Levi Eshkol, premier ministre d’Israël dans les années soixante

Par Johnatan Ofir | 17 novembre 2017

« Peut-être qu’ils n’auront pas le choix, si on ne leur donne pas assez d’eau, car les vergers jauniront et dépériront », avait déclaré le premier ministre israélien Levi Eshkol au sujet de Gaza en 1967, révèlent des documents de l’époque, récemment déclassifiés. 

Ofer Aderet, journaliste du Haaretz, vient de l’annoncer :

“Comme je l’ai déjà écrit, Eshkol, le « sioniste libéral » de gauche, était plus que d’accord pour expédier les Palestiniens sur la lune : « Je veux qu’ils partent tous, même pour la lune ».

Comme on le sait, la définition de “génocide”, donnée par l‘ONU, comprend ceci : Infliger sciemment sur un groupe des conditions de vie visant à provoquer sa destruction physique – totale ou partielle.

Ces documents récemment déclassifiés montrent que la politique génocidaire était déjà en place en 1967, ce qui est important, car ils expliquent les politiques qui ont suivi, tel le blocus israélien de Gaza, qui fait partie du « génocide progressif », comme le définit Ilan Pappe depuis 2006. On y voit aussi la dimension historique du terme « Camp de Concentration incommensurable », utilisé par Amira Hass, journaliste du Haaretz, pour définir Gaza.

Assurément, Eshkol s’est rendu compte dans les mois qui suivirent la guerre de 1967, de la « suffocation et de l’emprisonnement » de Gaza à cette époque, comme le révèlent les documents déclassifiés. Il dit très clairement que c’était un instrument qui serait utile pour la stratégie israélienne : « C’est précisément à cause de la suffocation et de l’emprisonnement présents, qu’avec un peu de chance, les Arabes quitteront la bande de Gaza ».

Eshkol paraphrasait aussi Herzl, en déclarant qu’il s’était mis au travail sur l’établissement d’un groupe ou d’un bureau susceptible d’encourager l’émigration arabe. Il soulignait : « Nous devons traiter ce sujet discrètement, calmement et secrètement, et il nous faut trouver le moyen pour qu’ils émigrent vers d’autres pays, pas seulement de l’autre côté du Jourdain ».

Voici une autre citation d’Herzl, tirée de son journal de 1895 : « Nous nous efforcerons de chasser la population pauvre au-delà de la frontière, en lui procurant du travail dans des pays de passage, et en lui refusant du travail dans notre pays. Le processus d’expropriation et de déplacement des pauvres doit être mené discrètement et avec circonspection ».

Le ministre de la Défense, Moshe Dayan était tout à fait d’accord avec les idées d’Eshkol et d’Herzl : « En permettant à ces Arabes de chercher et de trouver du travail à l’étranger, il est encore plus probable que, par la suite, ils voudront émigrer vers ces pays ».

Dayan conçut l’idée de donner aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza des permis de travail pour l’étranger, dans l’espoir de voir certains d’entre eux s’y établir.

Eshkol avait plutôt l’obsession de donner la priorité au nettoyage ethnique de Gaza : « Ce qui nous intéresse le plus, c’est de faire le vide à Gaza ».

Voilà la preuve que l’idée d’un parfait nettoyage ethnique de Gaza n’est pas le privilège des politiques de droite tels que Moshe Feiglin, président-adjoint de la Knesset, qui en 2014, en tant que tel, présenta un plan en sept points à Nétanyaou, pour faire la même chose.

Eshkol présente également d’autres choix monstrueux : « On pourrait espérer une autre guerre. Ainsi le problème serait résolu. Mais c’est du luxe, une solution inespérée ».

Ce « luxe » (en ce qui concerne les sionistes) est exactement ce dont l’historien Benny Morris parlait quand il dit à Ari Shavit en 2004 : « Mais je vous dirais volontiers que, dans d’autres circonstances – dantesques – qui pourraient bien se produire dans cinq ou dix ans, je pressens des expulsions ».

Signalons, en passant, que Dayan était un peu plus « généreux » qu’Eshkol, suggérant que parmi les 400.000 Gazaouis, les 100.000 qui, selon lui, n’étaient pas des réfugiés, pourraient rester.

Dayan semble aussi suggérer le projet « Bantoustan », idée derrière la politique israélienne en Cisjordanie, même en ce qui concerne le « processus de paix » de ces dernières décennies, même lorsqu’Israël était soi-disant « généreux » : « Le soldat n’a aucun intérêt à se mêler de la vie des habitants. Il n’est pas nécessaire de déployer l’armée à Naplouse. Elle peut très bien percher sur une colline surplombant Naplouse ».

De même, Israël n’a pas besoin d’être à l’INTÉRIEUR de Gaza, seulement de temps en temps. Il est bien plus facile de contrôler la prison de l’extérieur, sur une colline proche…

En 1967, Israël ressentait à la fois l’euphorie de la « libération » des nouveaux territoires (comme le dit aussi le « héros de gauche », Ehoud Barak), et « l’inconvénient » de la présence palestinienne. Les paroles d’Eshkol résument : « Je propose de ne pas voter ni de décider maintenant. On a le temps de savourer cette joie. Mieux dit : on a le temps de gérer cet inconvénient ».

« L’inconvénient » était évidemment « le problème de la démographie palestinienne », qui préoccupe Israël depuis le début. Eshkol l’exprima ainsi : « Comment l’imaginer – comment organiser la vie dans ce pays, alors qu’on a 1.400.000 Arabes et qu’on est 2.400.000, avec 400.000 Arabes qui sont déjà chez nous ? ».

Il est intéressant d’étudier ces paroles. Lorsqu’Eshkol déclare : « Nous sommes 2.400.000 », en fait il n’inclut pas les Palestiniens citoyens d’Israël (connus en Israël sous le nom de « Arabes israéliens ». C’est clair, car en 1967, l’entière population d’Israël s’élevait à presque 2.800.000. La population de 2.400.000 remonte à 1963. Il est impossible que le premier ministre ait fait cette énorme erreur numérique. Bien sûr que non : Eshkol exclut délibérément la population palestinienne du total, et la classe comme une cinquième colonne, une population étrangère, des « Arabes qui sont déjà dans le pays » – de la même façon que les 1.400.000 Arabes qui viennent de passer sous le contrôle d’Israël.

À noter que, vers la fin de l’année 1966, Israël cessa son régime militaire de 19 ans, imposé à ses citoyens palestiniens. Ce que dit Eshkol prouve que, malgré l’abandon technique de ce régime, pour des raisons d’ordre « moral », la perception générale de l’establishment était que les citoyens palestiniens restaient « les autres ». La préoccupation pour le « problème démographique » qu’on constate dans le rapport, est totale. Le ministre de l’Éducation, Zalman Aranne insistait sur le « problème démographique » : « Pour le peuple juif d’Israël et de la Diaspora comme je le connais, après l’ampleur de l’héroïsme, des miracles et des merveilles, un état juif où se trouvent 40% d’Arabes, n’est pas un état juif. C’est une cinquième colonne qui détruira Israël. Ce sera le baiser de Judas, dans la prochaine génération ou après, à mi-chemin vers une autre ».

Pour finir, on trouve un passage sur les implantations juives à Al-Khalil (Hébron). Eshkol montre aux ministres une lettre qu’il a reçue en novembre 1967, des doyens adjoints de la yeshiva (école d’étude biblique) d’Hébron – qui avait déménagé à Jérusalem après le Massacre d’Hébron de 1929 – demandant au gouvernement de « faire les arrangements nécessaires pour permettre à des douzaines d’étudiants, d’enseignants et de surveillants de la yeshiva, de retourner à Hébron et d’y installer une section ». Le ministre du Travail, Yigal Allon (auteur du fameux Plan Allon pour l’annexation d’un nombre important de terres en Cisjordanie) était tout à fait d’accord : « On gagne à trouver le premier noyau de personnes prêtes à s’y installer. Ce que désirent ces étudiants de yeshiva est formidable. Ce n’est pas souvent qu’on trouve des candidats prêts à aller dans un endroit si problématique ».

Voilà pour les colons religieux de droite, des voyous forçant la main à Israël.

Ceux qui ont suivi la trace historique du sionisme ne seront pas surpris par ces déclarations, ni de savoir qu’elles viennent des « sionistes libéraux », des « gauchistes ».

Souvenons-nous, la logique, c’est « Zionist 101 », cours d’histoire du sionisme. Toutefois, la lecture des documents peut rester choquante – c’est normal. Ces déclarations transmettent l’intention explicite de nettoyage ethnique, et même de génocide.

Vider, faire suffoquer, priver d’eau jusqu’au dépérissement des vergers. Ces paroles ne sortent pas de la bouche des dirigeants sionistes de droite, mais de celle de gauche. Il n’est donc pas surprenant qu’Israël ait caché ces archives pendant cinquante ans et plus.

Johnatan Ofir | 17 novembre 2017

Article original : http://mondoweiss.net/2017/11/liberal-contemplating-genocide/

Traduit par Europalestine