Le nom officiel du dernier assaut d’Israël contre Gaza est « Opération Bordures Protectrices ». Un meilleur nom serait « Opération Déjà Vu ». Comme il l’a fait auparavant à plusieurs occasions, Israël utilise des armes fournies par les contribuables américains pour bombarder les Palestiniens, pauvres et captifs, à Gaza, où le nombre de morts [avoisine désormais les 880 (au matin du 26 juillet) – NdT)]. Comme d’habitude, le gouvernement des Etats-Unis prend parti pour Israël, même si la plupart des responsables américains comprennent que l’Etat hébreu est à l’origine de cette dernière série de violence, qu’il agit sans aucune retenue et que ses actions font passer Washington pour un gouvernement insensible et hypocrite aux yeux de la majorité dans le monde.

Cette situation orwellienne est un témoignage éloquent de l’influence politique permanente de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) et des autres éléments jusqu’au-boutistes du lobby d’Israël. Il n’y a aucune autre explication possible pour l’attitude passive du Congrès des Etats-Unis – y compris de ses membres les plus « progressistes » – ou pour l’hypocrisie futile de l’administration Obama, en particulier celle de ces responsables politiques connus pour leur prétendu engagement pour les droits de l’homme.

La cause immédiate de ce dernier massacre unilatéral est le kidnapping et le meurtre de trois autostoppeurs israéliens en Cisjordanie occupée, suivis peu après du kidnapping d’un adolescent palestinien par plusieurs Israéliens qui l’ont brûlé vif. Selon le reportage de J. J. Goldberg, dans le quotidien juif Forward, le gouvernement de Netanyahou a accusé, sans preuves, le Hamas de l’enlèvement des trois jeunes Israéliens et prétendu pendant plusieurs semaines que ces derniers étaient toujours en vie, même si des preuves indiquaient que les victimes étaient déjà mortes. Le gouvernement israélien l’a fait sciemment afin de faire monter le sentiment anti-arabe et faciliter la justification des opérations punitives en Cisjordanie et à Gaza.

Et pourquoi Netanyahou a-t-il décidé de se livrer à de nouveaux actes de violence à Gaza ? Ainsi que Nathan Thrall de l’International Crisis Group le fait remarquer, la véritable motivation était ni la vengeance ni un désir de protéger Israël des tirs de roquettes du Hamas, qui ont été quasi-inexistants au cours des deux dernières années et qui sont de toute manière largement inefficaces. Le véritable objectif des Netanyahou était de saper le récent accord d’un gouvernement d’union nationale entre le Fatah et le Hamas. Etant donné l’engagement personnel de Netanyahou à conserver la Cisjordanie et à créer le « grand Israël », la dernière chose qu’il veut est une direction palestinienne unie qui pourrait faire pression contre lui en vue d’une solution à deux Etats. Par conséquent, il a cherché à isoler le Hamas et à lui porter un grave préjudice, de sorte que les deux factions palestiniennes se brouillent à nouveau.

Derrière toutes ces manœuvres se profile l’occupation de la Palestine par Israël, qui dure depuis bientôt cinquante ans. Non contents d’avoir procédé au nettoyage ethnique de centaines de milliers de Palestiniens en 1948 et en 1967, et ne pouvant se contenter de posséder 82% de la Palestine mandataire, tous les gouvernements israéliens depuis 1967 ont construit ou étendu les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem Est, tout en subventionnant généreusement les plus de 600.000 Juifs qui s’y sont installés en violation de la 4ème Convention de Genève. Il y a deux semaine, Netanyahou a confirmé ce que beaucoup suspectaient depuis longtemps : il est résolument opposé à une solution à deux Etats et ne permettra jamais – je répète : jamais – que cela se produise pendant qu’il est au pouvoir. Si l’on prend en compte le fait que Netanyahou est probablement le membre le plus modéré de son gouvernement et que le système politique israélien vire de plus en plus à droite, la solution à deux Etats est une vaine chimère.

Le pire est que la mort de centaines de Palestiniens supplémentaires et d’un petit nombre d’Israéliens ne changera pratiquement rien. Le Hamas ne va pas se dissoudre. Lorsque cette dernière série de combats prendra fin, les 4,4 millions de Palestiniens qui vivent en Cisjordanie et à Gaza seront toujours les prisonniers de fait d’Israël et se verront toujours refuser leurs droits humains fondamentaux. Mais ils ne partiront pas, principalement parce que la Palestine est leur patrie, mais aussi parce qu’ils n’ont nulle part où aller, en particulier étant donné l’agitation dans les autres parties du proche-Orient.

Un nouveau cessez-le-feu finira par être négocié. Les morts seront enterrés, les blessés guériront, les tunnels en cours de destruction seront reconstruits et le Hamas renouvellera ses stocks de missiles et de roquettes. Le décor sera alors dressé pour une nouvelle série de combats et Israël aura poursuivi son avancée pour devenir un Etat d’apartheid à part entière.

Pendant ce temps, les politiciens et les décideurs nord-américains continuent de soutenir une campagne militaire brutale dont l’objectif essentiel n’est pas de défendre Israël mais plutôt de protéger son effort de longue durée de coloniser la Cisjordanie. Etonnamment, ils continuent de soutenir Israël sans réserve même si tous les présidents des Etats-Unis depuis Lyndon Johnson se sont opposés au projet israélien de colonisation, et que les trois derniers président – Clinton, Bush et Obama – ont travaillé dur pour une solution à deux Etats, que la politique israélienne a désormais rendue impossible.

Pourtant, dès que les combats commencent, et même si Israël en est à l’origine, l’AIPAC exige que Washington marche la main dans la main avec Tel Aviv. Le Congrès se précipité invariablement pour voter de nouvelles résolutions soutenant tout ce qu’Israël décide de faire. Même si ce sont essentiellement les Palestiniens qui meurent, les responsables à la Maison Blanche se précipitent pour déclarer qu’Israël a « le droit de se défendre », et Obama lui-même ne fera guère plus qu’exprimer sa « préoccupation » sur ce qui se passe. Bien sûr, les Israéliens ont le droit de se défendre, mais les Palestiniens ont non seulement ce même droit, ils ont le droit de résister à l’occupation. Pour le dire autrement, Israël n’a pas le droit de maintenir ses ressortissants palestiniens en soumission permanente. Mais essayez donc de trouver quelqu’un au Capitole qui reconnaisse ce simple fait !

L’explication de la politique impuissante et de la faillite morale des Etats-Unis d’Amérique est l’influence politique exercée par le lobby d’Israël. Barack Obama sait que s’il prenait parti pour les Palestiniens à Gaza ou s’il critiquait les action d’Israël d’une façon ou d’une autre, il se retrouverait face à une volée de critiques de la part du lobby et ses chances d’obtenir l’approbation du Congrès pour un accord avec l’Iran s’évaporeraient.

De la même manière, tous les parlementaires de la Chambre des Représentants et du Sénat – y compris des progressistes comme le Sénateur Elizabeth Warren – savent que voter pour ces résolutions soi-disant « pro-israéliennes » est la seule démarche politique intelligente. Ils comprennent que même la plus petite manifestation d’indépendance sur ces questions pourrait les rendre vulnérables face à un opposant bien financé la prochaine fois qu’ils se présenteront à leur réélection. Au minimum, ils devront répondre à un déluge d’appels téléphonique et de lettres acariâtres et, en prime, ils ont toutes les chances d’être blackboulés par certains de leurs collègues parlementaires. La meilleur chose à faire est de répéter les mêmes litanies usées à propos des « valeurs partagées » entre Israël et les Etats-Unis et d’attendre que la crise se calme. Et les gens s’étonnent que plus personne ne respecte le Congrès !

Certes, l’influence du lobby n’est plus aussi prégnante qu’elle ne l’était autrefois. Le discours public à propos d’Israël, la politique des USA vis-à-vis d’Israël et le lobby lui-même ont sensiblement changé ces dernières années, et un nombre croissant de journalistes, de blogueurs et d’experts – comme Andrew Sullivan, Juan Cole, Peter Bernart, M.J. Rosenberg, Max Blumenthal, Phyllis Bennis, Bernard Avishai, Sara Roy, Mitchell Plitnick, David Remnick, Phil Weiss et même (à l’occasion) Thomas Friedman du New York Times – sont prêts à s’exprimer et à écrire franchement sur ce qui se déroule au Proche-Orient. Bien que la plupart des Américains soutiennent ouvertement l’existence d’Israël – tout comme moi-même – leur sympathie pour un Israël qui agit plus comme Goliath que comme David s’érode. Les rangs des sceptiques incluent un nombre croissant de jeunes Juifs américains, qui ne trouvent pas grand-chose à admirer et beaucoup à détester dans les actions d’Israël, et qui y sont bien moins dévoués que les générations précédentes. Les groupes pour la paix, comme J Street et Jewish Voice for Peace, reflètent cette tendance et montrent que l’opinion parmi les Juifs américains est loin d’être unitaire.

En outre, l’AIPAC et autres groupes de pression jusqu’au-boutistes n’ont pas réussi à convaincre l’administration Obama d’intervenir en Syrie, et ils ont été incapables de convaincre les administrations Bush ou Obama de lancer une attaque préventive contre l’infrastructure nucléaire iranienne. Ils ont également échoué à faire dérailler les négociations nucléaires avec Téhéran – du moins jusqu’à présent – et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Evidemment, pousser les Etats-Unis vers une nouvelle guerre au Moyen-Orient n’est pas une chose facile pour quelque groupe d’intérêt que ce soit, mais ces revers montrent que même ce « Léviathan parmi les lobbies » n’obtient pas toujours gain de cause.

Mais le lobby parvient toujours à maintenir environ 3 milliards de dollars d’aide à Israël chaque année ; il peut toujours empêcher les présidents des Etats-Unis d’exercer une pression significative sur Israël, et il peut toujours obtenir que les Etats-Unis mettent leur veto à chaque fois qu’une résolution critiquant Israël est proposée au conseil de sécurité des Nations Unies. Cette situation explique pourquoi l’administration Obama n’a fait aucun progrès vers la solution « deux Etats pour deux peuples » : si Israël obtient un soutien généreux de la part des Etats-Unis quoi qu’il fasse, pourquoi ses dirigeants devraient-ils se préoccuper des demandes de Washington ? Obama et son ministre des Affaires étrangères John Kerry n’ont pu que demander à Netanyahou de faire preuve d’un meilleur jugement, et l’on a vu le résultat !

Cette situation est une tragédie pour toutes les parties concernées, et notamment pour Israël. Un Grand Israël ne peut être rien d’autre qu’un Etat d’apartheid, et un nationalisme d’exclusion ethnique de ce type n’est pas soutenable au 21ème siècle. Les citoyens arabes d’Israël finiront pas exiger des droits égaux, et ainsi que l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert avait prévenu en 2007, une fois que cela se sera produit, « cela en sera fini de l’Etat d’Israël ».

Malheureusement, l’AIPAC, l’Anti-Defamation League, la Conférence des Présidents des Principales Organisations Juives et les groupes sionistes chrétiens assortis continuent de faire preuve d’une grave pathologie d’esprit borné. Parce que défendre Israël quoi qu’il fasse est leur principale raison d’être (et central à leurs levées de fonds), ils sont incapables de voir qu’ils aident Israël à tomber dans le précipice. De façon similaire, ces membres dociles du Congrès qui signent lâchement les résolutions élaborées par l’AIPAC ne sont pas de vrais amis d’israël. Ce sont de faux amis qui prétendent l’aimer mais qui ne sont réellement intéressés qu’à se faire réélire.

Un jour, les historiens se pencheront sur cette période et se demanderont comment la politique des Etats-Unis au Moyen-orient a pu être aussi inefficace et si éloignée de leurs prétendues valeurs – sans parler de leurs intérêts stratégiques. La réponse se trouve dans la nature fondamentale du système politique américain, qui permet à des groupes d’intérêt bien organisés et bien financés d’exercer un pouvoir important au Capitole et à la Maison Blanche. Dans ce cas, le résultat est une politique qui est mauvaise pour toutes les parties concernées : surtout pour les Palestiniens, mais aussi pour les Etats-Unis et Israël. Tant que l’influence du lobby n’aura pas faibli ou que les politiciens n’auront pas développé une volonté plus forte, les Américains espérant de meilleures résultats au Moyen-orient feraient mieux de s’habituer à la déception et de se préparer à plus de problèmes.

Par Stephen M. Walt
Huffington Post, le 26 juillet 2014

Article original : AIPAC Is the Only Explanation for America’s Morally Bankrupt Israel Policy Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

Stephen M. Walt est professeur d’affaires internationales à l’Ecole de Gouvernement John F. Kennedy de l’université d’Harvard.