James Petras
Sur fond de corruption sans frein, de pathologies sociales et de brutalité politique nue, un nouveau gang de régimes vassaux a pris le contrôle de l’Amérique Latine. Les nouveaux dirigeants ont été strictement recrutés parmi les protégés des institutions financières et banquières US. C’est pourquoi la presse financière parle d’eux en les appelant les « nouveaux managers » de Wall Street.
Les médias financiers US ont une fois de plus fourni une couverture politique aux crimes les plus vils commis par ces « nouveaux managers » alors qu’ils lançaient leur offensive contre le monde du travail, au bénéfice de la finance étrangère ou nationale.
Pour comprendre la dynamique de ces nouveaux managers vassaux de l’empire, commençons par identifier 1) l’usurpation illicite du pouvoir, 2) les politiques néo-libérales qu’ils poursuivent, 3) l’impact de leur programme sur les structures de classes, 4) leurs résultats économiques et leurs perspectives socio-politiques.
La vassalité latino-américaine actuelle est de plus ou moins longue ou courte durée.
Les régimes vassaux de longue durée, avec le plus lourd lourd héritage historique de soumission, de corruption et de criminalité comprennent le Mexique et la Colombie, où les oligarques, les fonctionnaires gouvernementaux et les escadrons de la mort cohabitent de façon étroite avec l’armée US et le gratin des affaires et de la finance.
Au cours des dernières décennies, 100.000 personnes ont été assassinées au Mexique et plus de 4 millions de paysans ont été dépossédés en Colombie. Par les deux régimes, plus de 5 millions d’hectares de terres agricoles ou minières sont passées aux mains de multinationales des USA et de l’UE.
Des centaines de milliards de gains illicites provenant du trafic de drogues ont été blanchis par les oligarques mexicains et colombiens et sont arrivés sur leurs comptes au États-Unis en passant par des banques privées.
Les managers politiques actuels, Peña au Mexique et Santos en Colombie, sont occupés à dénationaliser des secteurs stratégiques du pétrole et de l’énergie, tout en s’attaquant férocement aux mouvements sociaux dynamiques : des centaines d’étudiants et d’enseignants au Mexique et des milliers de paysans et de militants des droits de l’homme en Colombie ont été assassinés.
Cette nouvelle vague de vassaux de l’Empire a pris le pouvoir dans toute l’Amérique Latine « grâce » aux interventions directes et indirectes des États-Unis. En 2009, le président du Honduras Manuel Zelaya a été renversé par un coup d’État militaire incité/soutenu par la Secrétaire d’État Hillary Clinton. Le programme de réforme agraire, d’intégration régionale (avec le Vénézuéla) et d’élections constitutionnelles de Zelaya a été aboli. Zelaya a été remplacé par un vassal des USA, Roberto Micheletti, qui s’est empressé de faire assassiner plusieurs centaines d’ouvriers agricoles sans terres et de militants indigènes. Washington a fabriqué une couverture pseudo-constitutionnelle en poussant à l’élection à la présidence d’un grand propriétaire terrien des plus malléables, Porfirio Lobo Sosa.
Le Département d’État a ensuite renversé le président paraguayen Francisco Lugo, qui a gouverné de 2008 à 2012. Lugo avait promis une réforme agraire modérée et avait un programme centriste d’intégration régionale.
En 2013, Washington a soutenu la candidature à la présidence du très connu boss du crime de la capitale Asuncion : un certain Horacio Castes, condamné pour fausse monnaie en 1989, pour trafic de drogues en 1990 et plus récemment (2010) pour blanchiment d’argent.
Les coups d’État du Honduras et du Paraguay ont été la répétition à échelle réduite du lancement de la nouvelle vague de vassaux politiques des « grands pays ». Le Département d’État s’est alors mis en devoir d’accélérer les prises de contrôle par les banques du Brésil, de l’Argentine et du Pérou.
En succession rapide, entre décembre 2015 et avril 2016, des managers vassaux se sont emparés du pouvoir en Argentine et au Brésil. En Argentine, le millionnaire Mauricio Macri s’est mis à gouverner par décrets, faisant fi de la légalité constitutionnelle. Macri a licencié des dizaines de milliers d’employés du secteur public, a fermé les agences nationales de services sociaux et nommé des juges et des procureurs sans le moindre vote du Congrès. Il a arbitrairement fait arrêter les dirigeants des mouvements sociaux en violation des procédures démocratiques.
Les ministres de l’Économie et des Finances de Macri se sont enrichis de millions de dollars en investissant massivement dans des multinationales du pétrole, juste avant de leur faire cadeau d’option préférentielle pour l’acquisition d’entreprises publiques nationales.
Les escroqueries et les fraudes globales réalisées par les « new managers » ont été bénies par les médias US, qui ont couvert d’éloges l’« équipe professionnelle » de Macri.
Bien entendu, les prestations économiques de Macri sont un désastre. Les frais d’utilisations exorbitants des services publics et des transports, multipliés par trois et même par dix, pour les consommateurs et les entreprises commerciales ont fait grimper en flèche les taux de faillites et entraîné des coupures du gaz et de l’électricité dans de nombreux foyers.
Les fonds vautours de Wall Street ont reçu, des « managers » de Macri, sept milliards de dollars sur des prêts non
Des données se basant sur des indicateurs économiques font apparaître les pires résultats économiques depuis quinze ans.
L’inflation dépasse les 40% ; la dette publique a augmenté de 20% en six mois. Le niveau de vie et l’emploi sont en forte baisse. La croissance et les investissements sont en négatif. La mauvaise gestion, la corruption des fonctionnaires et la gouvernance arbitraire n’incitent pas les petites et moyennes entreprises à la confiance.
Les médias « respectables », conduits par le New York Times, le Financial Times, leWall Street Journal et le Washington Post ont donné des informations falsifiées sur chacun des aspects du régime de Macri. Des politiques économiques calamiteuses mises en œuvre par des banquiers devenus ministres se sont vu qualifier de « succès sur le long terme » ; des politiques à base grossièrement idéologique n’ayant pour but que le profit des investisseurs étrangers ont été réinventées sous le pseudonyme de mesures d’encouragement commercial.
Les voyous politiques qui ont démantelé et remplacé les agences de services civils ont été étiquetés « nouvelle équipe de direction » par les scribouillards de basse propagande de la presse financière.
Au Brésil, la prise d’un faux pouvoir politique par des parlementaires opportunistes a renversé la président Dilma Rousseff. Elle a été remplacée par un escroc en série et soudoyé notoire approuvé par Washington, Michel Temer.
Comme on pouvait s’y attendre, les nouveaux managers économiques sont contrôlés par les banquiers de Wall Street, de la Banque Mondiale et du FMI. Ils se sont, bien entendu, empressés de faire avaliser des mesures consistant à sabrer dans les salaires, les retraites et autres dépenses sociales, baisser les impôts sur les sociétés et privatiser les entreprises publiques les plus rentables, dans les transports, les infrastructures, les propriétés foncières, le pétrole et des dizaines d’autres activités.
Alors même que la presse prostituée encensait les « nouveaux managers », des procureurs et des juges faisaient arrêter trois des nouveaux ministres « managers » pour fraude et blanchiment d’argent. Le « président » Temer est le suivant sur la liste des procureurs, pour son rôle dans le scandale des pots-de-vins sur les méga-contrats de Pétrobras.
Le programme économique des nouveaux managers ne sont pas conçus pour attirer de nouveaux investissements productifs. La plupart des entrées sont des entreprises spéculatives à court terme. Les marchés, surtout en matières premières, ne donnent aucun signe de croissance, au grand dam des technocrates du libre marché. L’industrie et le commerce sont déprimés par suite du déclin du crédit à la consommation, à l’emploi et aux dépenses publiques, du fait des politiques d’austérité imposées par « les managers ».
Au moment même où les États-Unis et l’Europe adoptent l’austérité qu’entraîne le marché libre, elle suscite [en Amérique du Sud, NdT] une révolte d’ampleur continentale. Néanmoins, la vague des régimes vassaux d’Amérique Latine reste profondément embarquée dans la décimation des états-providence et le pillage des trésors publics.
Conclusion
Alors que Washington et la presse prostituée saluent leurs « nouveaux managers » d’Amérique Latine, la fête se voit abruptement gâchée par une rage de masse causée par la corruption et par des revendications de changement de politique verts la gauche.
Au Brésil, le « président » Temer se précipite pour mettre en œuvre des mesures en faveur des grandes entreprises, le temps au poste qu’il occupe lui étant compté en semaines, pas en mois. Le temps qu’il lui à vivre en liberté approche de la date-limite. Son cabinet de « technocrates » prépare ses bagages pour le suivre.
Mauricio Macri pourra survivre à une vague de grèves et de manifestations et finir l’année à son poste. Mais l’économie en chute libre et le pillage du trésor conduisent tout droit le monde des affaires à la banqueroute, la classe moyenne à des comptes bancaires vides et les dépossédés à des soulèvements de masse.
Les nouveaux managers de Washington en Amérique Latine ne peuvent pas tenir le coup face à une population incontrôlable et à une économie de marché libre en échec.
Les coups d’État peuvent marcher pour s’emparer du pouvoir, mais pas pour établir une stabilité de gouvernement efficace. Les virements politiques à droite échappent en tournoyant à l’orbite de Washington et ne trouvent pas un nouveau contrepoids dans le démantèlement de l’Union Européenne.
Les prises de pouvoir capitalistes vassales en Amérique Latine ont anesthésié les médias et euphorisé Wall Street. Le choc que leur réserve la réalité des pathologies économiques n’en sera que plus dur.
Washington et Wall Street et leurs managers d’Amérique Latine ont poursuivi une fausse réalité de profits sans contrainte et de richesses à piller. Le principe de réalité les force à reconnaître que leurs échecs provoquent la rage aujourd’hui et les soulèvements demain.
James Petras – 7 juillet 2016
Né à Boston en 1937. Professeur émérite de sociologie à l’université d’état de New York.
James Petras est l’intellectuel emblématique de la gauche américaine. Il a travaillé avec le Mouvement des travailleurs sans-terre du Brésil et le Mouvement des chômeurs d’Argentine. Il est membre du Comité éditorial de Canadian Dimension et a participé à la conférence anti-impérialiste Axis for Peace de Bruxelles, organisée par le Réseau Voltaire.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont certains ont été traduits en français : La Face cachée de la mondialisation – L’Impérialisme au XXIe siècle, par exemple. Un de ses articles sur le putsch de Kiev a été repris dans un ouvrage collectif traduit en français : Ukraine, le coup d’état fasciste orchestré par les Etats-Unis.
Aux USA il s’est fortement prononcé contre l’influence du Lobby sioniste, qu’il juge néfaste aux intérêts des États-Unis.
Article original : http://petras.lahaine.org/?p=2090