« Un conspirationniste est celui qui n’a aucune confiance dans les explications données par des menteurs patentés ». Charles Frith

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Les différentes manifestations, colloques organisés à travers le monde pour commémorer le génocide des Arméniens il y a cent ans, et de nombreuses publications qui les accompagnent, nous ont inspiré ces quelques réflexions.

La durée

Beaucoup, en commençant par les dirigeants successifs de la Turquie, pensaient ou espéraient qu’au bout de quelques décennies après les massacres planifiés du peuple arménien entre 1915 et 1922, il n’y aurait plus personne pour réclamer quoi que soit. L’histoire officielle orwellienne verrouillée par Kemal pacha, serait suffisante pensaient-ils pour laver les cerveaux des jeunes générations et pour effacer la mémoire après avoir effacé les corps.

C’était sans compter sans le réveil dans les années Soixante du peuple arménien, aussi bien en Arménie soviétique que dans la Diaspora. À cette époque, la Nation arménienne s’est mis à réclamer Justice pour la Mémoire de ses morts. C’était aussi sans compter sans l’arrivée de la Toile. Le cyberespace a alors commencé à pulvériser les barricades et les murailles dressées autour des idéologies qui incarcéraient les esprits en donnant l’accès à des informations inaccessibles autrement et surtout dans l’État qui impose sa censure.

La Cause arménienne

Pour certains, et parce que cela est plus « vendeur » et plus facilement fédérateur, la Cause arménienne a été limitée à la seule reconnaissance internationale du Génocide de 1915. Or pour nous, et pour beaucoup d’autres, la Cause arménienne est en totalité « la défense des intérêts de la nation arménienne » ce qui inclut évidemment, mais pas seulement, la reconnaissance internationale du génocide.

Plafond de verre de la reconnaissance du génocide

Ayant participé activement aux combats pour la reconnaissance du génocide des Arméniens depuis les années Quatre-vingt-dix, nous avons eu, au fil du temps, le sentiment de nous trouver sous un plafond de verre et, malgré nos avancés, de nous heurter à une cloison invisible maintenue par de puissantes forces qui, tout en nous laissant remporter des victoires partielles, nous empêchaient d’atteindre le but véritable, c’est-à-dire la reconnaissance du génocide par les héritiers des organisateurs, des prédateurs et des profiteurs de cet inexpiable crime contre l’humanité… sans parler des réparations qui devraient naturellement en découler.

Poser les vraies questions

Mais aujourd’hui sommes-nous enfin sur le bon chemin ? D’abord il serait naïf de croire que si Cause est juste qu’elle doit nécessairement avoir gain de cause. D’abondants exemples de par le monde et au cours des âges, prouvent le contraire.

Depuis avril 1975, date à laquelle Jean-Marie Carzou publiait « Un génocide exemplaire, Arménie 1915 », les livres sur le sujet se sont considérablement multipliés et dans tous les formats. Depuis les pavés universitaires jusqu’aux livres de poche, y compris récemment, des bandes dessinées. Tout ceci dans de multiples langues. Pourtant nous avons vainement cherché un ouvrage sérieux répondant à quelques questions qui restent pendantes parce que quasi tabou.

Qui ont été les véritables organisateurs du génocide des Arméniens ? À qui a profité le crime ? Pourquoi cent ans après, certains, en dehors de la négation institutionnelle de l’État turc, combattent-ils encore bec et ongles la pénalisation de la négation du génocide des Arméniens ? Pour quelles raisons ? Qui sont-ils ?

Abolir les tabous

Le rôle de l’historien, du chercheur, est fondamentalement de poser des questions. Naturellement sans tomber dans le piège de fabriquer d’avance la réponse qu’on pense juste et d’essayer coûte que coûte de la prouver en utilisant des arguments fallacieux, sur mesures. Or si l’on s’interdit de poser certaines questions, si l’on n’arrive pas à diagnostiquer le mal, comment espérer trouver le remède ? Nous avons interrogé plusieurs historiens en Arménie ou en Diaspora, d’origine arménienne ou non. Nous étions étonnés de voir l’autocensure que certains ne craignaient pas de s’imposer afin de ne pas aborder quelques aspects généralement occultés de l’histoire. Les uns craignant pour leur carrière, les autres pour ne pas hypothéquer leurs chances d’obtenir une récompense que l’on avait miroité devant leurs yeux, et d’autres encore par conformisme pour ne pas se démarquer de leurs pairs au sein de leur cercle politique ou dans leurs clubs élitistes.

Pourquoi une telle autocensure ?

Au demeurant quelles sont ces questions qui gênent tant, que beaucoup soulèvent en privé, mais se montrent d’une grande frilosité quand elles sont effleurées en public ? En voici quelques-unes :

  • Partant du constat que les principaux organisateurs du génocide des Arméniens sont des juifs convertis (des dönmeh), la plupart originaires de Salonique et que cent ans après les principaux opposants, personnage ou organisation, à la reconnaissance du génocide et/ou à la pénalisation de sa négation sont eux-mêmes très souvent d’origine juive[1], la question dérangeante se pose en ces termes : « y a-t-il un lien ou une relation quelconque entre ces deux faits, et si oui lesquels ? ».
  • Quelles ont été les relations incestueuses entre le sionisme pratique, l’Empire ottoman et les Jeunes-Turcs ?
  • Quelle était la nature réelle du marchandage entre Théodore Herzl et le Sultan Abdul-Hamid ? Entre le Comité Union et Progrès et les dirigeants du mouvement sioniste, tels Ben Gourion futur premier Premier ministre d’Israël ou Vladimir Jabotinsky, fondateur de Tsahal ?
  • Y a-t-il un lien entre la révolution bolchevique, dont les principaux instigateurs sont aussi essentiellement des membres de la communauté juive (comme l’a rappelé récemment le Président Poutine), et la montée en force de Mustafa Kemal[2], originaire de Salonique, membre du Comité Union et Progrès[3], jusqu’à là un officier obscur, qui prend la tête de la guerre d’indépendance à partir de 1919, avec l’aide financière et logistique apportée par Lénine, mais aussi par les Allemands avec notamment le soutien de son parrain, le prussien Liman Von Sanders, mais lui-même d’origine juive.

Au moment où la France devient de plus en plus répressive vis-à-vis de la pensée libre, poser ce genre de questions peut paraître déplacé voir tendancieux. De nos jours il devient en effet extrêmement difficile pour les historiens, les chercheurs ou simplement les esprits curieux, soucieux d’histoire exacte, non falsifiée, de se pencher sur les secrets des affaires. Une censure qui ne dit pas son nom qu’a dénoncée récemment la journaliste Élise Lucet. On réduit d’ailleurs facilement au silence ceux qui se risquent dans ces zones interdites, notamment en les taxant d’antisémitisme dès que la question du sionisme est abordée, ou bien d’islamophobie à la moindre critique des dérives d’un Islam sectaire et fanatique. Comme si devait être obligatoirement antiturc en considérant la dictature kémaliste sous un jour objectif, et antirusse pour tout regard lucide sur le communisme et ses immenses hécatombes ! Des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent contre cette insupportable tyrannie de la pensée unique. Le comité Orwell[4] présidé par le journaliste Natacha Polony en est l’un des innombrables exemples.

A contrario de certains think tanks dont l’indépendance n’est qu’une façade de plus en plus transparente, l’Institut Tchobanian (qui ne dépend d’aucun parti politique ni d’aucun gouvernement) poursuivra donc sa réflexion sur ces sujets d’intérêt général qui nous concernent et nous intéressent tous, sans tabou et en acceptant tous les débats dès lors qu’ils se placent sous l’égide de la loyauté intellectuelle et morale. Cela parce que l’histoire et l’avenir des hommes ne peuvent se concevoir ni se construire sur le sable

Varoujan Sirapian

Article paru dans « Europe et Orient » n°20, juin 2015.

[1] Voir la revue « Europe & Orient » n ° 14, « La guerre des mémoires », pp. 60-91, Sigest, 2012.

[2] Voir « L’aventure kémaliste et Angora et Berlin » d’Omer Kâzim, nouvelle édition chez Sigest, 2014.

[3] Ittihad ve Terakki Cemiyeti.

[4] Collectif de journalistes pour la défense de la souveraineté populaire et des idées alternatives dans les médias.

Source: http://editions.sigest.net/index.html