 5 recours : un condamné pour vol d’eau et électricité, un ancien policier, 3 résidences hors circonscription.

Et voilà donc 9 listes électorales éliminées sur Gaza.

L’Autorité saisit alors la Cour suprême palestinienne à Ramallah. Et, toujours selon Abu Moaz, voilà que l’avocat du gouvernement fait une étrange plaidoirie devant la Cour : il signale que le tribunal de Gaza n’étant pas reconnu par Ramallah, ses décisions sont illégales, et qu’il ne peut donc être tenu d’élections à Gaza ! Faisant fi de l’accord sur les modalités électorales.

La décision de la Cour Suprême ne peut qu’aller dans le même sens, une fâcheuse jurisprudence pour l’avenir.

Acte 4

Abbas proclame dans la foulée que les élections seront donc limitées à la Cisjordanie. Immédiatement le Hamas annonce qu’il ira quand même aux élections, même si la Cisjordanie est pour lui un terrain miné.

Acte 5

Abbas jette l’éponge et annonce « un report des élections de quatre mois ».

Quels que soient les griefs des uns envers les autres et les stratégies respectives, cette histoire à rebondissements amène à certaines conclusions.

Si Mahmoud Abbas souhaitait se redonner une légitimité au travers d’élections, c’est raté. Et ce ne sont pas ses larmes aux funérailles de Shimon Pérès qui ont changé la donne.

Le Hamas se sent suffisamment fort électoralement parlant pour se présenter devant les urnes quels que soient le lieu et les circonstances.

La population palestinienne de tous bords politiques, et là le micro-trottoir est significatif, réclame une représentation légitime avec un parlement qui légifère, des ministres qui travaillent, des responsables politiques investis dans les urnes.

Le temps passe. Le successeur d’Abbas ne saurait être un apparatchik issu d’élections partielles avec un premier ministre incapable de se faire élire à tout jamais. Des élections dans quatre mois ? A Gaza on l’espère… mais personne n’y croit.

Par Christophe Oberlin | 14 octobre 2016

[1] Entretien avec Hassan El Dali, 3 octobre 2016

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Derniers ouvrages de Christophe Oberlin : Le chemin de la Cour – Les dirigeants israéliens devant la Cour pénale internationale, Erick Bonnier 2014,   L’Echange – Le soldat Shalit et les Palestiniens,  Erick Bonnier 2015

Source: https://arretsurinfo.ch/elections-municipales-en-palestine-le-point-de-vue-de-gaza/