Le siège de la Silicon Valley Bank au 3003 West Tasman Drive, Santa Clara, Californie. Crédit Wikimedia


Par Guy Mettan

Un voyage aux Etats-Unis est toujours instructif pour un Européen car il permet de découvrir les dernières tendances qui ne manqueront pas d’affecter notre continent. C’est parfait quand nous prenons le meilleur. C’est nettement plus problématique quand, par servilité mal placée, nous adoptons ce qu’elle produit de pire. Le capitalisme woke par exemple, qui commence à faire des ravages chez nous.

Le sujet est en train de devenir un thème de la campagne présidentielle de 2024 aux Etats-Unis, tant l’engagement des grandes corporations pour les causes sociales, environnementales, climatiques, raciales, féministes, LGBTQUIA+ et en faveur de la « bonne gouvernance » parait désormais suspect. La faillite retentissante, début mars, de la Silicon Valley Bank, qui s’était dotée d’un « chief diversity officer » chargé d’organiser des « semaines trans » et des actions spéciales en faveur des minorités de genre et de race alors que la banque n’avait pas jugé utile d’avoir un « chief risk officer », n’a pas contribué à la cause, c’est le moins qu’on puisse dire.

Rappelons que le terme a été inventé en 2018, à la faveur des mouvements #BlackLivesMatter et #Metoo, et est apparu dans un article du New York Times publié par l’essayiste Ross Dhoutat pour désigner la propension des grandes corporations américaines à mettre en avant leur « conscience » sociale et environnementale pour mieux masquer leur opposition aux droits des travailleurs et à l’augmentation des salaires.

Comme la « finance durable », autre oxymore très en vogue dans les milieux progressistes libéraux, le capitalisme woke a connu un moment de grâce en 2019-2020 quand il a fait mine de vouloir appliquer les normes ESG (environnementales, sociales et de bonne gouvernance) définies par les objectifs du millénaire des Nations Unies. Aujourd’hui, la réaction s’organise et il est attaqué aussi bien par la gauche radicale que la droite conservatrice républicaine.

Les premiers se reconnaissent dans le livre de Carl Rhodes (« Woke Capitalism. How Corporate Morality Is sabotaging Democracy ») paru en novembre dernier et qui dénonce la privatisation de la morale publique par les corporations privées, notamment par le biais de la philanthropie et des ONG dédiées, qui dépossèdent l’Etat de sa capacité d’action en matière de santé, de prestations sociales, de protection d l’environnement et même de définition des normes collectives. Pour eux, le capitalisme woke est au mieux une stratégie de marketing destinée à enrôler les consommateurs derrière les faux drapeaux du greenwashing, du pinkwashing et du capitalisme arc-en-ciel et au pire une entreprise de kidnapping systématique de la démocratie par les milliardaires du secteur privé.

De son côté, le gouverneur républicain de Floride Ron de Santis a déclaré la guerre au capitalisme woke et aux entreprises qui appliquent les normes ESG pour faire avancer l’agenda wokiste. En décembre dernier, de Santis a proposé de retirer deux milliards de dollars d’investissements publics dans le fonds Black Rock, considéré comme le fer de lance du mouvement ESG et de la théorie critique de la race. 19 États ont fait savoir qu’il n’était pas question de sacrifier les fonds de pension publics à l’agenda climatique de Black Rock. Le riche capital-risqueur Vivek Ramaswamy s’est lui aussi lancé dans la campagne présidentielle. En février, il s’est porté candidat indépendant en s’appuyant sur son livre « Woke, Inc. » qui dénonce les mêmes travers.

On verra en décembre 2024 si ces réactions pour l’instant minoritaires réussiront à secouer l’opinion des électeurs américains. Mais leur existence même prouve l’importance du capitalisme woke dans le pays. Loin de refluer, celui-ci semble au contraire devenir de plus en plus prégnant. Il se radicalise même, dans la mesure où il ne se contente plus de vouloir appliquer les normes ESG mais cherche à imposer des normes de langage et de comportement au sein même des entreprises, des écoles, des universités et des administrations publiques. Ce qui incite des centaines de milliers de Blancs à émigrer dans les États républicains pour éviter la mise à l’index raciale.

Et que penser de la qualité de l’instruction publique quand celle-ci, comme c’est le cas dans de nombreux États américains, interdit aux professeurs de biologie d’utiliser les mots mâle et femelle et oblige les enseignants à parler de « moitié de l’ADN qui porte le sperme » pour désigner les hommes et de « moitié de l’ADN qui porte l’ovule » pour désigner les femmes ?

Quand le conseil d’administration de Général Motors consacre davantage de temps à discuter des mesures en faveur des biraciaux, des xénogenres ou des furries (les gens qui exigent d’être considérés comme des animaux) que de la production de voitures, on se dit que les capitalistes et anti-capitalistes woke ont encore de beaux jours devant eux et qu’on n’est pas pressé de les voir débarquer en Europe.

Guy Mettan