Il fut un temps, naguère, où la France avait une politique arabe, une politique africaine, une politique d’indépendance nationale, fondée notamment sur son statut de puissance nucléaire, une politique de grandeur, disait-on en ricanant parfois, mais on en était fier : De Gaulle était soucieux du rang de la France. Sans rien renier, il proposait une sorte de troisième voie, un non-alignement en ces temps de guerre froide. Il était capable de reconnaitre la Chine Populaire, premier occidental à oser le faire, de prononcer le discours de Phnom-Penh aux portes du Vietnam où sévissait l’Amérique. Il parlait de la Russie, des « Soviets », ou de la Chine avec respect. Et il décolonisait… C’était De Gaulle.
Un demi-siècle s’est écoulé. Notre pays est chassé d’Afrique, pays après pays, au fil des discours mal ajustés et paternalistes, des interventions militaires ratées, des abus reprochés aux entreprises expatriées, etc…
Par contre, l’actualité a mis en évidence le tropisme « israélien » effusif et exclusif des élites, ignorant le génocide, les images atroces venant de Gaza, les déclarations infamantes et déshumanisantes, la volonté d’exterminer et de déposséder les Palestiniens de leur terre, une posture qui contraste de manière flagrante avec la vigueur de la solidarité de la population en faveur de la cause palestinienne. Il n’y a d’ailleurs plus vraiment de politique arabe cohérente, excepté à l’égard de quelques émirats abrahamiques .
Les partenaires de l’Union Européenne peuvent par contre enregistrer comme une divine surprise l’ouverture d’esprit de la France en marche qui semble réceptive à l’idée sacrilège de les faire profiter de sa puissance nucléaire. Dans son grand élan européiste, ne paraît-elle pas parfois plus portée qu’il ne faudrait à faire de même quant notre précieux statut de membre permanent du Conseil de Sécurité, obtenu à l’arraché lors de la création de l’ONU. En résumé, la « grande nation » est complètement « revenue au bercail atlantique », comme disait M. Sarkozy.
Toute référence à l’intérêt national, à la défense nationale a disparu. Ce qui semble ne choquer personne dans le mainstream français. Le Président ne fait pas mystère de son rêve de promouvoir une Europe de la défense et, au nom d’une identité collective fantôme, de franchir le pas vers une Europe fédérale dont il se verrait bien le chef de guerre, prenant la succession d’Ursula, l’usurpatrice. Cette liaison successorale semble prendre la relève du « couple franco-allemand », lequel a apparemment mal vieilli.
Le Président actuel aime bien le vieux Joe : il suffit de contempler les deux chefs d’Etat en entretien (probablement sur Gaza ), un cornet de glace à la main ! En tout état de cause, ils ne cachent pas leur complicité sur les deux dossiers majeurs du moment, l’Ukraine et ce qu’ils appellent la guerre Israël-Hamas.
Il est dans l’air du temps de faire beaucoup de zèle avec Zelensky, présenté comme un phare de la démocratie. Le 16 février 2024, Emmanuel Macron a signé avec le héros un accord de coopération, avant de recevoir à l’Elysée les chefs d’Etat et/ou de gouvernement de 21 pays occidentaux, 17 européens ainsi que le Canada, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Suède. Ses déclarations surréalistes ont fait sensation : « Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre ». Ou encore : « Je n’écarte pas la possibilité d’envoyer des troupes militaires en Ukraine », suggérant de « créer une coalition pour les frappes dans la profondeur et donc les missiles et bombes de moyenne et longue portée ».
Pour ceux qui n’auraient pas compris ce jargon, l’occupant de l’Elysée a précisé : car « la défaite de la Russie est indispensable à la sécurité et à la stabilité en Europe ». Certes, a-t-il concédé, « il n’y a pas de consensus à ce stade, mais en dynamique, rien ne doit être exclu »…
On ne sait pas si c’était voulu, mais il est sûr que, par ses déclarations intempestives sur « la menace russe », il a mis la France en position périlleuse, au-devant de la scène, ce qu’à Dieu ne plaise?
C’est étrange. On aurait pu penser à l’inverse qu’il n’y a pas de sécurité possible ou de stabilité envisageable sans la participation active de la Russie. C’était le principe couramment admis jusqu’ici. La Russie est et restera notre voisine. Il suffit de regarder la carte et de constater la place qu’y occupe le plus vaste pays de la planète (plus de 17 millions de km2, 150 millions d’habitants, sa première puissance militaire, y compris nucléaire, sans doute devenue (depuis la guerre en Ukraine) la première puissance économique de l’Europe.
Pas un mot sur une perspective de paix, de négociation, de recherche d’une solution. Nos « élites » évoquent avec désinvolture la menace de guerre nucléaire, comme si c’était une fatalité. C’est pourtant le moment ou jamais de tout faire pour éviter la catastrophe…
Le monde de la guerre froide était certes marqué par la coexistence de deux blocs adverses voire ennemis, mais ces derniers avaient conscience de partager la même planète. Ils étaient d’accord sur le fait qu’ils devaient régler les conflits selon des critères convenus d’un commun accord et selon le droit international, dans le cadre de l’ONU. Tel n’est plus le cas en 2024, dès lors que la planète est clairement divisée en deux « mondes » de plus en plus hostiles : l’Occident collectif » qui compte pour 10% de la population mondiale et le « Sud global » tricontinental (Eurasie, Afrique, Amérique Latine) qui a vocation à rassembler les 90% restants. La société internationale va finir par se séparer en deux camps dans tous les domaines, si ce n’est déjà fait, y compris pour les Jeux Olympiques et l’Eurovision….Entre les deux, les canaux de la diplomatie (la nôtre a été en quelque sorte démantelée) paraissent d’ores et déjà rompus, ce qui est préoccupant. En outre, le langage guerrier semble bien dérisoire, surtout lorsqu’il oppose directement des pays dont le potentiel est de plus en plus déséquilibré, militairement et économiquement, l’un très « suiviste » dans un bloc en perte de vitesse et l’autre à la tête d’un ensemble multipolaire en pleine expansion.
L’Ukraine est loin de la France. L’Ukraine n’est pas notre pays et la guerre d’Ukraine n’est pas notre guerre. Qui pourrait avoir envie d’envoyer nos jeunes mourir pour Zelensky ?
Paraît-il que « nous ne pouvons pas accepter l’hypothèse d’une victoire de Vladimir Poutine qui représenterait la fin de la démocratie ukrainienne, mais aussi la défaite stratégique, militaire, politique et morale de l’Occident ». C’est Manuel Valls qui a parlé. Laissons ce revenant, qui a épousé et abandonné tant de causes, régler le dilemme.
Michel Raimbaud, ancien ambassadeur de France, ancien directeur de l’Ofpra, conférencier, essayiste. Auteur de plusieurs ouvrages, notamment : Le Soudan dans tous ses états. Tempête sur le Grand Moyen-Orient. Les Guerres de Syrie. Syrie: Guerre globale: fin de partie ? (livre collectif)
Source: Arretsurinfo.ch