Ces dernières semaines, nous avons été confrontés à un nouveau mystère : une entité « inconnue » s’est livrée à des frappes dans une Libye qui vit une crise politique d’une telle ampleur, que les titres comme ceux-ci sont devenus la norme :
- DES MILICIENS ONT MIS LE FEU A LA MAISON DU MP LIBYEN THENI : AL ARABIYA
- LES VOISINS DE LA LIBYE SE METTENT D’ACCORD POUR NE PAS INTERVENIR DANS LES AFFAIRES LIBYENNES ET APPELLENT AU DIALOGUE NATIONAL
Les frappes ont surpris tous les médias, y compris Reuters qui, pendant le week-end, rapportait que « Des avions de guerre non identifiés ont attaqué, samedi, les positions d’une faction armée dans Tripoli, la capitale de la Libye, selon des habitants et des médias locaux. La chaîne locale al-Nabaa a rapporté que les avions avaient attaqué quatre positions de la milice Opération Dawn, un regroupement des forces de tendance islamiste de Misrata qui essaie de déloger les brigades de Zintan, qui se trouvent, elles aussi, dans l’ouest de la Libye ». Cette information a suivi l’annonce par Le gouvernement, lundi, que des avions de combat inconnus avaient bombardé des positions de factions armées à Tripoli, dans une attaque revendiquée par un général renégat de Benghazi.
Il s’avère que le général renégat mentait et essayait simplement de s’attribuer le mérite des actions d’un tiers. Ce parti tiers, ou plutôt ces partis tiers, se sont révélés être l’Égypte et les Émirats Arabes Unis (EAU) qui, selon le New York Times, « se sont coalisés secrètement pour lancer des attaques aériennes contre les milices alliées aux Islamistes qui se battent pour le contrôle de Tripoli en Libye, selon quatre officiels étatsuniens, dans un conflit qui s’exacerbe sans cesse entre les supporters et les opposants de l’Islam politique ».
Ce qui est étonnant, ce n’est pas l’intervention : après tout, il ne se passe pas une journée désormais sans qu’il y ait une invasion petite ou moyenne, quelque part, dans un monde où ce que racontent les médias n’a plus d’importance. Ce qui est étonnant, c’est que les deux pays ont pris, sans vergogne, le parti de ne pas consulter le seul pays qui avait pourtant bien averti qu’il avait des intérêts nationaux en Libye : les États-Unis.
Selon les officiels, les États-Unis ont été pris par surprise : L’Égypte et les Émirats, tous les deux des alliés proches et des partenaires militaires, ont agi sans informer Washington, ni lui demander son accord, laissant l’Administration Obama sur la touche.
Et ce qui est pire encore : les officiels égyptiens ont spécifiquement nié être à l’origine de cette opération, selon les officiels. On dirait que la Chine et la Russie, qui ont récemment ignoré et/ou se sont moqués du statut de superpuissance des États-Unis, font de plus en plus d’émules, même dans les républiques les plus « bananières » de la planète. On peut dire ce qu’on veut des Administrations précédentes, mais il est très peu probable qu’un régime, quel qu’il soit, surtout un aussi grand allié des États-Unis que les Émirats Arabes Unis, et à un moindre degré l’Égypte, aurait osé lancer une opération militaire de cette envergure sans en avoir préalablement référé au Pentagone ».
Alors, maintenant que l’on sait qui sont les « mystérieux » responsables des frappes punitives, la prochaine question qu’on peut se poser est : Pourquoi ? La réponse est simple : pour stopper les Islamistes. Et comme on ne peut plus compter sur les États-Unis pour faire ce que ses anciens principaux pétro-alliés lui demandent, les Émirats Arabes Unis ont décidé de prendre les choses en main.
Les frappes constituent un nouvel élément à haut potentiel déstabilisateur dans une lutte pour le pouvoir qui a éclaté dans le pays dans la foulée des révolutions du Printemps arabe et qui oppose des autocrates arabes à l’ancienne aux Islamistes. Depuis le renversement par l’armée du président islamiste en Égypte, l’année dernière, le nouveau gouvernement égyptien, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis ont formé une coalition qui utilise son influence dans la région pour repousser ce qu’ils considèrent comme une menace islamiste à leur suprématie. Les mouvements islamistes, qui ont émergé à la faveur des printemps arabes, avec le soutien de la Turquie et du Qatar, se sont groupés contre eux, y compris les Frères musulmans.
Les « autocrates arabes à l’ancienne » considèrent sans doute que l’invasion militaires est justifiée (il leur suffit pour le prouver de pointer du doigt ce que les États-Unis font en Irak), mais cela ne signifie pas que les États-Unis sont contents d’avoir été mis devant le fait accompli. C’est bien sûr tout le contraire, les États-Unis sont « furibards » (peut-être parce que ce ne sont pas eux qui ont mené l’attaque ?).
La Libye est le plus récent et le plus épineux champ de bataille. Selon plusieurs officiels, les diplomates étatsuniens sont furibards parce qu’ils pensent que ces frappes aériennes pourraient encore aggraver le conflit libyen, au moment où les Nations-Unies et les puissances occidentales recherchent une solution pacifique.
« Pour nous, cela n’est pas du tout constructif », a dit un officiel de haut rang.
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Les EAU n’ont pas abordé directement le sujet des frappes. Mais, lundi, un journal de l’Émirat a publié une déclaration d’Anwar Gargash, le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, disant que les questions sur le rôle des Émirats étaient une manière pour les Islamistes de « détourner l’attention » des résultats des récentes élections, qui marquaient un désir de « stabilité » et le rejet des islamistes. Les allégations sur le rôle des EAU, a-t-il dit, venaient d’un groupe qui « se couvrait du manteau de la religion pour atteindre ses objectifs politiques », ajoutant que « les gens s’étaient rendu compte de leurs mensonges et de leurs échecs ».
Ce qui est plus important, c’est que, comme le note The New York Times, cette dernière escalade en matière d’intervention politique directe sur le territoire d’un état souverain signifie que le Moyen-Orient n’est plus un terrain de guerre par procuration : après tout, pourquoi tourner autour du pot quand on peut bombarder directement un pays voisin sans craindre les représailles de la communauté internationale, comme viennent de le faire Abu Dhabi et Le Caire :
Selon des officiels, le gouvernement du Qatar a déjà fourni des armes et du soutien aux forces islamistes de Libye, par conséquent les nouvelles frappes indiquent qu’on est en train de passer de la guerre par procuration (dans lesquelles les puissances régionales se servaient d’alliés locaux pour atteindre leurs objectifs) à une implication directe.
Tout cela ne nous dit pas si les frappes ont atteint leur objectif. Eh bien, non, elles n’ont pas réussi à juguler les progrès des miliciens.
Les frappes se sont aussi révélées contre-productives jusqu’ici : les milices islamistes qui se battent pour le contrôle de Tripoli ont réussi à prendre l’aéroport durant la nuit qui a suivi la seconde attaque.
Selon des officiels étatsuniens, l’Égypte a fourni les bases d’où étaient lancées les frappes. Le président d’Égypte Abdel-Fattah el-Sisi et d’autres officiels ont fait des déclarations publiques fermes, mais formulées avec prudence, afin de démentir toute implication directe des forces égyptiennes en Libye. En privé, selon les officiels, leurs dénégations avaient été plus radicales.
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Selon des officiels étatsuniens, le succès du premier raid a pu pousser l’Égypte et les EAU à croire qu’ils pouvaient procéder à des frappes sans être repérés. Ou alors l’audace de l’attaque reflète le poids de leur détermination à stopper ou à anéantir l’Islam politique.
« Le plus ironique dans tout cela, exactement comme dans le cas d’Isis, c’est que si les Émirats ont sans doute la meilleure flotte aérienne de la région et s’ils sont capables d’attaquer directement leurs propres ennemis, c’est grâce à l’entraînement et l’aide que les États-Unis leur ont fourni. On peut donc commencer le compte à rebours du moment où les États-Unis, dans leur effort pour empêcher l’ascension d’une nouvelle puissance régionale, armeront les mêmes Islamistes qu’ils soutenaient en Egypte avant le fiasco Morsi, en se faisant encore plus d’ennemis, pendant que le reste du monde attend de voir comment leur dernière fourniture d’armes va se retourner contre les intérêts des États-Unis dans la région ou, comme Isis l’a montré, contre les États-Unis eux-mêmes.
Quoi qu’il en soit, les États-Unis n’ont désormais d’autre choix que d’intensifier leur présence dans une région qui est en train de se transformer rapidement en ruines, grâce à « l’assistance et l’entraînement » militaires étatsuniens, qui ne profite à personne, hormis évidemment à quelques conglomérats militaro/industriels américains et au consortium bancaire international de blanchiment d’argent.
Tyler Durden (Zero Hedge), le 25-08-2014
Traduit par Dominique Muselet
Article original : US Furious After Source Of « Mystery » Libya Bombing Raids Revealed
Archivé:https://www.zerohedge.com/news/2014-08-25/us-furious-after-source-mystery-libya-bombing-raids-revealed