BNS. Banque Nationale suisse! Autrefois temple de la fiabilité, du professionnalisme et de la prospérité Swiss Made, la BNS est aujourd’hui dans la tourmente. Elle s’était distinguée depuis de nombreuses décennies par une excellente gestion du patrimoine et de la politique monétaire suisse. C’est dire à quel point le peuple lui est attaché et lui voue une confiance totale.

Malgré une structure impeccable et une stabilité qui ont fait leurs preuves, le département fédéral des finances, sous la direction de M. Villiger, s’est attelé de 1996 à 2003 à redéfinir la BNS de fond en comble. Les autorités chargèrent des groupes d’experts successifs de restructurer la politique, la législation, la gestion monétaire, la politique de placement et la distribution des bénéfices de la BNS (1). C’est ainsi que le 1er janvier 2000, la parité franc suisse-or était abolie. La vente de l’or à un prix ridiculement bas pouvait alors commencer. Pourquoi la BNS a-t-elle choisi ce moment pour le faire ? Bien qu’ayant renoncé à la parité avec l’or, elle n’y était pas obligée… Pour donner une idée du prix, les 1040 tonnes d’or détenues actuellement par la BNS n’auraient valu à l’époque que 15.8 milliards, au lieu des 37 mias affichés(2).

Cette redéfinition du modèle de la BNS s’est soldée par une loi adoptée en 2003, sans avoir été soumise à référendum. Son entrée en vigueur est passée quasiment inaperçue du grand public. D’un jour à l’autre et contrairement à l’esprit de la Constitution, la BNS est ainsi devenue souveraine, ne devant plus rendre de comptes aux autorités. On lui demande simplement de les informer. Pourtant, la Constitution dans son art 99 al2 stipule ceci : En sa qualité de banque centrale indépendante, la Banque nationale suisse mène une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays; elle est administrée avec le concours et sous la surveillance de la Confédération. Actuellement, cet article ne semble pas respecté, puisque l’article 6 de la loi sur la BNS de 2003 dit explicitement que : « Dans l’accomplissement des tâches de politique monétaire visées à art. 5, al. 1 et 2, la Banque nationale et les membres de ses organes ne peuvent ni solliciter ni accepter d’instructions du Conseil fédéral, de l’Assemblée fédérale ou d’autres organismes. »

Or, la BNS est une société anonyme, ce qui signifie que son conseil d’administration en est l’organe suprême. En outre, le contrôleur de sa gestion et de ses comptes est une société internationale privée. Cette loi a donc rendu de facto des personnes privées souveraines par rapport au pays et au peuple que la BNS était supposée servir. Elle échappe ainsi à tout contrôle fédéral public! Quand on sait que peuvent y siéger des représentants ou des lobbyistes d’établissements financiers directement impliqués dans les crises des marchés financiers (par exemple des subprimes ou de l’évasion fiscale de ressortissants étrangers), on est en droit de s’interroger sur tous les risques liés aux conflits d’intérêts. La BNS, bien que garantie par l’argent public, peut en effet se trouver au centre de tensions puissantes entre les intérêts privés d’une puissante corporation privée d’un côté, et l’intérêt du peuple de l’autre. Tout le monde a compris ces dernières années que les intérêts des uns et des autres sont inconciliables…

L’article 4 de la loi de 2003 a en outre donné autorité exclusive à la BNS de créer la monnaie du pays. Il dit ceci : « La Banque nationale a le droit exclusif d’émettre les billets de banque suisses. » Il contrevient directement à l’article 99 al 1de la Constitution, qui stipule que : « 1 La monnaie relève de la compétence de la Confédération; le droit de battre monnaie et celui d’émettre des billets de banque appartiennent exclusivement à la Confédération. » Comment dès lors une société anonyme à haut potentiel de conflits d’intérêts peut-elle récupérer ce droit?

Dans le cadre de sa souveraineté, une liberté totale et sans conditions pour diriger notre politique monétaire lui sont octroyées, au nom de sa souveraineté. Les règles de prudence dans la gestion de ses actifs et passifs ont, en revanche, disparu. A partir de ce moment, la probabilité que la BNS suive la tendance générale à la spéculation (y c. sur les devises) des marchés financiers devient grande. L’influence potentielle, entre autres, de puissants actionnaires du marché financier international ou de certains de ses administrateurs ne peut être occultée. Par ailleurs, la nomination en 2010 par Mme Widmer-Schlumpf (administratrice et vice-présidente de la BNS de 2004 à 2008) d’un spécialiste de fonds spéculatifs à la tête de la BNS n’est pas neutre.

Enfin, la loi de 2003 interdit à la BNS de financer la Confédération à bon compte. Celle-ci est donc forcée d’aller s’endetter auprès du marché financier, qui bénéficie du taux quasi nul de la BNS et réalise ainsi des bénéfices immédiats. En revanche, elle peut prêter massivement à d’autres gouvernements même à des taux négatifs (!), alors même que certains d’entre eux sont à haut risque de défaut de paiement… On cherche encore, dans cette loi sur la BNS de 2003, une mention de l’intérêt général et public suisse…

C’est ainsi que le bilan, la structure des actifs et des passifs de la BNS se sont métamorphosés. On y découvre, par exemple, que le total de ses actifs est passé de 111 à 495 mia de fin 2006 à fin 2013 (3). Il a donc gonflé de 346% en quelques années. Pour la même période, le PIB est passé de 508 à 603 mia, soit une progression de 18% seulement. C’est donc pratiquement sans lien avec l’évolution de l’économie réelle ou nationale que le bilan de la BNS atteint aujourd’hui 82% du PIB du pays. Les statistiques montrent par ailleurs que ce dopage a commencé bien avant l’introduction du taux plancher entre l’euro et le franc suisse.

Un compte à l’actif retient en particulier l’attention. Il est intitulé « placements de devises » et s’élève à 446 mia, soit 90% de son bilan! Ce sont des actifs immobilisés en devises étrangères dont le rendement est de 0.7%, toutes prises de risques comprises!

Le passif n’est pas moins inquiétant puisqu’on y trouve un compte intitulé « comptes de virement des banques en Suisse », qui a littéralement explosé. Il s’agit des dépôts des établissements financiers auprès de la BNS, qui sont passés de 7 mia en 2004 à près de 318 mia en 2013. Ce sont des dettes à vue que les établissements commerciaux détiennent auprès de la BNS. Est-ce par ce compte que la BNS finance ses devises? Ce sont des dettes à vue en franc suisse que les établissements commerciaux détiennent auprès de la BNS.

Les deux comptes ci-dessus montrent le gigantesque déséquilibre de ce bilan. La BNS a immobilisé des actifs sur le long terme en devises étrangères et en grande partie sous forme de créances gouvernementales, en échange d’emprunts bancaires tout aussi gigantesques en franc suisse et à court terme. Elle finance donc le long terme avec du court terme! C’est exactement ce qu’avaient fait les victimes américaines des subprimes: financer leurs hypothèques (long terme) avec des taux variables (court terme).

La BNS et la Confédération risquent de perdre le contrôle de la politique monétaire, et du taux de change du franc suisse lui-même. La tentation de vendre l’or restant pour renflouer et maintenir une stratégie perdante est déjà évoquée par certains. Mais voici à tout hasard l’article 99 al3 plein de bon sens de la Constitution qui demanderait le contraire: « 3 La Banque nationale constitue, à partir de ses revenus, des réserves monétaires suffisantes, dont une part doit consister en or ».

La loi sur la BNS de 2003 semble avoir permis de lever les règles de prudence qui devraient garantir les intérêts du citoyen, des cantons et du pays. Quelle est la validité d’une loi qui contredit la Constitution et l’intérêt général? Comment des élus ont-ils eu la possibilité de détacher un pan vital de la finance et du patrimoine du pays de la politique financière nationale? Qu’est-ce qui a pu autoriser l’octroi d’une souveraineté à un groupe de personnes privées, dont certaines présentent des conflits d’intérêts manifestes? Une autre interrogation s’impose au vu du bilan: la BNS serait-elle en voie de devenir un établissement bancaire « Too big to fail »?

Liliane Held-Khawam | 14 janvier 

Références

(1) Circonstances des ventes d’or de la BNS, Rapport du Conseil fédéral, 28 juillet 2008

(2) L’or de la BNS continuera à être vendu, Communiqué de presse de l’Administration fédérale des finances, 26 septembre 2003

(3) Postes du bilan de la BNS (séries temporelles)

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Liliane Held-Khawam -suissesse d’origine libanaise née à Héliopolis- est la fondatrice de Pro Mind Consulting S.A. Spécialisée dans le conseil en stratégie d’entreprise et en management Mme Held-Khawam a mis au point un système de gestion qui intègre le développement des processus, des projets et des compétences humaines. Cette méthodologie, appelée MPC, vise une gestion d’entreprise basée sur l’Humain. Auteur de l’ouvrage Le Management Par le Coaching (MPC): le cadre à la recherche de ses repères (publié aux éditions Promind), Liliane Held-Khawam a fondé http://www.hr4free.com et http://www.management4free.com qui a pour mission de ré-humaniser l’économie en mettant gratuitement à disposition de tous des outils de RH et de Management. http://viaf.org/viaf/95216793/