Par Zohra Credy | 25 novembre 2017
Le statut de la femme est une question qui alimente les débats aussi bien en Orient qu’en Occident. Ce qui est frappant c’est que dans les deux camps le discours est réducteur. En Occident on parle d’un islam, comme si l’islam était un. Le dogme ne s’impose pas partout et de la même façon à toutes les sociétés musulmanes. L’islam a été traversé par plusieurs courants et continue à être l’objet de multiples interprétations. En Orient, le discours islamique a tendance à réduire l’islam à un code régissant le statut de la femme et plus encore avec les islamistes à sa tenue vestimentaire. Le même juriste qui après avoir pris son verre de vin, peut regagner le tribunal et légiférer sur la base de lois religieuses !
Schizophrénie ? Peut-être !
C’est autour du statut de la femme que se cristallise le débat entre modernité et tradition depuis plus d’un siècle. Les techno-sciences ont imposé une certaine modernité aux sociétés arabo-musulmanes et on a l’impression que dans ce déchirement entre la modernité et la tradition certains cherchent à cantonner la femme dans son rôle de gardienne de la tradition islamique pendant que d’autres misent sur son émancipation.
Dans un premier temps nous allons aborder le statut de la femme tel qu’il est défini par les sources de la législation musulmane. Les jurisconsultes se sont appuyés sur le coran et la sunna soit les hadiths du prophète Mahomet, pour établir la charia (la loi). Notons que dans l’islam sunnite qui concerne 80% des musulmans dans le monde, quatre écoles de jurisprudence s’imposent depuis le 9ème siècle.
Comment se présente donc ce statut d’après la charia et qu’elle place confère-t-elle à la femme au sein des sociétés musulmanes ?
1-Le mariage
La législation musulmane accorde le droit à tout homme majeur et sain d’esprit de pouvoir se marier librement avec la femme de son choix. Par contre la femme répondant aux mêmes conditions ne bénéficie pas de ce droit. C’est à son tuteur légal que revient le droit de la marier. Seuls les jurisconsultes de l’école Hanéfite apportent un bémol à cette contrainte en accordant à la femme le droit de décider de se marier toutefois sous réserve du consentement du tuteur légal. Il ya deux types de tutelle, la tutelle de contraintes : la virginité chez la femme, l’impuberté chez le garçon, l’aliénation mentale, le comportement frivole de la femme. Et la tutelle d’association qui fait de l’accord de la femme et de son tuteur une condition pour conclure le mariage. La femme musulmane n’a pas le droit de se marier avec un nom musulman. Cependant, l’homme musulman peut se marier avec une non musulmane, les juristes s’appuient sur un verset coranique « Licites sont pour vous les femmes (muhsanat) du nombre des Croyantes et les femmes ( muhsanat) du nombre de ceux à qui l’Ecriture a été donnée avant vous» (1)
2-Polygamie
« Épousez ce qui vous plaît de femmes, deux, trois, ou quatre, et si vous avez peur de ne pas être équitables, n’en prenez qu’une… ». D’après ce verset coranique de la Sourate des « femmes », l’islam n’oblige pas le musulman à épouser plus d’une mais lui permet d’en épouser quatre.
3-Le divorce est un droit exclusivement masculin
4-L’héritage :
l’islam accorde à la femme la moitié de la part de celle d’un homme, une fille héritera la moitié de la part héritée par le frère. Le système de l’héritage est très complexe, il est abordé dans la sourate « Les femmes », mais pour résumer l’on peut dire que ce système est agnatique il favorise toujours les héritiers hommes côté paternels. Il est surtout injuste vis-à-vis de l’épouse qui perd son mari, elle n’hérite que du 1/8 s’il a des enfants et seulement du ¼ s’il y en a pas. Beaucoup de femmes là où la charia est appliquée se trouvent à la mort de leur mari dans des situations difficiles et parfois dramatiques.
5-Le témoignage
Le texte coranique est sans ambiguïté « Requérez témoignage de deux témoins pris parmi vos hommes ! S’il ne se trouve point, prenez un homme et deux femmes parmi ceux que vous agréerez comme témoins : si l’une de celles-ci est dans l’erreur, l’autre la fera rappelez » (2) Les jurisconsultes ont apportées des restrictions supplémentaires au témoignage de la femme en matière de divorce, de mariage, d’affaires liées au crime, à l’apostasie et à l’honneur.
6- Le port du voile :
C’est un sujet qui soulève beaucoup de débat nous y reviendrons, pour l’instant voyons ce que dit la législation musulmane en se basant sur ce verset coranique entre autres « O Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des Croyants de serrer sur elles leurs offensées. Dieu est absoluteur et miséricordieux » (3). Il ressort de ce verset coranique que le voile apparaît comme un signe de distinction sociale. En Perse, c’était déjà le cas, les femmes riches portaient un voile pour se distinguer de celles de conditions plus modestes. Mais les jurisconsultes vont l’ériger en une obligation pour toutes les femmes musulmanes en se basant sur des hadiths du prophète. Le voile dit hijab en arabe revêt un sens plus large que le morceau d’étoffe qui recouvre la tête (foulard) c’est pourquoi le voile, son port et la façon dont il est porté varie d’une école de jurisprudence à une autre. Certains théologiens musulmans vont imposer le voile intégral qui couvre le visage et les mains et d’autres autorisent la femme à les découvrir. Je ne vais pas développer l’argumentation des jurisconsultes pour l’imposition et la généralisation du port du voile notamment dans le milieu urbain, je me contenterai de l’argument le plus avancé: la femme doit se couvrir parce qu’elle est source de tentation pour l’homme et donc de discorde.
7-Les devoirs de la femme
L’infériorité de la femme par rapport à l’homme transparaît aussi à travers l’affirmation de la supériorité de l’homme sur la femme qui ne serait qu’une créature secondaire créée pour satisfaire ses plaisirs et veiller à son bien être. Etant donc inférieur, elle lui doit obéissance. La désobéissance de la femme à son époux est presque assimilée à la désobéissance à dieu selon un hadith du prophète « S’il m’avait été donné d’ordonner à quelqu’un de se prosterner devant un autre que Dieu, j’aurais assurément ordonné à la femme de se prosterner devant son mari. Par celui qui détient l’âme de Mohammed entre ses mains, je proclame que la femme ne saurait accomplir son devoir à l’égard de son Dieu avant d’accomplir celui dû à son mari »(4).
Cette infériorité qui sous entend la prééminence de l’homme sur la femme soumet celle-ci à un certain nombre de devoir: ne pas se déplacer sans autorisation de l’époux, ne pas travailler sans son consentement car la femme doit d’abord remplir les tâches nobles auxquelles elle est vouée: maîtresse de maison, épouse et mère.
Notons que ce statut a prévalu jusqu’à la fin du XIX siècle. C’est l’apparition dans le monde arabo-musulman de mouvements réformistes et d’une renaissance culturelle (la Nahdha) inspirés de la philosophie des lumières qui va reposer de nouveau la question de la femme et s’intéresser à la place qu’elle doit avoir et au rôle qu’elle doit jouer. Ce mouvement réformiste qui a cherché à adapter l’islam à une certaine modernité, a produit plusieurs courants et connu un impact différent d’une société à l’autre, en raison de l’héritage historique, politique et culturel de chaque pays.
Le discours qui parle du statut de la femme musulmane est-il pertinent ? Il me semble qu’au vu des réalités sociales la réponse est non !
La vision que ce fait l’Occident du monde musulman est complètement erronée. On ne peut concevoir le monde musulman comme un bloc uniforme. Les disparités politiques, historiques et l’évolution socio-économiques ont produits des réalités différentes liées à l’émergence des Etats ou Etat-nations. On ne peut parler du statut de la femme musulmane mais des statuts des femmes musulmanes. Les disparités et les réalités d’un pays à l’autre sont énormes. La réalité est tellement complexe qu’elle ne peut être réduite à des clichés. Les exemples que nous allons présenter rendent bien compte de cette diversité de statut et de vécus de femmes. Au niveau juridique et pour simplifier nous pouvons dirent qu’il y a au moins 3 statuts qui prévalent au sein du monde arabo-musulman !
1-Le modèle rigoriste saoudien
Le wahhabisme, doctrine d’Etat du royaume saoudien issu de la branche la plus fondamentaliste du sunnisme, n’accorde aucun droit à la femme. La femme est considérée mineure de la naissance à la mort. Elle demeure sous tutelle du père, du frère, de l’époux ou du fils.(*) La charia telle que décrite ci-dessus est appliquée à la lettre. Si seulement, il ne s’agissait que de charia ! En fait la femme saoudienne est sous le double joug d’une législation religieuse discriminatoire et d’un code moral traditionaliste sans légitimité islamique. Interdire à une femme de conduire une voiture, d’aller à l’école, d’avoir ses papiers d’identité ou une copie de son acte de mariage, de travailler et même d’occuper le poste de ministre n’a aucun justificatif religieux au vu des jurisconsultes des quatre écoles de l’islam classique. Ce sont les théologiens wahhabites et les traditions qui ont décidé de pousser l’oppression de la femme à son paroxysme en la dépouillant de ses droits les plus élémentaires.
2- Un statut intermédiaire mais discriminatoire
Malgré les velléités de réforme de l’Algérie en 1984 et de l’Egypte en 1985 (**) le code de la famille maintient la femme dans un statut d’infériorité. Dans les deux pays la polygamie est maintenue même si la loi essaye de la réguler en imposant des conditions. Selon les aménagements introduits à la loi islamique, l’époux doit informer sa précédente épouse de son intention de convoler en seconde noces ! Certes ce n’est pas une grande avancée, mais cette disposition permet d’éviter de terribles chocs émotionnels du fait que des femmes apprennent par hasard le second, troisième et quatrième mariage de leur époux ! Toutefois, cette disposition ne modifie en rien le statut infériorisant de la femme. En effet, compte tenu des conditions objectives de vie peu de femmes ont la possibilité de s’opposer au second mariage de leur mari et le subisse souvent dans la douleur. Par ailleurs, le divorce reste aussi un privilège masculin si l’époux a le droit de rompre le mariage à sa guise, l’épouse par contre ne peut en formuler la demande que dans des cas bien précis. En Egypte le nouveau le code de la famille maintient la répudiation, la loi oblige seulement l’époux à l’enregistrer par un notaire compétent et à envoyer la notification de divorce à l’épouse dans un délai n’excédant pas un mois. Le droit de garde confié à la femme-mère jusqu’à ce que ses enfants atteignent un certain âge est soumis à des restrictions. En Algérie le travail de la femme peut constituer un motif de déchéance du droit de garde ainsi que son remariage, en Egypte aussi la femme perd ses droits dans ce cas. C’est comme si le législateur condamnait une divorcée à ne jamais se donner les moyens de se reconstruire, de s’épanouir dans une autre relation. Cela nous fait dire que les rares privilèges dont la femme bénéficie lui sont conférés en tant que mère et non en tant que femme. Quant on examine la loi portant sur l’adultère on a l’impression que l’adultère de l’époux et l’adultère de l’épouse ne relèvent pas de la même infraction. Ils diffèrent par leurs éléments, il y a adultère pour l’épouse quelque soit le lieu de l’acte, alors que l’époux n’est adultère que si l’acte est commis dans le domicile conjugal. Ils diffèrent aussi par les sanctions pénales. La peine de l’épouse adultère est l’emprisonnement pour une durée de 2 ans, celle de l’époux de moins de 6 mois maximum. Ces deux pays n’ont pas réussi encore à mettre en cause les sacro-saints privilèges du patriarcat.
3- Un statut moderniste
C’est le cas de la Tunisie qui dès les premiers mois de l’indépendance rompt avec la tradition musulmane même si le législateur a essayé de légitimer ces nouvelles dispositions par une certaine relecture des textes fondateurs. Le nouveau code du statut personnel promulgué dès 1956, soit trois mois après l’indépendance, va opérer une transformation radicale du statut juridique de la femme. Ce statut va non seulement interdire la polygamie mais aussi l’incriminer. Il impose la monogamie. Le mariage devient obligatoirement civil et sur la base du consentement des deux futurs époux. L’âge du mariage est fixé pour l’homme à 20 ans révolu et pour la femme à 18 ans. Le statut ne spécifiant pas la religion de l’époux, la tunisienne pouvait donc contracter mariage avec un non musulman contrairement à la Charia. L’interdiction qui figure dans la législation musulmane n’a pas été reprise dans le Code du statut personnel. Toutefois, n’ayant pas été précisé explicitement, le droit de la tunisienne à se marier avec un non musulman ne fut pas appliqué de façon systématique. Avec la circulaire de novembre 1973 un certificat de conversion du conjoint non musulman à l’islam est exigé. L’inconstitutionnalité de cette circulaire et son absurdité ont conduit grâce à la mobilisation de la société civile à son abrogation le 14 septembre 2017. La discrimination est ainsi levée, la femme tunisienne peut choisir en toute liberté son conjoint.
Le système de l’héritage très complexe demeure globalement soumis aux dispositions coraniques mais il a été aménagé. Désormais, la fille unique a le même droit que le fils unique et peut donc hériter des biens de son père et non plus les descendants mâles du côté paternel. La répudiation privée est interdite, « le divorce ne peut avoir lieu que par devant le tribunal »(5). Le divorce n’est plus un droit masculin. Le tribunal peut prononcer le divorce à la demande du mari ou de l’épouse. En 1981 une nouvelle réforme consolide davantage le droit de la femme face au divorce sans motif qui apparaît comme une répudiation judiciaire. La loi donne le droit à la femme de garder la maison et de bénéficier d’une rente viagère en réparation du préjudice subi. Cette obligation à vie de l’homme vis-à-vis de son ex-épouse n’a aucun fondement dans le droit musulman. De même pour la loi de l’adoption. Contrairement à la législation musulmane, la loi tunisienne autorise les parents adoptifs à donner leur nom à l’enfant adopté et lui confère les mêmes droits qu’un enfant utérin. La garde des enfants n’obéit plus au droit islamique le législateur tunisien introduit un critère moderne celui de l’intérêt de l’enfant « si le mariage est dissous du vivant des époux la garde est confiée, soit à l’un d’eux, soit à une tierce personne. Le juge en décide en prenant en considération l’intérêt de l’enfant » (6). De la notion de devoirs contraignants de la femme vis-à-vis de l’époux de la Shari’a, la législation tunisienne oppose le terme d’obligations réciproques des époux.
Ce réformisme révolutionnaire a inspiré la Constitution du 1er juin 1959 qui accorda à la femme ses pleins droits publics sans aucune distinction « tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs, ils sont égaux devant la loi »
Depuis, la législation tunisienne n’a cessé d’évoluer dans le sens de l’affirmation de l’émancipation de la femme à travers un édifice juridique constant : droit à la contraception, à l’avortement (gratuit et anonyme), à l’enseignement obligatoire et au salaire égal. La ratification par la Tunisie en 1991 de la Convention de Copenhague sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes a imposé la suprématie du droit international sur la législation interne au vu de la Constitution. Du fait que la question féminine soit le centre du projet moderniste de la politique tunisienne le processus d’émancipation est presque permanent. Ainsi l’autorité du père sur les enfants a évolué vers une cotutelle parentale pour le choix de l’école, de l’éducation, de la religion et de la vie en général de l’enfant. Dans ce sens la mère tunisienne donne sa nationalité à ses enfants quelque soit la nationalité du père et leur lieu de naissance. La dernière loi électorale a retenu le principe d’un quota homme/femme. Une proposition pour l’égalité en matière d’héritage vient d’être déposée par un groupe de parlementaires en début de ce mois !
Dans leur diversité du plus conservateur au plus libéral ces statuts de la femme montrent l’intervention de l’Homme dans leur élaboration. C’est le pouvoir politique qui décide de la législation et qui interprète la tradition religieuse.
Contrairement à l’idée reçue ce sont les musulmans qui font l’islam et non l’islam qui fait les musulmans. Si l’égalité homme/femme pose encore problème c’est parce que certains musulmans ont décidé de continuer à recourir à des législations qui ont été établies au 9ème siècle. Cette décision n’a aucune légitimation coranique. Au contraire le Coran invite l’homme à s’adonner en permanence à l’interprétation des textes, à l’effort intellectuel pour les comprendre et les adapter en fonction des lieux et des circonstances (Al-Ijtihad). Les Musulmans ont l’islam qu’ils veulent avoir. L’islam rationnel et tolérant d’Ibn Rochd de Cordoue (Averroès) n’est pas l’islam salafiste et rigoriste d’ibn Taymiyya, fondateur de la doctrine fondamentaliste rigoriste wahhabite.
Toutefois, la discrimination de la femme n’est pas un problème particulier à l’islam. C’est pourquoi, les approches occidentales sur l’islam manquent d’objectivité car toutes les religions oppriment la femme au nom de lois divines, les textes de Saint Augustin et de Saint Paul sont éclairants à ce sujet. Saint Paul s’appuyant sur l’Ancien et le Nouveau Testament fonde le principe de la suprématie de l’homme sur la femme « Comme l’Eglise est soumise au Christ, ainsi soient soumises en toutes choses les femmes à leur maris » (7).
Ce que l’occident oppose à l’islam en abordant la question de la femme ce n’est pas la vision qui émane du christianisme ou du judaïsme en tant que dogmes mais un statut produit par des siècles de lutte contre l’oppression religieuse. Aujourd’hui, en Israël, Etat théocratique, ce que l’occident semble l’oublier, le statut de la femme obéit à la loi Talmudique. Le statut de la femme juive française obéissant au droit positif français inscrit dans une tradition républicaine laïque n’a rien de comparable avec celui de la femme juive israélienne !
Du fait de l’emprise des lois religieuses sur le droit de la famille en Israël, l’égalité homme femme n’existe pas. La gestion du divorce et du mariage est placée sous l’autorité exclusive des tribunaux rabbiniques depuis 1951. Il n’y a pas de mariage civil en Israël. Le divorce est un droit unilatéral masculin. La femme qui n’obtient pas le « get », soit une déclaration de l’époux auprès du tribunal rabbinique acceptant le divorce, se trouve « agunah », c’est-à-dire enchaînée à son mari. Si elle se remarie, son mariage est illégal et l’enfant issu de ce mariage est considéré illégitime et dépourvu de droit. Par contre sans déclarer le « get » le mari peut se remarier et son mariage est béni par la loi religieuse
L’islam n’a donc pas le monopole de l’oppression de la femme, le discours des islamistes rencontre aisément celui des religieux juifs sur le terrain des discriminations de la femme. En Israël des panneaux invitent la femme à se vêtir correctement et à se couvrir la tête. On l’invite aussi à changer de trottoir devant les synagogues parce qu’impure. La séparation spatiale homme/femme dans l’espace public est en marche. La Cour Suprême israélienne a même estimé que la ségrégation au niveau du transport (bus réservés par sexe) n’est pas un fait grave. Dans certains supermarchés les entrées sont différentes pour les femmes et les hommes ainsi que les caisses. Comme en islam ont interdit aux femmes juives d’assister aux obsèques et même au niveau de l’armée, contrôlée à 38 % par les religieux, certains commandants interdisent aux femmes de chanter avec les hommes !
C’est pourquoi le débat que soulève la question du voile en France, pays de la laïcité, me paraît délirant. Critiquer le port du voile et débattre de son interdiction ne sont que des réponses ethnocentristes ! Face à ce phénomène il faut se poser les vraies questions : pourquoi des jeunes de la troisième génération ont-elles besoins d’afficher leur appartenance religieuse ? Pourquoi la religion devient-elle un ferment identitaire pour des jeunes issus de l’école laïque ? Ce phénomène interpelle l’école censée être égalitaire et le modèle républicain sur ses limites et peut-être aussi ses excès !
Le procès fait à l’islam à travers le port du foulard, vu comme une atteinte à la dignité de la femme, me semble d’autant plus inapproprié que le discours sur le voile oublie souvent que la République a colonisé l’Afrique du Nord. Pendant la période coloniale, la France n’a importé ni la laïcité ni l’émancipation de la femme. Faut-il rappeler que l’Algérie était française, avant la Haute Savoie. Pourquoi la République laïque a-elle continué à encourager les structures traditionnelles et à maintenir un statut oppressif des femmes sur un territoire français ? Autrement dit la question du voile en France interpelle moins l’islam que la conscience politique française !
De même que les discriminations que vivent des femmes musulmanes incombent davantage à la volonté des élites politiques et intellectuelles qu’à l’islam en tant que dogme. Quand les musulmans ont voulu interpréter de façon plus libérale les textes sacrés ou décider de les ignorer parce qu’obsolètes les femmes ont pu acquérir plus de droits et évoluer.
Les lois contribuent souvent à changer les structures mentales. En 1954 soit au moment de l’obtention de l’autonomie interne, 12 % seulement des tunisiens étaient scolarisés mais la volonté politique tunisienne a bousculé les mentalités en imposant une autre vision du rapport hommes/femmes.
Même en Arabie Saoudite la scolarisation de la femme commencée au primaire en 1956 et étendue à l’université en 1979 a permis l’émergence d’un certain mouvement féministe. Ce mouvement reste pour l’instant limité aux critiques des traditions familiales. Toutefois, en essayant de faire une plus grande place à la femme au sein de la famille tout en évitant de s’attaquer à la législation religieuse, il jette les jalons d’une nouvelle dynamique combien même serait-elle timide ! Récemment, le prince héritier Mohamed Ben Salman a annoncé son intention d’opter pour un islam plus éclairé et plus ouvert, espérons que ce changement puisse se traduire par l’acquisition de la femme saoudienne de ses pleins droits.
Il reste beaucoup à faire en matière d’égalité homme/femme, néanmoins l’accès de la femme à l’école puis au marché du travail a imposé une situation de fait en décalage avec le statut juridique. Partout dans le monde arabe la femme musulmane s’émancipe et notamment la femme citadine. Aucune femme instruite n’est prête à accepter les contraintes imposées à sa mère y compris dans des pays où la législation ne lui donne pas tous ses droits. Partout la femme prend conscience de ses droits à la reconnaissance et à l’égalité et se bat pour !
La menace pour l’émancipation des femmes pourrait venir des projets passéistes islamistes qui s’inscrivent contre les idéologies nationalistes modernistes et qui marquent un retour sur la scène politique profitant de l’appui de l’occident. Cette menace me semble réelle surtout que les élites démocrates, laïcs et de gauche ont été incapables de produire une vision progressiste et révolutionnaire. Une vision moderne suppose que les intellectuels musulmans cessent d’opposer aux discours des traditionalistes une lecture sublimée des textes sacrés mais d’avoir le courage de proposer un projet dans lequel le sacré ne contrôlera plus la totalité du social !
Toute pensée qui n’est pas objet de réflexion et d’interrogation, qui n’est pas posé sous un angle prospectiviste et d’un point de vue futuriste est une pensée morte nous dit l’éminent intellectuel Mohamed Talbi qui n’a pas hésité à soumettre les textes religieux à la raison critique au grand dam de tous ses contradicteurs.
Par Zohra Credy
L’auteur Zohra Credy, est historienne. A enseigné l’histoire du monde arabe à l’Université Denis Diderot Paris VII et à l’Université ouverte de Paris VII. A animé plusieurs stages de formation pour la Ligue Internationale de l’Enseignement et le service académique de la formation administrative SAFA. A dirigé une prestigieuse institution éducative en Tunisie.
Notes :
(1) Coran, « La Table », V, 5 BLACHERE, p. 133,
(2) Coran, « La Génisse » II, BLACHERE, p. 282
(3) Coran, « Les Factions »XXXIII, 59, BLACHERE, p. 453
(4) Ghassan ASCHA, Le Statut Inférieur de la femme en islam, L’Harmattan, Paris, 1989, 97
(5) Le Code du Statut Personnel, République tunisienne, 1976, article 30 p. 8
(6) Idem, article 67, p. 13
(7) Simone de BEAUVOIR, Le deuxième sexe, Paris, 1949, t I, p. 113
(*)Pour bien comprendre ce qui est en jeu dans ce discours, il faut relever sa très grande correspondance avec la rhétorique de promotion de la place de la femme dans la société tenue par l’Etat depuis les années 2001-2002. Les nouvelles sociabilités féminines ne sont pas venues déconstruire les mesures mises en place par l’Etat mais les ont au contraire renforcées. Dans une enquête menée à Riyad à la fin des années 2000, la sociologue Amélie Le Renard montrait ainsi que c’était contre les traditions familiales beaucoup plus que contre l’islam officiel promu par les Saoud que se tournaient les revendications des jeunes femmes présentes dans ce type de manifestation. L’accès à une compréhension plus fine et plus « féminine » de l’islam permet ainsi de distinguer, dans le cercle familial, ce qui relève de l’interdit véritablement religieux (harâm) de ce qui est le résultat d’un interdit social (‘ayb), sans fondement islamique réel. L’islam modéré est employé comme un référent normatif synonyme de modernité et est opposé aux « coutumes » sans légitimité islamique. Il s’agit de disqualifier les pratiques discriminatoires courantes sans fondement religieux identifiable. L’appropriation du religieux permet ainsi aux femmes de faire valoir leur plus grande autonomie concernant des pratiques quotidiennes jusque-là contrôlées par les pères, sur des sujets aussi divers que le droit à l’éducation ou la légitimité de l’emploi du maquillage par les jeunes femmes. Dans ce contexte, tout se passe comme si les jeunes femmes saoudiennes avaient conscience que l’Etat et l’islam officiel étaient de leur côté et pouvaient constituer une autorité à même de légitimer leurs revendications. Ainsi, bien que de très nombreuses lois discriminatoires subsistent dans le système juridique saoudien, celles-ci ne sont que peu attaquées par les femmes du royaume. Une pétition lancée en 2010 pour obtenir le droit au permis de conduire pour les femmes ne rassembla ainsi que 500 signataires. De même, la persistance de cloisonnements des secteurs économiques masculin et féminin n’est que rarement conçue comme un frein à l’autonomie des femmes : cette séparation est au contraire présentée comme la garantie d’une absence de concurrence entre les deux sexes dans certains secteurs (enseignement féminin, garde des enfants, banques féminines, etc.), et a fortiori comme une sauvegarde du potentiel d’employabilité des femmes saoudiennes. Que ces lois soient conçues comme un moindre mal ou comme une ressource, il reste que c’est sur un autre terrain que s’investissent les « féministes » saoudiennes. Elles semblent considérer que ce n’est pas tant au niveau étatique qu’à l’échelle infra-étatique et en particulier familiale que se joue l’évolution des rapports de force entre hommes et femmes en Arabie saoudite.
(**) Le chef de l’État algérien assure par ailleurs que l’égalité hommes-femmes ne peut se concevoir que dans la protection de la femme par la loi « en matière d’accès à l’emploi et de possession de biens et richesses sous le régime de la séparation, en étant libre d’en disposer elle-même et à sa convenance « . Outre le divorce, la réforme de la polygamie, qui avait été maintenue en 2005, est également très attendue. Mais malgré des avancées notables, les militantes féministes telle que Soumia Salhi, continuent d’exiger l’abrogation du code de la famille, estimant « qu’en dépit des amendements de 2005, il garde son architecture inégalitaire et la permanence de l’oppression des femmes ». L’idée n’est pas tant d’obtenir de nouveaux droits et de s’opposer aux oulémas que de promouvoir une lutte contre la violence familiale et une promotion de la place des femmes dans les familles, tout en continuant à marquer la différence de ce féminisme islamique vis-à-vis de ses modèles occidentaux.
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Source: https://arretsurinfo.ch/le-statut-de-la-femme-dans-le-monde-arabe/