Thomas Sankara est né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta. Fils d’un infirmier militaire, ancien combattant, il rentre en seconde, au Prytanée militaire du Kadiogo qui forme les premiers officiers de l’armée voltaïque.
En octobre 1969, il intègre l’Académie militaire de Madagascar. Il assiste au soulèvement populaire de 1972, soutenu par l’armée, qui va amener, un peu plus tard, l’amiral Didier Ratsiraka au pouvoir. Thomas Sankara découvre lors de séjours en zone rurale, au sein des unités de service civique, que l’armée peut œuvrer au développement.
Il rentre en Haute-Volta en 1973 et connaît différentes affectations à travers le pays. Il se fait remarquer lors de la guerre avec le Mali en 1974. Révolté par le délabrement de l’armée, il tente d’améliorer les conditions de vie des soldats, tout en faisant progresser leur rapport avec la population. Il crée une unité de commandos parachutistes d’élite à Po, proche de la frontière avec le Ghana.
Il développe une activité clandestine au sein de l’armée, tout en approfondissant les contacts avec les organisations clandestines marxistes.
Différents coups d’État militaires se succèdent au début des années 1980. Remarqué par son charisme, il est nommé secrétaire d’État à l’information, contre son gré. Il en démissionnera quelques mois après en déclarant en direct à la radio « malheur à ceux qui bâillonnent le peuple ».
En janvier 1983, Thomas Sankara devient Premier ministre, grâce à l’action des officiers progressistes. Il prononce alors, lors de grands meetings, des discours révolutionnaires, appelant notamment la jeunesse à se mobiliser contre l’impérialisme. Il est arrêté le 17 mai 1983. La population de Ouagadougou manifeste pour demander sa libération.
Blaise Compaoré, qui l’avait remplacé à la tête des commandos, réussit à regagner Po et se proclame en rébellion. Il est rejoint par de nombreux civils. Les officiers progressistes, alliés aux organisations clandestines, organisent ensemble, avec succès, la prise du pouvoir le 4 août 1983.
La révolution commence. Thomas Sankara n’aura de cesse de convaincre la population de son intégrité et de son engagement pour construire le pays. Dormant peu et toujours à l’affût de nouveaux projets, il impulse un rythme de travail et de changements particulièrement rapide. Le bilan est considérable.
Il réalise en 1987 qu’il faut faire une pause et rassembler les révolutionnaires – alors que certains sont entrés dans l’opposition – pour donner un nouveau souffle à la révolution.
Mais ceux qui, pour l’essentiel, veulent profiter de leur position au pouvoir pour en tirer des bénéfices personnels, se rassemblent derrière Blaise Compaoré qui s’est marié à une proche de Felix Houphouët Boigny, le Président de la Côte d’Ivoire, hostile à la révolution. Un complot international s’organise pour éliminer Thomas Sankara. Des témoignages pointent le soutien de la Côte d’Ivoire, de la Libye, de la France, de la CIA et des compagnons de Charles Taylor, le futur chef de guerre au Libéria.
Thomas Sankara meurt assassiné le 15 octobre 1987, dans des circonstances qui restent à élucider, sous les balles de soldats de la garde présidentielle, commandés par Gilbert Diendéré, un proche de Blaise Compaoré.[/box]
Déclaration de Madame Mariam Sankara à l’occasion de la commémoration du trentième anniversaire de l’assassinat du Président Sankara
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, Chers amis,
L’assassinat du Président Sankara et de ses compagnons, le 15 Octobre 1987, a interrompu une expérience de développement originale et prometteuse de l’histoire de l’Afrique contemporaine.
Je tiens à vous remercier pour votre soutien à toute la famille Sankara et à moi-même ainsi que pour votre fidélité à la mémoire du Président Thomas Sankara.
A travers sa politique, Thomas a défendu, en donnant lui-même l’exemple, les valeurs essentielles telles que l’intégrité, l’honnêteté, l’humilité, le courage, la volonté, le respect et la justice. En mobilisant les différentes composantes de la société, il s’est battu, de façon acharnée, contre la dette, pour le bien être de tous les burkinabè, la promotion du patrimoine culturel burkinabè et l’émancipation de la femme. Il a incité ses concitoyens à se prendre en charge pour vivre dignement. Bref, il a refusé la soumission au diktat des plus puissants de ce monde, a pris la défense des plus faibles et des plus défavorisés.
Imprégnés de ces valeurs et de ces idées, vous avez, à travers l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014, mis fin au régime dictatorial de Compaoré. Cette insurrection a permis au peuple de reprendre la parole pour exiger, entre autres, la fin de l’impunité, la réouverture du dossier de justice sur l’assassinat de Thomas Sankara et ses compagnons, celui de Norbert Zongo et tant d’autres.
La décision prise au Burkina Faso par les autorités de la transition de rendre enfin justice à Thomas Sankara a suscité un immense espoir au Burkina, en Afrique en général et dans le monde. Mais on est toujours dans l’attente de la justice.
La requête de la société civile et des familles est claire. Nous voulons connaître au plus vite les commanditaires et les exécutants de cet assassinat et ceux des autres crimes.
Retarder la quête de vérité, c’est jouer le jeu des assassins de Thomas Sankara et de ses compagnons. Ne pas rendre justice, c’est refuser une sépulture digne pour Thomas Sankara et ses compagnons, c’est empêcher les familles de faire leur deuil.
C’est la raison pour laquelle, le peuple burkinabè et ses amis doivent rester mobilisés et relancer la campagne pour que trente ans après, justice soit enfin rendue à Thomas Sankara et à ses compagnons.
Chers compatriotes, notre famille salue votre initiative visant à ériger un mémorial à la mémoire de Thomas Sankara.
Nous sommes attachés, comme nombre de nos compatriotes, à la défense et à la sauvegarde de la mémoire de Thomas Sankara. Je tiens à saluer cette initiative de la société civile, conduite par l’association CIMTS (Comité International pour le Mémorial Thomas Sankara). Ce projet de Mémorial bénéficie du soutien populaire. Une démarche consensuelle et inclusive devrait permettre de réaliser un ouvrage de qualité qui témoignera de la vitalité des idées de Thomas et de ses fidèles compagnons de la révolution du 4 Août 1983. Toutefois, la famille tient à ce que ce mémorial ne soit pas construit dans l’enceinte du Conseil de l’Entente qui rappelle de douloureux souvenirs en raison des assassinats et des tortures qui ont marqué ce lieu.
Avec toutes ces volontés de valorisation de la mémoire de Thomas observées à travers le monde, on se rend compte avec le temps que Thomas Sankara était un visionnaire. Conscient des actions des détracteurs de la révolution, il savait qu’il était incompris parce qu’il était en avance sur son temps. Il dira alors : « tuez Sankara, des milliers de Sankara naîtront ». Ceci est devenu une réalité. On constate aujourd’hui que la jeunesse s’imprègne de ses idées progressistes pour transformer la société.
Trente après sa disparition, la pensée de Thomas reste vivante et d’actualité.
Encore une fois, je vous félicite pour votre mobilisation et pour votre fidélité à la mémoire du Président Thomas Sankara.
30 ans de résistance !
30 ans d’impunité !
Rendez enfin justice à Thomas Sankara et ses compagnons ainsi qu’à toutes les victimes des crimes impunis !
La patrie ou la mort, nous vaincrons !
Je vous remercie.
Madame Mariam SANKARA
Montpellier, le 15 Octobre 2017
Source: Bruno Jaffré
Discours de Thomas SANKARA à Addis-Abeba, le 29 Juillet 1987, quelques mois avant sa mort
Au pouvoir depuis 1983 au Burkina Faso, le président Thomas Sankara se distingue par ses positions anti-impérialistes et panafricanistes ainsi que son appui au mouvement des pays non-alignés, désireux de rester à l’écart des superpuissances. Le 29 juillet 1987, il prononce un de ses derniers discours devant l’Organisation de l’unité africaine. Son renversement, le 15 octobre 1987, et sa mort marqueront durablement l’histoire de son pays.
Au sujet du fonctionnement de l’OUA
(…) C’est pourquoi je voudrais proposer, Monsieur le président, que nous établissions un barème de sanctions pour les chefs d’États qui ne répondent pas présents à l’appel. Faisons en sorte que par un ensemble de points de bonne conduite, ceux qui viennent régulièrement, comme nous par exemple, (rires de l’assistance et regard sage de Yasser Arafat) puissent être soutenus dans certains de leurs efforts. Exemple : les projets que nous soumettons à la BAD, la Banque africaine de développement doivent être affectés d’un coefficient d’africanité (applaudissements). Les moins africains seront pénalisés. Comme cela tout le monde viendra aux réunions ici…
Au sujet de la dette des pays africains
Nous estimons que la dette s’analyse d’abord de par ses origines. Les origines de la dette remontent aux origines du colonialisme . Ceux qui nous ont prêté de l’argent, ce sont ceux-là qui nous ont colonisés. Ce sont les mêmes qui géraient les États et les économies. Ce sont les colonisateurs qui endettaient l’Afrique auprès des bailleurs de fonds, leurs frères et cousins (regards approbateurs de Kenneth Kaunda et attentifs de Samora Machel).
Nous étions étrangers à cette dette, nous ne pouvons donc pas la payer.
La dette, c’est encore les néocolonialistes ou les colonisateurs qui se sont transformés en assistants techniques. En fait, nous devrions dire qui se sont transformés en assassins techniques. Et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement, des bailleurs de fonds, un terme que l’on emploie chaque jour comme s’il y avait des hommes dont le bâillement suffisait à créer le développement chez d’autres. Ces bailleurs de fonds nous ont été conseillés, recommandés. On nous a présenté des montages financiers alléchants, des dossiers. Nous nous sommes endettés pour cinquante ans, soixante ans et même plus. C’est-à-dire que l’on nous a amenés à compromettre nos peuples pendant cinquante ans et plus.
Mais la dette, sous sa forme actuelle, contrôlée et dominée par l’impérialisme, est une reconquête savamment organisée, pour que l’Afrique, sa croissance et son développement obéissent à des paliers, à des normes qui nous sont totalement étrangères, faisant en sorte que chacun de nous devienne l’esclave financier, c’est-à-dire l’esclave tout court, de ceux qui ont eu l’opportunité, la ruse, la fourberie de placer des fonds chez nous avec l’obligation de rembourser. On nous dit de rembourser la dette. Ce n’est pas une question morale, ce n’est point une question de ce prétendu honneur que de rembourser ou de ne pas rembourser.
Monsieur le président, nous avons écouté et applaudi le premier ministre de Norvège lorsqu’elle est intervenue ici même. Elle a dit, elle qui est européenne, que toute la dette ne peut pas être remboursée. Je voudrais simplement la compléter et dire que la dette ne peut pas être remboursée. La dette ne peut pas être remboursée parce que d’abord si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûrs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons-en sûrs également.
Ceux qui nous ont amenés…ceux qui nous ont conduits à l’endettement ont joué comme dans un casino. Tant qu’ils gagnaient, il n’y avait point de débat. Maintenant qu’ils ont perdu au jeu, ils nous exigent le remboursement. Et on parle de crise. Non, Monsieur le président, ils ont joué, ils ont perdu, c’est la règle du jeu. Et la vie continue. (Applaudissements)
Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous n’avons pas de quoi payer. Nous ne pouvons pas rembourser la dette parce que nous ne sommes pas responsables de la dette. Nous ne pouvons pas payer la dette parce qu’au contraire les autres nous doivent ce que les plus grandes richesses ne pourront jamais payer, c’est-à-dire la dette de sang. C’est notre sang qui a été versé.
On parle du Plan Marshall qui a refait l’Europe économique. Mais l’on ne parle pas du Plan africain qui a permis à l’Europe de faire face aux hordes hitlériennes lorsque leurs économies étaient menacées, leurs stabilités étaient menacées.
Qui a sauvé l’Europe ? C’est l’Afrique.
On en parle très peu. On en parle si peu que nous ne pouvons, nous, être complices de ce silence ingrat. Si les autres ne peuvent pas chanter nos louanges, nous en avons au moins le devoir de dire que nos pères furent courageux et que nos anciens combattants ont sauvé l’Europe et finalement ont permis au monde de se débarrasser du nazisme.
La dette, c’est aussi la conséquence des affrontements. Et lorsque on nous parle aujourd’hui de crise économique, on oublie de nous dire que la crise n’est pas venue de façon subite. La crise existe de tout temps et elle ira en s’aggravant chaque fois que les masses populaires seront de plus en plus conscientes de leurs droits face aux exploiteurs. Il y a crise aujourd’hui parce que les masses refusent que les richesses soient concentrées entre les mains de quelques individus. Il y a crise parce que quelques individus déposent dans des banques à l’étranger des sommes colossales qui suffiraient à développer l’Afrique. Il y a crise parce que face à ces richesses individuelles que l’on peut nommer, les masses populaires refusent de vivre dans les ghettos et dans les bas quartiers. Il y a crise parce que les peuples partout refusent d’être dans Soweto face à Johannesburg. Il y a donc lutte et l’exacerbation de cette lutte amène les tenants du pouvoir financier à s’inquiéter.
On nous demande aujourd’hui d’être complices de la recherche d’un équilibre. Équilibre en faveur des tenants du pouvoir financier. Équilibre au détriment de nos masses populaires. Non ! Nous ne pouvons pas être complices. Non ; nous ne pouvons pas accompagner ceux qui sucent le sang de nos peuples et qui vivent de la sueur de nos peuples. Nous ne pouvons pas les accompagner dans leurs démarches assassines.
Monsieur le président : Nous entendons parler de clubs, club de Rome, club de Paris, club de Partout. Nous entendons parler du groupe des cinq, des sept, du groupe des dix, peut-être du groupe des cent, que sais-je encore ? Il est normal que nous créons notre club et notre groupe. Faisons en sorte que dès aujourd’hui Addis-Abeba devienne également le siège, le centre d’ou partira le souffle nouveau : Le Club d’Addis-Abeba.
Nous avons le devoir aujourd’hui de créer le front uni du Club d’Addis-Abeba contre la dette. Ce n’est que de cette façon que nous pourrons dire aux autres, qu’en refusant de payer, nous ne venons pas dans une démarche belliqueuse mais au contraire dans une démarche fraternelle pour dire ce qui est. Du reste les masses populaires en Europe ne sont pas opposées aux masses populaires en Afrique. Mais Ceux qui veulent exploiter l’Afrique sont les mêmes qui exploitent l’Europe. Nous avons un ennemi commun. Donc notre club parti d’Addis-Abeba devra également dire aux uns et aux autres que la dette ne saura être payée. Quand nous disons que la dette ne saurait être payée ce n’est point que nous sommes contre la morale, la dignité, le respect de la parole. Nous estimons que nous n’avons pas la même morale que les autres. Entre le riche et le pauvre, il n’y a pas la même morale.
La Bible, le Coran, ne peuvent pas servir de la même manière celui qui exploite le peuple et celui qui est exploité. Il faudra qu’il y ait deux éditions de la Bible et deux éditions du Coran. (Applaudissements) Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle de dignité. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle du mérite de ceux qui paient et de perte de confiance vis-à-vis de ceux qui ne paieraient pas. Nous devons au contraire dire que c’est normal aujourd’hui. Nous devons au contraire reconnaître que les plus grands voleurs sont les plus riches. Un pauvre quand il vole ne commet qu’un larcin, une peccadille tout juste pour survivre et par nécessité. Les riches, ce sont eux qui volent le fisc, les douanes et qui exploitent les peuples.
Monsieur le président, ma proposition ne vise pas tout simplement à provoquer ou à faire du spectacle. Je voudrais dire ce que chacun de nous pense et souhaite. Qui ici ne souhaite pas que la dette soit purement et simplement effacée ? Celui qui ne le souhaite pas, il peut sortir, prendre son avion et aller tout de suite à la banque mondiale payer. Nous tous le souhaitons. (rires et applaudissements)
Ma proposition n’est pas non plus… Je ne voudrais pas qu’on prenne la proposition du Burkina Faso comme celle qui viendrait de la part de jeunes sans maturité, sans expérience. Je ne voudrais pas non plus qu’on pense qu’il n’y a que des révolutionnaires à parler de cette façon. Je voudrais qu’on admette simplement que c’est l’objectivité et l’obligation. Et je peux citer, dans les exemples de ceux qui ont dit de ne pas payer la dette, des révolutionnaires, comme des non révolutionnaires, des jeunes comme des vieux. Je citerai par exemple, Fidel Castro a déjà dit de ne pas payer, il n’a pas mon age, même s’il est révolutionnaire. Mais je pourrais citer également François Mitterrand qui a dit que les pays africains ne pouvaient pas payer, les pays pauvres ne peuvent pas payer. Je pourrais citer madame le premier ministre…je ne connais pas son age et je m’en voudrais de le lui demander. Mais…(rires) c’est un exemple. Je voudrais citer également Félix Houphouët Boigny, il n’a pas mon age. Cependant il a déclaré officiellement et publiquement, du moins pour ce qui concerne son pays, la Côte d’Ivoire ne peut pas payer. Or, la Côte d’ivoire est classée parmi les pays les plus aisés d’Afrique, au moins d’Afrique francophone. C’est pourquoi il est normal qu’elle paye plus, en contribution, ici (éclats de rires).
Mais, Monsieur le Président, ce n’est donc pas de la provocation. Je voudrais que très sagement vous nous offriez des solutions. Je voudrais que notre conférence adopte la nécessité de dire clairement que nous ne pouvons pas payer le dette, non pas dans un esprit belliqueux, belliciste, ceci, pour éviter que nous allions individuellement nous faire assassiner. Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serais pas là à la prochaine conférence. Par contre, avec le soutien de tous, dont j’ai besoin, (applaudissements) avec le soutien de tous, nous pourrons éviter de payer. Et en évitant de payer nous pourrons consacrer nos maigres ressources à notre développement.
Et je voudrais terminer en disant que chaque fois qu’un pays africain achète une arme, c’est contre un Africain.
Ce n’est pas contre un Européen, ce n’est pas contre un Asiatique, c’est contre un Africain. Par conséquent nous devons également dans la lancée de la résolution de la question de la dette trouver une solution au problème de l’armement. Je suis militaire et je porte une arme. Mais Monsieur le président, je voudrais que nous nous désarmions. Parce que moi je porte l’unique arme que je possède, d’autres ont camouflé les armes qu’ils ont.
Alors, chers frères, avec le soutien de tous, nous pourrons faire la paix chez nous. Nous pourrons également utiliser ses immenses potentialités pour développer l’Afrique parce que notre sol et notre sous-sol sont riches. Nous avons suffisamment de bras et nous avons un marché immense, très vaste du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest. Nous avons suffisamment de capacité intellectuelle pour créer ou tout au moins prendre la technologie et la science partout où nous pourrons les trouver.
Monsieur le président, faisons en sorte que nous mettions au point ce front uni d’Addis-Abeba contre la dette. Faisons en sorte que ce soit à partir d’Addis-Abeba que nous décidions de limiter la course aux armements entre pays faibles et pauvres. Les gourdins et les coutelas que nous achetons sont inutiles. Faisons en sorte également que le marché africain soit le marché des Africains : produire en Afrique, transformer en Afrique et consommer en Afrique. Produisons ce dont nous avons besoin et consommons ce que nous produisons au lieu de l’importer. Le Burkina Faso est venu vous exposer ici la cotonnade, produite au Burkina Faso, tissée au Burkina Faso, cousue au Burkina Faso pour habiller les Burkinabé. Ma délégation et moi-même, nous sommes habillés par nos tisserands, nos paysans. Il n’y a pas un seul fil qui vienne de l’Europe ou de l’Amérique. (applaudissements) Je ne fais pas un défilé de mode mais je voudrais simplement dire que nous devons accepter de vivre africain. C’est la seule façon de vivre libre et de vivre digne .
Je vous remercie, Monsieur le président.
La patrie ou la mort, nous vaincrons. (applaudissements nourris)
Source: http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1865
Thomas Sankara, précurseur des luttes d’aujourd’hui
De l’Islande à l’Amérique latine des Chavez et Maduro (Venezuela), Evo Morales (Bolivie) et José Mujica (Uruguay), en passant par les pays arabes, les révolutions sont à l’ordre du jour, prenant des formes différentes, des contenus différents, évoluant vers des victoires ou des échecs, sans que rien ne soit jamais acquis. Dans d’autres pays, à travers tous les continents, les peuples se mettent en mouvement, s’organisent, résistent et luttent pied à pied. Ce que nous proposons ici, c’est de prendre un peu de recul sur cette actualité et de nous plonger dans les paroles de Thomas Sankara, le leader de la révolution africaine qui a marqué la fin du 20ème siècle, la Révolution démocratique et populaire. Car ce sont les mêmes ennemis qu’affrontait le peuple du Burkina Faso : les multinationales, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et leurs complices locaux.
La révolution du Burkina est, en réalité, mal connue, si ce n’est à travers la personnalité de Thomas Sankara, très prisée sur le continent africain. Les T-shirts à son effigie ont fait leur apparition, les artistes de toute discipline s’en inspirent, la jeunesse s’en réclame de plus en plus. Internet a bien sûr favorisé ce phénomène, tout en le confinant dans une imagerie superficielle. Il importe de transformer cette popularité, dont on ne saurait se plaindre, en une appropriation progressive plus approfondie de sa pensée et des leçons de son action, de ses échecs et de ses réussites.
Car, en réalité, Thomas Sankara était un précurseur des luttes d’aujourd’hui. Sur deux thèmes centraux, on peut même dire vitaux de notre époque, la préservation de la planète et la lutte contre la dette illégitime, que l’on veut faire supporter par les peuples.
Ainsi, le Conseil national de la révolution (CNR) lance, dès avril 1985, trois luttes : lutte contre la coupe abusive du bois, accompagnée de campagnes de sensibilisation pour le développement de l’utilisation du gaz pour la cuisine, lutte contre les feux de brousse et lutte contre la divagation des animaux. Les Comités de défense de la révolution (CDR) se chargent de traduire ses mots d’ordre dans la réalité, non sans parfois quelques mesures coercitives.
Par ailleurs, partout dans le pays, les paysans se sont mis à construire des retenues d’eau, souvent à mains nues, pendant que le gouvernement relançait des projets de barrages qui dormaient dans les tiroirs. Sankara interpellait tous les diplomates ou hommes d’État, leur soumettant inlassablement ses projets, pointant les insuffisances de l’aide de la France, alors que les entreprises françaises étaient les principales bénéficiaires du marché des gros travaux. Parmi les autres trains de mesures, signalons les campagnes de popularisation des foyers améliorés, économisant la consommation du bois, ou les campagnes de reboisement dans les villages, qui doivent prendre en charge l’entretien d’un bosquet. Par ailleurs, chaque évènement social ou politique devait être accompagné de plantations d’arbres[1].
La mondialisation, le système financier international, l’omniprésence et les diktats du FMI et de la Banque mondiale, la question de la dette des pays du Tiers Monde sont aujourd’hui aussi au centre des problèmes internationaux et des mobilisations citoyennes, atteignant maintenant les pays européens.
En précurseur, Sankara développe, dans un discours sur la dette publié plus loin, une analyse largement reprise aujourd’hui. Et il appelle ses pairs à ne pas la rembourser, rappelant au passage la dette de sang due après l’envoi, par dizaines de milliers, d’Africains pour combattre l’armée nazie lors de la Seconde Guerre mondiale. Si le Burkina Faso avait entamé des discussions avec le FMI, il déclinera la conclusion d’un accord. Le Fonds refusa de financer la construction du chemin de fer vers le nord. Le pays s’est alors lancé seul dans la « bataille du rail », avec l’aide de Cuba et les moyens dont disposait le pays, la population étant invitée à tour de rôle à venir poser des rails.
Thomas Sankara rappelait à qui voulait l’entendre que les premiers objectifs étaient de donner à la population de l’eau potable, une alimentation saine, la santé, l’éducation, des loisirs, des logements décents, etc. Des objectifs pragmatiques, alors que la direction de la révolution se déchire en 1987 sur des querelles idéologiques. On réalisera plus tard, lorsque fut retrouvée l’intervention que devait prononcer Thomas Sankara le jour où il a été assassiné, qu’il s’agissait pour certains de ces idéologues dogmatiques de pouvoir surtout bénéficier de leurs positions aux plus hautes sphères de l’État, pour s’enrichir.
Au début des années 1980, le Haute-Volta, ancienne colonie française, traverse une grave crise des finances publiques, doublée d’une crise politique. Différents régimes se sont succédé depuis l’indépendance sans remettre en cause le système néocolonial. L’écrasante majorité de la population, en ville comme à la campagne, survit dans la pauvreté. La tâche est immense, la Haute-Volta figure parmi les pays les plus pauvres du monde.
Sur quelles forces s’appuyer ? Thomas Sankara regroupe par son charisme personnel et sa clairvoyance politique une nouvelle génération de jeunes officiers, aspirant à un changement radical, tout en développant des relations avec des cercles de jeunes intellectuels marxistes. Ceux-ci, anciens étudiants ayant souvent milité au sein de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique noire en France), contribuent à la création d’organisations clandestines. Les salariés des villes se mobilisent dans les syndicats, où s’aguerrissent les militants de ces organisations susmentionnées, qui en prennent, ici ou là, la direction. Pour le reste, pays rural à 90%, souvent sous l’influence de la chefferie, la population était jusqu’ici spectatrice et plutôt fataliste, après avoir constaté combien les différents pouvoirs qui s’étaient succédé ne s’intéressaient guère à leurs difficultés.
Sans la participation active de la population, rien n’était donc possible, car le budget de l’État ne permettait que peu d’investissements, et le pouvoir était décidé à ne pas céder aux diktats du FMI et de la Banque mondiale.
Pour Thomas Sankara, gagner la confiance de son peuple était une des tâches primordiales du début de la révolution, un gage de son succès.
« Le plus important, je crois, c’est d’avoir amené le peuple à avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il faut s’asseoir et écrire son développement ; il faut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur[2]. » Cette citation, extraite d’un film, révèle en quelque sorte la pédagogie de Thomas Sankara, une qualité peu soulignée. Or il exprime ici une démarche qui l’a guidé dès la prise du pouvoir. Il l’avait déjà exprimée, en des termes voisins, quelques jours avant qu’il ne prenne le pouvoir[3].
Et, sur cet aspect comme sur beaucoup d’autres, il fait ce qu’il dit ou en tout cas tente de le faire. Dès les pouvoirs provinciaux mis en place, après une réforme administrative de décentralisation rondement menée, la population est amenée à se réunir et à se fixer des objectifs réalistes en recherchant d’abord ce qu’elle peut elle-même réaliser, en grande partie par ses propres moyens.
C’est ainsi qu’est conçu l’ambitieux Programme populaire de développement (PPD), dès octobre 1984, dont la réalisation est programmée jusqu’en décembre 1985. L’objectif affiché est d’améliorer les conditions de vie de la population et d’augmenter les infrastructures du pays : barrages, retenues d’eau, magasins populaires, dispensaires, écoles, routes, cinémas, stades de sport, etc.
Une fois bouclé le PPD, le gouvernement travaille sans attendre à la conception du premier plan quinquennal en s’appuyant sur les enseignements tirés de ce premier plan expérimental. Réalisé entre 70 et 80%, son principal mérite, en dehors de ses nombreuses réalisations, aura été d’inventorier les besoins, de mieux évaluer les coûts, mais aussi la capacité d’autofinancement.
Les succès de la révolution sont certes dus en partie à la créativité, au charisme, à la vision politique, aux qualités de dirigeant de Sankara, mais aussi à cette démarche, osons le mot, « participative », en réalité les prémices d’une véritable démocratie. Il s’en est suivi de multiples réalisations, en termes de production, de construction d’infrastructures de toute sorte, barrages et retenues d’eau, écoles, dispensaires, etc. Au-delà des preuves qui n’ont pas tardé à être avancées quant à la volonté du pouvoir révolutionnaire de stopper la corruption, à travers notamment les tribunaux populaires, le pouvoir a convaincu par cette démarche et ses premiers succès de son engagement à vouloir améliorer les conditions de vie de la population. On pourrait citer aussi les dégagements de fonctionnaires corrompus ou champions de l’absentéisme, mais ceux-ci ont aussi donné lieu à quelques excès, notamment au plus fort des luttes politiques entre les différentes organisations engagées dans la révolution, ou contre certains opposants.
Le pays a pu ainsi résolument s’engager dans son auto-développement ou développement autocentré. Les dépenses de fonctionnement diminuent au profit de l’investissement, en même temps qu’une rigueur implacable s’attache à rationnaliser les maigres ressources. L’économie ne doit pas s’appuyer sur les exportations – rajoutons pour payer la dette –, ce que cherche à imposer le FMI et la Banque mondiale et que refuseront les révolutionnaires burkinabè, mais sur l’exploitation des ressources internes. La production agricole va considérablement augmenter, alors que le gouvernement lance des tentatives de réindustrialisation. Il s’agit de produire la valeur ajoutée dans le pays, créer des filières, s’appuyer sur la transformation des matières premières au lieu de les exporter brutes, ce qui passe par la sollicitation, souvent volontariste, du marché intérieur. Tel est le sens du mot d’ordre « produisons, consommons burkinabè ». Les importations de fruits et légumes sont interdites dans la dernière période pour obliger les commerçants à prendre les pistes de villages burkinabè dans le sud-ouest du Burkina, difficilement accessibles, plutôt que d’emprunter la route goudronnée allant en Côte d’Ivoire. Des circuits de distribution ont été mis en place grâce à une chaîne nationale de magasins sur tout le territoire, mais aussi pour atteindre, via les CDR, les salariés jusque dans leurs services.
L’Effort populaire d’investissement se traduit par des ponctions sur les salaires de 5 à 12%, une mesure tempérée cependant par la gratuité des loyers décrétée pendant un an. Il s’agit de ne pas dépendre de l’aide extérieure car « il est normal que celui qui vous donne à manger vous dicte également ses volontés[4]. »
Ce qui ne va pas manquer de créer des contradictions, puisque ce sont les salariés qui sont sollicités en premier. Les fonctionnaires sont incités à porter le faso dan fani, l’habit traditionnel, fabriqué à l’aide de bandes de coton tissées de façon artisanale. Une mesure qui a joué un véritable effet d’entraînement, puisque la production du coton a augmenté. Mais surtout de très nombreuses femmes se mettent à tisser chez elles, accédant ainsi à l’indépendance économique.
Aux critiques concernant ces retenues sur salaires et autres cotisations, Thomas Sankara répond qu’il est injuste que ceux-ci reçoivent régulièrement un salaire, contrairement aux agriculteurs. Là encore, dans la redistribution des richesses, la révolution est rapidement passée de la parole aux actes. En plus des salariés, les commerçants et quelques entrepreneurs seront dans l’obligation de contribuer au développement du pays.
Au-delà des questions économiques, la révolution va se traduire comme une véritable rupture dans tous les domaines. Citons, en plus de ce qui a déjà été relevé : transformation de l’administration, lutte sans merci contre la corruption, action concrète tout autant que symbolique pour la libération de la femme, responsabilisation de la jeunesse, ce qui libérera toute son énergie, mise à l’écart de la chefferie, quand elle n’est pas combattue en tant que responsable de l’arriération des campagnes et soutien des anciens partis politiques, tentative presque désespérée de faire des paysans une classe sociale soutenant activement la révolution, transformation de l’armée pour la mettre au service du peuple en lui assignant aussi des tâches de production, car un « militaire sans formation politique est un assassin en puissance », décentralisation et recherche d’une démocratie directe à travers les CDR, contrôle budgétaire et mise sous contrôle des ministres. Et la liste n’est pas exhaustive, tant l’action engagée a été multiple et diversifiée.
Lorsqu’on demande à Sankara ce qu’est la démocratie il répond : « La démocratie est le peuple avec toutes ses potentialités et sa force. Le bulletin de vote et un appareil électoral ne signifient pas, par eux-mêmes, qu’il existe une démocratie. Ceux qui organisent des élections de temps à autre et ne se préoccupent du peuple qu’avant chaque acte électoral, n’ont pas un système réellement démocratique. Au contraire, là où le peuple peut dire chaque jour ce qu’il pense, il existe une véritable démocratie, car il faut alors que chaque jour l’on mérite sa confiance. On ne peut concevoir la démocratie sans que le pouvoir, sous toutes ses formes, soit remis entre les mains du peuple ; le pouvoir économique, militaire, politique, le pouvoir social et culturel[5]. »
Les CDR sont chargés d’exercer le pouvoir du peuple. S’ils ont été à l’origine d’exactions et servi de fer de lance contre les syndicats, il n’en reste pas moins qu’ils ont assumé de nombreuses tâches, bien au-delà de la seule sécurité publique : formation politique, assainissement des quartiers, gestion des problèmes de voisinage, développement de la production et de la consommation des produits locaux, participation au contrôle budgétaire dans les ministères, etc. Ils ont même rejeté, après débats, plusieurs projets comme celui de « l’école nouvelle » jugée trop radical. Quant à leurs insuffisances, souvent dues aux querelles que se livraient les différentes factions soutenant la révolution, Sankara était souvent le premier à les dénoncer.
Dernier élément et non des moindres, Thomas Sankara portait haut la voix des opprimés dans les instances internationales, redonnant fierté à son peuple, rappelant sans cesse l’oppression que subissaient les Noirs d’Afrique du Sud et les Palestiniens, avec la complicité des puissances occidentales, dénonçant sans répit l’impérialisme, comme le montre son discours à l’ONU publié en partie ci-après. Il fit campagne pour l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, un affront que les dirigeants français ne lui pardonneront pas.
Ce président d’un type nouveau était à l’époque devenu gênant pour les puissances occidentales. Son exemple menaçait les pouvoirs des présidents de la région et plus généralement la présence française en Afrique.
Le complot va s’organiser inéluctablement. Le numéro deux du régime, le Président actuel du Burkina Faso, Blaise Compaoré, va s’en charger avec le soutien de la France, de la Côte d’Ivoire et de la Libye. On connaît la suite : l’alliance qui se fait jour via les réseaux françafricains mêlant des personnalités politiques, des militaires ou des affairistes de Côte d’Ivoire, de France, de Libye et du Burkina Faso, pour soutenir Charles Taylor, responsable des effroyables guerres civiles qui vont éclater au Libéria puis en Sierra Leone.
Tout a été tenté pour effacer Thomas Sankara de la mémoire dans son pays. Rien n’y fait. Inéluctablement, Sankara revient, par le son, les images, les écrits. Internet ne fait qu’amplifier le phénomène. Aujourd’hui son rayonnement, de par sa vision de précurseur, notamment sur les questions de l’environnement, le système financier international et la dette, atteint désormais les militants écologistes et anticapitalistes des pays occidentaux.
Par Bruno Jaffré | 10 oct. 2017
Bruno Jaffré, auteur d’ouvrages sur la révolution burkinabè, est un des animateurs du site thomassankara.net et de la campagne « Justice pour Sankara. Justice pour l’Afrique ».
[1] Discours devant la Trente-neuvième session de l’Assemblée générale des Nations Unies. le 4 octobre 1984. Le texte intégral est disponible à l’adresse http://www.thomassankara.net/articl..
[2] Discours prononcé à l’occasion de 1ère conférence nationale des CDR le 4 avril 1986 voir à l’adresse http://thomassankara.net/spip.php?article36
[3] Voir à l’adresse http://thomassankara.net/spip.php?article8 le discours prononcé le 29 juillet 1987 devant le sommet de l’OUA organisation de l’unité africaine.
[4] Voir à l’adresse http://thomassankara.net/spip.php?article45 interview réalisée pour la radio de la Havane publié dans le journal Granma le 4 août 1987
Source: http://thomassankara.net/thomas-sankara-precurseur-des-luttes-daujourdhui/