Tout acte de violence visant à terroriser les gens pour les soumettre à l’obéissance est odieux et ne peut être justifié en aucune circonstance. Il déshumanise les victimes et les auteurs. Il déshonore toute cause, aussi noble soit-elle.[1]
« Nous imposons un siège total contre la ville de Gaza. Il n’y a pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence ».
(Ministre israélien de la Défense, Yoav Galant, 9 octobre 2023) [2]
Une sémantique politique trompeuse a obscurci la réalité du projet colonial britannique/américain en Palestine pendant 75 ans au cœur du Moyen-Orient.[3] Rappelons quelques faits :
- Un État sans constitution et sans frontières (seulement une ligne de démarcation) pour pouvoir étendre indéfiniment ses limites par la guerre, la dépossession, le « nettoyage ethnique » et l’annexion ;
- Un État fondé depuis 1948 sur des massacres délibérés et l’expulsion et la déportation de plus de 750 000 Palestiniens par des groupes paramilitaires et terroristes (Stern, Lehi, Irgun, Haganah) qui ont formé le noyau de la nouvelle armée et du nouvel État ;
- Un État ethno-religieux, communautariste, autoproclamé, ouvertement raciste et discriminatoire pour les Juifs, à l’exclusion des autres ; [4]
- Une politique d’Etat inspirée et légitimée par des croyances religieuses telles que « la terre promise », « le peuple élu », « une terre sans peuple pour un peuple sans terre » (A noter que dans ce slogan le peuple de Palestine est simplement nié, prélude idéologique à son effacement physique) ;
- Une politique délibérée, légalisée et institutionnelle d’apartheid par un Etat qui prétend être « la seule démocratie » au Moyen-Orient (une politique qui a été analysée, documentée, exposée et décriée depuis plusieurs décennies par des Israéliens et d’autres écrivains) ;[5]
- Les mensonges d’un « processus de paix » qui a été instrumentalisé par les gouvernements israéliens successifs, quelle que soit leur couleur, pour mener une guerre sans merci contre les Palestiniens : le soi-disant « processus de paix d’Oslo », qui a été utilisé comme une couverture trompeuse pour continuer à les déposséder et à les expulser violemment de leurs terres, de leurs maisons, de leurs sources et de leurs vergers;[6]
- L’utilisation continue du terme dépassé de « territoires palestiniens occupés », comme si ces territoires n’étaient que temporairement « occupés » – alors qu’ils ont été, par politique de l’État, méthodiquement – et illégalement – colonisés par des colons juifs (700 000 nouveaux colons depuis le « processus d’Oslo » en 2013, dans 279 colonies, dont la moitié sont des « avant-postes » illégaux, même en vertu de la loi israélienne, mais protégés par l’armée d’occupation). Ces terres ne sont pas seulement « occupées », elles sont volées, colonisées, appropriées, alors parlons de ce qu’elles sont : des « territoires palestiniens colonisés »
- Une armée qui prétend être « la plus morale du monde » mais qui a tué et enterré sous les décombres des bombardements, au cours des quatre premières semaines, plus de 3200 enfants.[7] Notez que viser les enfants n’est pas un accident mais une vieille politique : il y a 20 ans, pendant la seconde Intifada, des preuves médicales irréfutables montraient qu’un grand nombre d’enfants étaient délibérément visés par les tireurs d’élite israéliens dans l’œil gauche ou droit…[8] Aujourd’hui leur massacre est délibéré et indiscriminé ;
- L’utilisation systématique de l' »antisémitisme » par les lobbies israéliens à l’étranger comme arme d’exclusion massive, morale, économique et sociale, pour discréditer par la diffamation, et réduire au silence, toute forme active de dissidence et de résistance pacifiques ; et pour justifier le devoir de soutien inconditionnel aux pires politiques d’Israël;
- Un leadership politique qui n’a cessé d’exploiter la victimisation de l’horrible déportation des communautés juives en Europe, au nom de l' »Holocauste », pour légitimer une politique de génocide lent – et depuis le 7 octobre 2023 – ouvert contre les Palestiniens ;
- Un Etat et une armée qui empilent crimes de guerre et crimes contre l’humanité en toute impunité; qui a tué des dizaines de milliers de Palestiniens depuis 1948 ; qui a légitimé l’utilisation de la torture par une décision de la Cour suprême ;[9] et qui a détenu au fil des années plus de 800 000 Palestiniens dans ses geôles pour des raisons politiques (7000 prisonniers politiques palestiniens sont actuellement détenus, dont 200 enfants et 62 femmes ; 2070 sont détenus administrativement (c’est-à-dire arbitrairement, sans procès, pour des raisons de sécurité par Israël) ;[10]
- Une politique suprématiste menée par un État-nation ethnicisé et théologisé qui se considère au-dessus des normes communes, qui prétend respecter l’État de droit mais a ignoré pratiquement toutes résolutions des Nations unies le concernant, y compris la toute première, et qui continue de bafouer les principes fondamentaux du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme, au nom de sa « sécurité »;
- Toutes ces horreurs et monstruosités soutenues, financées et armées par des gouvernements occidentaux que nous élisons – en particulier les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et l’Union européenne ; gouvernements qui prétendent être attachés à l’État de droit, à la démocratie, à la justice et aux droits humains des hommes, des femmes et des enfants brûlés et ensevelis sous des tonnes de bombes et de gravats; et qui continuent à donner des leçons de morale au monde entier depuis bien trop longtemps, au nom du droit du plus fort ;
Négation de l’autre, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide au nom de « nos valeurs » ?
Non, merci!
Christophe Peschoux – Genève, novembre 2023
Ex-haut fonctionnaire du Bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme
[1] Citation de l’auteur de cet article.
[2] Voir la citation originale dans le quotidien israélien, The Times of Israel, édition du 9 octobre 2023: https://www.timesofisrael.com/liveblog_entry/defense-minister-announces-complete-siege-of-gaza-no-power-food-or-fuel/
[3] Écouter l’aveu du Sénateur Joe Biden en 1986: https://www.youtube.com/watch?v=ehXgMOn7riU.
[4] En 2018, la « Loi fondamentale : Israël en tant qu’État-nation du peuple juif » consacrait ainsi le statut privilégié des citoyens juifs en Israël, au détriment des citoyens palestiniens d’Israël. Cette loi fondamentale, qui a valeur de Constitution en Israël, affirme que l’identité ethno-religieuse d’Israël est exclusivement juive. Elle stipule ainsi que la seule langue officielle est l’hébreu, reléguant l’arabe au rang de « statut spécial ». En décembre 2019, le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination raciale a exprimé ses préoccupations concernant « l’effet discriminatoire (de cette Loi fondamentale) sur les non-juifs » en Israël. Cette loi fondamentale représente un autre élément évident du régime d’apartheid imposé par Israël aux Palestiniens (https://www.cncd.be/L-apartheid-israelien-en-toute impunité
[5] Voir Uri Davis: Israel: An apartheid state, Zed Press, London, 1987, one of the oldest analysis of apartheid; voir aussi les écrits de Israel Shamir, Yeshayahou Leibowitz, Shlomo Sand, Marwan Bishara, Derek Cohen, former US President Carter, Norman Finkelstein, and the well-documented analysis of the UN Economic and Social Commission for Western Asia (ESCWA), Amnesty International, the Special Rapporteur on the OPT, and others…
[6] 5574 maisons palestiniennes ont été détruites par l’armée israélienne entre 2006 et la mi 2023, laissant 8600 sans abris, la moitié desquels sont des enfants (source : B’Tselem : https://statistics.btselem.org/en/demolitions)
[7] Au 3 novembre, selon l’UNWRA, citant des chiffres du Ministère de la santé, 2,326 femmes et 3,760 enfants ont été tués dans la bande de Gaza, ce qui représente 67% des victimes, et des milliers d’autres ont blessés. Cela signifie que 420 enfants sont tués chaque jour, certains d’entre seulement âgés de quelques jours. https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/women-and-newborns-bearing-brunt-conflict-gaza-un-agencies-warn
[8] Voir le rapport de la Commission d’enquête internationale sur la deuxième Intifada, dirigée par le professeur John Dugard (Afrique du Sud), le Dr Kamal Hossain (Bangladesh) et le professeur Richard Falk (États-Unis), dans laquelle j’ai été enquêteur (voir https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-176857/).
Au 3 novembre, selon l’UNWRA, citant des chiffres du Ministère de la santé, 2,326 femmes et 3,760 enfants ont été tués dans la bande de Gaza, ce qui représente 67% des victimes, et des milliers d’autres ont blessés. Cela signifie que 420 enfants sont tués chaque jour, certains d’entre seulement âgés de quelques jours. https://www.unrwa.org/newsroom/official-statements/women-and-newborns-bearing-brunt-conflict-gaza-un-agencies-warn
[9] « Le recours à la torture et aux mauvais traitements à l’encontre des détenus et des prisonniers palestiniens a été signalé. Invoquant les doctrines de la « bombe à retardement » et de la « pression physique modérée », l’exécutif israélien a plaidé devant les tribunaux la « nécessité » d’utiliser des techniques pouvant s’apparenter à la torture pour prétendument dissuader les attaques contre les civils israéliens. La torture reste une méthode disponible pour intimider et obtenir des aveux ou des informations, principalement, mais pas exclusivement, de la part de « suspects de sécurité ». Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, qui s’est penché sur les cas de Palestiniens depuis 1992, a affirmé à plusieurs reprises que la privation arbitraire de liberté, généralisée et systématique, peut constituer un crime contre l’humanité. « Voir SR OPT, citant Israël, Rapport de la Commission Landau (1987) ; The Public Committee Against Torture v. Israel (1999) ; Abu Gosh v. Attorney General (2017) ; et parmi de nombreux autres articles : Imseis, Ardi. « Moderate Torture on Trial : Réflexions critiques sur l’arrêt de la Cour suprême israélienne concernant la légalité des méthodes d’interrogatoire du Service général de sécurité. » Berkeley Journal of International law, L.19 (2001), pp. 336-338, 342-349.
[10] Pour donner une idée de l’ampleur de cette pratique, entre 1967 et 2006 seulement, Israël a incarcéré plus de 800 000 Palestiniens dans les territoires occupés. Plus de 100 000 Palestiniens ont été détenus pendant la première Intifada (1987-1993), 70 000 pendant la deuxième Intifada (2000-2006) et plus de 6 000 pendant ‘l »Intifada de l’unité » (2021). Environ 7 000 Palestiniens, dont 882 enfants, ont été arrêtés en 2022. Début 2023, près de 5 000 Palestiniens, dont 155 enfants, étaient détenus par Israël, dont 1 014 sans inculpation ni jugement. Voir la présentation du rapporteur spécial sur le TPO au CDH en juillet 2023, citant les chiffres d’Addameer (A/HRC/53/59, 9 juin 2023).
Version originale en anglais Arretsurinfo.ch
Traduit de l’anglais par l’auteur
Source: Arretsurinfo.ch