Prise de position d’Idriss Jazairy, rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève sur «les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme», à la fin de sa mission en République arabe syrienne.
Idriss Jazairy, Rapporteur spécial sur l’effet négatif des mesures coercitives unilatérales sur la jouissance des droits de l’homme, a visité la Syrie du 13 au 17 mai 2018 sur invitation du gouvernement syrien. A la fin de son voyage, il était vivement préoccupé de la manière dont les sanctions unilatérales sont appliquées. Une des conséquences est le refus d’aide humanitaire d’urgence pour le peuple syrien; les sanctions aggravent la crise humanitaire en Syrie et concernent avant tout les populations les plus fragiles. Idriss Jazairy a annoncé qu’en septembre 2018 paraîtra son rapport détaillé contenant ses résultats et ses recommandations.
«Je m’inquiète vivement du fait que les mesures coercitives unilatérales contribuent aux souffrances actuelles des Syriens. Proclamer la nécessité de l’existence des mesures en vue de la protection de la population ou de la facilitation d’une transition démocratique est difficilement compatible avec les souffrances subies sur le plan humanitaire et économique.»
Observations préliminaires et recommandations
Je voudrais commencer ce briefing en exprimant ma gratitude au gouvernement de la République arabe syrienne pour son invitation à visiter le pays et pour la franchise et la disponibilité dont il a fait preuve et qui ont facilité les réunions de ma mission. Je tiens également à remercier le bureau du coordonnateur résident, les membres de l’équipe de l’ONU du pays et le Haut-Commissariat aux droits de l’homme pour leur précieux soutien.
Le Conseil des droits de l’homme m’a chargé de surveiller les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l’exercice des droits de l’homme, de faire un compte rendu et des recommandations. A plusieurs reprises, les Nations Unies ont exprimé leurs préoccupations face à l’utilisation de telles mesures qui pourraient aller à l’encontre du droit international, du droit international humanitaire, de la Charte de l’ONU, des normes et des principes qui régissent les relations pacifiques entre les Etats.1
Au cours de ma visite, j’ai eu l’honneur d’être reçu par des ministres, des sous-ministres et des haut-fonctionnaires des Ministères des Affaires étrangères et des Expatriés, de l’Economie et du Commerce, de l’Administration locale et de l’Environnement, de l’Emploi et des Affaires sociales, des Transports, de l’Agriculture et de la Réforme agraire, de l’Electricité et de la Santé. J’ai également rencontré la direction de la Commission de la planification et de la coopération internationale, du Bureau central des statistiques, de la Chambre de Commerce et le Gouverneur de la Banque centrale.
Le personnel de la société civile et d’organisations humanitaires ainsi que des experts indépendants m’ont donné des instructions. Et pour finir, je suis également reconnaissant des nombreux corps diplomatiques qui ont partagé leur point de vue avec moi durant ma visite. J’ai beaucoup apprécié les briefings de la Commission économique et sociale de l’ONU pour l’Asie occidentale à Beyrouth avant ma visite.
Le but de cette mission était d’examiner à quel point les mesures coercitives unilatérales ciblant la République arabe syrienne nuisent à la réalisation complète des droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres instruments internationaux portant sur les droits de l’homme. Je présenterai mon rapport intégral au Conseil des droits de l’homme en septembre 2018. Ce présent rapport contient mes observations préliminaires sur les résultats de ma visite.
J’ai examiné la situation de la République arabe syrienne en tant que cible des mesures coercitives unilatérales par un certain nombre d’Etats. J’ai analysé les évidences pertinentes et me suis efforcé d’évaluer l’impact actuel de telles mesures sur le peuple syrien. Un Etat a établi des mesures coercitives unilatérales en 1979, et ces dernières ont été renforcées durant les années suivantes. Un plus grand groupe d’Etats a commencé à appliquer des mesures semblables en 2011.
Les mesures collectives appellent à une interdiction commerciale de l’importation et de l’exportation de divers services et marchandises. Cela inclut également les transferts financiers internationaux. La superposition de différents ensembles de mesures sectorielles collectives, conjointement avec la mise en place systématique de restrictions financières, est équivalente à leur impact global sur l’imposition de restrictions plus vastes sur la Syrie. Des mesures complémentaires visant les individus selon leur lien avec le gouvernement ont aussi été mises en place.
De par leur nature exhaustive, ces mesures ont eu un effet dévastateur sur la totalité de l’économie et le quotidien des gens ordinaires. Cet effet a aggravé leur souffrance, conséquence de la crise dévastatrice qui s’est développée depuis 2011. Distinguer les effets des mesures coercitives unilatérales de cette crise pose de nombreuses difficultés, mais cela ne diminue en aucun cas la nécessité de restaurer leurs droits humains fondamentaux dans leur ensemble.
Il est clair que les souffrances infligées par les mesures coercitives unilatérales ont renforcé les souffrances causées par le conflit. En effet, ironie du sort, ces mesures implantées par des Etats d’origines sans se soucier des droits de l’homme, contribuent actuellement à la détérioration de la crise humanitaire comme une conséquence fortuite.
L’accroissement dramatique des souffrances du peuple syrien
L’économie syrienne continue à se dégrader à un rythme alarmant. Depuis l’application des mesures coercitives en 2011 et le début de la crise actuelle, le PIB annuel total de la Syrie a diminué de deux tiers. Les réserves de devises étrangères ont été épuisées et les actifs financiers internationaux et autres biens continuent à être gelés. En 2010, 45 lires syriennes étaient échangées pour un dollar; en 2017, le taux a chuté à 510 lires par dollar. L’inflation a enregistré une augmentation spectaculaire depuis 2010, atteignant un pic de 82,4% en 2013; le prix des denrées alimentaires a octuplé durant cette période. La combinaison des facteurs a engendré la dévastation des conditions de vie de la population qui avaient déjà été détériorées par le conflit. Ce phénomène concerne en particulier la moitié des Syriens actifs touchant un salaire fixe.
Les conséquences fortuites des mesures coercitives unilatérales
Ce dommage sur l’économie a eu des effets prévisibles sur l’habilité des Syriens à comprendre leur économie, et leurs droits sociaux et culturels. Les indices de développement humain syrien ont tous chuté. Il y a eu une vertigineuse croissance du taux de pauvreté parmi les Syriens ordinaires. Alors qu’il n’y avait pas d’insécurité alimentaire avant l’éruption de violence, en 2015 32% des Syriens étaient touchés. A la même période, le chômage a augmenté de 8,5% en 2010 à plus de 48% en 2015.
Restrictions bancaires
Les préoccupations omniprésentes dont j’ai entendu parler durant ma mission concernent les effets négatifs imputant les restrictions financières sur tous les aspects de la vie syrienne. Les restrictions de la Banque centrale, des banques publiques et des banques privées ainsi que les transactions dans les principales devises internationales ont enlevé la possibilité à qui que ce soit de faire des affaires à l’international.
Malgré le fait d’avoir théoriquement inclus les «dérogations humanitaires», en pratique, ces dernières se sont avérées coûteuses et d’une extrême lenteur.
L’incertitude de savoir si les transactions enfreignent ou non les mesures coercitives unilatérales a entraîné un «refroidissement» des banques et des sociétés qui, par conséquent, sont réticentes ou incapable de faire des affaires avec la Syrie. Ce qui a empêché la Syrie, les sociétés internationales, les acteurs non gouvernementaux (incluant ceux travaillant uniquement dans le domaine humanitaire) et les citoyens syriens d’effectuer des transactions financières internationales (y compris pour des biens que l’on peut importer légalement), d’obtenir un crédit ou, pour les acteurs internationaux, de verser des salaires ou de payer des entrepreneurs en Syrie.
Ceci a obligé les Syriens à trouver des alternatives, telles que le hawala [un système traditionnel de paiement informel dans le monde arabe, ndlr.], occasionnant la circulation de millions de dollars par des intermédiaires financiers coûteux qui se sont parfois avérés appartenir à des organisations terroristes. Ces canaux, qui ne sont pas transparents, ne peuvent être contrôlés et augmentent le coût de la transaction, et restent la seule voie pour opérer à l’international pour les plus petites sociétés et les acteurs de la société civile syrienne.
Soins médicaux
La Syrie propose un accès universel et gratuit aux soins de santé à tous ses citoyens. Avant la crise actuelle, elle jouissait d’un des plus hauts niveaux de soins de la région. Les demandes créées par la crise ont submergé le système et provoqué un niveau de besoin exceptionnellement élevé. Malgré cela, les mesures restrictives, en particulier celles en lien avec le système bancaire, ont nui à la capacité de la Syrie à acheter et à payer les médicaments, les équipements, les pièces de rechange et les logiciels. Bien qu’en théorie il existe des exemptions, en pratique, les compagnies privées internationales ne sont pas prêtes à surmonter les obstacles nécessaires pour garantir de pouvoir traiter avec la Syrie sans être accusées de violer les mesures restrictives par inadvertance.
Migration et «fuite des cerveaux»
Bien que la situation sécuritaire soit un facteur déterminant dans le flux migratoire de la Syrie, il faut souligner que la hausse dramatique du chômage, le manque d’offres d’emploi, la fermeture d’entreprises à cause de l’impossibilité de se procurer des matières premières, des machines ou d’exporter leurs biens ont toutes contribué à l’augmentation de l’émigration des Syriens. Certains Etats receveurs ont sélectionnés des migrants qualifiés et ont fait pression sur les moins privilégiés pour qu’ils retournent en Syrie. La «fuite des cerveaux» a notamment affaibli les industries médicales et pharmaceutiques, et cela au plus mauvais moment pour la Syrie.
La fin anticipée du conflit actuel ne mettra pas un terme aux flux des migrants, surtout en Europe, compte tenu de la saturation des pays voisins. Ces flux continueront probablement tant que les mesures coercitives unilatérales empêchent les autorités syriennes de résoudre les problèmes urgents liés aux infrastructures sociales et économiques, comme la restauration de l’approvisionnement en eau et en électricité.
Prohibition du commerce d’équipement et de pièces de rechange
L’interdiction du commerce d’équipements, de machines et de pièces de rechange a anéanti l’industrie syrienne. Les véhicules, incluant les ambulances et les camions de pompiers, ainsi que les machines agricoles manquent de pièces de rechange. Les pompes à eau défectueuses portent gravement atteinte à l’approvisionnement en eau et réduisent la production agricole. Les centrales électriques ne fonctionnent plus et on ne peut pas en construire ou en entretenir de nouvelles, ce qui cause des coupures de courant. La machinerie complexe, requérant un entretien par des techniciens internationaux, ne fonctionne plus et endommagent les appareils médicaux et les machines d’usine. Les avions civils ne sont plus capables de voler en toute sécurité et les bus des transports publics sont dans un état lamentable. Peu importe les motifs que les pays d’origine donnent pour justifier la restriction des soi-disant biens à double usage, il faut fournir des efforts accrus pour garantir l’autorisation des biens manifestement destinés à l’usage civil et s’assurer qu’ils puissent être financés.
Embargo sur la technologie
A la suite des mesures coercitives unilatérales, les Syriens sont dans l’incapacité d’acquérir de nombreuses technologies, dont les téléphones mobiles et les ordinateurs. Les sociétés de logiciels, les entreprises de technologie et les logiciels bancaires et financiers sont des secteurs dominés par les Américains, et sont interdits en Syrie. Il est donc difficile de leur trouver des alternatives, ce qui a paralysé ou perturbé de larges sections des institutions syriennes.
Education et formation
Le manque d’apports, d’approvisionnement en eau et en énergie ainsi que le manque de matériel didactique qui retarde la reconstruction d’écoles ont empêché 1,8 millions d’enfants de se rendre en classe.
La capacité des Syriens à contribuer à la communauté internationale a été sévèrement affectée. Les Syriens ont été exclus des programmes d’échanges éducationnels internationaux et éprouvent de grandes difficultés à obtenir un visa, ce qui empêche une grande partie d’entre eux d’étudier ou de voyager à l’étranger, d’élargir leur formation et leurs compétences ou de participer à des conférences internationales. En retirant de Syrie leurs services consulaires, les pays ont forcés les Syriens, y compris les plus pauvres, à se rendre dans les pays voisins pour compléter de telles demandes, ce qui les soumet à des restrictions d’entrée onéreuses.
Conclusion
Je m’inquiète vivement du fait que les mesures coercitives unilatérales contribuent aux souffrances actuelles des Syriens. Proclamer la nécessité de l’existence des mesures en vue de la protection de la population ou de la facilitation d’une transition démocratique est difficilement compatible avec les souffrances subies sur le plan humanitaire et économique. Le temps est venu de se demander si ces conséquences non intentionnelles ne sont pas plus sérieuses que celles pouvant être raisonnablement acceptées par les Etats démocratiques. Quels que soient les objectifs politiques, il doit exister des moyens plus humains de les atteindre, en respectant entièrement le droit international.
Face à la complexité du système des mesures coercitives unilatérales en place, il faudrait une approche par étape pour remédier à la déplorable situation actuelle de la Syrie sur le plan des droits de l’homme. Cela impliquerait une approche en séquence qui répondrait aux besoins humanitaires fondamentaux de la population à travers le pays, et cela sans conditions préalables, quand il est question de vie ou de mort. Une première étape pourrait intégrer le besoin urgent de sécurité alimentaire, qui concerne presque un tiers de la population. La seconde étape doit se traduire en mesures efficaces sur le terrain, les Etats d’origine doivent réaliser leurs engagements et remplir leurs obligations en autorisant les exemptions humanitaires, en particulier pour les transactions financières. Pour finir, il doit y avoir une sérieuse discussion au sujet de la réduction des mesures coercitives unilatérales, à commencer par celles qui ont un effet le plus flagrant sur la population, de même que celles favorisant le renforcement de la confiance entre les parties avec, comme but ultime, la levée des mesures coercitives unilatérales. J’espère que ce briefing et mon prochain rapport contribueront à cette fin.
Merci. •
Publié en anglais par Ohchr.org
Idriss Jazairy a été nommé premier Rapporteur spécial sur les effets négatifs des mesures coercitives unilatérales sur l´exercice des droits de l´homme par le Conseil des droits de l´homme. En mai 2015, il a commencé à exercer sa fonction. M. Jazairy a une très vaste expérience dans les domaines des relations internationales et les droits de l´homme dans le cadre de son travail pour le ministère des Affaires étrangères algérien, le système des droits humains de l´ONU et des ONG internationales. Il détient un M.A. (Oxford) en philosophie en politique et en économie et un M.P.A. (Harvard). En outre, il a fait l’ENA [Ecole nationale d´Administration] en France. M. Jazairy est auteur de nombreux livres et d’un grand nombre d´articles publiés dans la presse internationale sur le développement, les droits de l´homme et des sujets actuels.
Les rapporteurs spéciaux font partie des dites procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Les procédures spéciales – le plus grand groupe d’experts indépendants dans le système des droits de l’homme de l’ONU – est le terme général pour décrire les mécanismes indépendants d´analyse et de surveillance du Conseil traitant soit des situations spécifiques à un pays ou des questions thématiques dans toutes les parties du monde. Les experts des procédures spéciales sont des bénévoles; ils ne sont pas collaborateurs des Nations Unies et n’obtiennent aucune rémunération pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et œuvrent uniquement dans leur fonction individuelle.
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Cette année, la Déclaration universelle des droits de l´homme, adoptée le 10 décembre 1948 par les Nations Unies, fête ses 70 ans. La Déclaration universelle – traduite en 500 langues, ce qui représente un record du monde – se fonde sur le principe que «tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits». Elle concerne tout un chacun, quotidiennement. En l´honneur du 70e anniversaire de ce document extrêmement influent et afin d´empêcher l’érosion de ses principes, nous appelons tout un chacun dans le monde entier à défendre les droits de l´homme: www.standup4humanrights.org
Publié en anglais par Ohchr.org
Le gouvernement syrien s’efforce d’améliorer la situation alimentaire
Damas, Sana, 15 mai 2018 – 100 milliards de livres syriennes ont été mises à disposition pour payer la récolte de blé prévue cette année. Cette récolte est initialement estimée à près d’un million de tonnes sur une superficie de 1,97 millions d’hectares.
Le mardi 15 mai, une réunion spéciale, présidée par le Premier ministre Imad Khamis, a eu lieu pour délibérer des possibilités de réception et de commercialisation de la totalité de la récolte saisonnière de blé. Les députés ont décidé de transférer un premier versement de 10 milliards de livres syriennes à la Banque agricole, pour payer les agriculteurs.
Les ministères et les autorités compétentes ont été invités à mettre en place les conditions logistiques nécessaires pour faciliter le processus de réception et de commercialisation pour la saison en cours.
Le Premier ministre a souligné que le soutien du gouvernement pour les cultures stratégiquement importantes devait être au profit des agriculteurs, afin de leur permettre de poursuivre leurs activités agricoles.
Il a ajouté qu’il était important de prendre toutes les mesures nécessaires pour promouvoir ce processus de production alimentaire pour les années à suivre et d’encourager toutes les visions et tous les plans visant à améliorer la sécurité alimentaire.
Publié en anglais par l’agence de l’Etat syrien Sana.
Traduction Horizons et débats