Par John Pilger
Paru sur Counterpunch sous le titre On the Beach 2017
Le capitaine du sous-marin américain dit, « Nous devons tous mourir un jour, quelques-uns plus tôt, d’autres plus tard. Le problème a toujours été que vous n’êtes jamais prêt, parce que vous ne savez pas quand cela va se produire. Bien, nous savons désormais et rien ne peut y être fait. »Il dit qu’il sera mort en septembre. Cela mettra une semaine, bien que personne ne puisse en être sûr. Les animaux survivent plus longtemps.
La guerre a été terminée en un mois. Les USA, la Russie et la Chine en étaient les protagonistes. Personne ne sait de source sûre comment cela a commencé, par accident ou par erreur. Il n’y a pas eu de vainqueur. L’hémisphère nord est désormais contaminé et désertique.
Un rideau de radioactivité avance vers le sud, en direction de l’Australie et le Nouvelle-Zélande, de l’Afrique du Sud et de l’Amérique du Sud. En septembre, les dernières villes et villages auront succombé. Tout comme dans le nord, la plupart des immeubles seront intacts, quelques-uns seront illuminés par les derniers scintillements des lumières électriques.
C’est ainsi que finit le monde
Pas sur un Boum, sur un murmure.
Ces vers du poème de T.S. Eliot, Les Hommes creux, apparaissent au début du roman de Nevil Shute Le dernier rivage, qui m’a laissé au bord des larmes.
Publié en 1957, au plus fort de la Guerre froide, quand trop d’écrivains étaient silencieux ou intimidés, c’est un chef-d’oeuvre. Au début du livre, le langage suggère un raffinement désuet ; malgré tout, je n’ai jamais lu d’avertissement plus impitoyable. Aucun livre n’est plus urgent.
Quelques-uns des lecteurs se souviendront du film de Hollywood en noir et blanc, avec Gregory Peck dans le rôle du commandant de la Navy qui dirige son sous-marin vers l’Australie pour y attendre le spectre silencieux, informe qui descend sur le dernier îlot de vie sur Terre.
J’ai lu Le Dernier rivage pour la première fois l’autre jour, et je l’ai fini juste au moment où le Congrès votait une guerre économique contre la Russie, la deuxième puissance nucléaire mondiale. Il n’y avait aucune justification à ce vote délirant, sauf la promesse d’un pillage.
Les « sanctions » sont ciblées sur l’Europe, également, en particulier l’Allemagne, qui dépend du gaz naturel russe, et sur les compagnies européennes qui font du business légitime avec la Russie. Dans ce qui a tenu lieu de débat sur la colline du Capitole, les sénateurs les plus volubiles n’ont laissé aucun doute sur le but réel de l’embargo : forcer l’Europe à importer du gaz américain plus cher.
Leur but principal semble être la guerre – la vraie guerre. Aucune provocation de ce type ne peut suggérer autre chose. Ils semblent en avoir une envie folle, même si les Américains n’ont qu’une faible idée de ce qu’est réellement la guerre. La Guerre de Sécession de 1861-5 a été la dernière sur leur territoire. La guerre est ce que les États-Unis font aux autres.
La seule nation à avoir employé l’arme atomique contre des êtres humains, ils ont détruit depuis des dizaines de gouvernements, dont bon nombre de démocraties, et ont transformé des sociétés entières en terrains vagues – le million de morts irakiens n’étaient qu’une fraction du carnage en Indochine, que le président Reagan avait appelé « une noble cause », et dont le président Obama avait révisé l’interprétation pour en faire la tragédie d’un « peuple exceptionnel ». Il ne parlait pas des Vietnamiens.
Au cours d’un tournage l’année dernière au Lincoln Memorial de washington, j’ai entendu un guide du service des parcs nationaux qui faisait la leçon à un groupe de jeunes adolescents. « Écoutez bien », disait-il. « Nous avons perdu 58 000 jeunes soldats au Vietnam, et ils sont morts en défendant votre liberté. »
En une phrase, la vérité avait été inversée. Aucune liberté n’a été défendue. La liberté a été détruite. Un pays d’agriculteurs a été envahi et des millions de ses habitants ont été tués, mutilés, dépossédés, empoisonnés ; 60 000 des envahisseurs se sont suicidés. Écoutez bien, effectivement.
Chaque nouvelle génération subit une lobotomie. Les faits sont effacés. L’histoire est excisée et remplacée par ce que Time magazine appelle « un présent éternel ». Harold Pinter le décrit comme « une manipulation du pouvoir sur la Terre entière, qui se pose en force au service du bien universel, un acte d’hypnose brillant et même plein d’esprit, qui veut dire que ce n’est jamais arrivé. Rien n’est jamais arrivé. Même quand cela arrivait, cela n’arrivait pas. Cela n’avait pas d’importance. Cela n’avait aucun intérêt. »
Ceux qui qui s’intitulent libéraux progressistes ou de tendance « gauche » sont des partisans enthousiastes de cette manipulation et du lavage de cerveau dont elle s’accompagne, qui aujourd’hui renvoie à un nom : Trump.
Trump est fou, un fasciste, une dupe de la Russie. C’est également un cadeau pour les « cerveaux libéraux progressistes macérés dans le formol des politiques identitaires, » a écrit de façon mémorable Luciana Bohne. L’obsession envers Trump, l’homme – et non Trump en tant que symptôme et caricature de l’endurance du système – signale un grand danger pour nous tous.
Pendant qu’ils obéissent à leur ordre du jour fossilisé anti-russe, des médias narcissiques comme le Washington Post, la BBC et le Guardian censurent l’essence de l’information politique la plus importante de notre temps, tout en appelant à la guerre sur une échelle dont je ne me rappelle pas de précédent au cours de ma vie.
Le 3 août, par opposition à la couverture kilométrique accordée par le Guardian aux foutaises sur la collusion des Russes avec Trump (qui rappellent les accusations de l’extrême droite contre John Kennedy, « un agent soviétique »), le journal a enterré, en page 16, l’information selon laquelle le président des USA a été forcé de signer un projet de loi du Congrès qui déclare une guerre économique à la Russie.
Contrairement aux autres signatures de Trump, celle-ci a été conduite virtuellement dans le secret et s’accompagne d’une mise en garde de Trump lui-même, selon laquelle le projet de loi est « clairement anticonstitutionnel ».
Un coup d’État contre l’homme de la Maison-Blanche est en cours. Ce n’est pas parce que c’est un personnage odieux, mais parce qu’il a exposé, de façon répétée, qu’il ne veut pas de guerre avec la Russie.
Cette étincelle de bon sens, ou de simple pragmatisme, est inconcevable pour les gérants de la « sécurité nationale » qui gardent un système fondé sur la guerre, la surveillance, les menaces et le capitalisme extrême. Martin Luther King les appelait « les plus grands pourvoyeurs de violence dans le monde d’aujourd’hui ».
Ils ont encerclé la Russie et la Chine avec des missiles et un arsenal nucléaire. Ils ont employé des néo-nazis pour instaurer un régime instable, agressif dans une région limitrophe de la Russie – sur le chemin qu’avait emprunté Hitler pour l’invasion qui avait tué 27 millions de personnes. Leur but est de démembrer la fédération de Russie.
En réponse, « partenariat » est un mot constamment utilisé par Vladimir Poutine – tout est bon, semble-t-il, pour juguler un éventuel élan évangélique guerrier aux États-Unis. L’incrédulité en Russie peut avoir viré à la peur, et peut-être à une certaine résolution. Les Russes ont presque certainement conçu des scénarios de contre-attaques nucléaires. Les exercices militaires aériens ne sont pas rares. Leur histoire leur commande d’être prêts.
La menace est multiple. La Russie d’abord, puis la Chine. Les USA viennent de terminer un énorme exercice militaire avec l’Australie,’Talisman Sabre’. Ils ont répété un blocus du Détroit de Malacca et de la Mer de Chine méridionale, à travers laquelle passent les lignes de vie économiques chinoises.
L’amiral qui commande la flotte du Pacifique des USA a dit que, « S’il en reçoit l’ordre », il est prêt à lancer des missiles nucléaires contre la Chine. Qu’il dise publiquement une chose pareille, dans l’atmosphère délétère actuelle, commence à faire entrer la fiction de Nevil Shute dans le domaine du possible.
Rien de tout cela n’est considéré comme de l’information digne d’être traitée. Aucun rapport n’est établi avec des bains de sang comme la troisième bataille d’Ypres, qui donne pourtant lieu à des commémorations cette année. Les reportages honnêtes ne sont plus bienvenus dans nombre de médias. Des baudruches appelées « experts » dominent : les rédacteurs en chef sont des gérants d’info-divertissements ou des porteurs de valises de partis. Là où il y avait auparavant des rédacteurs, il y a un matraquage de clichés partisans. Les journalistes qui ne s’alignent pas sont débarqués.
L’urgence actuelle a de nombreux précédents. Dans mon film « La future guerre contre la Chine », John Bordne, membre d’une unité de missiles de l’US Air Force basée à Okinawa, au Japon, décrit comment, en 1962 – pendant la Crise des missiles – ses collègues et lui avaient reçu l’ordre de « lancer tous les missiles » depuis leurs silos.
Les missiles équipés de têtes nucléaires étaient dirigés vers la Chine et la Russie. Un sous-officier avait protesté, et l’ordre avait fini par être annulé – mais seulement après qu’ils aient reçu des pistolets de service et l’ordre d’abattre les autres membres de l’unité qui refuseraient d’arrêter les préparations de lancement.
Au plus fort de la Guerre froide, l’hystérie anticommuniste aux États-Unis était telle que les officiers américains qui étaient en pourparlers officiels avec la Chine pouvaient être accusés de trahison et virés. En 1957 – l’année où Shute a écrit Le Dernier rivage – aucun officiel du Département d’État ne savait parler la langue du pays le plus peuplé du monde. Ceux qui maîtrisaient le mandarin étaient purgés sous un déluge de critiques dont les récentes sanctions contre la Russie du Congrès actuel sont l’écho.
Le projet de loi était bi-partisan. Il n’y a pas de différence fondamentale entre les Démocrates et les Républicains. Les termes « gauche » et « droite » ne signifient plus rien. La plupart des guerres modernes des USA ont été lancées non par des conservateurs, mais par des progressistes Démocrates.
Quand Obama a quitté son poste, il avait un record de sept guerres à son actif, y compris la guerre la plus longue de l’histoire des USA et une campagne sans précédent de meurtres extrajudiciaires par drones.
Au cours de sa dernière année de mandat, selon une étude du Council on Foreign Relations, Obama, le « guerrier progressiste réticent », avait largué 26,171 bombes – trois bombes par heure, 24 heures par jour. S’étant engagé à aider à « délivrer le monde » d’armes nucléaires, le lauréat du Prix Nobel de la Paix a construit plus de têtes nucléaires que n’importe quel autre président depuis la Guerre froide.
Trump est une mauviette en comparaison. C’était Obama – avec sa Secrétaire d’État Hillary Clinton à ses côtés – qui a détruit la Libye, un État moderne, et jeté des foules de réfugiés en Europe. A l’intérieur, les groupes d’immigrants l’appelaient « l’expulseur-en-chef ».
L’un des derniers actes d’Obama en tant que président a été de signer une loi qui accordait un record de 618 milliards de dollars au Pentagone, dans un reflet de l’ascension du fascisme militariste dans la gouvernance des États-Unis. Trump a cautionné cela.
Enfoui dans les détails, il y avait la création d’un « Centre pour l’analyse d’informations et les réponses » ( Center for Information Analysis and Response). C’est un Ministère de la vérité. Il est chargé de fournir une « version officielle des faits » qui nous préparera pour la possibilité très réelle d’une guerre nucléaire – si nous l’autorisons.
Par John Pilger
Source: Counterpunch