Les USA ont fait monter la tension avec l’Iran sans toutefois prendre de mesures concrètes pour se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien. La raison pour laquelle Trump devrait se contenter de proférer des menaces de mesures hostiles contre Téhéran sans les mettre à exécution, c’est essentiellement pour éviter une rupture entre les USA et l’UE. L’accord nucléaire n’étant pas bilatéral, le retrait des USA ne peut en théorie le faire échouer. Toutefois, l’Iran pourrait bien rendre l’accord inopérant si les USA se retirent, avec toutes les conséquences que cela comporte. Les USA poursuivent donc leur campagne de violence verbale contre l’Iran, semant ainsi la confusion parmi les Européens qui se demandent, à juste titre, quelles décisions le président des USA en titre pourrait bien adopter à moyen et à long terme.

Par Elijah J. Magnier | 14 Octobre 2017

Cependant, ce n’est pas seulement l’Iran qui est visé, mais aussi le Hezbollah libanais, son principal allié et bras armé au Moyen-Orient. Les USA ont mis les têtes à prix de deux membres du conseil militaire du Hezbollah (l’instance militaire suprême de l’organisation), soit Haj Fuad Shukr et Haj Talal Hamiyeh, en offrant « 12 millions de dollars à quiconque est en mesure de fournir de l’information » pour que ces deux-là soient traduits en justice. La promesse de récompense était accompagnée de deux vieilles photos des deux hommes, pour éviter de révéler les sources de renseignement ayant fourni des photos plus récentes. Mais la grande question demeure : Quel pays va profiter de cette offre et de quelle manière?

L’Iran ne s’intéresse plus à ce que Donald Trump va faire par rapport à l’accord sur le nucléaire. Les dirigeants iraniens ont créé des centaines d’entreprises commerciales durant l’embargo, principalement à Oman, Dubaï et Abou Dhabi, pour contrecarrer plus de 30 ans de sanctions et d’embargo imposés par les USA. De plus, l’Iran a utilisé de l’or et du pétrole en échange de biens et de technologie et a réussi à tenir bon pendant toutes ces années, en acceptant d’acheter à un prix supérieur à celui du libre marché.

Aujourd’hui, l’accord sur le nucléaire a ouvert le marché iranien assoiffé aux marchés européens. L’UE n’a pas l’intention de rater pareille occasion à ce moment-ci, avec la crise financière qui secoue le vieux continent depuis 2008, juste parce que Monsieur Trump, en sa qualité de président des USA (le seul parmi tous les signataires), a conclu unilatéralement que « l’esprit de l’accord sur le nucléaire n’a pas été respecté ». Les USA voudraient que le programme de missiles iraniens soit stoppé et que la fourniture d’armes au Hezbollah cesse, ce qui ferait aussi l’affaire de l’Arabie saoudite et d’Israël. Cependant, tous les pays signataires (y compris l’Iran, mais pas les USA) considèrent ces questions comme sans rapport avec l’accord sur le nucléaire, donc exclues de l’accord.

Des responsables saoudiens se sont rendus récemment à Washington, pour offrir un soutien financier illimité tant et aussi longtemps que les USA font leur part pour détruire le Hezbollah et limiter l’influence de l’Iran au Moyen-Orient. En fait, le Hezbollah est perçu comme ayant gâché le jeu des pays régionaux et internationaux qui soutenaient un changement de régime en Syrie. Par conséquent, bon nombre d’entre eux aimeraient que le Hezbollah, le bras armé puissant de l’Iran, soit complètement coupé, afin de transformer l’Iran en un géant sans bras.

De plus, lors de la visite du roi saoudien Salmane à Moscou, la monarchie a fait savoir au président Vladimir Poutine que tous les groupes actifs en Syrie, comme le groupe armé « État islamique (Daech), Al-Qaeda et le Hezbollah, devaient être considérés comme des terroristes à éliminer. Malgré la généreuse offre financière du roi d’investir dans des attirails russes, Poutine a été très clair : tout pays ou groupe qui combat en Syrie à la demande du gouvernement légitime n’est pas un groupe terroriste. La « tête du Hezbollah » n’était donc pas sur la table dans la capitale russe.

Quant aux récompenses promises par les USA, les dirigeants du Hezbollah occupant les premier, deuxième et troisième rangs de l’organisation circulent librement entre Beyrouth, Damas, Téhéran et Bagdad, en fonction des exigences de la « guerre contre le terrorisme » que l’organisation livre contre le groupe armé « État islamique (Daech) et Al-Qaeda en Syrie et en Irak.

Aucune autorité, qu’elle soit libanaise ou américaine, n’oserait arrêter des dirigeants du Hezbollah sans subir des conséquences directes qui se répercuteraient sur ses soldats ou ses intérêts au Moyen-Orient. Tout enlèvement (ou capture) serait traité de la même façon et rejeté sans hésitation.

« L’incident » le plus récent s’est produit en Irak, lorsque Bagdad avait demandé le retrait de toutes les forces américaines de l’Irak pendant la présidence d’Obama, quand Washington a exprimé son désir de transférer le commandant du Hezbollah libanais Ali Moussa Daqduq aux USA. Le Hezbollah a alors envoyé un message clair à l’administration américaine, par l’entremise de dirigeants irakiens : si Daqdouq quittait l’Irak, chaque soldat et officier américain au Moyen-Orient, principalement en Irak, serait pris en otage.

Cette réponse a amené Washington à fermer les yeux en laissant les Irakiens décider du sort de l’officier du Hezbollah qui, avec d’autres, avait tué cinq soldats et officiers américains lors d’une opération remarquablement bien planifiée à Kerbala. En janvier 2007, Daqdouq et des membres du groupe de résistants Asaib Ahl al-Haq, proche de Moqtada al-Sadr, ont utilisé des voitures blindées noires appartenant à un ministre irakien, gracieuseté des USA, pour entrer dans un bâtiment du gouvernement. Le fait que Daqdouq était à bord a facilité l’entrée du convoi, sans éveiller les soupçons des forces américaines qui se trouvaient à l’intérieur du bâtiment.

Le Hezbollah sait que de nombreux soldats et officiers américains circulent librement au Liban, principalement dans le cadre d’opérations conjointes avec l’armée libanaise. L’organisation est certaine que les États-Unis savent que le Hezbollah est tout à fait capable de réciprocité et qu’il ne laissera pas ses hommes être faits prisonniers sans réagir. Le Hezbollah estime qu’il est peu probable que ses dirigeants soient enlevés, mais que des tentatives d’assassinat sont toujours possibles.

Ainsi, les USA ont « mis les têtes à prix » des deux commandants du Hezbollah pour faire plaisir à leurs alliés au Moyen-Orient (principalement Israël et l’Arabie saoudite), en leur disant que « nous sommes tous contre la présence et la capacité opérationnelle du Hezbollah ». En effet, cela montre jusqu’à quel point Washington est prêt à prendre des mesures politiques, plutôt qu’opérationnelles, pour limiter la marge de manœuvre du Hezbollah et de l’Iran au Moyen-Orient, qui sont tous les deux considérés comme des ennemis des Américains et de leurs proches associés israéliens et saoudiens.

À l’instar de Washington, Tel-Aviv se limite à adopter une rhétorique menaçante en évoquant le spectre d’une « guerre à nos portes » contre le Hezbollah, mais sans trop insister ou prendre des mesures belliqueuses autres que des grondements.

Dans le cas improbable d’une guerre entre Israël et le Hezbollah, il ne fait aucun doute qu’Israël possède la capacité militaire destructrice de ramener le Liban « à l’âge de pierre », comme il le prétend. Cependant, c’est une situation que les Libanais ont déjà vécue lors de la guerre civile de 1975 et des deux guerres israéliennes (1982 et 2006). Pendant ces guerres, Israël a lancé des attaques et détruit l’infrastructure libanaise, tuant des milliers de civils et des centaines de militants du Hezbollah.

Mais il est tout aussi vrai que le Hezbollah est capable de rendre la pareille à Israël en lui donnant un avant-goût d’un retour à « l’âge de pierre », avec ses dizaines de milliers de roquettes et missiles, certains possédant une très haute précision. La population israélienne n’est cependant pas habituée à ce genre de scénario. Les missiles du Hezbollah frapperont l’infrastructure (ponts, lieux à forte concentration, marchés, aqueducs, centrales électriques, usines chimiques, etc.), les ports, les aéroports, les casernes et les institutions militaires, et les maisons de civils).

Il est vrai que les dirigeants politiques et militaires israéliens ne sont pas naïfs et qu’ils n’échangeront jamais leur propre sécurité contre un soutien économique et financier (offert par l’Arabie saoudite pour détruire le Hezbollah), peu importe l’importance de l’offre. Israël n’acceptera pas l’établissement de relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite et la plupart des pays du Golfe au détriment de sa propre sécurité et du bien-être de sa population. Les commandants israéliens savent très bien que le Hezbollah a acquis une expérience militaire sans pareille en Syrie et en Irak, et qu’il se sert de ses nouvelles caches souterraines à la frontière entre le Liban et Israël pour y mettre ses missiles à longue portée de haute précision.

Israël et les USA sont toutefois capables de mener des attaques visant des dirigeants du Hezbollah, par l’entremise de leurs services de sécurité et du renseignement, comme ces deux pays l’ont fait par le passé en assassinant l’ancien secrétaire général du Hezbollah Sayed Abbas al-Moussaoui, l’adjoint de Sayed Hassan Nasrallah Imad Mughnniyeh, et les titulaires d’autres postes mineurs au sein de la direction comme Hussein al-Lakis, Samir Qantar et Jihad Mughnniyeh, pour ne nommer que ceux-là.

Le « compte » est toujours ouvert entre le Hezbollah et Israël. L’organisation libanaise a sûrement tenté de porter des coups similaires contre Israël. Cependant, plusieurs tentatives ont échoué en raison d’une mauvaise planification et d’une atteinte à la sécurité du Hezbollah par les services secrets des USA et d’Israël, par l’entremise d’un officier ayant intégré l’unité responsable des opérations externes.

Mais l’équilibre de la terreur entre le Hezbollah et Israël demeure. Le Hezbollah dispose maintenant d’une plus grande marge de manœuvre en Syrie et est en mesure de consacrer plus de ressources dans la lutte contre Israël et ses alliés dans la région.

Par conséquent, la pression américaine reste dans les limites de l’incapacité de quiconque à aller plus loin. Aucun pays ou entité ne veut affronter un rival de la trempe du Hezbollah, formé à l’art de la guerre et de la politique, qui est devenu un acteur de premier plan au Moyen-Orient et sur la scène internationale.

Par Elijah J. Magnier | 

Version en anglais: 

Traduction : Daniel G