Guillaume Borel | 22 octobre 2016
Les révélations de Wikileaks à l’occasion de la campagne présidentielle américaine ont exposé toute l’étendue de la collusion entre Hillary Clinton, la candidate des néo-conservateurs et de Wall Street, et les grands médias US. Ces derniers ont abandonné tout semblant de déontologie et de neutralité pour s’engager de plein pieds dans la campagne politique en faveur de la candidate démocrate face à l’ « épouvantail » Donald Trump, représentant de l’Amérique rurale et déclassée, des perdants de la mondialisation et de l’anti-establishment. Même si le candidat républicain appartient lui aussi à l’upper class et que sa fortune personnelle est estimée à plus de 3 milliards de dollars, son indépendance par rapport aux lobbies qui font traditionnellement l’élection en finançant les candidats des deux camps, constitue une menace existentielle pour le « deep state » et certaines multinationales US dont une part substantielle de l’activité dépend des dépenses et du déficit public ou encore d’une législation financière accommodante.
Les grandes banques américaines sont ainsi les principales contributrices au comité de campagne d’Hillary Clinton.
Parmi les dix principaux donateurs, JP Morgan, arrive en troisième position, suivi de Citigroup et Goldman Sachs. Morgan Stanley est le septième plus gros donateur… La même dépendance de la candidate démocrate au secteur financier et bancaire s’observe dans la liste des contributeurs individuels à sa campagne.
On retrouve ainsi le milliardaire et gestionnaire de hedge fund américano-israélien Georges Soros en quatrième position des contributeurs avec un don personnel supérieur à un million de dollars. Le Soros Fund Management avait plus de 10 milliards de dollars d’actifs sous gestion en 2015. Donald Sussman, septième plus important contributeur, est président du hedge fund Trust Asset Management et fondateur de plusieurs autres fonds d’investissement comme Paloma Partners ou encore New China Capital Management…
On retrouve également parmi les principaux donateurs un proche des Clinton, Sandy Weill, fondateur de Citigroup, mis en cause dans le scandale des Panama Papers, et qui aurait activement contribué à l’abrogation du Glass-Steagall Act lors du mandat de Bill Clinton.
Le deuxième grand secteur représenté parmi les soutiens individuels d’Hillary Clinton est celui des médias.
Le premier contributeur individuel à la campagne de la candidate démocrate, Haim Saban, a réalisé un don de plus de 2 millions de dollars. L’homme d’affaire américano-israélien est le propriétaire d’Univision, le premier consortium médiatique en langue hispanique aux États-Unis. Comme l’ont révélé les leaks du directeur de campagne John Podesta, Saban s’impliqua personnellement dans la campagne médiatique d’Hillary, en suggérant notamment d’insister sur les propos hispanophobes de Donald Trump afin de rallier les suffrages de la communauté hispanique.
On trouve également dans le top 10 des donateurs le directeur exécutif des studios Dreamworks, Jeffrey Katzenberg, le réalisateur et producteur de Star Wars, JJ Abrams, ou encore Steven Spielberg…
Cette collusion entre les secteurs financiers, médiatiques, et la candidate démocrate a été mise en évidence par Wikileaks au cours des dernières semaines, elle a conduit également à un biais médiatique dans la couverture et le traitement de la campagne présidentielle. Le Media Research Center révélait ainsi le 18 octobre dernier que les principales chaînes télévisées des Etats-Unis (ABC, CBS et NBC) avaient consacré 7h et 30 minutes d’antenne aux accusations de harcèlement sexuel à l’encontre de Donald Trump et seulement 1h10 min aux révélations de Wikileaks concernant Hillary Clinton !
En réalité, la liste des scandales impliquant Hillary Clinton exposée par Wikileaks est si importante que la faible couverture médiatique pourrait presque s’expliquer par la difficulté journalistique à suivre les révélations qui s’enchaînent semaine après semaine et qui demanderaient un travail considérable afin d’en réaliser une synthèse digeste pour le lecteur. Il y a d’abord eu le scandale touchant le déroulement de la campagne au sein du parti démocrate et montrant que le comité national démocrate avait délibérément favorisé Hillary Clinton au détriment de son opposant le plus sérieux, Bernie Sanders, forçant à la démission sa présidente Debbie Wasserman Schultz.
Il y eut ensuite le scandale du financement de la Fondation Clinton, notamment par l’Arabie Saoudite et le Qatar, dont le soutien aux groupes djihadistes en Syrie est maintenant largement documenté, et qui aurait ainsi noué des liens « privilégiés » avec l’ancienne secrétaire d’Etat. Dans un courrier à son directeur de campagne, Hillary Clinton dit savoir que les deux pays versent des fonds à l’Etat Islamique. Malgré cela, son chef de campagne Robby Mook déclare : « Prenons l’argent; si on nous attaque à ce sujet, on se débrouille plus tard ».
Il y eut également le scandale des conférences données par Hillary devant les plus grandes banques, qui sont également les principaux sponsors de sa campagne, pour un montant de 2,3 millions de dollars, et les propos qu’elle y tenait, se prononçant notamment contre toute régulation externe du secteur financier. Elle a reconnu lors d’une conférence chez Goldman Sachs, en octobre 2013 : « Je vous ai représentés pendant huit ans. J’ai eu d’excellentes relations avec vous et nous avons étroitement collaboré au moment de la reconstruction post-11 septembre. »
Il y eut également au mois d’octobre les accusations contre Bill Clinton, faisant état de centaines d’agressions sexuelles et le dépeignant comme un véritable maniaque. Roger Stone, l’auteur du livre impliquant l’ancien président, affirme notamment que « Les Clinton ont systématiquement abusé des femmes, que ce soit sexuellement, physiquement ou même intellectuellement. » Hillary Clinton y est présentée comme la complice des pratiques prédatrices de son mari…
La liste des scandales impliquant les Clinton n’est pas exhaustive, alors comment expliquer les 1h10 d’antennes qui leur ont été consacrées par les principales chaînes US, soit 7 fois moins que les accusations de harcèlement sexuel contre Donald Trump ? La raison de ce silence réside dans la collusion entre une partie de l’appareil médiatique, déjà visible à travers les financements de campagne, et la candidate démocrate.
Les emails de John Podesta, directeur de campagne de la candidate démocrate, divulgués par Wikileaks laissent entrevoir les relations incestueuses entre certains journalistes influents et le staff de Mme Clinton.
Il s’agit par exemple de Maggie Haberman, reporter au journal Politico maintenant passée au New York Times, désignée dans un mémo interne du secrétaire de campagne de Clinton comme une « journaliste amicale » qui n’a « jamais déçu » par le passé et fourni de « très bons papiers ».
De manière plus générale, le staff de campagne de Clinton a semble-t-il pris l’habitude d’organiser des soirées « privées » avec les membres influents des médias, notamment new-yorkais. Une soirée a par exemple été organisée le 10 avril 2015, juste avant l’annonce officielle de la déclaration de candidature d’Hillary Clinton. La liste des invités, consultable in extenso sur le site The Intercept, comprenait entre autres :
- 5 journalistes d’ABC
- 2 journalistes de Bloomberg
- 2 journalistes de CBS
- 8 journalistes de CNN
- 5 journalistes de MSNBC
- 5 journalistes du New-York Times
Le rapprochement qui s’est opéré, dès la préparation de la campagne, entre le staff d’Hillary Clinton et les médias les plus influents, a débouché sur une sorte d’hybridation des deux entités. Mark Leibovich, reporter du New-York Times, a ainsi donné un droit de veto sur ses propres articles au directeur de la communication de la candidate démocrate.
Selon le média TMZ, la chaîne NBC aurait délibérément fait sortir la « Trump tape » juste avant le débat opposant le candidat républicain à Hillary Clinton de manière à ce que l’affaire domine le flux d’actualités à ce moment-là. L’enregistrement était en réalité connu des responsables de la chaîne depuis longtemps, ils l’ont simplement sorti au moment qui leur paraissait le plus opportun…
Les emails rendus publics par Wikileaks montrent une coopération étroite entre un certain nombre de journalistes influents et le staff de campagne d’Hillary Clinton. Il s’agit notamment de John Harwood qui publie au New-York Times et intervient sur CNBC, Rebecca Quick, de CNBC, ou encore John Harris, chef du service politique du site Politico. Une liste plus détaillée des journalistes impliqués dans la campagne d’Hillary Clinton est disponible sur le site Breitbart.
Pour autant, et malgré le soutien d’une large partie de l’appareil médiatique, la candidate démocrate reste perçue par de nombreux américains, y compris de larges parts de l’électorat démocrate qui s’était porté sur Bernie Sanders, comme la candidate corrompue d’un système décadent. Alors que, selon USA Today, 7 américains sur 10 ont moins de 1000 dollars d’épargne pour faire face à un imprévu, que 46 millions de personnes dépendent toujours du programme d’aide alimentaire fédéral, et que la classe moyenne tombe chaque jour un peu plus dans la pauvreté, la victoire de Hillary Clinton prédite par les sondages, de ces mêmes médias qui la soutiennent, ressemble étrangement à une prophétie à visée auto-réalisatrice. En effet, alors que les sondages de CNN, repris par l’ensemble de la presse internationale, donnent Hillary vainqueur de chaque débat, c’est une toute autre réalité qui perce lorsqu’on consulte des sources moins orientées.
Un sondage en ligne réalisé sur le site du Washington Post avec près de 18 290 votants donne ainsi Trump vainqueur du dernier débat à 74% contre 52% en faveur de Clinton pour CNN ! De même, lors du premier débat, alors que la presse française titrait sur la victoire d’Hillary Clinton, tous les sondages, sauf celui de CNN, annonçaient Trump vainqueur, parmi lesquels :
- Time magazine : Trump 52%, Clinton 48%
- CBS : Trump 49.70%, Clinton 33.41%
- Washington Times : Trump 70%, Clinton 24%
- ABC News : Trump 55%, Clinton 10%
- CNBC : Trump 65%, Clinton 35%
Il faut de plus noter que l’échantillon du sondage de CNN est particulièrement faible avec seulement 521 personnes sondées quant CBS ou ABC compilent plusieurs dizaines de milliers de votes…
Il ne serait donc pas surprenant de voir les élections américaines de novembre accoucher d’un « cygne noir » sur le modèle du Brexit, avec une victoire « surprise » de Donald Trump à l’encontre de la réalité médiatique. Cette victoire serait une catastrophe pour le « deep state » composé du complexe militaro-industriel et de Wall-Street, dont le candidat républicain n’a cessé de dénoncer les méfaits, que ce soit sur le plan géopolitique avec les guerres d’Irak ou de Syrie, ou encore sur le plan économique avec ses propositions protectionnistes et son positionnement anti-mondialiste. Une telle catastrophe peut-elle être tolérée par l’état profond américain ?
Trump a dernièrement axé ses discours de campagne sur la possibilité que l’élection soit truquée, ce pour quoi il a été traité de « conspirationniste » ou encore de « mauvais perdant« , et pourtant, s’il est réellement ce qu’il affirme être, un candidat « anti-système », cela serait-il surprenant ?
Guillaume Borel | 22 octobre 2016
Guillaume Borel, documentaliste, analyste politique, est l’auteur de l’ouvrage Le travail,histoire d’une idéologie. Éditions Utopia: 2015. Il s’intéresse aux questions de macro-économie, à la géopolitique et aux questions de propagande et d’intoxications médiatiques.
Source : https://arretsurinfo.ch/la-collusion-entre-les-medias-hillary-clinton-et-la-classe-predatrice/