Danseuses chinoises. Image Galeno, Domaine public

Où en est-on dans l’évolution de la richesse des nations ? Depuis le fameux traité d’Adam Smith à la fin du XVIIIe siècle, le monde a traversé trois étapes de plus ou moins grandes inégalités entre nations, analyse l’économiste dans le dernier numéro de Foreign Affairs (The Great Convergence. Global Equality and Its Discontents, 14 juin 2023).

Alors que la richesse des nations était plus ou moins égale avant la révolution industrielle (une différence de 1 à 5 entre le pays le plus riche, l’Angleterre, et le plus pauvre, le Népal), les inégalités globales ont explosé entre 1820 et 1950, avec un différentiel de 1 (Etats-Unis) à 100 (pays colonisés d’Asie et d’Afrique). Le phénomène s’est encore accentué dans la seconde moitié du XXe siècle, l’avènement d’un deuxième monde (le camp socialiste) ne suffisant pas à tirer vers le haut le troisième (le tiers monde tout juste décolonisé). Tout a changé à partir des années 2000 avec le développement de la Chine et, avec un moindre effet statistique, des tigres asiatiques. L’indice global de Gini a ainsi baissé de 69,4 points en 1988 à 60,1 en 2018. Dans le même temps, la masse des personnes affluentes (les 5% les plus riches) a crû de 207 millions à 330 millions d’individus dans le monde, dont une part croissante de Chinois urbains (5 %), les Occidentaux, Japonais inclus, formant encore le gros du peloton des plus riches avec 80%.

Un constat plutôt réjouissant et banal, direz-vous. C’est vrai. Sauf que cette « grande convergence » masque deux tendances qui ne seront pas sans conséquence pour nos pays. La première est le glissement en faveur de la Chine, et à terme de l’Inde. Au rythme actuel, la Chine comptera autant de gens « affluents » que les Etats-Unis, et l’Asie dans son ensemble que l’Europe dans une ou deux décennies. Or cette évolution est porteuse d’énormes changements économiques, technologiques et culturels car ce sont les couches affluentes qui façonnent la société. Il faudra s’habituer à vivre au rythme de la K-Pop et de l’opéra de Pékin plutôt que sur celui de Hollywood et de Bayreuth. Mais il faudra aussi se résoudre à accepter que les règles internationales, des standards industriels aux normes légales, soient de plus en plus influencées par d’autres cultures. Ce qui est loin d’aller de soi si l’on en juge par l’obsession de l’Occident à s’agripper à ses usages.

Seconde tendance, cette convergence globale cache des disparités croissantes au sein des pays riches. L’indice de Gini baisse au niveau mondial mais s’accroit au sein des pays occidentaux, accentuant les inégalités sociales et le fossé entre les très riches et une masse croissante de pauvres et de nouveaux pauvres en provenance des classes moyennes en voie de déclassement, la crise des Gilets jaunes étant le symptôme de cette évolution. En effet, jusqu’ici, les « pauvres » des pays riches pouvaient se consoler en figurant sur les hautes marches de la pyramide de la richesse mondiale. Or ils se font désormais dépasser par les riches des anciens pays pauvres, ce qui accroit leur sentiment subjectif d’abandon, de déréliction, de frustration. Et augmente par conséquent les risques d’explosion sociale dans les vieux pays riches d’Occident. A richesse égale, le sentiment de perte est beaucoup plus vif et problématique que l’impression de gain ressentie par les classes ascendantes des pays pauvres en train de s’enrichir. Il est dur de redescendre l’échelle sociale quand on voit des millions d’autres la monter.

Cela ne va pas s’arranger dans les décennies à venir. Nos élites politiques et les heureux membres du club des plus riches feraient bien de garder cela à l’esprit.

Guy Mettan, journaliste indépendant

Guy Mettan est l’auteur d’une dizaine de livres parmi lesquels:

“Une guerre de mille ans. La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne. Pourquoi nous aimons tant détester la Russie“. [La nouvelle édition chez Thebookedition]

(Résumé.) Comment expliquer la guerre en Ukraine ? Pourquoi a-t-elle éclaté ? Pour les Occidentaux, c’est la Russie qui, sans raison, a sauvagement attaqué l’Ukraine. Ce narratif commode est ressassé dans les médias par les va-t-en-guerre qui préconisent la guerre à outrance contre l’ennemi russe. Pour comprendre cet acharnement, Guy Mettan remonte loin dans l’histoire, jusqu’à l’empereur Charlemagne. Il examine sans tabou les lignes de forces religieuses, géopolitiques et idéologiques dont se nourrissent la russophobie occidentale et la hantise du prétendu envahisseur russe. Il démonte les ressorts du discours russophobe qui ont pour effet de repousser toujours plus loin les chances de paix et de réconciliation.