Intervention de la députée syrienne indépendante Maria Saadeh lors de la rencontre des chrétiens du Levant les 2 et 3 novembre 2013 à Beyrouth
Le devenir des chrétiens du Levant
Honorables prélats, son excellence monsieur le président du conseil, mesdames et messieurs….
Sous des titres alléchants, comme « la protection du peuple syrien », ou « le devoir de protéger le peuple syrien », depuis deux ans et demi, on ne cesse de faire subir au peuple syrien les pires agressions et crimes contre l’humanité, à commencer par la violation de ses droits les plus élémentaires et en premier son droit à la vie.
Sous prétexte de liberté et de démocratie en Syrie on apporte un très large soutien financier, militaire, logistique, médiatique et diplomatique aux organisations et courants terroristes takfiristes de sorte qu’elles puissent exécuter à la perfection le plan diabolique de destruction massive des composants de la société syrienne et de l’État syrien en perpétrant des massacres dont la cruauté dépasse les plus horribles des tueries figurant dans les annales des guerres.
Quelle liberté se construit sur le meurtre et quelle démocratie se base sur l’exclusion de l’Autre ?
La guerre contre la Syrie est de fait une guerre contre toute la région, C’est une guerre culturelle dans le vrai sens du mot ; c’est dans l’absolu l’obscurantisme, dans sa dimension la plus cruelle, qui attaque la civilisation. Cet obscurantisme sanguinaire vise à anéantir le concept même de la citoyenneté et d’appartenance Il menace l’existence de notre identité nous poussant vers l’abîme des conflits interminables de religiosité tribale à caractère médiéval ou « l’Autre », qui pour nous n’est autre que nous-mêmes, n’a pas de droit de cité, n’a pas droit d’exister en tant qu’être humain libre de ses convictions religieuses et de la pratique de sa foi.
Nous sommes donc face à un grand défi.
Hélas, la soi disant « communauté internationale » se trouve gravement responsable de l’évolution dramatique de la situation de par son silence honteusement complice devant les massacres des civils innocents devant les scènes de cannibalisme pratiquées par les takfiristres et devant la destruction systématique et continue des vestiges culturels et cultuels témoins de la grande civilisation syrienne.
Dépositaire de l’exceptionnel vivier spirituel, la Syrie est célèbre par son extraordinaire diversité ethnique, sa traditionnelle tolérance religieuse et son statut de berceau de la civilisation humaine. La coexistence, voire même la complémentarité entre les religions fait partie de sa fierté monothéiste. Ses lieux saints et leurs symboles religieux qui appartiennent certes à la nation, sont davantage partie intégrante du patrimoine mondial de l’humanité sans distinction aucune de race ou de religion.
La Syrie, joyau de la civilisation humaine, est aujourd’hui frappée de plein fouet par l’arbitraire du takfirisme.
Les chrétiens levantins dont les lieux de cultes sont à leur tour pris pour cible privilégiée par la barbarie takfiriste, se trouvent massacrés par centaines, pris en tenailles par les différents escadrons de la mort sans que leur martyr ne soulève une réelle protestation de la part des gouvernements et organisations internationales qui se lamentent sur les droits de l’homme et s’érigent en donneurs de leçons de démocratie et de morale.
Ils se retrouvent d’une manière ou d’une autre comme partie prenante de ce conflit religieux.
Nous faisons face à un grand défi qui se pose à l’existence islamo-chrétienne. Les tentatives visant à vider l’Orient de la présence chrétienne aboutiraient à l’élimination de la chrétienté du monde entier, Car notre Orient est le dépositaire historique, et recèle les racines du monothéisme. Et les chrétiens sont les mieux placés pour comprendre la signification authentique de l’islam et son émancipation dans le contexte oriental sans atteinte aucune aux autres religions ou à leurs adeptes. C’est sur cette terre que sont nées les religions célestes et sur cette terre qu’elles se sont intégrées en toute harmonie créant ainsi une commune culture et accumulant des expériences partagées et fructueuses à travers des siècles. Cette remarquable traversée humaine a contribué à l’émancipation et au progrès de tout le monde arabe dans le cadre du respect mutuel entre ses différentes composantes ethniques et religieuses.
Fort malheureusement nous assistons aujourd’hui à un amalgame de concepts et d’idées. Nous assistons à une grave incompréhension quant à la nature même de la relation entre les religions dans un pays où le principe de la citoyenneté est profondément ancré dans la conscience collective de la société.
Nous assistons à un détournement, une défiguration de l’islam en le faisant apparaitre comme une religion violente extrémiste et cruelle, antichrétienne de nature, et ce, pour pousser les chrétiens à se détacher de leurs racines, par la tentation ou par la terreur, portant en eux ces notions défigurées à quitter définitivement leur terre ancestrale, à prendre le chemin de l’exil à destination de l’inconnu, la mort dans l’âme, portant en eux les blessures profondes d’une déception irréversible. Ce qu’il faut à tout prix éviter.
Voila pourquoi nous chrétiens et musulmans sommes appelés à agir en personnes responsables, à rétablir et à consolider la confiance profonde islamo-chrétienne, dans une époque ou nous aspirons à un État de droit et non à un émirat religieux. C’est la responsabilité de tous en Orient, musulmans et chrétiens, la religion étant une conduite, et aucune religion au monde ne reposant sur l’exclusion de l’autre.
C’est dans cette perspective que nous tenons notre rassemblement. Loin de nous toute idée de participation à un conflit d’ordre religieux. Notre action émane de la culture de l’amour et de la paix qui est la nôtre, celle d’établir des ponts de paix entre les citoyens et non des barrières de séparation.
Nous lançons un appel à tous nos concitoyens, à toutes les composantes religieuses de la société syrienne pour qu’ensemble nous agissions en personnes responsables dignes de notre sainte patrie, dignes de notre Machrek, afin de construire ensemble l’État Moderne basé sur le principe de la citoyenneté, doté de structures constitutionnelles adaptées aux besoins des gens, répondant à leur aspiration de progrès, de prospérité et de paix, bannissant toutes sortes de discrimination, religieuses, confessionnelles, ethniques ou sociales. Notre appel s’adresse aussi aux dignitaires religieux, aux ulémas éclairés, pour restaurer l’image réelle de la religion source d’amour et de justice et la diffuser sans distorsion.
Quant à notre survie, elle dépend de la survie de l’État, dans tous les sens, du terme. L’État est le seul garant de la sécurité, le seul protecteur des citoyens surtout dans cette période délicate de notre histoire.
Il est du devoir et de la responsabilité de l’organisation des Nations Unies, en tant qu’incarnation de la légitimité internationale de veiller au respect de la souveraineté de notre État, de se prononcer contre toute ingérence étrangère dans nos affaires intérieures. Le respect par l’ONU de sa propre charte ne peut qu’être bénéfique pour nous. Cela nous aiderait à consolider notre présence dans ce Levant et à exiger de certains États de cesser l’exploitation de la détresse des chrétiens en leur offrant des facilités et les appâter en leur offrant la nationalité pour qu’ils quittent définitivement leur pays.
Cette exploitation hypocrite vise à liquider la présence chrétienne au Levant.
L’ONU, de par les exigences de sa propre charte, doit exercer les pressions adaptées pour que cessent les politiques de soutien au terrorisme et le financement des mouvements takfiristes qui menacent en même temps l’Orient et l’Occident.
Nous, Chrétiens du Levant, refusons d’être considérés comme minorité dans notre propre pays ; nos racines sont profondes dans cette terre du Levant, nous refusons également d’être des victimes collatérales. Sans nous l’Orient n’existera plus.
Source: http://www.silviacattori.net/article5231.html
Traduit de l’Arabe par Hassan Hamadé – 1 janvier 2014