Les attentats sous faux drapeau (désignés sous l’anglicisme « false flag ») désignent des actions violentes : assassinats, attentats, sabotage, incident militaire, bombardement, etc, sciemment accomplis contre son propre camp et attribués à l’adversaire pour justifier une réaction appropriée à son encontre.
Plusieurs « false flag » sont restés célèbres. Par exemple, mais la liste n’est pas exhaustive :
L’incident de Mukden en 1931, planifié par l’Empire japonais qui accusa la Chine d’avoir perpétré l’attentat, donnant ainsi le prétexte à l’invasion immédiate du sud de la Mandchourie par l’armée impériale japonaise.
L’opération Himmler le 31 août 1939, monté de toutes pièces par les Allemands pour servir de prétexte à l’invasion de la Pologne par l’Allemagne
L’incident de Mainila le 26 novembre 1939, où pour justifier une invasion de la Finlande, l’artillerie soviétique bombarda les environs du village russe de Mainila, proche de la frontière, tuant quatre soldats de l’Armée rouge. L’Union soviétique accusa l’artillerie finlandaise et exigea des excuses de la Finlande. Cette dernière ne céda pas et l’URSS résilia deux jours plus tard le pacte de non-agression entre les deux pays puis franchit la frontière le 30 novembre. (1)
Aujourd’hui, à l’ère du village planétaire, des réseaux sociaux et de l’internet, il pourrait sembler difficile de rééditer de telles opérations. Bien au contraire, deux exemples assez récents vont nous démontrer que cette technique n’a rien perdu de son efficacité. Nous examinerons comment cela est possible et quels sont les facteurs qui permettent à de telles supercheries d’avoir leur plein effet. Nous analyserons successivement le dossier des deux ‘affaires dites du « marché de Markalé » en Bosnie et celui des bombardements à l’arme chimique de Damas.
Les bombardements du marché de Markalé en 1994-1995
La guerre civile en Bosnie Herzégovine dans les années 1990 met aux prises Serbes, Musulmans et Croates dans un conflit fratricide au cœur d’une Europe qui se voulait pacifiée. La guerre semble s’enliser, lorsque deux bombardements au mortier sur le marché dit de Markalé, les 5 février 1994 et 28 août 1995, vont causer respectivement la mort de quatre-vingt et d’une cinquantaine de civils bosniaques musulmans. Après le deuxième massacre, l’émotion est grande et les médias dans une belle unanimité accusent les militaires serbes d’en être les responsables. L’opinion, déjà largement remontée contre les Serbes suite à une désinformation systématique par les médias (2), est mûre, et dès le lendemain, démarraient les raids de représailles de l’OTAN contre les Serbes (3000 sorties d’avion contre les objectifs civils et militaires sur tout le territoire de la République serbe de Bosnie).
On connaît la suite. Mais la vérité sur ces attaques au mortier ne fut dévoilée que plus tard. Les enquêtes balistiques prouvèrent que les obus partirent dans les deux cas des lignes bosniaques, comme l’a confirmé le général Rose lui-même, alors commandant de la Force de protection de l’ONU en Bosnie (FORPRONU).
Des responsables et observateurs occidentaux, tels Edouard Balladur, François Léotard, Alain Juppé, alors « aux affaires », des journalistes aussi différents que Jacques Merlino (TF1) ou Jean Daniel (3) révéleront ce qu’avaient déjà signalé des hauts officiers en poste à Sarajevo, tels le général Rose ou encore le général MacKenzie , (4) ancien commandant de la FORPRONU à Sarajevo, à savoir que ce furent bien des miliciens bosniaques musulmans qui assassinèrent sciemment des centaines de leurs compatriotes dans l’unique but de faire porter le chapeau aux Serbes …(5).
Ainsi, bien que de nombreux témoignages aient tenté de rétablir la vérité, ils ont été inopérants. En effet, une fois l’intoxication consommée et l’émotion suscitée dans l’opinion publique, les professionnels nous expliquent que le rétablissement ultérieur de la vérité est inopérante…
D’ailleurs qui se préoccupe par la suite de lire des rapports de balistique, forcément complexes et incompréhensibles. Les photos choc des victimes baignant dans leur sang sur le marché de Markale ont suffi pour faire basculer l’opinion définitivement dans le camp anti-serbe. Le plan machiavélique avait réussi.
L’attaque aux gaz chimiques d’août 2013 en Syrie
En août 2013 nous avons assisté à une campagne internationale de grande ampleur qui, en France, s’est traduite par un vrai déchaînement des médias et de l’ensemble des journaux et hebdomadaires. Dans ce registre, le journal Le Monde a été en pointe avec une ligne incroyablement partisane. Le sujet, en pleine quiétude du mois d’août, avait tout pour susciter émotion et colère dans l’opinion publique. Pensez donc : le régime syrien avait bombardé à l’arme chimique le quartier de la Ghouta dans la banlieue de Damas, faisant 1400 victimes en majorité des femmes et des enfants.
Damas avait franchi la ligne rouge, fixée par le président Obama. Les Etats-Unis, suivis à l’unisson par leurs alliés (ou vassaux?), François Hollande et David Cameron, décidaient d’utiliser ce prétexte pour engager une campagne de bombardement pour accentuer la pression sur le régime syrien. Il fallait, selon la rhétorique du Quai d’Orsay, « punir Bachar ». Les réacteurs des Rafales français prêts à décoller, les cibles des missiles « scalp » programmées, François Hollande, en chef de guerre, attendait l’ordre de son suzerain, pour lancer son aviation. Mais l’ordre ne vint jamais. Après le refus du parlement anglais, le président Obama à son tour se défaussait sur le Congrès. Que s’était-il passé ? Les hypothèses les plus farfelues circulèrent, accusant le président Obama de faiblesse devant la Russie.
Quoiqu’il en soit, la publication d’un rapport de l’ONU, en décembre 2013, sur les armes chimiques utilisées par les forces soi-disant « rebelles » fit suite à la publication par le journaliste d’investigation Seymour Hersh, lauréat du prix Pulitzer, d’un article détaillé dans la London Review of Books (article exceptionnel commandé par le New Yorker qui l’avait ensuite refusé, puis présenté au Washington Post, qui l’avait également refusé). Hersh, dans l’article précité, révélait que le gouvernement Obama avait délibérément manipulé les renseignements dont il disposait pour affirmer, à tort, qu’il avait des preuves de la responsabilité du gouvernement syrien dans l’attaque de la Ghouta.
Ce qui est frappant, c’est le silence de l’ensemble des médias sur cette information. A ma connaissance, seul Franz-Olivier Giesbert, dans un éditorial du Point daté du 26 juin 2014, a noté que seuls les rebelles avaient pu perpétrer l’attaque chimique de la Ghouta. Il a accusé ouvertement le Monde, le gouvernement français et les services secrets américains d’avoir désigné sans preuves le régime d’Assad pour justifier les frappes.
Ce qui est frappant, c’est que les médias français n’ont jamais reconnu leur erreur, et que certains persistent et signent, en regrettant aujourd’hui encore, le recul d’Obama. Même une revue comme le « Monde des Religions » (6), dans un article signé par le professeur Jean Pierre Filliu, reprend cette vieille antienne. Il est vrai que la haine viscérale du professeur Filliu envers le régime syrien lui a fait perdre depuis longtemps tout esprit critique (pourtant une qualité essentielle pour un universitaire !)
Comment de telles supercheries sont-elles possibles à notre époque ?
Les médias, par paresse intellectuelle, par souci de « suivre » l’actualité sans prendre le temps de vérifier la véracité des informations, par manque de vrais journalistes d’investigation, sont responsables de ces dérives. A la fin du mois d’août 2013, écrit Frédéric Pichon (7), il était très difficile d’aller en sens contraire.
« J’ai été très sollicité à cette époque : j’ai remarqué que les médias étrangers étaient beaucoup plus disposés à accueillir un discours prudent. En France, je me souviens très bien que le fait de ne pas acquiescer, d’attendre des preuves, de résister à l’emballement médiatique dont on voyait qu’il faisait les affaires du gouvernement, était suspect. C’était pourtant la seule position tenable pour le chercheur que je suis et cela aurait dû être le cas pour la presse. »
Par ailleurs, comme l’ont relevé maints observateurs, en particulier lors des guerres en Yougoslavie, une fois le mal fait la révélation de la vérité ne change plus le cours des événements. L’objectif du « false flag » est de justifier une riposte instantanée. Quelques semaines ou mois plus tard, l’opinion a oublié l’incident provocateur. Aussi les médias pratiquent l’omerta, refusent de reconnaître leur erreur ou, plus grave, persistent dans leurs mensonges. Le public, soûlé d’informations en continu et désinformé en permanence, ne réagit plus.
Dans son ouvrage « Guerre en Syrie : le mensonge organisé des médias français » publié aux éditions Sigest, François Belliot (8) analyse l’entreprise de désinformation systématique conduite par les médias traditionnels français. Et dans le tome 2, à paraître en juin 2016, la prétendue attaque aux gaz de la Ghouta (9), ainsi que le massacre de Houla, feront l’objet d’une analyse complète.
Marc JEAN | 1er avril 2016
(1) (https://fr.wikipedia.org/wiki/Fausse_banni%C3%A8re)
(2) Dans son ouvrage Fighting for Peace, Bosnia 1994, le général Michael Rose, ancien commandant de la FORPRONU, explique comment les médias n’ont cessé d’attiser le feu en répandant de fausses nouvelles et en grossissant systématiquement le nombre de victimes et l’importance des dévastations occasionnées par les troupes serbes. Le général Rose déplore le fait que les journalistes (mais peut-on parler encore de « journalistes »?) appuyaient systématiquement leurs investigations sur les seuls témoignages et informations données par le gouvernement bosniaque.
(3) « Ils (les Bosno-Musulmans) auraient provoqué un carnage sur leurs (….) dans le but de faire sortir l’OTAN de ses atermoiements (….). » s’indigne Jean Daniel, pourtant réputé « anti-serbe », dans son éditorial du Nouvel Observateur du 31 août 1995, en apprenant la cynique réalité. Consulter aussi à ce sujet, Raisons Garder, n°10-11, Lausanne, printemps 1996 ; Balkans infos n°22 avril 1998, et Laure Adler, l’Année des adieux, Flammarion, Paris, 1995.
(4) Concernant le massacre de la boulangerie de Sarajevo(29 mai 1992) : le rapport de la FORPRONU , mentionné dans l‘Independent de Londres, exclut catégoriquement la responsabilité serbe dans ce massacre et incrimine clairement le camp musulman. Dans son livre Peacekeeper. The road to Sarajevo, le général canadien Lewis MacKenzie, alors commandant des casques bleus en Bosnie, dévoile le montage, « la rue a été interdite à la circulation juste avant l’explosion. Après que la queue a été formée (devant la boulangerie), les médias firent leur apparition, mais ils se placèrent à distance. L’attaque eut lieu et les cameramen n’eurent qu’à s’avancer. En majorité, les morts étaient des Serbes non partisans »,
(5) Pour plus d’informations, se reporter à l’excellent ouvrage d’Alexandre Del Valle « Guerres contre l’Europe » publié aux Editions des Syrtes, en particulier au chapitre VI « Economie de combat et guerre de l’information » d’où sont extraits ces commentaires
(6) « Le Monde des Religions » janvier-février 2016. Dans un article titré « Daech et les démons de l’Apocalypse », Jean Pierre Filiu écrit: « ...par ailleurs, il est urgent de rétablir un minimum de droit international en Syrie, où le despote Assad a bombardé une partie de sa capitale aux gaz chimiques en août 2013... » Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose !
(7) « Pourquoi l’Occident s’est trompé ». Frédéric Pichon, Edition du Rocher
(8) https://arretsurinfo.ch/comment-les-medias-intoxiquent-lopinion-publique-le-cas-de-la-syrie-viii/
(9) https://arretsurinfo.ch/synthese-sur-lattaque-a-larme-chimique-en-syrie-le-21-aout-2013/
Source: https://arretsurinfo.ch/les-faux-attentats-font-toujours-recette/