Le président Joe Biden et le prince héritier saoudien au palais Al-Salam à Jeddah, le 15 juillet 2022. Source : Agence de presse saoudienne

Les contradictions structurelles propres à l’Amérique d’une économie hyper-financiarisée aspirant la substance de l’économie réelle d’une société vivant dans la crainte d’une facture.

Les États-Unis restent distants et inconsolables dans le sillage de la révolution diplomatique au Moyen-Orient. Tout d’abord, la Chine a servi de médiateur (et a garanti) un accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran, puis, la semaine dernière, le président Bachar el-Assad s’est présenté avec assurance au sommet de la Ligue arabe, où il a été salué et embrassé par tout le monde. Après 12 longues années de lutte, le président Assad a été légitimé dans la sphère arabe et est redevenu un État normal et souverain pour la majeure partie du monde.

Mais un nouvel état d’esprit est apparu : La colère monte dans le monde entier. Pour ceux qui ont été vilipendés, sanctionnés et attaqués au nom de « l’ordre fondé sur des règles », le message est clair : vous n’êtes pas seuls ; de nombreux peuples expriment leur colère et leur mécontentement. Le dogme diviseur du « avec nous », ou (être traité comme une menace extrémiste), si « contre nous » est en train d’être renversé. La politique étrangère américaine s’effondre au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique et en Amérique du Sud.

Dans son discours, le président Al-Assad a évoqué l’opportunité que cette vague de mécontentement et de colère offrait à la région de revoir ses dispositions – en s’éloignant de la domination et de l’intervention occidentales :

« Cette occasion historique exige du monde arabe qu’il se repositionne et s’investisse dans l’atmosphère positive de réconciliation qui a précédé le sommet d’aujourd’hui », a ajouté M. Al-Assad, faisant référence aux récentes initiatives diplomatiques qui ont abouti à la reprise des liens diplomatiques entre l’Arabie saoudite, Téhéran et Damas.

Le président Al-Assad a également souligné la nécessité de consolider la culture arabe face au « libéralisme moderne qui vise les appartenances innées de l’homme et le dépouille de sa morale et de son identité ».

Ce dernier point soulevé par M. Al-Assad – « le danger culturel » associé au libéralisme contemporain – est en train de devenir un thème mondial, les États soulignant leur souhait de gérer leur vie selon leur propre mode d’existence.

Bien sûr, la Syrie n’est pas encore souveraine. Les forces américaines et turques, ainsi que les milices soutenues par l’étranger, occupent des portions significatives du territoire syrien. Néanmoins, la position de la Ligue arabe, qui rejette toute intervention étrangère, et sa légitimation de facto du gouvernement syrien aideront Damas à trouver une issue négociée.

Pour Israël, la perspective est celle d’un changement radical, avec la crainte d’être « laissé de côté ». Le Premier ministre Netanyahou, confronté à des schismes internes et à des manifestations incessantes, a cherché à minimiser ces changements tectoniques et à projeter une image de « business as usual » pour contrer l’attention portée par les médias étrangers aux manifestations et à l’agitation politique en Israël.

Attaquer les Palestiniens de Gaza permet de maintenir intacte la coalition de droite de Netanyahou – comme l’a écrit un commentateur israélien : « Tuer des enfants rapproche les Israéliens ». Cependant, les deux piliers de l’unité israélienne de Netanyahou pour « rassembler les Israéliens autour du drapeau », à savoir l’exagération de la « menace » nucléaire iranienne et l’éloge de sa réussite dans le cadre de l’accord dit d’Abraham, ont tous deux perdus de leur éclat.

Tout d’abord, la réconciliation entre l’Iran et les États du Golfe annule une grande partie de la justification initiale de la politique américaine à l’égard de l’Iran, à savoir la crainte des Arabes à l’égard de l’Iran. Les deux anciens antagonistes résolvent actuellement leurs différends par la voie diplomatique (sous l’égide de la Chine) et échangent des garanties de sécurité mutuelles.  Quoi qu’il en soit, l’équipe Biden ne veut pas d’une guerre avec l’Iran. Elle a déjà suffisamment de pain sur la planche.

Deuxièmement, Jake Sullivan, lors de son récent voyage en Arabie Saoudite, n’a pas réussi à persuader le Royaume de normaliser ses relations avec Israël. Les États arabes présents au sommet mettent plutôt l’accent sur l’initiative de paix arabe de 2002, qui exclut toute normalisation avec Israël tant qu’un État palestinien n’aura pas vu le jour. Les États qui se sont « normalisés » continueront sur le même mode, mais la structure conceptuelle des accords d’Abraham (du point de vue israélien) est entièrement vidée de sa substance. Les États arabes sont occupés à ouvrir des canaux diplomatiques et commerciaux avec l’Iran ; ils n’animent plus un axe anti-iranien au nom de Washington et de Tel-Aviv.

Si nous prenons un peu de recul et que nous envisageons les événements régionaux dans une perspective plus large, nous pourrions remarquer deux choses à propos de la situation mondiale : La première est que les difficultés actuelles d’Israël et les signes d’un éventuel démantèlement du projet ne proviennent pas, comme ses dirigeants et ses alliés extérieurs n’ont cessé de le prédire, de forces extérieures, mais des contradictions internes non résolues d’Israël.

Le problème structurel d’Israël est mis en évidence par l’âpre débat actuel sur le plan de réforme judiciaire de M. Netanyahou. La population juive israélienne est divisée en deux : Ashkénazes contre Mizrahi ; « équilibristes » laïques contre exclusifs de la « judéité » – aucun des deux camps n’étant prêt à faire marche arrière et chacun prétendant être le « plus démocratique » ; et chacun ayant une vision d’Israël totalement incompatible avec celle de l’ « autre ». Israël se trouve à l’aube d’un conflit civil de faible intensité.

De même, la polarisation de l’Amérique et l’aggravation de son clivage politique, qui, pour certains Américains, laissent présager une forme de sécession interne comme seule solution à l’effondrement supposé de l’Amérique, ne proviennent pas – comme l’affirment ses dirigeants politiques – de forces extérieures (la Russie, la Chine ou l’Iran), mais de ses propres contradictions irrésolues.

Les propres contradictions structurelles de l’Amérique, à savoir une économie hyper-financiarisée qui aspire la substance de son hôte de l’économie réelle, une société qui vit dans la crainte tremblante d’une facture d’hôpital, qui désespère d’envoyer ses enfants à l’université avec ses frais exorbitants, et un système politique en paralysie quasi constante, une confrontation à somme nulle, sont auto-générées et ne sont pas des « démons » extérieurs (sauf peut-être dans les profondeurs de la psyché inconsciente).

Voici le contraste : La région se libère des divisions et des schismes du passé. Les « grandes puissances » occidentales, quant à elles, s’enfoncent dans les leurs. Cette confluence est systémiquement instable : elle représente un déséquilibre et conduira probablement à une période de troubles durables.

Alastair Crooke

Source: Al Mayadeen

Traduction Arrêt sur info