L’armée israélienne lui a d’abord pris les jambes, ensuite, la vie


Image twitter @NadiaAbuShaban


Par Gideon Levy
Publié le 15/12/2017 sur Haaretz

Ce vendredi, un sniper a abattu et tué Ibrahim Abu Thuraya, un double amputé de Gaza, au moment où, dans sa chaise roulante, il protestait à proximité de la frontière israélienne.

Le sniper israélien ne pouvait viser la partie inférieure du corps de sa victime – elle était absente, chez Ibrahim Abu Thuraya. L’homme de 29 ans, qui travaillait comme laveur de voitures et qui vivait dans le camp de réfugiés de Shati, à Gaza-ville, avait perdu les deux jambes à hauteur des hanches lors d’une frappe aérienne israélienne de l’opération « Plomb durci », en 2008. Il se déplaçait en chaise roulante. Vendredi, l’armée à achevé son travail : un sniper l’a visé à la tête et l’a tué.

Les images sont horribles : Abu Thuraya dans sa chaise roulante, poussé par des amis et appelant à protester contre la déclaration américaine reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël; Abu Thuraya au sol, rampant vers la clôture derrière laquelle est enfermée la bande de Gaza; Abu Thuraya agitant un drapeau palestinien; Abu Thuraya levant les deux bras pour faire le signe de la victoire; Abu Thurayatransporté par ses amis et mourant en se vidant de son sang : le corps d’Abu Thuraya déposé sur un brancard : Fin.

Le sniper de l’armée ne pouvait viser la partie inférieure du corps de sa victime, ce vendredi, si bien qu’il lui a tiré dans la tête et l’a tué.

On peut présumer que le militaire s’est rendu compte qu’il tirait sur une personne dans une chaise roulante, à moins qu’il n’ait tiré sans discrimination dans la foule des manifestants.

Abu Thuraya n’était un danger pour personne : Jusqu’à quel point un double amputé dans une chaise roulante et emprisonné derrière une clôture pourrait-il constituer un danger ? Quelle méchanceté, quelle absence de sentiments faut-il pour abattre une personne handicapée dans une chaise roulante ? Abu Thuraya n’était pas le premier et il ne sera pas le dernier des Palestiniens présentant un handicap à être tué par les Forces de défense israéliennes – qu’ils soient les militaires les plus moraux de la planète ou pas.

La mort par balle du jeune handicapé n’a pratiquement pas été mentionnée, en Israël. Il était l’un des trois manifestants tués vendredi, tout simplement une journée comme une autre. On peut aisément imaginer ce qui se passerait si des Palestiniens tuaient un Israélien se servant d’une chaise roulante. Quelle fureur cela aurait déclenché, avec d’interminables flots d’encre déversés sur leur cruauté et leur barbarie. Combien d’arrestations en aurait-il résulté, quelle est la quantité de sang qui aurait coulé en guise de représailles ? Mais, quand des militaires se conduisent de façon barbare, Israël reste silencieux et ne témoigne d’aucun intérêt. Aucun choc, aucune honte, pas la moindre pitié. Quelque mot d’excuse, l’expression d’un regret ou d’un remords, tout cela relève de la plus haute fantaisie. L’idée de demander des comptes aux personnes responsables de cette action criminelle est également une illusion. Abu Thuraya était un homme mort dès le moment où il avait osé participer aux protestations de son peuple et sa mort n’intéresse personne, puisqu’il était palestinien.

La bande de Gaza est fermée aux journalistes israéliens depuis 11 ans, de sorte qu’on ne peut qu’imaginer ce qu’était l’existence du laveur de voiture à Shati avant sa mort – comment il s’était sorti de ses blessures en l’absence de services convenables de revalidation dans l’enclave assiégée, sans la moindre possibilité d’obtenir des jambes artificielles; comment il se déplaçait péniblement dans une vieille chaise roulante, même pas à l’électricité, dans les allées sablonneuses de son camp; comment il continuait de laver les voitures malgré son grave handicap, puisqu’il n’y a pas d’autre choix à Shati, et cela vaut aussi pour les personnes handicapées; et comment il continuait de lutter avec ses amis, en dépit de son handicap.

Pas un Israélien ne pourrait imaginer la vie dans cette cage, la plus grande du monde, cette cage qu’on appelle la bande de Gaza. Elle fait partie d’une expérimentation de masse poussée à l’infini sur des êtres humains.

On devrait voir les jeunes gens désespérés qui se sont approchés de la clôture lors de la manifestation de vendredi, armés de pierres qui ne pouvaient atteindre personne, les jetant par les fentes des barreaux derrière lesquels ils sont pris au piège.

Ces jeunes gens n’ont aucun espoir, dans leur existence, même s’ils ont deux jambes pour marcher. Abu Thuraya avait encore moins d’espoir.

Il y a quelque chose de pathétique et pourtant de très digne dans la photo qui le montre brandissant le drapeau palestinien, étant donné son double enfermement – dans sa chaise roulante et dans son pays assiégé.

L’histoire d’Abu Thuraya est un reflet exact des conditions dans lesquelles vit son peuple. Peu après qu’il a été photographié, son existence tourmentée est arrivée à son terme. Quand des gens scandent chaque semaine « Netanyahou à Maasiyahu [en prison] », quelqu’un, finalement, devrait également se mettre à parler de La Haye.

Par Gideon Levy | Haaretz

Traduit par Jean-Marie Flémal 

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