« Tout cela est un mensonge. C’est un procès dans le style de l’OTAN » – Ratko Mladić

Par Christopher Black

Les paroles provocantes adressées par le général Mladić aux juges du tribunal spécial pour les crimes de guerre en Yougoslavie contrôlé par l’OTAN ont retenti haut et fort le jour où ils ont prétendu le condamner. Il aurait pu ajouter« pourtant l’histoire m’absoudra » et beaucoup d’autres choses encore, mais ils a été jeté hors de la salle par le juge en chef, Orie, dans son style condescendant, comme s’il s’adressait à un élève qui fait l’école buissonnière plutôt qu’à un homme faussement accusé de crimes qu’il n’a pas commis.

La porte-parole du ministère russe des Affaires Maria Zakharova, a fait écho aux paroles du général le 23 novembre :

« Nous devons de nouveau affirmer que le verdict de culpabilité rendu par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie contre Mladić est la poursuite de la ligne politisée et biaisée qui a dès le début dominé le travail du TPIY. »

Le général Mladić et le gouvernement russe ont raison. Le document intitulé « jugement »le prouve car il se lit comme un tract de propagande plutôt que comme le jugement d’un tribunal. En plus de 2400 pages, le trio de « juges » récite sans interruption la version des événements de l’accusation, du premier paragraphe au dernier. La défense n’est mentionnée qu’en passant.

Le TPIY rejette les affirmations selon lesquelles il est un tribunal partial, un tribunal de l’OTAN, mais il l’a prouvé dès le tout premier témoin qu’ils ont appelé à la barre pour ce qui allait suivre. Un homme nommé Richard Butler a été appelé pour témoigner sur des questions militaires générales et la structure politique en Bosnie et dans la Republika Srpksa (République serbe de Bosnie). Il a été présenté comme un « analyste militaire », ce qu’il est, mais il n’est pas indépendant. Non, au moment de son témoignage, il était membre de l’Agence de sécurité nationale des États-Unis, détaché auprès du TPIY. Donc le premier témoin contre le général Mladić était partial sur deux points. Il travaillait pour les services de renseignement américains qui ont soutenu les ennemis du général Mladić et de la Yougoslavie, et il a fait partie du personnel de l’accusation. C’est comme si la NSA et le procureur étaient, en même temps, entrés dans le box pour témoigner contre l’accusé. Le témoignage de Butler joue un rôle important dans le procès ; le même rôle qu’il a joué dans le procès du général Krstić.

Ensuite apparaît un autre expert analyste militaire, Reynaud Theunens, qui travaille aussi dans l’équipe de l’accusation. Les experts dans les procès criminels sont censés être totalement neutres. Mais non seulement celui-ci agissait au nom du procureur, mais il était en même temps un officier du renseignement de l’armée belge. Donc nous y sommes dès l’ouverture du procès. La scène est posée ; l’OTAN se charge de l’affaire. Les officiers de l’OTAN travaillent au sein du tribunal. C’est un tribunal de l’OTAN sous déguisement de l’ONU. Par conséquent, tout au long du jugement, il n’y a jamais aucune mention des crimes de l’OTAN et des crimes des forces bosniaques opposées. Le contexte est délibérément restreint pour donner une image très étroite et déformée des événements.

Le jugement se poursuit avec des citations détaillées des déclarations des témoins de l’accusation. Les témoignages des témoins de la défense, dans les rares occasions où ils sont cités, ne sont jamais restitués aussi en détail. Une ligne est consacrée à un témoin et tous sont rejetés comme partiaux si leur témoignage est en contradiction avec celui des témoins de l’accusation.

Et en quoi consistent les preuves de l’accusation ? Elles consistent en quelques témoignages oraux d’officiers de l’OTAN impliqués dans les événements et qui travaillaient dans les forces de l’ONU contre le général Mladić et ses forces, le témoignage de soldats de l’armée bosniaque d’opposition ou de leurs familles, des déclarations de témoins et des « faits établis » des « faits » considérés comme tels par une autre série de juges dans un autre procès, peu importe que ce soit vrai ou faux. De temps en temps, les juges déclarent que « la défense affirme que X ne s’est pas produit et s’est appuyée sur certaines preuves pour soutenir cette affirmation. Là où cette preuve entre en contradiction avec les faits jugés, nous la rejetons ».

Il y a de nombreux cas de confiance basés sur des ouï-dire. À maintes reprises, un paragraphe du jugement commence par les mots : « On a dit au témoin… » Grâce à des juristes corrompus comme l’ancienne procureur canadienne Louise Arbour, l’utilisation du ouï-dire, et même du double ouï-dire, a été admise comme preuve dans ces procès alors que c’est interdit ailleurs dans le monde, parce que le témoignage basé sur un ouï-dire ne peut pas être vérifié ni sa fiabilité et son exactitude attestées.

Je n’ai pas pu suivre une grande partie du procès, seulement par vidéo de temps en temps, donc je ne suis pas en mesure de commenter toutes les conclusions factuelles des juges citées dans leur long jugement, dans lequel ils condamnent le général Mladić et son gouvernement pendant des pages et des pages fastidieuses. Ceux qui connaissent la véritable histoire des événements réaliseront que tous les attendus de la condamnation ne sont ni plus ni moins que la même propagande que celle que l’OTAN a diffusé pendant le conflit, mais organisée pour ressembler à un jugement.

Car ce n’est pas un jugement. Un vrai jugement dans un procès criminel devrait contenir la preuve présentée par l’accusation, la preuve présentée par la défense et les arguments des deux parties sur cette preuve. Il doit contenir des références aux dépositions de témoins principaux et aux contre-interrogatoires. Puis il doit y avoir une décision raisonnée des juges sur les mérites de chaque partie au procès et leurs conclusions motivées. Mais vous aurez de la peine à trouver la trace d’une preuve amenée par la défense dans ce document. Je n’ai pu en trouver aucune à part quelques références dans une poignée de paragraphes et quelques notes de bas de page dans lesquels la déposition d’un témoin de la défense a été brièvement mentionnée afin de la rejeter, et de la rejeter parce qu’elle ne corroborait pas la version des événements présentée par l’accusation.

Ce qui est encore plus choquant, c’est qu’il y a peu de références au témoignage oral, c’est-à-dire aux dépositions des témoins. Il y a des références à des « experts » liés à la CIA ou au Département d’État, ou d’autres agences de renseignement de l’OTAN qui ont donné leur version de l’histoire et que les juges acceptent sans les remettre en question. Il n’y a aucune référence à aucun expert de la défense.

Par conséquent, on ne saura jamais la raison pour laquelle les juges ont décidé d’accepter les preuves de l’accusation et non celles de la défense. En les lisant, on pourrait penser qu’aucune défense, autre que symbolique, n’a été présentée. Ce n’est pas un jugement.

Mais il y a quelque chose d’encore plus troublant dans ce « jugement ». Il n’est pas possible de déterminer si de nombreux témoins ont témoigné en personne parce qu’il y a peu de références à un témoignage effectif. Au lieu de quoi, il y a d’innombrables références à des documents de toutes sortes et à des « déclarations de témoins ».

C’est un élément important dans ces procès parce que les déclarations de témoins auxquelles il est fait référence sont des déclarations faites ou censées avoir été faites aux enquêteurs et aux juristes travaillant pour l’accusation par des témoins présumés. Nous savons, à partir d’autres procès, qu’en fait ces déclarations sont souvent rédigées par des avocats de l’accusation ainsi que par des enquêteurs, puis présentées aux « témoins »pour qu’ils les apprennent par cœur. Nous savons aussi que les « témoins » ont aussi été signalés à l’accusation par des voies qui indiquent qu’ils présentaient des témoignages fabriqués et qu’ils étaient recrutés dans ce but.

Au tribunal pour le Rwanda, nous avons pris soin, dans notre procès, de faire subir des contre-interrogatoires agressifs à ces « témoins », et ils se sont immédiatement effondrés puisqu’ils ne pouvaient pas se souvenir des scripts qui leur étaient assignés. Nous avons aussi pris soin de demander aux « témoins » comment ils en étaient arrivés à rencontrer l’équipe de l’accusation, comment les interrogatoires étaient conduits et comment ces déclarations avaient été créées. Les résultats ont été embarrassants pour l’accusation puisqu’il est apparu clairement qu’elle avait collaboré avec les enquêteurs pour manipuler, faire pression sur les « témoins » et les influencer, et qu’elle était complice d’invention de témoignages.

Il est en outre important que celui qui lit ce « jugement » soit en mesure de se référer aux pages des transcriptions des témoignages, ce que les témoins ont dit et ce qu’ils ont répondu lors des contre-interrogatoires, parce qu’une déclaration n’est pas un témoignage. Ce n’est qu’une déclaration.

Une déclaration ne peut être utilisée comme preuve. Elle nécessite que les témoins viennent à la barre et déclarent sous serment ce qu’ils ont observé. On peut ensuite les interroger sur leur fiabilité en tant qu’observateurs, leurs préjugés, s’il y en a, leur crédibilité, etc. Mais dans ce procès, nous voyons des centaines de références à des « déclarations de témoins ». Cela indique que les juges ont fondé leur « jugement » non sur le témoignage des témoins (s’ils étaient appelés à témoigner) mais sur leurs déclarations écrites, préparées par l’accusation, et sans avoir été soumis à aucun contre-interrogatoire de la défense.

Il ne ressort pas du tout clairement de ce jugement si l’un des témoins mentionnés dans les déclarations a effectivement témoigné ou non. S’ils l’ont fait, leur témoignage devrait être cité, et non leurs déclarations. Le seul but valable des déclarations est de signaler aux avocats ce qu’un témoin est susceptible de dire dans le procès, et de révéler la position de l’accusation à la défense afin que celle-ci puisse préparer la sienne et ensuite utiliser les déclarations pour interroger à son tour le témoin en comparant sa déclaration initiale avec son témoignage sous serment à la barre.

La formule est simple. Le témoin de l’accusation arrive à la barre, on lui demande de déclarer ce qu’il a observé à propos d’un événement, puis la défense l’interroge : « M. le Témoin, dans votre déclaration datée du x, vous avez dit ceci, mais aujourd’hui, vous dites cela… Examinons cette divergence. »

C’est comme cela que c’est censé se passer. Mais où est-ce dans ce dossier ? On ne le trouve nulle part.

Il faudrait un livre entier pour recenser les problèmes de ce « procès » tels qu’ils sont présentés dans ce jugement. Mais un exemple éclaire tout ce qui concerne Srebrenica, et traite d’une célèbre réunion qui s’est déroulée à l’Hôtel Fontana le soir du 11 juillet 1995, au cours de laquelle le général Mladić a rencontré un colonel Casque bleu hollandais pour organiser l’évacuation des civils dans la zone de Srebrenica et l’éventualité que la 28e division de l’Armée bosniaque dépose les armes. Il y a une vidéo de cette rencontre, disponible sur YouTube. Je paraphrase, mais elle montre le général Mladić demandant pourquoi les avions de l’OTAN bombardent ses positions et tuent ses hommes. Il demande pourquoi les forces de l’ONU passent en douce des armes aux soldats bosniaques. Il demande pourquoi les forces de l’ONU ont essayé de l’assassiner, lui, personnellement. À chaque question, il reçoit des excuses de l’officier hollandais. Il demande ensuite à l’officier hollandais s’il veut mourir, et celui-ci dit non. Mladić répond : mes hommes non plus ne veulent pas mourir, alors pourquoi leur tirez-vous dessus ? Pas de réponse.

Le reste de la vidéo concerne la discussion d’un plan pour évacuer la ville, pendant laquelle Mladić offre des cigarettes aux hommes de l’ONU et un peu de vin pour faire baisser la tension. Pour moi, en tant qu’avocat de la défense, c’est un élément essentiel pour la défense par rapport aux accusations concernant Srebrenica. Mais on ne trouve aucune référence à cette vidéo dans le jugement. Au contraire, les juges se réfèrent au témoignage de plusieurs officiers de l’ONU / OTAN, qui assistaient à la rencontre, et qui déforment totalement ce qui s’y est dit. Il n’y a aucun indice que la défense ait contre-interrogé ces menteurs en utilisant cette vidéo : « Monsieur, vous déclarez que ceci a été dit, mais ici, dans la vidéo, elle montre que vous vous trompez. Que dites-vous ? » Ce n’est nulle part. Est-ce que cela a été utilisé et ignoré par les juges, ou pas utilisé ? Je n’en sais rien. Mais il est évident que l’accusation a choisi de ne pas l’utiliser parce que cela signifierait l’effondrement de leur dossier. Parce que même pour les preuves à charge, il est clair que les hommes de la 28e Division ont refusé de déposer les armes et se sont frayés un chemin jusqu’à Tuzla. La plupart ont été tués dans les combats en chemin. Beaucoup ont été faits prisonniers. Une poignée de témoins bosniaques affirment que ces prisonniers ont été massacrés. Mais leur témoignage est du genre « J’étais par miracle le seul survivant du massacre » qu’ils ont tendance à utiliser dans ces procès.

Je ne commenterai pas l’usage massif du faux concept juridique d’entreprise criminelle commune pour engager la responsabilité pénale du général, coupable par association et sans intention. Qu’ils l’aient utilisée montre qu’ils savaient n’avoir aucun élément contre lui.

En résumé, ce document contient peu de choses sur le dossier de la défense ou sur ce qu’étaient les faits présentés par la défense, quels étaient ses arguments à propos des faits, ni l’ensemble de ses arguments juridiques. Mais, plus important, nous n’avons aucune idée de ce qu’était le témoignage de la plupart des témoins de l’accusation ni aucune idée des témoignages des témoins de la défense. C’est comme s’il n’y avait pas eu de procès et que les juges s’étaient contentés de siéger dans une salle pour examiner les documents de l’accusation en rédigeant le jugement au fur et à mesure. Nous devons supposer que ce n’est pas éloigné de la vérité.

Ce « jugement » et ce procès sont une nouvelle humiliation de la Yougoslavie et de la Serbie par l’alliance de l’OTAN, puisqu’il ressort clairement de sa création, de son financement, de son personnel et de ses méthodes que le TPIY est un tribunal contrôlé par l’OTAN. C’est confirmé par la déclaration du secrétaire général de l’OTAN, qui a dit : « Je salue la décision (…) les Balkans sont d’une importance stratégique pour notre alliance… »

En d’autres termes, cette condamnation aide l’OTAN à consolider son emprise sur les Balkans en maintenant les Serbes sous sa botte. Le général Mladić est un bouc émissaire pour les crimes de guerre que l’Alliance a commis en Yougoslavie, que le TPIY couvre, aidant ainsi l’OTAN à commettre de nouveaux crimes de guerre, comme nous l’avons vu depuis.

Le TPIY s’est révélé être ce que nous nous attendions qu’il soit, un tribunal fantoche, utilisant des méthodes de justice fascistes, qui a engagé des poursuites sélectives pour faire avancer le programme de l’OTAN de conquête des Balkans, prélude à l’agression contre la Russie. L’OTAN utilise le tribunal comme une arme de propagande pour répandre une histoire fausse sur les événements en Yougoslavie, pour dissimuler ses propres crimes, pour maintenir les anciennes républiques de Yougoslavie sous sa botte, et pour justifier l’agression et l’occupation par l’OTAN du territoire yougoslave. C’ est une tache sur la civilisation.

Par Christopher Black | 28 novembre 2017 | New Eastern Outlook

Christopher Black est un juriste pénaliste international basé à Toronto, il est membre du Barreau du Haut-Canada et il est connu pour un grand nombre de cas très médiatisés portant sur les droits humains et les crimes de guerre, il écrit en particulier pour le magazine en ligne New Eastern Outlook.

Traduit par Diane