L’épouse du premier scientifique à avoir été assassiné parle des craintes de plus en plus fortes de son mari vis-à-vis d’une nasse qui se refermait sur lui – et de sa rencontre peu avant son exécution avec le meurtrier formé par les Israéliens.

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Tout semblait normal le matin de l’assassinat.

Le savant iranien Masoud Ali Mohammadi et son épouse s’était réveilles un peu avant l’aube et avaient prié ensemble. Puis elle avait préparé le petit déjeune tandis qu’il faisait la liste de ce qu’il avait à faire dans la journée.

« C’était quelqu’un de très minutieux et il voulait toujours que tout aille comme sur des roulettes, » se rappelle Mansoureh Karami à propos de son mari.

Mansoureh Karami

Ce matin là, M. Ali Mohammadi – un homme à la chevelure dégarnie, à la moustache épaisse, les yeux rapprochés et une dizaine de publications universitaires à son actif – avait dit au revoir trois fois à son épouse : quand elle lui avait remis son panier repas, quand il avait lacé ses souliers, et quand il étai sorti de sa voiture pour fermer le portail de la maison derrière lui . [voyez la photo et comparez avec la description du journaliste!]

C’est alors que l’explosion se produisit.

Une bombe actionnée à distance fixée à une motocyclette non loin tuait ce physicien spécialiste des particules d’une volée de billes métalliques, donnant à l’Iran son premier « martyr du nucléaire » et envoyant une onde de choc dans toute la communauté scientifique et nucléaire iranienne.

Masoud Ali Mohammadi

Quand le cinquième scientifique iranien a été assassiné, il y avait eu moins de surprise. Ceux qui travaillaient au programme nucléaire iranien étaient sur leurs gardes depuis des années.

La guerre secrète menée par les États Unis et Israël contre le programme nucléaire iranien a vu l’assassinat de cinq scientifiques iraniens, des virus informatiques malveillants comme Stuxnet, de l’espionnage et des explosions inexpliquées ainsi que plusieurs tentatives iraniennes de riposter avec des opérations le plus souvent ratées en Inde, en Géorgie et en Thaïlande.

Les « martyrs du nucléaire » de l’Iran ont été pendant des années un point de consensus sur le programme nucléaire du pays et son « droit » à l’enrichissement de l’uranium, quel que soit le prix à payer par des sanctions. Les négociations en cours à Vienne cherchent à limiter ce programme pour garantir qu’il ne puisse jamais servir à produire une arme nucléaire – objectif que l’Iran affirme rejeter.

DEMANDE DE PARDON

Ali Mohammadi craignait d’être visé pour son travail clandestin, même si peu de gens en dehors de son épouse savaient qu’il était autre chose qu’un conférencier, ou qu’il avait une quelconque expertise nucléaire.

Ali Mohammadi avait remarqué un intérêt pour son travail à l’étranger, ce qui l’avait incité à moins voyages.

Son assassin était un agent iranien formé par le Mossad, l’agence israélienne d’espionnage. Des informations de la presse israélienne indiquent que la confession de Majid Jamali Fashi diffusée par la télévision d’État iranienne début 2011 était véridique. S’exprimant depuis la prison Evin à Téhéran, le jeune homme avait décrit son entraînement – qui comprenait un travail avec deux nouveaux modèles de motocyclettes iraniennes, et une réplique parfaite de la rue et de la maison d’Ali Mohammadi – dans une site du Mossad près de l’autoroute Tel Aviv – Jérusalem à l’est de l’aéroport Ben Gourion.

M. Fashi avait plaidé coupable devant le tribunal et avait été condamné à mort. Avant son exécution, cependant, Karami l’avait rencontré en face à face à la prison Evin.

« Il y avait tant de choses qui me traversaient l’esprit, d’être vengée, » a déclaré Karami au Christian Science Monitor.

Elle avait apporté la serviette en cuir que son mari avait emporté le jour de sa mort. Les yeux emplis de larmes, elle l’avait déballée pour montrer les trous qu’avaient faits les billes de métal dans une thèse de doctorat reliée d’un de ses étudiants et l’étui à lunettes déchiré de part en part, avec les verres cassés.

Avant la rencontre, Karami s’était jurée de « planter à coups de marteau autant de clous dans la tête de cette personne » que son mari avait reçu de billes de métal dans la tête. Mais quand elle rencontra Fashi, elle se trouva en face d’un homme brisé qui implorait pardon, pleurant si fort qu’il avait vidé toute une boîte de mouchoirs.

« Quand je l’ai vu, je l’ai vu dans un état d’impuissance et si petit. J’ai dit que ce serait gâcher mes efforts que de dépenser toute cette énergie [à lui planter des clous] », se souvient Karami. Elle a deux grands enfants, un diplôme en psychologie, et prépare actuellement un master en études féminines.

« Je ne lui pardonnerai jamais – il n’y a pas de place pour le pardon. Parce que je ne pense pas qu’il a fait du mal seulement à ma famille, mais à tout le pays, » explique Karami, avec de la détermination dans le regard de se yeux marron foncé. « Tous les peuples du monde – quelles que soient leurs convictions – respectent toujours leur pays, et il a trahi son pays. »

UNE PEUR QUI MONTE

Ali Mohammadi avait une vie publique en tant que maître de conférence et chercheur en physique quantique qui a écrit sur des sujets allant de physique des masses condensées aux trous noirs. Mais il y avait de nombreux signes que son activité nucléaire « top secrète » – ignorée même de sa mère et de sa sœur, dit Karami – avait attiré l’attention hors d’Iran.

« Il était toujours fier du fait que les 55 articles qu’il avait donnés à publier n’avaient rien à voir avec don travail nucléaire, ce qui faisait disait-il qu’il y avait toujours un doute qui existait quant à ce qu’il faisait, » explique Karami. Elle fait écho à la parole officielle iranienne quand elle ajoute que la République Islamique ne cherche pas l’arme nucléaire – seulement le développement scientifique.

Ali Mohammadi savait qu’il était surveillé par certains pays occidentaux et par les Mojahidine-e Khalq (MKO/MEK) d’opposition qui avaient divulgué pour la première fois en 2002 l’existence du programme iranien d’enrichissement de l’uranium.

En 2006, par exemple, un collègue participant à une conférence en Grande Bretagne avait été interrogé pendant 24 heures sur les activités nucléaires de Mohammadi. En 2008, un autre collègue avait été interrogé pendant 48 heures, peut-être en Italie.

Et en 2009, pendant un pèlerinage à La Mecque, Ali Mohammadi « s’était rendu compte que des gens le filmaient et qu’il était suivi, » explique Karami. « Il a fait plus attention après, et sortait beaucoup moins. » Un mois avant sa mort, il avait fait part de sa crainte d’être enlevé au cours d’un voyage en Jordanie et était tombé malade [une maladie physique] avant son départ.

Le couple n’avait pas arrêté ses longues promenades quotidiennes dans leur quartier traditionnel de Gheytariyeh, à Téhéran nord, ni ses longues randonnées en montagne les week-ends, mais Ali Mohammadi prenait des précautions.

« Avant sa mort, il m’avait donné le numéro de téléphone de quelqu’un, et m’avait dit : « Si jamais je ne rentre pas à la maison, si quelque chose m’arrive, appelle ce numéro avant d’appeler la police, » se souvient Karami.

Quand le moment fatidique arriva, elle dit que ses mais tremblaient si violemment que son fils avait dû composer le numéro à sa place.

LA FABRICATION DES HEROS DE LA NATION

L’assassin Fashi était l’un des 10 agents travaillant pour le Mossad, dont l’arrestation avait été annoncée par le ministère iranien du renseignement en Janvier 2011. leur arrestation avait été annoncée comme un «triomphe remarquable » qui montrait « la suprématie des services de enseignements sur le système d’espionnage du régime sioniste. »

Dans sa confession télévisée, Fashi avait dit que, après son recrutement hors d’Iran dans un consulat israélien, il était parti en Israël, on lui avait montré une maquette de la maison de Ali Mohammadi, exacte dans les moindres détails de l’arbre et de l’asphalte jusqu’au trottoir de la rue. Début 2012, le magazine Time citant des « sources de renseignement » en Israël, confirmant «La participation [de Fashi] à une cellule du Mossad dont les sources affirment qu’elle a été révélée à l’Iran par un pays tiers. »

Fashi avait déclaré dans sa confession, « Ils m’avaient dit que la personne qui faisait l’objet de l’opération était impliquée dans la fabrication d’une bombe atomique et que l’humanité est en danger et que vous êtes son sauveur. »

Fashi avait dit après l’attentat, « Je suis très fier d’avoir fait quelque chose d’important pour le monde et puis j’ai soudain réalisé que ce ce à quoi je croyais était un mensonge. »

Quatre autres assassinats de scientifiques associés au programme nucléaire iranien avaient suivi, trois avec des bombes fixées magnétiquement sur leur voiture par des assaillants à moto qui agissaient quand les voitures étaient bloquées dans la circulation.

On considère généralement que l’Iran a essayé de répliquer par des attentats du même genre. Une bombe magnétique fixée par un motocycliste sur la voiture de l’épouse de l’attaché militaire israélien à New Delhi l’avait blessée ainsi que trois autres personnes en février 2012. Le même jour, une bombe du même type avait été trouvée fixée à un véhicule à côté de l’ambassade israélienne à Tbilissi en Géorgie. Elle avait été désamorcée.

Les assassinats ont contribué à faire du programme nucléaire une question de « dignité nationale, » déclare Karami. Les portrait des scientifiques tués ont souvent été montrés pendant les conférences de presse tenues par Saed Jalili, l’ancien négociateur en chef iranien pour le nucléaire, et sont souvent exposées lors de fêtes nationales comme l’anniversaire de la révolution. Ils ont accédé au statut de héros en Iran, rejoignant les martyrs les plus révérés de la guerre Iran – Irak des années 1980.

« Je connais beaucoup de gens dans mon quartier qui ne sont pas pour la révolution. Mais maintenant [après l’assassinat], sur la question du nucléaire, ils sont à fond avec le gouvernement, » affirme Karami. « Je suis certaine que nos dirigeants n’oublieront pas nos martyrs. »

Par Scott Peterson, Christian Science Monitor (USA) – 17 juillet 2014

Traduit de l’anglais par Djazaïri