LA RUSSIE EST AU MOYEN-ORIENT POUR QUE CESSE LA GUERRE, PAS POUR S’IMMISCER DANS LE CONFLIT IRAN-ISRAËL

Par Elijah J. Magnier

Publié le RUSSIA IS IN THE MIDDLE EAST TO HALT THE WAR, NOT

Le rôle de la Russie au Moyen-Orient, plus particulièrement en Syrie, soulève bien des malentendus. De nombreux Syriens prétendent avoir vu la Russie attaquer Israël ou livrer toutes ses armes perfectionnées, toute sa technologie et tous ses avions modernes au gouvernement de la Syrie pour qu’il puisse s’en servir contre Israël, en réponse à sa violation continuelle de son espace aérien et de sa souveraineté. En fait, les Syriens aimeraient bien que la Russie bombarde Israël, qu’elle prenne position dans le conflit entre l’Iran (et ses alliés) et Israël et qu’elle livre à la Syrie des systèmes de missiles antiaériens perfectionnés S-300 ou même S-400. Tous ceux qui ont un sentiment anti-israélien ont jusqu’ici mal saisi le rôle de la Russie au Moyen-Orient en général et en Syrie en particulier. Il en va de même pour ce qui est de la nature de ses relations avec Israël et même avec les USA. Des accusations de « trahison » ont même été lancées contre la Russie et le président Vladimir Poutine.

Le moment est donc bien choisi pour faire la lumière sur le rôle de la Russie au Moyen-Orient, en nous penchant sur l’histoire récente de sa participation au Levant.

La Russie en Syrie

Jusqu’en juillet 2015, la Russie fournissait des armes et des pièces de rechange à l’armée syrienne. Bon nombre de navires se rendaient sur la côte syrienne bordant la Méditerranée, où les Russes possèdent une base navale depuis les années 1970. L’Iran contribuait généreusement au paiement de ces livraisons d’armes à très faible coût (la moitié gratuitement, l’autre à demi-prix), conscient des besoins de ses alliés qui étaient confrontés aux takfiris salafo-wahabbites au Levant.

La Russie croyait que même dans le pire des scénarios, les takfiris d’al-Qaeda et du groupe armé « État islamique » (Daech) n’arriveraient jamais à prendre le contrôle de Lattaquié où la base navale russe se trouve, et que le gouvernement central de Damas serait en mesure de sécuriser la capitale, Zabadani ainsi que les provinces de Homs, Hama et Lattaquié, avec l’aide de ses alliés (temporaires) formant « l’Axe de la résistance ».

En juillet 2015, l’Iran et ses alliés ont décidé d’évacuer toutes les régions rurales pour mieux se concentrer dans les principales villes syriennes, car il devenait impossible de défendre l’immense territoire contrôlé par les djihadistes. C’est alors que l’Iran a dépêché à Moscou son envoyé spécial en Syrie Qassem Soleimani, général de la Force Al-Qods des Gardiens de la Révolution islamique, puis l’amiral Ali Shamkhani par la suite, afin d’établir la situation militaire et de saisir les difficultés sur le terrain. Soleimani a rencontré plus d’une fois les plus hautes instances russes pour leur expliquer qu’il était sans doute trop tard pour protéger Lattaquié contre les roquettes et les missiles des djihadistes et qu’un danger réel menaçait la base russe mouillant en eau chaude en Syrie.

L’Iran et ses alliés avaient réussi à protéger la capitale Damas, la route menant à l’aéroport, les environs de Sayyida Zeinab, la frontière entre le Liban et la Syrie de Talkalakh à Zabadani et Tartous. Ils ont ainsi assuré un statu quo qui a permis au gouvernement central et à « l’Axe de la résistance » de maintenir le président syrien Bachar al-Assad en place et le soutien militaire destiné au Liban en provenance de l’aéroport et du port syrien.

Après avoir longuement hésité, la Russie a pris la décision d’envoyer son armée de l’air en Syrie en septembre 2015. Poutine n’était pas très chaud à l’idée de montrer son animosité envers les USA à l’intérieur de ce qu’ils considéraient comme leur terrain de jeu opérationnel au Moyen-Orient. C’est que les USA avaient investi des milliards de dollars à même leurs goussets et ceux de l’Arabie saoudite et du Qatar en Syrie pour faire tomber le régime.

Les forces spéciales US et la CIA avaient mis sur pied des programmes d’entraînement en Jordanie, au Qatar et en Turquie dans le même but. Le R.U. avait investi, de pair avec les USA, des dizaines de millions de dollars pour montrer aux djihadistes comment faire de la fausse propagande, se servir des médias sociaux pour amener l’opinion publique à être en faveur d’un « changement de régime » et camoufler une réalité peu reluisante : « Même si nous offrons notre aide aux djihadistes d’al-Qaeda, ils représentent un moindre mal et il faut déloger Bachar al-Assad. » Pas le moindre plan ou stratégie n’avait été prévu au cas où l’État tomberait en déliquescence. Le monde s’est prêté au jeu et les médias institutionnels ont fait leur « sale boulot », en faisant fi de leur sens du devoir qui les appelait à éclairer l’opinion sur la réalité et non pas à prendre parti dans le conflit. Le monde entier a été berné par ces reportages biaisés des médias institutionnels reposant sur aucune source fiable. La doctrine et la stratégie américaines consistant à favoriser un changement de régime pour « promouvoir » la paix sont de toute évidence contre-productives et ne font que promouvoir une chose : l’hégémonie américaine.

Poutine ne se sentait pas prêt à plonger dans le bourbier syrien. Trop de pays étaient déjà impliqués et le spectre de l’Afghanistan hantait toujours les dirigeants russes. Cependant, les « conséquences imprévues » de la politique des USA envers l’Ukraine et leur tentative, conjointement avec la Communauté européenne, d’expulser la Russie du pays et de mettre à mal les énormes recettes économiques tirées de la vente de gaz naturel à l’Europe ont suffi pour amener l’ours russe à faire le plongeon au Levant.

Poutine a investi en Syrie plus ou moins l’équivalent du budget annuel du ministère de la Défense consacré à l’entraînement et à la production d’armes. Il a saisi l’occasion en or qui lui était donnée d’avancer sur l’échiquier pour faire comprendre aux USA que la Russie n’était plus faible et qu’elle était capable de protéger ses intérêts à l’extérieur de son territoire ou de sa zone de confort. Le message de la Russie aux USA était on ne peut plus clair : si vous voulez jouer dans notre jardin ukrainien, Moscou va jouer dans votre forêt moyen-orientale.

La Russie ne s’est pas rendue en Syrie pour gagner une guerre, mais pour y mettre fin, empêcher les djihadistes d’avoir le dessus et protéger ses intérêts et ceux de ses alliés. La Russie voulait éliminer tous les djihadistes du Caucase ayant rejoint les rangs de Daech et d’al-Qaeda afin d’empêcher leur retour (ou le recrutement d’autres djihadistes). Elle voulait aussi trois autres choses : assurer sa présence à long terme sur sa base navale en Méditerranée (à Tartous), réunir toutes les parties à la table de négociation, et amener les USA à abandonner leur objectif de « changement de régime ». La Russie cherche aussi à exploiter les très riches champs pétrolifères et gaziers de la Syrie et protéger sa conduite d’alimentation en gaz vers l’Europe.

Contrairement à l’Iran, la Russie ne voyait pas Assad comme un élément essentiel à protéger. C’est la stabilité du gouvernement syrien qui primait. La Russie était prête à un compromis (bien que l’Iran était totalement contre le retrait d’Assad et refusait tout compromis sur ce point) et a demandé à Assad de partir et de choisir un autre Alaouite comme successeur si c’était le prix à payer pour que cesse la guerre. L’objectif de Moscou n’étant pas de défaire Washington par tous les moyens en Syrie, il y avait toujours place au compromis et à la négociation. Poutine tentait apparemment d’imiter Yasser Arafat, qui avait dit un jour : « Je tiens un rameau d’olivier d’une main, et un AK-47 de l’autre. »

Moscou voulait garder ouverte la voie diplomatique avec les Américains et était prêt à jouer la carte du « pouvoir de convaincre », mais pas au point de s’aliéner l’establishment US. C’est seulement lorsque la Turquie a abattu un avion russe à la fin de 2015 que la Russie a compris jusqu’où les USA étaient prêts à aller pour intimider la Russie et porter atteinte à sa réputation. Mais Poutine a refusé de tomber dans le même piège tendu par les USA que Leonid Brejnev lorsqu’il a envoyé l’armée soviétique en Afghanistan en 1979.

Poutine a donc ordonné l’imposition de strictes mesures punitives de nature financière (mais non militaire) contre la Turquie, qui est membre de l’OTAN, en sachant que le président Recep Tayib Erdogan n’était pas le seul derrière l’affront. Ce qui s’est passé ce jour-là était clair : il a fallu 16 secondes à la défense aérienne turque pour tirer en direction du Sukhoi russe et l’abattre lorsque son pilote s’est approché de la frontière virtuelle entre la Syrie et la Turquie, pendant qu’il bombardait des djihadistes pro-turcs à Kessab. C’est un laps de temps très court pour un officier de haut rang de la défense aérienne, qui doit passer par les voies hiérarchiques en informant le chef de l’armée de l’air turque ou le centre opérationnel du ministère de la Défense, qui doit en informer le chef d’état-major, puis le ministre de la Défense et le président Erdogan. La Turquie attendait l’avion russe le doigt sur la gâchette. La Russie informe habituellement les Américains de tous ses plans du jour dans le cadre de l’accord de désescalade afin d’éviter les incidents dans l’espace aérien syrien où s’activent à la fois la Russie et les USA.

La Russie a rétabli ses liens commerciaux avec la Turquie après plusieurs mois d’interruption, lorsque la Russie l’a jugé approprié et qu’Erdogan l’a jugé utile alors qu’il soupçonnait une participation possible des USA à la tentative de coup d’État fomenté contre lui (ou leur connaissance des faits). C’est à partir de là que la diplomatie américaine est passée à la vitesse supérieure. Après des mois de négociations, le secrétaire d’État américain John Kerry est parvenu à obtenir une entente avec son homologue russe Sergei Lavrov prévoyant l’établissement de lignes de démarcation entre les villes, le renforcement du statu quo sur tous les fronts et le maintien de l’armée de l’air syrienne au sol. Tous les militants gardaient le contrôle des territoires qu’ils détenaient. La même chose valait pour l’armée syrienne. La Russie était alors prête à mettre fin à la guerre à ces conditions.

Les objectifs de l’Iran et de la Syrie n’étaient pas identiques à ceux de la Russie, mais convergeaient sur de nombreux points. Téhéran et Damas étaient déterminés à libérer l’ensemble du territoire syrien. Ils étaient heureux de voir qu’une superpuissance, la Russie, mettait les pieds en Syrie pour affronter une autre superpuissance, les USA.

L’Iran ne pouvait gérer la situation seul ou même avec ses alliés. Le soutien financier, l’entraînement militaire et la quincaillerie que recevaient les djihadistes purs et durs appelaient à l’engagement de l’armée iranienne. C’est une possibilité que Téhéran a explorée au cas où la Russie refuserait de sauter dans le bourbier syrien. Le coût aurait été très élevé, bien pire que la guerre Iran-Irak. L’Arabie saoudite et les Émirats auraient envoyé des troupes en Syrie, le Qatar aurait contribué financièrement et une guerre plus étendue au Moyen-Orient aurait frappé aux portes du Levant, guerre à laquelle Israël et les USA auraient volontiers pris part contre la Syrie et l’Iran.

Pour l’Iran, la chute de Bachar al-Assad signifiait la chute de l’Iran même et du Hezbollah, son allié stratégique, puis de l’Irak. Téhéran était prêt à tout miser et l’est encore à ce moment-ci. Ce n’était pas le cas de la Russie. La stratégie de la Russie consiste à maintenir le gouvernement syrien en place et à empêcher à tout prix que les djihadistes prennent le dessus.

Ce n’est que lorsque le Pentagone a refusé de suivre l’avis de Kerry qui était de collaborer avec la Russie et de mettre fin à la guerre en Syrie que Moscou a décidé de poursuivre le combat et de libérer Alep. La Russie sait que ses forces aériennes ne peuvent pas faire grand-chose sans la présence de forces terrestres solides, bien entraînées et motivées à reprendre le territoire. Les djihadistes avaient appris à se protéger contre les attaques aériennes en se barricadant dans les villes. C’est à ce moment-là que le Hezbollah et les forces d’élite de l’armée syrienne (les Tigres) sont entrés en action, avec d’autres forces armées compétentes de l’armée syrienne. La Russie a su alors qu’elle n’était pas seule dans cette guerre et que la décision finale ne pouvait logiquement lui appartenir en tout temps.

L’Iran s’est dirigé vers la Badia (la steppe syrienne) sans le soutien des Russes, pour ensuite pousser vers al-Tanf puis Albu Kamal. Les forces iraniennes ont attendu pendant trois semaines l’arrivée des troupes d’élite (les Tigres) pour achever la bataille contre Daech à Deir Ezzor. Quand Soleimani a perdu patience, il a ordonné l’assaut contre Daech à Albu Kamal. Voyant à quel point l’Iran et ses alliés étaient déterminés, l’armée de l’air russe a décidé de donner un coup de main aux forces terrestres de l’Iran quand Daech a commencé à se retirer de la province de Deir Ezzor.

La Russie ne s’entendait pas non plus avec l’Iran et ses alliés sur la nécessité de libérer Beit Jinn et Mazraat Beit Jin (qui bordent la ligne de cessez-le-feu de 1974), Daraa et Quneitra. La Russie a conclu un accord avec les USA et les Israéliens qui la tient éloignée de cette zone frontalière sensible, pour s’assurer qu’Israël ne soit pas directement touché par les forces russes en Syrie. Les Israéliens considéraient le retrait des takfiris djihadistes et la possibilité d’écourter la durée de la guerre comme un désavantage. Tel-Aviv a non seulement fourni un soutien logistique, des soins médicaux et des renseignements de sécurité aux partisans d’al-Qaeda et de Daech (Jaish Khaled Bin al-waleed) à sa frontière avec la Syrie, mais il a aussi utilisé de façon éhontée son armée de l’air et son artillerie à leur rescousse.

Dans les faits, la Russie et Israël entretiennent en grande partie de bonnes relations, malgré leurs différences en Syrie. Israël a désespérément besoin de la Russie en raison de sa présence en Syrie. La Russie peut retenir pour un certain temps la poursuite des objectifs de Téhéran et de Damas et a fixé certaines limites jusqu’à ce que la guerre cesse. L’absence de la Russie au Levant serait comblée par la présence de dizaines de milliers d’alliés iraniens à la frontière avec Israël. Cependant, la Russie peut aussi fournir à la Syrie des armes qui changeraient les règles du jeu.

Israël est déjà très mécontent de la livraison en Syrie par la Russie du missile antinavire Yakhont. Israël sait que le stock russe de missiles antichars guidés laser « Kornet » a fini par se retrouver dans les mains du Hezbollah en 2006 et que ces missiles ont stoppé les merkavas israéliens lors de la seconde guerre (plus de 55 chars ont été détruits et endommagés). On suppose que le Yakhont a fini par se retrouver lui aussi dans les mains du Hezbollah.

La Russie n’est pas totalement opposée au besoin de sécurité d’Israël, même si elle continue d’aider substantiellement la Syrie. Sauf qu’il y a une condition : si Israël joue avec le feu en Syrie et continue de lancer des missiles à proximité des officiers russes répartis avec tous leurs alliés dans l’ensemble du territoire syrien, les choses peuvent changer et Israël le sait.

Là encore, L’Iran et le gouvernement central à Damas n’ont pas donné leur accord à tous les plans militaires et politiques des Russes, mais comprenaient que seul Moscou possédait le levier international nécessaire pour mettre fin à la guerre et éliminer Daech et al-Qaeda. Le soutien accordé al-Qaeda par les USA (ainsi que par la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar) représentait tout un dilemme pour les forces syriennes et leurs alliés, dont la priorité était l’élimination du groupe armé. Lorsque la Russie s’est présentée et a décidé d’éliminer Daech, il était devenu orphelin et impuissant. La Syrie et l’Iran ont accepté plus tard de parvenir à un accord politique qui prévoyait que le reste des rebelles seraient laissés à eux-mêmes dans le nord, sous contrôle turc.

Le comportement de la Russie démontre qu’elle n’est pas venue en Syrie pour déclencher une guerre mondiale. Elle a fait preuve de retenue lorsque la Turquie a abattu un de ses avions, lorsque les USA ont tué des dizaines d’entrepreneurs russes à Deir Ezzor, lorsque les USA ont lancé une première salve comptant 59 missiles de croisière au-dessus de la tête des Russes en direction de l’aéroport militaire de Chouayrat, et lorsque le Pentagone a atténué la riposte de Trump en lançant, quelques mois plus tard, une deuxième salve comptant 100 missiles de croisière contre des cibles syriennes vides (après avoir informé la Russie de l’heure exacte de la frappe et de la banque d’objectifs).

La Russie n’a pas l’intention de prendre part à la guerre entre Israël et le Hezbollah, ou entre Israël et l’Iran. La Russie cherche en fait à calmer le jeu de façon à promouvoir la fin de la guerre en Syrie. La Russie n’est pas engagée dans le conflit irano-syrien. Définir le conflit irano-israélien comme un conflit arabo-israélien ne tient d’ailleurs pas la route.-En fait, l’antagonisme entre les musulmans et les Israéliens au Moyen-Orient aujourd’hui se résume à l’opposition de l’Iran et de ses alliés à Israël. L’Arabie saoudite (le prince héritier Mohammed Ben Salman et les médias saoudiens) flirte ouvertement avec Israël, en levant tous les tabous et en s’échangeant des visites officielles.

Israël et la Russie ont de bonnes relations, mais bien des analystes les comprennent mal. Il n’est pas juste de dire que Poutine a invité Netanyahu le « Jour de la Victoire » pour « envoyer un message à la Syrie ». Damas et Téhéran sont conscients de la nature des relations entre Moscou et Tel-Aviv, et vice versa.

Ni l’Iran ni la Syrie n’accepteront d’ultimatum russe ou israélien. La Russie n’aurait rien obtenu en Syrie sans les alliés de l’Iran et leurs forces terrestres et l’inverse est également vrai.

L’Iran et la Syrie comprennent le lien entre la Russie et Israël et ne prétendent pas à vouloir le briser. De même, la Russie est consciente des relations entre la Syrie et l’Iran et n’a jamais réussi à en modifier la nature. De plus, la Russie a besoin de la Syrie et de l’Iran non seulement comme partenaires sur le plan commercial et énergétique, mais aussi comme porte-flambeau de la campagne contre la domination unilatérale mondiale des USA.

Qu’est-ce que la Russie est parvenue à faire en Syrie? Voici quelques exemples :

  • La Russie a empêché le président Obama de bombarder Damas et a convaincu les USA d’accepter la destruction des bombes chimiques de la Syrie. L’expérience du Hezbollah en 2006 a démontré à la Syrie que posséder des missiles de précision suffisait amplement à créer un équilibre avec Israël. L’utilisation d’armes chimiques engendre une colère mondiale contre quiconque y a recours.
  • La Russie (ainsi que la Chine) a empêché les Nations unies, les USA et l’Europe d’obtenir la résolution légitime de l’ONU qu’il leur fallait pour faire de la Syrie un État en déliquescence pareil à ce qu’est devenue la Libye en 2011.
  • La Russie a continué de fournir à l’armée syrienne toutes les pièces de rechange d’équipement militaire ainsi que des versions améliorées de chars et d’avions lorsque l’armée (tout comme les immenses entrepôts répartis dans tout le pays) était divisée entre factions favorables aux rebelles et favorables au régime.
  • L’armée de l’air russe s’est présentée et a stoppé l’avance des djihadistes, sous les railleries des analystes qui ont décrédibilisé son intervention pendant les six premiers mois.
  • La Russie a empêché les djihadistes de prendre le contrôle de toutes les régions rurales quand l’Iran et ses alliés ne pouvaient défendre et garder que les villes.
  • La Russie a libéré Kessab et la région rurale de Lattaquié lorsque la Turquie a accordé son soutien à al-Qaeda en l’autorisant à utiliser son territoire pour attaquer l’armée syrienne par-derrière. En atteignant la Méditerranée, al-Qaeda laissait planer une menace directe contre Lattaquié.
  • La Russie a empêché les USA de détruire complètement l’infrastructure de l’armée syrienne et de démolir le palais présidentiel (une frappe symbolique pour marquer la chute du régime), et a fait pression sur les USA pour limiter l’ampleur de la frappe des missiles de croisière lancés contre l’aéroport militaire de Chouayrat.
  • La Russie a créé des zones de désescalade qui ont divisé les rebelles et les djihadistes et qui ont permis à l’armée syrienne et à ses alliés d’isoler les secteurs hostiles et de les reconquérir un par un.
  • La Russie a conclu un accord avec la Turquie (qui a demandé à des milliers de ses mandataires de quitter Alep avant l’assaut) qui a permis la libération d’Alep.
  • La Russie a mis fin aux combats dans la région rurale d’Idlib et s’est tournée aussitôt vers la Ghouta pour empêcher la chute possible de Damas. Les USA comptaient envoyer des dizaines des milliers de rebelles d’al-Tanf rejoindre des dizaines de milliers d’autres djihadistes dans la Ghouta, pour ensuite marcher sur Damas. C’était le seul plan capable de renverser la situation au détriment de la Russie et de ses alliés au moment même où la guerre était presque gagnée, s’il avait fonctionné. La Russie a frappé de 20 à 30 000 militants de Jaish al-Islam si fort, qu’ils ont été forcés de quitter la Ghouta ainsi que les régions rurales de Homs et d’Hama, vers le secteur contrôlé par les Turcs au nord.
  • La Russie a empêché les USA de frapper toutes les positions de l’armée syrienne, les bases militaires iraniennes et celles de ses alliés (évitant ainsi une guerre plus large contre Israël qui aurait pu embraser tout le Moyen-Orient). Les USA ont été forcés de changer leur plan de guerre deux fois puis, sous la pression du Pentagone, ont accepté d’informer la Russie de tous leurs objectifs et de limiter leur frappe à cent missiles de croisière lancés contre des cibles vides. La Russie a déployé tous les systèmes de défense antiaérienne (elle a livré 40 canons antiaériens Pantsir-S2 à la Syrie) de façon à ce qu’ils puissent intercepter tous les missiles en approche, tournant ainsi au ridicule la frappe américaine.
  • La Russie a créé les pourparlers d’Astana, l’alternative aux pourparlers de Genève, et a mis en place sa propre plateforme de médiation politique. Après la libération de la Ghouta et des régions rurales d’Hama et Homs, il ne subsiste aujourd’hui aucun groupe rebelle avec qui le gouvernement syrien devrait négocier à Genève. Les opposants au gouvernement syrien ont été désarmés et demeurent sous le contrôle de leurs maîtres. Aujourd’hui, les pourparlers de paix se font entre pays concernés et non plus par l’intermédiaire de mandataires : les USA au nord-est et à l’est (al-Tanf), la Turquie au nord-ouest, les USA et Israël au sud, et la Russie, avec l’Iran et la Syrie, qui occupent le camp opposé.
  • La Russie n’a pas mâché ses mots contre Israël lorsque ses avions ont bombardé l’aéroport militaire T-4. Poutine a dit à Netanyahu que ses missiles étaient tombés à 50 mètres de la position russe au T-4, ce qui était inacceptable. L’entente conclue précisait qu’Israël devait s’abstenir de frapper à l’intérieur des terres toute force engagée dans la lutte contre Daech et al-Qaeda. La Russie a menacé de livrer des S-300 à la Syrie si jamais les avions israéliens commettaient de nouveau ce genre d’attaque non coordonnée et non autorisée en Syrie.
  • Israël a informé la Russie de la présence dans les airs de 28 de ses avions chargés de frapper des positions iraniennes et syriennes. La Russie a prévenu ses alliés de la trajectoire des avions israéliens et de leurs objectifs. Les pertes se sont limitées à quelques militaires syriens. Il n’y a pas eu de victime iranienne. La Syrie et l’Iran ont répondu en créant une nouvelle règle d’engagement, qui a fait des hauteurs du Golan occupé une nouvelle zone de réponses du tac au tac.

La Russie ne fait plus de compromis concernant Assad. Moscou n’aspire plus au retrait du président syrien, mais est favorable à des élections libres en Syrie en 2019, sous la surveillance de l’ONU. La Russie est également pleinement consciente que les relations entre les Iraniens et les Syriens sont beaucoup plus solides et stratégiques après sept ans de guerre. La destinée, la géographie, un ennemi commun, des alliés stratégiques (Hezbollah), tout s’est fusionné dans une même destinée et un seul objectif : protéger le régime syrien, qui considère l’Iran comme son partenaire le plus loyal. La Syrie a ouvert ses entrepôts au Hezbollah en 2006 et le Hezbollah est venu en Syrie offrir les services de milliers de ses hommes pour protéger « l’Axe de la résistance ».

Le Corps des Gardiens de la révolution islamique est également présent en Syrie depuis 1982 et ne quittera les lieux qu’à la demande du gouvernement syrien. Il est venu en Syrie pour soutenir Assad des années avant la Russie et a offert son aide financière, ses hommes et ses armes sans les accompagner de promesses ou de garantie de succès. La Russie est arrivée plus tard et est consciente de la dynamique et de la relation entre l’Iran et la Syrie.

D’ici à ce que la guerre prenne fin en Syrie, la Russie cherchera à maintenir un équilibre dans ses relations avec Israël, la Syrie, la Turquie, les USA et l’Iran. Elle ne tentera pas non plus de s’en prendre aux USA et accepte de partager le même espace (en Syrie), tant que chaque force reste dans sa zone (ce qui n’est pas nécessairement le plan de Damas et de Téhéran).

La Russie a offert à la Syrie beaucoup plus que ce qui peut être cité dans un article. La lutte n’est toutefois pas terminée et il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Ce que plusieurs oublient, c’est que la Russie n’est pas une annexe de l’armée syrienne ou de l’armée iranienne, ni un élément de « l’Axe de la résistance », même si une partie de leurs luttes et de leurs objectifs se rapprochent. Il n’en demeure pas moins que sans « l’Axe de la résistance », la Russie ne peut aller bien loin.

Sans la Russie, l’Iran et Israël, et le Hezbollah et Israël, s’échangeraient probablement des bombes voletant probablement au-dessus du Moyen-Orient. La Syrie et l’Irak (et fort probablement d’autres pays arabes) seraient en flammes, surtout en présence d’un président américain qui prend ses décisions militaires en dégustant un morceau de gâteau au chocolat et qui ne peut faire la différence entre l’Irak et la Syrie.

Par Elijah J. Magnier (à Damas): @ejmalrai